Tristan et Iseut. Ou la fabrique du véritable amour

Le dernier ouvrage de Michel Zink, spécialiste de la littérature médiévale qu’il a enseignée de longues années au Collège de France, porte sur le mythe, célèbre entre tous, de Tristan et Iseut [1]. De prime abord, il procède à une déconstruction en règle du récit légendaire, montrant que ce qui est devenu une histoire d’amour idéalisée au siècle des romantiques fut en réalité largement soupçonné par les premiers romans, en plein xiie siècle. En l’occurrence, ils ont au minimum interrogé et au maximum pris leur distance à l’égard de cette histoire qui met en scène un amour adultérin (si Tristan est célibataire, Iseut la Blonde est mariée au roi Marc), contraint (les amants de Cornouailles ne tombent amoureux que sous l’effet de ce philtre, « vin herbé », que d’ailleurs ils ont bu par erreur), menteur (ils multiplient les ruses les plus sournoises et les plus mensongères, notamment en maniant l’art des formules à double sens), jaloux (si Tristan finit par épouser Iseut aux Blanches Mains, c’est parce qu’il envie la jouissance que prend son homonyme, la femme aimée, avec son légitime époux) et au fond assez narcissique.

Cette relecture dégrisante serait-elle le fait d’« un vieillard » qui ne connaît plus « ce désir fou, littéralement fou » qui emporte la jeunesse, ainsi que l’Académicien semble s’en faire l’autocritique dans son dernier chapitre [2] ? Cette question est, au moins en partie, rhétorique. Car ce catholique convaincu qui ne cède jamais ni à l’historicisme érudit, ni au doctrinaire déconstructionniste, et à qui l’on doit déjà une relecture positive singulièrement stimulante de la fin’amor (ou amour courtois, le substantif étant féminin au Moyen-Âge) orthogonalement opposée à celle, pessimiste, de Rougemont [3], sait une nouvelle fois conjuguer l’histoire et la doctrine pour sauver l’amour. Pour cela, il suffit de reprendre les traits implicitement fustigés par les romanciers et troubadours médiévaux. L’on voit alors se dessiner les cinq caractéristiques de l’amour authentique : fidèle, libre (non pas de cette liberté seulement extérieure qui transgresse les cadres, mais de cette liberté intérieure qui se donne à elle-même sa loi, ce que signifie le terme « autonomie »), vrai, reconnaissant (la jalousie est au fond toujours une ingratitude à l’égard de ce qui nous est donné) et bienveillant (au sens étymologique qui est altruiste : vouloir le bien de l’autre).

Pascal Ide

[1] Michel Zink, Tristan et Iseut. Un remède à l’amour, Paris, Stock, 2022.

[2] Ibid., p. 161.

[3] Cf. Michel Zink, Les troubadours. Une histoire poétique, coll. « Pour l’histoire », Paris, Perrin, 2014. D’un mot, en prenant en compte deux nouveaux éléments ignorés des autres spécialistes (l’émergence de la dévotion mariale ; et les commentaires du Cantique des Cantiques), Zink montre que, sous l’aiguillon de la Révélation chrétienne, les troubadours vont intégrer la chair et l’esprit, et ainsi sauver l’amour entre l’homme et la femme. Il sauve ainsi deux éléments : le rôle de la chair et du désir ; le rôle de l’idéal chrétien incarné en Marie. Loin d’opposer éros et agapè, il les réconcilie.

30.12.2022
 

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