L’effet Barnum. Description et interprétation

L’« effet Barnum » est une illusion psychologique (ou biais cognitif) dénommée telle par le psychologue américain Paul Meehl en référence à l’homme de cirque Phineas Taylor Barnum, réputé maître en manipulation psychologique. L’on parle aussi d’effet Forer, du nom de son inventeur, voire, moins communément d’effet Barnum-Forer. Le physicien Henri Broch lui donne le nom d’effet puits. On rencontre enfin l’expression : effet de validation subjective ou effet de validation personnelle. Ces variations lexicales recouvrent un même contenu conceptuel [1].

Nous nous demanderons en quoi il consiste (1) avant d’en rappeler brièvement l’histoire (2) et de le décrire (3). Nous en verrons l’application, parfois indue (4). Enfin, comme pour tout biais cognitif, nous l’évaluerons (5).

1) Définition

En surfant sur Internet, l’on trouve sans peine quelques définitions [2] :

 

« Tendance d’un individu à considérer une description de sa personnalité comme fidèle et précise. Cet effet connu en psychologie sous le terme de ‘validation subjective’ a été découvert par Forer à la fin des années quarante. Par exemple, les personnes adhèrent d’autant mieux à une description de type ‘horoscopique’ que celle-ci est présentée comme issue de données précises : lieu, date et heure de naissance. L’effet Barnum est vérifié quand bien même la description de la personnalité est vague et générale. En zététique, on parle d’ ‘effet puits’ [3] ».

 

« L’effet Barnum est une tendance à accepter des descriptions vagues et générales comme s’appliquant de façon spécifique à soi-même. Ce biais subjectif, étudié notamment par le psychologue B. G. Forer, peut par exemple avoir une influence sur l’interprétation d’une consultation de voyance ou lors de la lecture d’un horoscope [4] ».

 

Ainsi, il est proposé à un sujet une vague description de la personnalité, plus encore d’une description qui vaut pour n’importe qui. Or, le sujet se l’applique spécifiquement à lui-même, en affirmant qu’il correspond de manière très exacte à lui-même, qu’il le décrit dans sa différence d’avec les autres. Il y a donc confusion entre l’universel et le singulier.

2) Historique

a) Découverte

Ce phénomène a été mis en évidence par le psychologue étasunien Bertram Forer en 1949 [5]. Il nommera « Effet Barnum », cette tendance des gens à accepter une vague description de personnalité comme s’appliquant de manière précise à eux-mêmes sans se rendre compte que cette même description pourrait s’appliquer aussi bien à n’importe qui…

Afin de valider son hypothèse, Forer fit passer un test de personnalité à chacun de ses étudiants. Il jeta les résultats à la poubelle et recopia le texte d’une analyse de personnalité qu’il trouva sous la rubrique « astrologie » d’un magazine. Quelques jours plus tard, il le remit à chacun de ses élèves :

 

« Vous avez besoin d’être aimé et admiré, et pourtant vous êtes critique avec vous-même. Vous avez certes des points faibles dans votre personnalité, mais vous savez généralement les compenser. Vous avez un potentiel considérable que vous n’avez pas tourné à votre avantage. À l’extérieur vous êtes discipliné et vous savez vous contrôler, mais à l’intérieur vous tendez à être préoccupé et pas très sûr de vous-même. Parfois vous vous demandez sérieusement si vous avez pris la bonne décision ou fait ce qu’il fallait. Vous préférez une certaine dose de changement et de variété, et devenez insatisfait si on vous entoure de restrictions et de limitations. Vous vous flattez d’être un esprit indépendant et vous n’acceptez l’opinion d’autrui que dûment démontrée. Vous pensez qu’il est maladroit de se révéler trop facilement aux autres. Par moment vous êtes très extraverti, bavard et sociable, tandis qu’à d’autres moments vous êtes introverti, circonspect, et réservé. Certaines de vos aspirations tendent à être assez irréalistes ».

 

Forer demanda ensuite à chaque étudiant de noter la pertinence de l’évaluation de sa personnalité sur une échelle de 0 (médiocre) à 5 (excellent), afin de savoir à quel point ils trouvaient que le résultat du test reflétait bien leur personnalité. Bien entendu, les étudiants ignoraient que tout le monde avait reçu le même compte-rendu.

Le psychologue fut impressionné par les résultats. En effet, la moyenne de 4,2 révéla un accord très important ! [6]

b) Confirmations et prolongements

L’expérience de Forer a été répliquée de nombreuses fois, toujours avec autant de succès. Ainsi, Ulrich, Strachnick et Stainton constatèrent que sur 57 personnes, 53 avaient estimé que le bilan qui leur avait été remis constituait une excellente interprétation de leur personnalité. À ceci près que dans cette étude, les chercheurs remarquèrent un fait troublant : bien qu’après l’expérience, les sujets aient eu connaissance que l’attribution des profils était identique pour tous (debriefing), certains continuèrent à persister dans « l’effet Barnum ». Un sujet rapporta même la phrase suivante : « Je crois que dans mon cas, cette interprétation s’adapte individuellement car il y a beaucoup trop de facettes qui me correspondent pour que cela puisse être une généralisation [7] ».

En 1985, les psychologues Donna Dickson et Ivan William Kelly ont proposé une méta-analyse embrassant la totalité des recherches dédiées à ce phénomène. Ils y ont montré que l’évaluation de la pertinence augmentait en fonction d’un certain nombre de facteurs que nous allons maintenant individuer [8].

Depuis, l’effet Barnum a été employé pour éventer les biais cognitifs dans de nombreuses disciplines, comme l’étude des effets paranormaux [9].

3) Description

Trouvez-vous que les tests de personnalité 2 que l’on trouve dans les magazines populaires correspondent à votre personnalité ? Pensez-vous tout autant que votre horoscope ou que votre thème numérologique reflète ce que vous êtes ? Si vous répondez oui, alors vous êtes victime de « l’effet Barnum »…

Mais voici un exemple plus concret qui permet de faire l’expérience de l’effet Barnum.

a) Test

Serge Ciccotti propose le test suivant [10] :

 

Prenez une feuille de papier et faites une colonne de 1 à 10.

Suivez ensuite les instructions en répondant le plus spontanément possible :

En face du chiffre 1, écrivez le chiffre de votre jour de naissance.

À côté des chiffres 2 et 6, inscrivez le nom d’une personne du sexe opposé que vous connaissez.

À côté des chiffres 3, 4 et 5, écrivez le nom de personnes proches (ami, parents, etc.).

Écrivez quatre titres de chansons en 7, 8, 9 et 10 (une seule chanson à la fois).

b) Résultats du test

Si le nombre que vous avez mis en face de « 1 » est un nombre pair, vous êtes une personne capable de fournir beaucoup d’efforts. S’il est impair, vous avez un grand sens des responsabilités.

Vous partagez beaucoup de points communs avec la personne n° 2.

Celle que l’on trouve en n° 6 est une personne que vous appréciez beaucoup mais que vous ressentez comme problématique.

Vous tenez particulièrement à la personne en n° 3.

Le nom placé en n° 4 est celui d’une personne dont vous connaissez des situations particulièrement compliquées de sa vie.

La chanson n° 7 est celle qui s’associe avec la personne en n° 2.

Le titre en n° 8 est la chanson pour la personne en n° 6.

La chanson donnée en 9 est celle qui en dit le plus sur votre état d’esprit en ce moment.

La chanson placée en 10 est celle qui révèle vos sentiments généraux par rapport à la vie.

Etes-vous d’accord avec ces résultats ? Beaucoup de personnes le sont…

En cherchant bien, vous avez certainement dû trouver dans la chanson en n° 7 et en n° 9 des éléments qui correspondent aux résultats du test (état d’esprit du moment, association avec la personne en n° 2, etc.).

c) Évaluation du test

Hélas, ne soyez pas trop déçu, ce petit jeu n’a évidemment aucune valeur. Il illustre simplement à quel point nous arrivons à interpréter des informations vagues et floues (les résultats du test) et à leur donner du sens. Nous sommes capables, à partir de suppositions incohérentes, d’accepter des interprétations sur nous-mêmes et de trouver en plus qu’elles ont du sens.

4) Application prétendue à l’ennéagramme

L’effet Barnum rentre en jeu, pense-t-on, dans certaines situations spécifiques comme les consultations de voyance, les horoscopes dans les magazines grand public ou les tests de personnalité que l’on retrouve dans de nombreux magazines estivaux. Certains ont même prétendu que l’effet Forer expliquait le succès de l’ennéagramme. Qu’en est-il ?

a) Exposé

Voici une application négative trouvée sur le Davinviblog qui s’est spécialisé dans les articles et les échanges entre utilisateurs de tous les ennéagrammes (et principalement celui des personnalités) :

 

« En ennéagramme, l’effet Forer est un obstacle connu dans l’acquisition initiale d’un profil correct. Un effet haut peut mener, ou concourir à mener, à une mauvaise identification du type lors d’un premier diagnostic, qui est, de plus, le plus souvent, un auto-diagnostic. Ces mauvaises bases posées, il est ensuite très difficile, voire impossible, de travailler, notamment seul ou lors de stages en groupe [11] »

b) Évaluation

Les études montrent que l’illusion psychologique se fonde sur différents traits, notamment trois :

– La présence dans l’analyse de traits majoritairement positifs.

– Le fait que l’analyse s’applique personnellement et uniquement au sujet.

– Le caractère vague de la description.

Or, aucun de ces traits ne s’appliquent à l’analyse proposée par l’ennéagramme :

– L’ennéagramme se présente souvent comme une analyse peu valorisante. Il n’est pas du tout rare que la personne, en le lisant, résiste tant elle sent ses compulsions, ses défenses dévoilées. D’ailleurs, certains types de personnalité sont allergiques aux descriptions trop flatteuses.

– La déontologie de l’ennéagramme se refuse à toute interpellation du genre « Vous êtes ceci ». De plus, l’instrument se présente comme une typologie générale (puisqu’il répartit les types en neuf catégories embrassant donc des millions de personnes) et non pas singularisée.

– L’ennéagramme est une analyse précise et nullement vague. Elle descend dans le détail. D’ailleurs, les types sont présentés par comparaison avec les autres. Enfin, l’analyse n’hésite pas à employer des négations, des exclusions précises (par exemple, le type 7 n’est pas en connexion avec son affectivité), ce qui n’est en rien généralisable.

Par conséquent, l’effet Forer ou Barnum ne peut en rien expliquer l’adhésion en profondeur à l’ennéagramme.

5) Interprétation

Comment expliquer l’illusion psychologique décrite par l’effet Barnum ? Cherchons à systématiser les observations éparses, tout en renvoyant aux autres études que le site consacre aux biais cognitifs.

a) En négatif

L’illusion ne relève pas de la capacité intellectuelle théorique. Des expériences ont été effectuées pour voir si les sujets étaient capables de distinguer les propositions générales des énoncés plus spécifiques. Or, ils ne présentaient aucune difficulté à distinguer ces deux types d’énoncés. Comme ces tests relevaient d’énoncés affectivement neutres, les expériences de Forer ne traitent pas des capacités de l’intelligence spéculative.

b) En positif

Ayant écarté une cause, cherchons à déterminer les mécanismes en jeu.

1’) La présence dans l’analyse de traits majoritairement positifs

Le sujet accepte facilement les discours qui nous valorisent. Ainsi, il ressort des différentes études que les traits de caractère qui nous avantagent sont plus facilement acceptés comme une description précise de notre personnalité que les traits désavantageux. On peut aisément en faire l’expérience. Si l’on demande à quelqu’un : « Je trouve que tu as un grand sens de la justice, n’est-ce pas ? », la réponse sera presque toujours affirmative.

2’) Le fait que l’analyse s’applique personnellement et uniquement au sujet

Les sujets pensent que les propositions leur correspondent d’autant plus si le profil de personnalité commence par « Pour toi ».

3’) La reconnaissance par le sujet d’une autorité de l’évaluateur

Les propositions défavorables peuvent être mieux notées lorsqu’elles sont émises par une personne faisant autorité.

4’) Le caractère vague de la description

Lorsque les analyses de personnalité proposent une description vague de traits et de leur contraire, l’esprit humain comble la description en y projetant ses propres images et en ne retenant que ce qui l’arrange.

5’) Le besoin de mieux se connaître

L’homme en général, mais singulièrement l’homme d’aujourd’hui cherche toujours à obtenir des informations sur lui-même en vue de mieux se connaître, de se construire et de mieux appréhender ses semblables. Or, les tests permettent d’assouvir ce besoin d’information. Il tend donc plus aisément à les accepter.

6’) Les attentes du sujet

Ainsi, les personnes se sentent plus facilement concernées par des propositions si elles ont le désir que ces propositions soient vraies, et cela même si elles leur correspondent de façon imprécise. Les sujets trouvent ainsi un moyen de confirmer leurs espoirs et leurs attentes.

7’) Les fragilités psychologiques du sujet

La recherche de Dickson et Kelly montre que l’effet Barnum est davantage présent chez les personnes qui possèdent un grand besoin d’approbation ou encore une tendance autoritaire.

8’) Interprétation globale

Forer expliquait ces résultats en termes de crédulité humaine, de vanité et de tendance à donner du sens. Mais une telle interprétation est un jugement moral. On pourrait l’interpréter psychologiquement comme le besoin de nourrir l’estime de soi. En effet, Christophe André a montré que celle-ci se nourrit surtout de deux causes : l’amour d’autrui et de la réussite. Et différents éléments ci-dessus le confirment : les attentes, les fragilités, etc.

Pascal Ide

[1] Outre les articles scientifiques (en anglais) cités plus bas, cf. quelques articles grand public en français : François Filiatrault, « L’effet Barnum, une simple curiosité ? », Science et Pseudosciences, 256 (mars 2003) ; Id., « L’effet Barnum : l’illusion du soi. Comment construisons-nous notre vision de nous-mêmes ? », Cerveau & Psycho, 4 (décembre 2003) ; Jean-Paul Krivine, « La frontière entre science et pseudo science. De bonnes raisons de croire en des idées fausse », Les nouvelles d’Archimède, le journal culturel de l’Université des sciences & technologies de Lille, n° 47, janvier 2008.

Des centaines de sites en français traitent de cet effet. Le contenu est à peu près identique. En revanche, l’interprétation varie entre le positif, le neutre et le négatif (employant cet effet pour critiquer certains agissements manipulateurs).

Voici quelques sites. Leurs titres suffisent à indiquer le sens de leur interprétation…

http://www.sceptiques.qc.ca/dictionnaire/forer/html

http://www.zetetique.fr/index.php/dossiers/92-astrologie

http://www.charlatans.info/effet_barnum.shtml

[2] On trouvera d’autres approches dans : « Barnum Effect », Encyclopedia Britannica ; « Barnum Effect », APA Dictionary of Psychology, Washington (DC), American Psychological Association ; Robert Carroll, « Barnum Effect », The Skeptic’s Dictionary.

[3] http://www.zetetique.fr/index.php/dossiers/92-astrologie

[4] http://www.circee.org/L-effet-Barnum.html

[5] Cf. Bertram R. Forer, « The fallacy of personal validation: A classroom demonstration of gullibility », Journal of Abnormal and Social Psychology, 44 (1949) n° 1, p. 118-123.

[6] Physicien, fondateur du laboratoire de Zététique et de l’enseignement de Zététique à l’Université de Nice-Sophia Antipolis (qui cherche à combattre les pseudo-sciences), Henri Broch propose à ses étudiants le texte suivant, inspiré par Forer, afin d’illustrer ce qu’il appelle l’effet puits : « Vous avez besoin que les autres personnes vous aiment et vous admirent mais vous êtes tout de même apte à être critique envers vous même. Bien que vous ayez quelques faiblesses de caractère, vous êtes généralement capable de les compenser. Vous possédez de considérables capacités non employées que vous n’avez pas utilisées à votre avantage. Quelques-unes de vos aspirations ont tendance à être assez irréalistes. Discipliné et faisant preuve de self-control extérieurement, vous avez tendance à être soucieux et incertain intérieurement. Quelquefois vous avez même de sérieux doutes quant à savoir si vous avez pris la bonne décision. Vous préférez un petit peu de changement et de variété et êtes insatisfait lorsque vous êtes bloqué par des restrictions ou des limitations. Parfois vous êtes extraverti, affable et sociable alors que d’autres fois vous êtes introverti, prudent et réservé. Vous êtes également fier de vous-même en tant que penseur indépendant et n’acceptez pas les déclarations des autres sans preuve satisfaisante. Vous trouvez imprudent d’être trop franc en vous révélant vous-même aux autres ».

[7] Roger E. Ulrich, Thomas J. Stachnik & N. Ransdell Stainton, « Student acceptance of generalized personality interpretations », Psychological Reports, 13 (1963) n° 3, p. 831-834, ici p. 833.

[8] Cf. Donna H. Dickson & Ivan William Kelly, « The ‘Barnum Effect’ in Personality Assessment: A Review of the Literature », Psychological Reports, 57 (1985) n° 2, p. 367-382.

[9] Cf. Jerome Tobacyk, Gary Milford, Thomas Springer & Zofia Tobacyk, « Paranormal Beliefs and the Barnum Effect », Journal of Personality Assessment, 52 (2010) n° 4, p. 737-773.

[10] http://www.charlatans.info/effet_barnum.shtml Cf. Serge Ciccotti, 150 Petites expériences de psychologie. Pour mieux comprendre nos semblables, Paris, Dunod, 2004.

[11] http://www.davinciblog.com/2007/10/effet-forer.html

7.2.2023
 

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