La vertu de courage 2/3

3) Objet du courage

a) L’impossibilité d’une vie sans obstacle

De même que l’imprudent providentialiste rêve d’un monde nécessaire qui lui éviterait l’épreuve de la décision, de même l’insensible rêve d’un monde sans difficulté qui lui éviterait l’épreuve de la peur. Une belle étude du philosophe Jean-Louis Chrétien, au titre en forme d’oxymore emprunté à Luther, Nulla tentatio omnis tentatio, montre la place centrale, inamovible, de l’épreuve, de la tentation et du risque dans une vie chrétienne. « Nul n’atteindra le royaume céleste sans avoir été tenté », disait Tertullien [1]. En effet, l’épreuve, la tentation permet de se connaître. Mais il faut dire plus, elle est nécessaire à cette juste connaissance. « L’homme est en effet la plupart du temps inconnu à lui-même : il ignore ce qu’il peut porter et ce qu’il ne peut pas porter. […] Vient la tentation, comme une interrogation, et l’homme se découvre lui-même ; car à soi-même, il demeurait caché, mais non à son créateur [2] ». Précisément, c’est seulement « dans la réponse » à l’épreuve que l’âme connaît « ses forces non pas verbalement mais expérimentalement (non verbo, sed experimento) [3] ».

De plus, la peur est nécessaire : « Luther a prononcé une parole exacte : l’homme doit d’abord avoir peur de lui-même afin d’arriver ensuite sur le bon chemin ». En effet, l’homme est celui qui a pu exécuter le plus pur des hommes de la manière la plus cruelle : cela « peut tout d’abord nous donner peur de nous-mêmes [4] ».

b) La démesure de la peur

Nous venons de voir que la peur est un sentiment naturel, nécessaire, bon. Toutefois, le tableau qui précède est idéal : la réalité quotidienne le contredit sans cesse. Nos peurs nous jouent des tours, souvent à notre insu : combien de fois, loin de nous informer, elles nous aveuglent ; combien de fois, loin de nous mobiliser, elles nous paralysent ; combien de fois, loin d’être seulement ressenties, nous nous identifions à elles, autrement dit, elles nous submergent et nous interdisent d’éprouver durablement des affects plus agréables. « Le plus grand philosophe du monde, sur une planche plus large qu’il ne faut, s’il y a au-dessous un précipice, quoique sa raison le convainque de sa sûreté, son imagination prévaudra. Plusieurs n’en sauraient soutenir la pensée sans pâlir et suer [5] ». Même si Pascal dit viser l’imagination, il parle en réalité de la crainte qui fait « pâlir et suer » et nous ôte toute « sûreté ».

Les psychologues constatent une multiplication des dysfonctionnements de la peur [6] et dénoncent notamment un mécanisme dont nous faisons tous les frais à un moment ou à un autre : la puissance projective de la peur. Celle-ci nous rend tellement vigilant qu’elle rend certain ce qui n’est que possible ou même très improbable (« Je vais rater mon examen »), voire invente des périls imaginaires. De tous les sentiments, la crainte est celle qui invente le plus son objet. « Car l’homme affecté de quelque passion voit les choses plus grandes ou plus petites qu’elles ne sont en réalité : celui qui aime voit ce qu’il aime en mieux ; celui qui craint croit les choses plus terribles qu’elles ne sont. De sorte que toute passion, autant qu’il est en elle, par le défaut de rectitude dans le jugement gêne la faculté de bien délibérer [7] ».

1’) Illustration cinématographique

Un film comique illustrera le mécanisme de cette projection d’une manière caricaturale qui en fera mieux ressortir et les ressorts et les dangers.

Dans un des Marx Brothers, Soupe au canard [8], Rufus T. Firefly (Groucho Marx) est nommé chef du gouvernement de la Freedonie. Mais le puissant pays voisin, la Sylvanie, accepte mal cette nomination. La tension monte et l’on craint la guerre. Aussi, pour l’empêcher, la Sylvanie délègue-t-elle son ambassadeur, Trentino. Pourtant, avant que celui-ci n’arrive, dans une tirade, Rufus s’auto-convainc progressivement de sa cuistrerie :

 

« Quel noble geste. Je ne mériterais pas la confiance qui m’est accordée si je ne faisais pas tout ce qui est en mon pouvoir afin de préserver la paix de la Freedonie. J’accepte avec joie de recevoir l’ambassadeur Trentino et au nom de tout mon pays. Je suis prêt à lui tendre la main droite de la paix et de l’amitié. Je suis sûr qu’il appréciera ma poignée de main à sa juste valeur. Oui, mais si jamais il la refuse ? Ce serait vraiment le bouquet. Je lui tends la main et lui il n’accepte pas. Mon image de marque en prendrait un coup, moi, le chef d’une grande nation, snobé par un ambassadeur. Il se prend pour qui celui-là. Il croit peut-être qu’il peut me couvrir de ridicule devant mon peuple ? ça, c’est trop fort. Je lui tends la main et cet ingrat a le culot de ne pas vouloir la serrer. Je vous jure que cette espèce de babouin ne l’emportera pas au paradis ».

 

À ce moment, Trentino, l’ambassadeur de Silvanie, arrive, le sourire avantageux : « Alors – l’accueille Firefly, gonflé à bloc –, vous osez refuser ma poignée de main ? » Et, joignant le geste à la parole, il transforme la main tendue en soufflet. La guerre est désormais inéluctable.

Tout le discours de Rufus est sous-tendu par des sentiments : tout d’abord, la joie et l’espoir ; puis, brusquement, le ton se modifie (les psychologues parlent parfois d’un changement de tonalité affective), la crainte apparaît (« mais si jamais il la refuse ? »), qui fait le lit de la colère et, s’échauffant de plus en plus, de l’indignation. Or, tout se passe en l’absence de l’ambassadeur dont l’attitude, ouverte ou belliqueuse, est seulement supposée. Donc, la représentation que Rufus se fait de Trentino naît non pas de la réalité mais de la puissance créative de ce sentiment projectif qu’est la peur.

Le danger (futur et seulement possible) que l’anxieux s’est imaginé finit par devenir pour lui plus réel que le réel lui-même. Voire, non contente d’imaginer ce péril, la crainte peut en arriver à le créer et se convaincre, a posteriori, qu’il lui préexistait.

2’) La projection
a’) Le fait

Les psychologues constatent une multiplication des dysfonctionnements de la peur [9] et dénoncent notamment un mécanisme dont nous faisons tous les frais à un moment ou à un autre : la puissance projective de la peur. Celle-ci nous rend tellement vigilant qu’elle rend certain ce qui n’est que possible ou même très improbable (« Je vais rater mon examen »), voire invente des périls imaginaires. De tous les sentiments, la crainte est celui qui invente le plus son objet. Thomas d’Aquin l’avait déjà bien noté :

 

« Car l’homme affecté de quelque passion voit les choses plus grandes ou plus petites qu’elles ne sont en réalité : celui qui aime voit ce qu’il aime en mieux ; celui qui craint croit les choses plus terribles qu’elles ne sont. De sorte que toute passion, autant qu’il est en elle, par le défaut de rectitude dans le jugement, gêne la faculté de bien délibérer [10] ».

 

L’expérience suivante a confirmé combien la peur est projective. L’enfant à qui on raconte l’histoire du Petit Chaperon rouge sait que le lit de Mère-Grand est occupé par un méchant loup. Et cet enfant a peur du loup. Toutefois, la fillette qui se rend chez Mère-Grand, elle, n’éprouve nulle crainte ; sinon, elle ne pénètrerait pas dans sa maison et encore moins dans le lit. Or, l’enfant à qui l’on demande ce qu’éprouve le personnage du conte répond qu’elle éprouve une grande peur… [11]

b’) Le mécanisme

Par la projection, le sujet expulse de lui et localise dans l’autre des désirs qu’il refuse en lui. Helen Palmer propose un petit exercice pour comprendre comment fonctionne la projection [12]. Elle procède en deux temps. Dans un premier temps, il faut se mettre dans un état intérieur de peur à l’égard d’une autorité. Pour cela, imaginez-vous assis un livre fermé sur les genoux. Ensuite, pensez concrètement (visage, vêtements, attitudes intimidantes) à quelqu’un qui vous faisait peur lorsque vous étiez petit. Représentez-vous dans une petite maison où la personne qui vous effraie a accès n’importe quand, n’importe où, sans prévenir ; et vous vivez en cette maison tous les jours, depuis long­temps. Enfin, imaginez-vous désormais en train de lire. Votre attention est en réalité partagée entre votre lecture et la crainte que l’individu inti­midant ne vous surprenne dans votre intimité : selon la largeur de son champ de conscience, votre esprit soit accomplira les deux activités, soit alternera, mais dans les deux cas, il est divisé. Par conséquent, une personne en état de crainte chro­nique, est déchirée. La peur divise.

Second temps de l’exercice : vous n’êtes plus seul, mais face à un ami qui accep­tera de se laisser dévisager. Imaginez une opinion, positive ou négative, que votre ami a eue de vous sans jamais l’exprimer. Tout en lui demeurant attentif, recherchez les signes cachés, non verbaux de cette opinion : telle mimique, tel geste, etc. Désormais, non seulement vous êtes scindé, mais votre esprit divisé est en quête d’un fait sans fondement objectif, interprétant chaque réalité comme un signe. Tous les éléments et bientôt tous les signes de la projection – et, si l’interprétation est négative, de la paranoïa – sont présents.

Enfant, le futur anxieux a été souvent inquiet à l’égard de l’attitude parentale : il ne pouvait prévoir le comportement de ses proches. Souvent il n’a pas compris tel change­ment ou telle nouveauté qu’on n’a pas pris le temps de lui expliquer : un déména­gement, l’arrivée d’un petit frère ou d’une petite sœur. Or, ces événements sont sources d’inquiétude. Par exemple : « Avant, on s’occupait beaucoup de moi. Main­tenant, ce n’est plus le cas. Qu’ai-je fait de mal ? » Pour parer à cette incertitude, l’enfant va non pas s’isoler dans sa tête comme ferait un cérébral, mais interpréter, prévoir les raisons de ces comportements anxiogènes, incompréhensibles. Autre­ment dit, il va projeter. Pour cela, il lui sera nécessaire de prévoir le comportement de l’autre et de prendre de l’information. Alors, il pourra agir conformément à l’atti­tude attendue par le groupe ou l’autorité.

Donc, l’anxieux s’est vécu petit enfant insécurisé et a perdu confiance dans l’autorité. Aucun personnage fort ne lui assurait une protection valable ou l’autorité l’a empê­ché de pouvoir exercer sa propre autonomie. Depuis, il est dans une atti­tude ambiguë à l’égard de l’autorité et donc de la loi du groupe : il s’en méfie et, pour atténuer son insécurité et sa culpabilité (sa peur), il cherche une protection forte à qui il donnera en retour sa loyauté. Il est toujours entre soumission et révo­lution.

4) Nature du courage

La démesure de la peur demande à être régulée. Celui qui succombe à la peur risque fort de manquer son bien. C’est précisément là qu’intervient la vertu de courage.

a) Exemple

Un exemple – une histoire vraie – expliquera mieux que des discours généraux la manière dont la force intègre la peur.

 

« X vient de sauter, il tire sur la poignée de son dorsal et brusquement il se rend compte que celui-ci est en torche. Refusant de penser que la situation est irréversible, il commence à tirer énergiquement sur le harnais, dans l’espoir de lever ce qui ne doit être qu’un petit obstacle empêchant le vent de s’engouffrer à 200 à l’heure dans la voile. Sans point d’appui, dans le vide, il se heurte à des sangles rigides comme des élingues de bateau. Le mouvement qu’il parvient à communiquer aux suspentes est ridiculement faible. Il faut pourtant que ce parachute s’ouvre. Rien à faire, cette fois, pas de doute : la torche est pour lui.

« L’adrénaline, cette merveilleuse hormone de la survie, qui est secrétée lors des grands stress et qui instantanément sélectionne les fonctions vitales de celles qui ne le sont pas, commence à faire son effet. Il se met à penser très vite. En même temps, un ‘autre’ effectue les gestes vitaux. Il faut faire vite […]. Il va falloir se résoudre à actionner le ventral. X n’a pas de couteau, ne peut se débarrasser de cette mortelle torche dans son dos. De toute façon, maintenant il n’y a plus le temps. Il baisse avec peine la main droite vers le ventral, tant le vent relatif ascendant est fort. Il arrache littéralement la seconde poignée. Sa hantise est de voir le ventral s’enrouler autour de la gaine du dorsal, l’entraînant alors vers une mort certaine. Libérés de leurs aiguilles, les rabats du parachute se sont bien effacés sous la robuste traction de leur sandow. La voile devrait sortir rapidement sous la pression du vent. Au lieu de cela, la position de X fait que le vent plaque la voile autour de son cou.

« Cette fois, il se sent fichu. Les deux parachutes coincés, il n’a plus aucune chance… L’avantage de cette mort sur les autres, c’est qu’elle est instantanée, donc indolore. L’inconvénient, c’est qu’elle ne fait pas un beau cadavre, et qu’il n’a pas le droit d’imposer ce drame à ses pauvres parents (il a vingt ans). Pour eux, il faut que ce foutu ventral s’ouvre. Des clichés morbides affluent dans sa tête. Il s’imagine charpie sanguinolente, éclatée dans un arbre ou sur du goudron. Mais, à aucun moment, il n’est paralysé par la peur. L’instinct de survie lui fait accomplir les gestes qu’il faut pour tenter de sortir la voile du sac. Il voit maintenant le sol monter. Cette impression visuelle signifie qu’il n’en a plus que pour quelques secondes. Il continue de tirer sur tous les morceaux de toile que ses doigts peuvent agripper. Le sol arrive, les arbres s’écartent sur le fond vert d’un herbage. Dans trois secondes, il sera pulvérisé. Cette fois, il ferme les yeux, n’attendant plus rien.

« Soudain, un grand choc. Sur la poitrine, et l’impression de remonter d’où il vient. Il ouvre les yeux. Il devrait être mort. Non ! Le ventral s’est ouvert in extremis, les deux haubans se torsadant déjà, réduisant la voile. Il est à la hauteur du sommet des hêtres, à 30 mètres de haut, oscillant au bout de son parachute. Il y a deux secondes encore, il fonçait vers la mort à 75 mètres par seconde. Il réalise bien que c’est un miracle. Il a envie de hurler de soulagement, mais réalise qu’il fonce droit sur le toit d’une ferme hérissée de cheminées et d’antennes de télévision. Impossible de se diriger avec le ventral, dont les deux haubans s’entortillent et ne forment déjà plus qu’un cordon ombilical ingouvernable. Ce serait vraiment trop bête de se tuer maintenant sur cette ferme. Il se statufie dans la position d’atterrissage tant de fois répétée à l’armée et attend le choc final. Il passe à un mètre des gouttières. Le dorsal qui pend s’est déjà accroché sur le faîte du toit. Il prend contact très brutalement avec le sol empierré, qui sert de perron à la ferme. Groggy, il réalise qu’il n’est pas mort, qu’il est sur le fameux plancher des vaches, qu’il ne ressent pas de douleurs intolérables. Il se relève, hébété, les mains tétanisées sous les deux poignées de ses parachutes, incapable de parler au paysan qui l’assiste. Il en est quitte pour une légère jaunisse le lendemain, due aux décharges d’adrénaline.

« Étudiant en médecine, il analysera quelques années plus tard le pourquoi de ses réactions étonnamment adaptées à la situation, dégagées de toute panique, même si la peur le tenaillait. Il avait contre lui une expérience, handicap qu’il compensera cependant par une bonne dose de sang-froid, acquise au travers de l’exercice d’autres disciplines dangereuses [13] ».

 

Cette histoire est riche d’enseignements. Limitons-nous à ce qui concerne la peur.

Tout d’abord, les quatre aspects constitutifs de tout affect sont bien présents. L’organisme est à ce point mobilisé que le parachutiste fera un léger ictère réactif. Pendant sa chute, le sportif ne cesse d’être tenaillé par la crainte. Celle-ci lui signale le danger extrême qu’il court et lui donne de l’affronter.

Ensuite, la peur apparaît comme une ressource très précieuse, ainsi qu’un parcours, autrement organisé, des quatre aspects le manifeste. D’une part, elle alarme le parachutiste que le plus grand des dangers le menace : la mort. D’autre part, elle mobilise ses énergies et le conduit à poser les gestes adéquats, physiques mais aussi intérieurs (« Il se met à penser très vite »), qui lui sauveront l’existence. Or, cette double mission d’information et de motion opère par la médiation du ressenti affectif et des fonctions organiques, notamment l’adrénaline.

Enfin, la peur se présente ici comme une richesse parce qu’elle est vertueuse. Xavier Maniguet propose différentes interprétations de l’événement : la puissance de sélection de « l’adrénaline » ; « l’instinct de survie » ; « le sang-froid ». Toutes donnent pleinement la place à l’émotion. Mais la dernière s’approche le plus de la vérité. Plusieurs signes accréditent la présence du courage : 1. Comme toute vertu, celui-ci s’acquiert par répétition consciente de petits actes, autrement dit l’exercice, ici l’affrontement à des dangers progressifs (le « sang-froid acquis au travers de l’exercice d’autres disciplines dangereuses ») et la mise en place des gestes ajustés (« la position d’atterrissage tant de fois répétée à l’armée »). 2. Comme toute vertu, elle est disposition à agir promptement et de manière ajustée (« ses réactions [sont] étonnamment adaptées à la situation »). 3. Comme toute vertu morale, la force est intégration et non pas désintégration de l’affect, ici la crainte : « ses réactions » sont « dégagées de toute panique, même si la peur le tenaillait ». 4. Comme toute vertu morale, la bravoure se tient donc dans un juste milieu, ici entre l’insensibilité (l’anesthésie) et la panique (« à aucun moment, il n’est paralysé par la peur »). De même, le courage n’empêche pas l’imagination (par exemple celle de se voir mort, en charpie), mais il la cadre et utilise même cette image pour se motiver encore davantage. Et, selon le principe de hiérarchie de l’aspect matériel (organique) et de l’aspect formel (psychique), si l’adrénaline « sélectionne les fonctions vitales de celles qui ne le sont pas », cela tient à l’entraînement vertueux. 5. Enfin, la vertu ne se comprend pas seulement à partir de sa source (l’entraînement) ou de la disposition stable et joyeuse, mais de sa finalité : la tension vers une fin qui se présente comme un bien. Autrement dit, et nous le comprendrons mieux plus loin, la peur s’enracine dans l’amour et celui-ci s’incarne dans le courage. De fait, l’amour de ses parents fut déterminant dans l’attitude du jeune homme.

b) La vertu de courage

Cet exemple montre donc combien le courageux n’est pas celui qui est dénué de peur, mais celui qui la ressent, sans toutefois jamais s’identifier à elle. Assurément, on l’a dit, le ressenti émotionnel de la crainte est déplaisant et même, quand celle-ci devient angoisse, difficilement supportable. Pour autant, il faut refuser de qualifier ces sentiments de négatifs. Cette épithète emporte une connotation morale, en tout cas excluante, qui n’en honore pas toute la richesse. L’homme brave doit éprouver l’anxiété, l’accueillir en quelque sorte, l’héberger comme son amie, et ainsi lui permettre de porter son double fruit, cognitif et moteur : la crainte fait connaître et fait agir. Dans le film de guerre de Ridley Scott La chute du faucon noir (2002), l’un des membres de l’arme d’élite s’entend dire avant une attaque : « Tout le monde ressent la même chose que toi, Thomas. C’est votre comportement dans le feu de l’action qui fait la différence ». De même qu’un avocat qui fait taire sa colère manquera de flamme, voire sera moins convaincant dans sa plaidoirie et se privera d’une heureuse ressource, de même le soldat – et tout homme – qui se coupe du ressenti, certes désagréable, de la peur le paiera en déficit de perception du danger et d’énergie. La devise du chevalier Bayard n’est donc qu’à moitié vraie : s’il doit être sans reproche, le vrai brave ne doit surtout pas être sans peur.

Ainsi que nous le disions au début, le courage est donc la vertu qui fixe la personne dans le bien malgré la peur qui le ferait fuir. Dans Astérix et les Normands, le peureux Goudurix découvre le courage, en traversant la peur. Et c’est Panoramix qui, à la fin, expliquera en répondant à la question d’Astérix :

 

« Panoramix, notre druide, crois-tu que c’était une bonne idée pour les Normands de vouloir connaître la peur ?

– Mais certainement, Astérix ! C’est en connaissant la peur que l’on devient courageux, le vrai courage, c’est de savoir dominer sa peur [14] ! » ou plutôt de la domestiquer.

c) Le courage par défaut : la lâcheté

Comme toute vertu morale, le courage s’oppose à deux vices : par défaut, la lâcheté (ou couardise, pleutrerie, poltronnerie) et par excès, la témérité (ou intrépidité). Il faudra lui adjoindre l’insensibilité.

Il n’y a pas beaucoup à insister sur la lâcheté, tant elle est évidente. Son acte est la fuite. Non pas la fuite face à un mal démesuré qu’il est impossible d’affronter ; mais l’évitement face à un bien, comme son devoir d’état. Dans l’exemple du début, Scarlett O’Hara pèche par lâcheté. En voici une illustration, pour une fois télévisée [15].

0’) Contexte

Cette brève séquence met en scène Desmond, un homme, artiste, sans le sou, et une femme très riche, Penelope. Ils s’aiment et ont le désir de se marier. Par ailleurs, l’homme est doué d’un pouvoir, en l’occurrence, celui de voir les événements dans le futur, mais la nature singulière de ce pouvoir n’intervient pas ; ce qui importe est que ce pouvoir le met à part des autres, qu’il a des difficultés intérieures à assumer ce qu’il est ; or, il ne l’a pas révélé à la femme qu’il aime. Il vient d’acheter une bague de fiançailles, avec le peu de moyens qu’il a, et veut la lui remettre. Pourtant la présence en lui de cette anomalie le divise. Va-t-il oser la dire ?

Regardons la scène en nous demandant, comme toujours : fait-il preuve de courage ? Est-elle courageuse ?

1’) Le pseudo-courage de Desmond

De prime abord, Desmond paraît courageux, puisqu’il ose dire son incapacité à s’engager. Lui qui est sans argent, isolé à cause de ce don mystérieux, il affronte la peur de la solitude, de perdre ses sécurités.

Pourtant, au fond il est lâche. En effet, le propre du courageux c’est de surmonter toute sa peur. Or, s’il affronte une partie du réel, il ne l’affronte pas en totalité : il ne dit rien de la vraie raison à celle qu’il aime ; c’est donc qu’il fuit, ce qui est l’attitude même de celui qui se laisse dominer par la crainte. Il ne nous est pas révélé quelle est sa crainte : le rejet du fait de son a-normalité ? Quoi qu’il en soit, il se tait. De plus, en jetant la bague, il met loin de lui ce qui le dérange, il efface toute trace, ce qui est encore une manière d’éviter la vraie question., donc de fuir, donc de choisir la lâcheté. Ce geste hautement symbolique résume toute l’attitude de Desmond, son défaut d’assertivité, d’auto-affirmation.

Une autre attitude confirme cette lâcheté, qui en est à la fois le signe et la conséquence. Desmond commence à accuser Penelope : « Ca va trop vite pour moi, tu emménages dans mon appart. Tu l’arranges, tu le repeins en rouge alors que je n’aime pas ça. Pourquoi t’abandonne ton super appart ? » Là encore, la colère fait figure de courage : en effet, elle est une énergie par laquelle on s’affronte à l’autre. Mais encore faut-il que cette émotion soit juste et mesurée. Or, intrusif, il se permet de penser à sa place. En réalité, cette colère lui permet de ne pas fuir, de rester sur place, mais en accusant l’autre, donc sans pour autant affronter la vraie difficulté qui est intérieure. Enfin, cette accusation colérique est née lorsque Penelope, avec bon sens, remarque : « Qu’est-ce qui te prend tout à coup ? ça sort de nulle part ». Cette parole l’invitait à se mesurer avec lui-même, à avouer la vérité. Mais Desmond, lâchement, a fui cette confrontation et préféré l’attaque.

Certes, il a des excuses : quand apparaît la photo de la marina qui plaît à Penelope, cela réactive en lui la différence irrésorbable de milieu : « J’ai pas de quoi te faire vivre. J’ai pas de boulot, j’ai même pas cinq livres pour payer une photo. Tu mérites mieux que moi ». Mais autant les trois premières affirmations sont vraies, en demeurant au fait, autant la dernière, qui se présente prétendument comme une conclusion, est déplacée : il va trop loin, s’auto-dénigre et, par conséquent, dénigre l’affection de Penelope pour lui. C’est à cette assertion, non aux autres qu’elle réagit.

Enfin, avec beaucoup de lucidité, Penelope elle-même met le mot juste sur l’attitude de Desmond en employant le mot de « lâche » : « Si tu veux que je fiche le camp, si tu ne veux plus de moi, eh bien dis-le. Mais ne viens pas me parler de ce que je mérite ou ne mérite pas. Aie au moins l’honnêteté d’admettre que tu te comportes en ce moment comme un lâche ».

2’) Le vrai courage de Penelope

De prime abord, Penelope ne semble guère aimer. Non seulement elle ne console pas, mais elle agit avec violence quand elle le gifle. De même que Desmond est dans la peur-fuite, ne serait-elle pas dans la colère-confrontation ?

Il me semble que, tout au contraire, elle fait preuve d’un véritable courage, cela pour plusieurs raisons

Penelope ose affronter sa colère, ses remarques déplacées ; elle recadre avec grande précision. « Tu n’a pas à me dire ce que je mérite. C’est parce que je t’aime que je suis avec toi ». Lorsqu’il l’accuse de changer son appartement, elle répond : « Ne retourne pas la situation. J’ai quitté mon super appart parce que tu étais trop fier pour venir y habiter. Tu as peut-être oublié ».

De plus, alors qu’elle reçoit de plein fouet l’impact de l’annonce de la rupture, elle ne s’effondre pas. Elle demeure debout malgré la tristesse et les mille craintes qui peuvent l’étreindre. Plus encore, elle résiste à la tentation de le reconquérir, de se rassurer, d’amoindrir ou de dénier ; elle refuse aussi d’entrer dans son jeu accusateur. Bref, elle demeure elle-même sans fusion ni confusion. Autant d’actes de courage.

On ne peut objecter que sa colère l’aveugle à son tour et la fait tomber dans une démesure. En effet, lorsqu’elle accuse Desmond de lâcheté, elle ne généralise pas mais circonscrit son jugement à « en ce moment » : « Tu te comportes en ce moment comme un lâche »..

Enfin, Penelope est prête à le perdre au nom de la vérité, ce qui ne peut pas ne pas susciter en elle une peur. Donc elle a le courage d’affronter la peur de le perdre. Elle préfère la vérité à un faux amour.

3’) Généralisation

Il se dit dans l’attitude de Desmond un comportement plus général. Blaise Pascal a une pensée profonde : souvent nos vertus sont des assemblages de vices contrariés. Souvent on croit qu’on est vertueux, alors que l’on balance entre les deux vices opposés qui semblent s’équilibrer. Par exemple, ayant pris conscience que l’on était trop égoïste, l’on devient soudain altruiste, mais trop altruiste. De même ici, s’étant rendu compte qu’il fuyait, il adopte soudain l’attitude inverse qui est l’affrontement ; il passe de la peur à la colère par compensation, par recherche d’un équilibre ; mais celui-ci se situe à un autre niveau qui n’est pas passionnel mais vertueux : le courage n’est pas un juste milieu entre la peur et la colère.

Cette scène n’est pas si extrême qu’elle ne présenter quelques points communs avec la vie courante. Ne sommes-nous pas souvent entre la colère et la peur, entre l’accusation et le déni ? On pourrait ajouter une précision eu égard à la relation homme-femme : l’homme est souvent davantage tenté par la fuite et la femme par l’accusation. Ces tentations s’enracinent dans la spécificité du psychisme masculin et féminin: en cas de stress, notamment lorsqu’il doit affronter le monde complexe des relations, des sentiments, l’homme se replie dans sa caverne, remarque Gray. La femme réagit tout à l’inverse. Ces spécificités peuvent devenir des chances, si elles sont reconnues… et intégrées vertueusement.

d) Le courage par excès : la témérité

James Bond. 21. Casino Royale, Film d’aventures américain de Martin Campbell, 2006.

La scène (18) se déroule entre 1 h. 26 mn. 40 sec. et 1 h. 28 mn. 24 sec.

1’) Histoire

James Bond vient d’obtenir le statut d’agent 00 au sein du MI6. Sans entrer dans le détail, il rencontre des agents terroristes qui travaillent pour un certain Le Chiffre qu’il traque jusqu’au Monténégro afin de s’affronter à lui, au Casino Royale, dans une légendaire partie de pocker. En s’opposant à lui et en le ruinant, il compte le discréditer aux yeux de ses complices et le faire arrêter. Nous le retrouvons à ce qui semble être le terme de la partie : en bluffant, Le Chiffre récolte 43 millions USD, faisant perdre à Bond les 10 millions de cave que Vesper Lynd lui avance pour vaincre ce terroriste. Il est donc éliminé. Nous le retrouvons, profondément amer, alors qu’il rejoint Vesper sur une terrasse du Casino.

« J’imagine que vous avez réfléchi au fait que, si vous perdez, notre gouvernement finance le terrorisme ».

2’) Commentaire de la scène

Certes, Bond affronte l’obstacle. Mais est-ce du courage ? N’est-ce pas plutôt de l’audace ?

James Bond demande à Vesper de lui accorder les cinq millions restants mais elle refuse. 007 veut se venger et attrape alors un couteau de table, ordonne à René d’éloigner Vesper, puis se dirige vers le terroriste. Mais à quelques mètres de lui, un afro-américain l’arrête, se présentant comme étant Felix Leiter, agent de la CIA. Surpris d’apprendre que James Bond abandonne, il propose de lui donner toute sa mise, mais si Bond gagne, ce sera lui qui embarquera Le Chiffre. Bond accepte.

Tout indique que Bond agit sous le coup d’une colère démesurée. Il l’insulte : « Vous êtes une idiote ». Il la contraint à donner le re-cave. Il est à la limite de la violenter quand il la prend par le bras. Il est très agressif avec le serveur : « Qu’est-ce que j’en ai à foutre ? »

La cause est aussi clairement notifiée par Vesper : « Votre égo ».

Enfin, quand il aperçoit Le Chiffre, Bond est pris d’une réaction assassine aussi irraisonnée qu’impulsive. Du moins a-t-il un réflexe de protection vis-à-vis de Vesper : « Dégagez la fille ! »

e) Le pseudo-courage de l’insensibilité

Si le courage s’oppose à la couardise, il ne s’identifie pas pour autant à l’indifférence à la crainte et au danger.

En effet, ce constat d’une peur omniprésente et incontrôlable fait le lit d’une tentation : l’abolition de la peur. Cette annihilation présente différents visages : dans le monde de la rationalité techno-scientifique et utilitaire issu des Lumières, elle se présente comme le rêve d’un risque zéro, d’une maîtrise totale de l’échec, et même de la mort ; dans les philosophies de la non-dualité développées en Orient (par exemple, le bouddhisme), elle se manifeste comme un diagnostic accusant le ressenti de causer toute souffrance doublé d’un remède visant à l’amputer ; enfin, l’Occident a connu sa propre version de l’anesthésie avec l’ataraxie stoïcienne qui, en un jeu de mots significatif, identifie le pathos (la passion) et la pathologie. Nous reviendrons en conclusion sur les visions du monde sous-tendant ces options philosophiques qui traversent les cultures et les époques.

Sans convoquer ces élaborations systématiques, de nombreuses personnes s’insensibilisent et se coupent de tout affect : par exemple, par activisme, par cérébralisme, par interdit. Sans doute ces deux derniers mécanismes interfèrent-ils dans cet aveu d’Amiel : « Il y a en moi une raideur secrète à laisser paraître mon émotion vraie, à dire ce qui peut plaire, à m’abandonner au moment présent, sotte retenue que j’ai toujours observée avec chagrin [16] ». Quel que soit le mécanisme, le coût de cette protection est très onéreux. En se privant de la peur, l’insensible devient incapables de déchiffrer les signaux psychiques et organiques de la survenue d’un danger, externe ou interne. Paul est un père de famille surbooké, gérant une équipe d’une trentaine de représentants chez Nestlé, par ailleurs fort généreux de son temps pour sa famille et son quartier (il vient d’accepter d’être adjoint au maire). Si on lui demande comment il va, il répond avec un large sourire : « Très bien. J’ai une vie professionnelle, familiale, associative remplie qui me comble. Que rêver de plus ? – Mais, avec ton rythme de vie, ne ressens-tu pas parfois trop de tensions ? – Si, j’aimerais parfois lever le pied. Mais, tu sais, je suis attentif, je fais du footing tous les samedi matin ». Hier, Paul, 39 ans, a été emmené d’urgence en service de réanimation. Il est passé de justesse à côté d’un infarctus du myocarde. Une thérapie brève, conseillée par le cardiologue, lui montrera que le stress est devenu pour lui synonyme d’action. Il se drogue, littéralement, aux catécholamines. Son footing est encore une manière de se prouver à lui-même qu’il est un gagnant. De même que le poisson ne sait pas que l’eau, son milieu, est mouillée, de même Paul ignore-t-il qu’il vit dans un état habituel de tension, donc de peur. Grâce notamment à une thérapie qui s’appelle la cohérence cardiaque [17], il est de nouveau devenu capable de ressentir ce système d’alarme qu’est la peur, et surtout une joie qui est beaucoup plus que la détente d’un stress…

Enfin, si, le plus souvent, nous nous coupons de nos peurs par des mécanismes involontaires et même inconscients, l’on ne doit pas toujours écarter la possibilité d’une responsabilité, donc d’une faute dans la naissance ou du moins dans l’entretien de cette anesthésie. La crainte nous fait éprouver notre dépendance à l’égard des événements et des autres ; elle contrarie notre toute-puissance, voire peut nous humilier.

L’insensibilisation identifie implicitement la peur à un mal. Or, celui-ci réside non pas dans la peur comme telle mais dans sa démesure. Si le mal s’éradique, l’excès doit seulement être reconduit à sa juste mesure. Et c’est le propre de la vertu morale en général de modérer les affects et du courage en particulier de tempérer la crainte. Mais tempérer n’est pas annuler. La bravoure ne dit donc pas : « N’aie pas peur », mais : « Écoute ta peur et canalise-la » [18].

Pascal Ide

[1] De Baptismo, XX, 2.

[2] S. Augustin, Ennarrationnes in Psalmos 55,2, PL 36, 647.

[3] S. Augustin, La cité de Dieu, L. XVI, ch. 32, trad. Combès, coll. « Bibliothèque Augustinienne » n° 36, Paris, Desclée, 1960, p. 293.

[4] Cardinal Joseph Ratzinger, Le sel de la terre. Le christianisme et l’Église catholique au seuil du troisième millénaire. Entretiens avec Peter Seewald, trad. Nicole Casanova, Paris, Flammarion/Le Cerf, 1997, p. 26-27.

[5] Blaise Pascal, Pensées, n. 104, Œuvres complètes, éd. Jacques Chevalier, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », Paris, Gallimard, 1954, p. 117.

[6] Cf., par exemple, Christophe André, Psychologie de la peur, Paris, Odile Jacob, 2004. Abondante bibliographie.

[7] ST, Ia-IIae, q. 44, a. 2.

[8] Film burlesque américain de Leo McCarey, 1933. La scène qui va être décrite se déroule de 50 mn. 40 sec. à 52 mn. 8 sec.

[9] Cf., par exemple, Christophe André, Psychologie de la peur, Paris, Odile Jacob, 2004. Abondante bibliographie.

[10] ST, Ia-IIae, q. 44, a. 2.

[11] Joel Bradmetz et Roland Schneider, « Is Little Red Riding Hood afraid of her grandmother? Cognitive vs emotional response to a false belief », British Journal of Development Psychology, 17 (1999), p. 501-514.

[12] Helen Palmer, L’Ennéagramme. Pour mieux se connaître et comprendre les autres, trad. Béatrice Petit et Ni­cole Catona, Chêne-Bourg et Genève, Éd. Vivez Soleil, 1995, p. 291.

[13] Xavier Maniguet, Survivre. Comment Vaincre en Milieu Hostile ?, Paris, Albin Michel, 1988, p. 155-158.

[14] Ibid., p. 48.

[15] Lost. Les disparus, Série télévisée américaine de J. J. Abrams. Saison 3, Episode 8. Scène 6 : de 30 mn. 30 sec. à 33 mn. 52 sec.

[16] Amiel, Journal intime, Genève, Georg et Cie, 1897, tome 1, p. 152.

[17] Cf. David Servan-Schreiber, Guérir. Diverses méthodes pour lutter contre le stress, l’anxiété, la dépression, sans médicament ni psychanalyse, coll. “Pocket”, Paris, Robert Laffont, 2003, p. 75-94. Adresses et sites, p. 327-329.

[18] Sur le courage, multiples sont les exposés. Je me permets de renvoyer à Pascal Ide, Construire sa personnalité, Paris, Fayard, 1991, chap. 4.

3.4.2020
 

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