La fraîche nouvelle de Jean Giono, L’homme qui plantait des arbres, est si réaliste et, plus encore, soulève tellement l’âme d’enthousiasme qu’elle est un témoignage ou un documentaire. Elle illustre le don de soi total. L’ouverture le célèbre, non sans solennité :
« Si cette action [de l’homme] est dépouillée de tout égoïsme, si l’idée qui la dirige est d’une générosité sans exemple, s’il est absolument certain qu’elle n’a cherché de récompense nulle part et qu’au surplus elle ait laissé sur le monde des marques visibles, on est alors, sans risque d’erreurs, devant un caractère inoubliable [1] ».
Cette fiction plus vraie que vraie atteste la dédition de soi sans réserve dans le cadre particulier de la nature. Ce faisant, elle montre combien l’homme est appelé à faire fructifier la nature (cf. Gn 2,4b) et, ce faisant, l’achever pour elle et pour l’homme : « plus de dix mille personnes doivent leur bonheur à Elzéard Bouffier [2] ». Dès lors, celui-ci est au principe (partiel) et au terme (lui aussi partiel) de la nature. Et ce labeur de fructification passe par des épousailles aimantes avec la création, au risque d’y perdre quelque peu son humanité. En effet, l’être humain est un parlêtre ; or, à la fin, Elzéard Bouffier ne parle presque plus. Du moins met-il toute sa raison (« Il avait jugé que ce pays mourait par manque d’arbres ») et s toute a liberté au service de cette œuvre. Et quelle œuvre ! « Tout avait changé. L’air lui-même. Au lieu des bourrasques sèches et brutales qui m’accueillaient jadis, soufflait une brise souple chargée d’odeurs. Un bruit semblable à celui de l’eau venait des hauteurs : c’était celui du vent dans les forêts ».
Une telle réalisation parle du courage, en particulier de la constance qui est la force sur la longue durée : « Quand je réfléchis qu’un homme seul, réduit à ses simples ressources physiques et morales, a suffi pour faire surgir du désert ce pays de Canaan, je trouve que, malgré tout, la condition humaine est admirable ». Mais, elle parle au moins autant de l’image de Dieu, ainsi que l’affirme la phrase suivante, qui est la dernière du livre, tout aussi louangeuse que la première : « Quand je fais le compte de tout ce qu’il a fallu de constance dans la grandeur d’âme et d’acharnement dans la générosité pour obtenir ce résultat, je suis pris d’un immense respect pour ce vieux paysan sans culture qui a su mener à bien cette œuvre digne de Dieu [3] ». En Gn 1,26, l’image de Dieu n’est-elle pas intimement liée au commandement bien compris : « Soumettez la terre » ?
Pascal Ide
[1] Jean Giono, L’homme qui plantait des arbres, 1953, Paris, Gallimard, 1983, p. 9.
[2] Ibid., p. 33.
[3] Ibid., p. 34.