Puissance de la gratitude : analyse de film chapitre 17

Chapitre 17 : Il faut sauver le soldat Ryan

Il faut sauver le soldat Ryan, film de guerre américain de Steven Spielberg, 1998. Avec Tom Hanks et Matt Damon.

La scène se déroule de 2 h. 26 mn. 27 sec. à la fin, 2 h. 35 mn. 45 sec.

1) Résumé de l’histoire

Le 6 juin 1944, début de la libération de l’Europe de l’Ouest, le capitaine John H. Miller (Tom Hanks) réussit à débarquer sur la plage normande avec sa compagnie de rangers américains. Peu après, l’État-Major allié lui confie une nouvelle mission : trois hommes de la même fratrie de quatre frères sont morts au combat ; le dernier frère, le soldat James Francis Ryan (Matt Damon), fait partie de la 101e division aéroportée américaine, parachutée sur le Cotentin, en plein territoire ennemi. On est sans nouvelles ; le chef de l’État-major des États-Unis décide de monter une expédition de sauvetage. Le capitaine Miller doit retrouver Ryan et, s’il est encore vivant, le faire rapatrier chez lui. Au fil de leur quête, Miller et ses hommes s’interrogent de plus en plus face au carnage qui sévit autour d’eux : est-ce que la vie du soldat Ryan vaut celles risquées par ceux qui tentent de le retrouver ?

La séquence finale, en inclusion avec la séquence d’ouverture, donne la réponse. On y voit un vieux vétéran de la seconde guerre mondiale, avec ses enfants et ses petits-enfants, au cimetière militaire américain de Colleville-sur-Mer, dans le Calvados : il s’agit de James Ryan. Face à la tombe du capitaine Miller, James Ryan demande à sa femme de lui confirmer qu’il a vécu une vie digne et qu’il est un homme bien. Ainsi, le sacrifice de Miller et des autres n’aura pas été fait en vain. Ryan, alors rassuré, salue avec gravité et respect la tombe du capitaine Miller, tombé au champ d’honneur pour le sauver.

On a beaucoup salué le film de Spielberg pour la prouesse technique, la vérité historique et plus encore psychologique de la réalité du débarquement du 6 août 1944. Les psychologues militaires ont dit que c’est le film le plus réaliste qui fut tourné. Je voudrais souligner un autre point qui donne au scénario une grandeur qui le hisse au-dessus du simple film historique.

2) Commentaire de la scène

À la fin du film, le capitaine John H. Miller (Tom Hanks) dit à James Ryan (Matt Damon) dont il vient de sauver la vie : « Mérite-la ! » Spielberg qui a ajouté cette phrase au scénario initial explique : « Je ne veux pas donner un sens définitif à cette phrase, c’est au public de l’interpréter. C’est à mon sens l’un des moments les plus importants du film. Cette phrase ne se trouvait pas dans le scénario original, je l’ai rajoutée [1] ».

La pluie purificatrice.

Comment ne pas être touché par une personne qui a donné sa vie pour nous ? Ici, plus encore, il s’agit de sept hommes (je crois). Spontanément, je ne pourrais m’empêcher de me sentir non pas en dette, mais en action de grâces pour le don qui m’a été fait et j’essaierai de vivre à la hauteur de ce don. Toute la logique du don trouve ici à se vérifier.

Quand j’ai entendu cette parole, je fus bouleversé, ému aux larmes.

Or, le chrétien, lorsqu’il contemple la Croix, sait que ce n’est pas seulement la vie d’un homme ou de plusieurs qui fut offerte pour lui, pour le sauver, mais la vie même de Dieu. Combien plus se sent-il appelé à « la mériter ». C’est la dynamique chrétienne que décrit saint Jean (1 Jn 4,7-16) ; c’est celle que l’on retrouve dans le martyre, surtout offert par amour de l’autre : Maximilien Kolbe. Je crois aussi que c’est la source de la très grande émotion qui nous prend à la fin de La Strada : Zampano prend soudain conscience que Gelsomina a donné sa vie pour lui. Et Mendoza cherche qui pourra offrir sa vie pour lui dans Mission : mais comme cette offrande n’est pas visible, le pardon, pour être émouvant, est moins grandiose.

Le film montre aussi le contre-exemple, car un Américain tue le soldat allemand qui a abattu le capitaine et un autre. Sans autre motif que la vengeance, semble-t-il. Dans un cas, l’on tue gratuitement ; dans l’autre, l’on donne sa vie, gratuitement.

Le bien est nommé comme un « si précieux sacrifice ».

Au terme, Matt Damon devenu vieux dira : « chaque jour », ce qui signifie qu’il a intériorisé la source.

Alors vient la demande, si légitime, de feed back : « Ai-je été un homme bien ? » En effet, d’un côté, le bien appelle le bien, le bien reçu demande le don offert. De l’autre, nous ne pouvons nous justifier. Il reste une seule solution : que ceux à qui nous nous sommes donnés puissent le reconnaître.

La réponse, très sobre, de sa femme : « You are », est ajustée : ni le silence, ni un flux de paroles rassurantes. Elle atteste, au présent.

Enfin, tout s’achève sur la vision de la tombe du capitaine Miller, du 2ème Ranger de Pennsylvanie, tombé le 13 juin 1944, et qui a donné sa vie : la source demeure première. Et ce don de soi est doublement souligné. D’une part, cette tombe a la forme de la Croix, sur laquelle le Christ a totalement renoncé à lui, par amour, pour que nous ayons la vie. D’autre part, le tout sur fond de drapeau américain, non pas par patriotisme étroit, mais parce que le don de soi n’existe jamais qu’incarné dans une communauté.

Pascal Ide

[1] Propos recueillis par Samuel Blumenfeld, Le Monde, jeudi 1er octobre 1998, p. 26.

14.11.2020
 

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