The Nice House on the Lake

The Nice House on the Lake, bande dessinée de science-fiction dystopique, de James Tynion IV (scénario), Álvaro Martínez (dessin) et Jordie Bellaire (couleur), trad. Maxime le Dain, 2023, Cycle 1, 2 tomes. Récompense : Eisner Awards 2022 de la Meilleure nouvelle série.

Histoire

Les dix conviés à la « jolie maison sur le lac » connaissent Walter – enfin, un peu. Certains l’ont rencontré lorsqu’ils étaient au lycée (par ordre d’apparition : Norah Jakobs, 34 ans, dite l’Autrice : rencontre il y a 19 ans ; Molly Reynolds, 34 ans, dite la Comptable : rencontre il y a 18 ans ; Veronica Wright, 35 ans, dite la Scientifique : rencontre il y a 18 ans  Sam Nguyen, 34 ans, dit le Reporter : rencontre il y a 17 ans ; Réginald Madison, 34 ans, dit le Peintre : rencontre il y a 18 ans, accessoirement le meilleur ami de Walter), d’autres lorsqu’ils étaient à l’université (par ordre d’apparition : David Daye, 32 ans, dit le Comique : rencontre il y a 11 ans ; Arturo Pérez, 36 ans, dit l’Acupuncteur : rencontre il y a 10 ans ; Sarah Radnitz, 32 ans, dite la Consultante : rencontre il y a 12 ans ; Naya Radia, 34 ans, dite la Médecin : rencontre il y a 9 ans ; Rick MacEwan, 34 ans, dit le Pianiste : rencontre il y a 13 ans). Et Walter a toujours été un peu… absent. Mais après une année difficile, personne n’allait refuser l’invitation de ce dernier dans une maison de campagne située à l’orée d’un bois et avec vue sur lac. C’est beau, c’est opulent, c’est privé – de quoi supporter les petites combines et les surnoms bizarres, ainsi que les sigles donnés par Walter (et heureusement rassemblés chap. 5, tome 1, p. 139). Mais ces vacances de luxe revêtent très vite des airs d’horreur et la maison de prison dorée. En effet, ils découvrent que le monde autour d’eux a subi une attaque massive : les populations sont brûlées vives par des extraterrestres. Et Walter est aussi un alien qui est loin d’être étranger à la catastrophe qui vient de se produire…

Thèmes

Providence divine

Cote

* * (moyen)

Public

Adolescents et adultes

Commentaire

Si le lecteur accepte de passer au-dessus d’un certain nombre d’aversions et d’incompréhensions, il trouvera, s’il est chrétien, l’occasion d’une suggestive réflexion.

 

Nombreux furent pour moi les obstacles à franchir, dont certains, j’en ai conscience, sont liés à ma culture façonnée par la fameuse école franco-belge de la ligne claire et donc parlent du lecteur plus que des auteurs. Sans prétendre être exhaustif :

Un dessin approximatif parfois plus proche du brouillon que de la suggestion (ainsi le superbe paysage chap. 2, tome 1, p. 43). Ce qui ne doit pas être confondu ni avec la suggestive variété des styles (dessins alternant avec de échanges de mails ou des transcriptions de conversations dans le journal maison), ni, encore moins avec la belle trouvaille de ce brouillage, voire de ce clivage affectant le visage de Walter, qui correspond à son énigmatique identité « splitée » entre plusieurs mondes.

Plus gênant, un scénario ultra-lent qui multiplie les pages sans parole et surtout sans avancée de l’histoire, de sorte que ce qui était une bonne idée finit par se dissoudre dans un récit alambiqué dont on ignore où il nous mène. De même, la trame narrative oublie de fixer des objectifs pour orienter et captiver l’attention (hors la récapitulation bienvenue chap. 5, tome 1, p. 138-139). Mais, reconnaissons-le, cette intrigue pas toujours limpide manifeste toute sa cohérence au terme des deux volumes.

Un vocabulaire qui, pour être actuel et faire jeune, n’en est pas moins inutilement grossier et surtout d’un style peu relevé – tout en saluant une traduction qui rime véritablement avec interprétation.

Plus ennuyeux encore, des personnages presque exclusivement centrés sur leur propre problématique. Ce narcissisme dérange d’autant plus que les protagonistes sont déjà trentenaires et présentés comme des quasi-génies triés pour leur compétence hors norme. Il éclate lorsque Reginald Madison, dit « Reg », ayant été libéré, pose enfin la question concernant leur mission : « Il va falloir agir vite, maintenant. Très vite. – Pour quoi faire ? » Et la réponse est tellement importante qu’elle occupe une pleine page : « Pour sauver le monde, pardi » (chap. 5, tome 1, p. 152-153). Autrement dit, pourquoi ne partent-ils pas vérifier si le monde n’a pas desoin de leur aide ? Le lecteur, en tout cas votre serviteur, est de plus en plus transi d’étonnement que nulle expédition ne soit tentée en vue d’aider d’éventuels survivants. Dès lors, comment ces dix personnages, souvent entre passivité et agressivité, entre victimisme et hédonisme, peuvent-ils permettre l’identification et la catharsis qu’exige la tragédie qu’est la destruction planétaire ? Peut-être cette autocentration questionnante parlera à un public qui a besoin de mettre en mots ses maux. Il demeure que nous est offerte une galerie d’acteurs d’autant moins occupés par autrui qu’ils ne sont préoccupés que par eux-mêmes – y compris Walter.

Mais le plus fâcheux réside encore ailleurs : dans l’absence de norme éthique. Cette dramatique carence culmine lors de la décision de tuer Walter : comment est-il possible de nier à ce point la conscience morale dont les études montrent combien elle résiste à faire disparaître son alter ego ? Tuer l’autre, c’est se tuer soi-même.

Enfin, un parti-pris sombre, voire tragique qui remise l’espérance au magasin des accessoires. Oubliant que l’on ne peut montrer le côté ténébreux de l’être humain que si l’on double la lucidité sur sa misère d’une générosité sur la miséricorde à lui accorder…

 

Demeure une excellente idée qui peut ouvrir à une réflexion théologique : le rôle de Walter à l’égard de ses amis.

D’abord, le protagoniste principal se présente comme une Providence démiurgique presque omnipotente, qui peut répondre presque instantanément à presque tous les besoins de ses amis. Ensuite, ce qui serait suspect d’ingérence, voire d’intolérable manipulation, me semble plus devoir l’être, lorsque se dévoile le visage d’un altruiste qui aime sincèrement ses amis : « Je vous aime. Tous » (chap. 1, tome 1, p. 31). Et souhaite les sauver de la catastrophe.

Toutefois, cette toute-puissance et cette générosité ne suffisent pas. Car le sauveur peut s’avérer être un sauveteur. « Je veux d’abord te convaincre que j’agis pour votre bien », explique Walter à Norah (chap. 7, tome 2, p. 32. Souligné dans le texte). Ainsi, le problème ne provient pas des ennemis extérieurs, ni même d’un conflit entre sauver sa peau et sauver la planète, mais, plus profondément, de la rédemption : si grand soit ce bien, il ne vaut rien tant qu’il n’est pas désiré. Et telle est la raison profonde pour laquelle les dix se révoltent.

Pour autant, la solution est-elle l’éviction définitive du « maitre du jeu », c’est-à-dire sa mort ? Reconnaissons-le, la question est passionnante. Et prend le temps d’être posée. Son exploration est toutefois insuffisante, faute de profondeur éthique du côté des protagonistes, et de profondeur métaphysique, voire théologique du côté du scénariste. Mais, pour un chrétien, quelle aubaine !

En effet, le Dieu Créateur se présente à nous comme Providence et Jésus, comme Sauveur. En quoi se différencie-t-il de Walter ? The Nice House on the Lake permet de comprendre que certaines réactions athées se soient présentées comme des révoltes allant jusqu’à tuer symboliquement Dieu (« Dieu est mort, nous l’avons tous tués », criait Nietzsche). Vécue comme indifférence ou interprétée comme puissance déterministe, la Providence ne peut qu’être synonyme de violence.

Pourtant, le Dieu biblique avait déjà répondu à cette objection aussi importante que récurrente. Pour la théologie classique héritée de saint Thomas : la Cause première qui n’aime pas multiplier les miracles, agit par et dans les causes secondes, à savoir les libertés humaines. Pour nombre de théologiens contemporains, à la suite de Hans Jonas : Dieu se retire, au maximum parce qu’il est impuissant, au minimum, parce qu’il est ignorant de nos décisions à venir, se laisse surprendre par elles et prend des risques.

Une troisième voie est possible. Pour une théologie qui réinterprète la toute-puissance divine sur l’être à la douce lumière de l’amour, la réponse se concentre dans deux paroles de Jésus : « C’est la gloire de mon Père que vous portiez beaucoup de fruit » (Jn 15,8) ; « Amen, amen, je vous le dis : celui qui croit en moi fera les œuvres que je fais. Il en fera même de plus grandes » (Jn 14,12). La gloire du Donateur aimant est que, dans une cascade qui ne retarde pas la boucle, mais s’y intègre, le bénéficiaire aimé devient donateur par réponse dans une fécondité encore « plus grande ». En termes concrets : la toute-puissance divine ne se révèle jamais mieux que par nos mains et nos cœurs.

Pascal Ide

26.8.2023
 

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