Tout le monde debout
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Pays:
Français
Année:
14 mars 2018
Thème (s):
Amour, Handicap, Mensonge, Type 3 (ennéagramme), Vérité
Durée:
1 heures 47 minutes
Directeur:
Franck Dubosc
Acteurs:
Franck Dubosc, Alexandra Lamy, Gérard Darmon, Elsa Zylberstein, François-Xavier Demaison, Claude Brasseur
Age minimum:
Tout public

Tout le monde debout, comédie française par Franck Dubosc, 2018. Avec Franck Dubosc, Alexandra Lamy, Gérard Darmon, Elsa Zylberstein, François-Xavier Demaison, Claude Brasseur.

Thèmes

Vérité, type 3 (ennéagramme), handicap, mensonge, amour

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Il n’est pas si fréquent qu’un film fasse rire et pleurer. Autrement dit, qu’une comédie (où l’on se divertit volontiers, du début jusqu’à la fin) soit aussi un drame (comment ne pas être ému par cette scène finale où le film s’achève en même temps que les scénarios mortifères de son héros ?).

 

Jocelyn n’est pas seulement ni d’abord le type du menteur ou du manipulateur, même s’il en présente bien des caractéristiques, à la limite du narcissicisme. Plus profondément, il concentre tous les traits du battant ou de l’arriviste qui se remplit de ses réussites extérieures, parce qu’il fuit son vide intérieur, qui multiplie les conquêtes parce qu’il se refuse à la quête de son identité. L’ennéagramme l’a décrit avec précision sous le profil du type 3, ici particulièrement désintégré. Sans rentrer dans le détail (il serait possible de multiplier les illustrations), Jocelyn en épouse les multiples attributs, qui sont autant de symptômes : du plus extérieur – le culte de son apparence (au point que rentrer le ventre soit devenu une habitude insue), le look tapageur (la chemise ouverte sur le poitrail viril), les multiples paires de chaussures de sport et jusqu’à la Porsche Carrera, mais rouge comme une Ferrari – au plus intérieur – le mensonge constamment justifié à soi-même (sur son âge, sa presbytie, la nécessité de la coloscopie), la réussite à tout prix, le refus de l’échec, mais aussi la fuite de soi, la honte à l’égard de son origine italienne, et les constantes lâchetés –, en passant par le relationnel, entre séduction – symboliquement réduite au regard concupiscent –, instrumentalisation – s’il garde sa secrétaire, Julie (Caroline Anglade), c’est parce qu’il la sait raide amoureuse, donc dévouée corps et âme – et mépris – certes pour la femme qu’il capture, consomme et jette avant qu’il ou qu’elle ne s’attache, mais aussi pour les faibles en général et les personnes à handicap en particulier (par exemple, en refusant leur sponsorisation).

 

La sortie de ces scénarios toxiques, pour Jocelyn encore plus que pour les autres, ne se fera pas d’un coup, loin de là. Et l’un des plus grands intérêts du film réside dans la multiplication des pas, qui ne sont pas seulement des variations exploitant au maximum l’ingénieuse idée du scénariste et réalisateur. Indiquons, là encore sans développer, quelques-unes de ces étapes. Jocelyn éprouve un premier intérêt pour Florence, lorsqu’il l’admire jouer au tennis et se battre sur chaque point – non sans se retrouver dans cette gagnante. Son enthousiasme un rien amoureux s’approfondira et se décentrera un peu de lui, lorsqu’il la verra et l’entendra jouer du violon en soliste à l’opéra de Prague : s’il est encore conquis par sa combativité, il accepte d’entrer dans ce monde étranger au sien qu’est la musique classique. Plus tard, dans le restaurant tchèque, en écoutant la cantatrice et acceptant de chanter au risque de décevoir la musicienne qu’est Florence, il consentira de manière inattendue à son origine maternelle et son identité partiellement italienne. Surtout, il renoncera à la consommation immédiate avec Florence quand elle lui proposera de prendre un dernier verre ; toutefois, ce « non » à son propre plaisir n’est pas tant un « oui » respectueux à l’autre qu’une naissance à la conscience morale. Une belle scène le montre saisi par une tristesse qu’il ignore : celle du remords lié au mensonge destructeur et peut-être aussi de son impuissance à le surmonter. Le penseur danois Sören Kierkeggard y déchiffrerait une amorce de sortie de la sphère esthétique (du séducteur) et d’entrée dans la sphère éthique. En s’intériorisant, le handicap change de camp, ainsi que Marie le lance à la tête de Jocelyn : « C’est toi le plus handicapé des deux ».

Il est significatif que les multiples objurgations à dire la vérité (« Ce n’est pas bien ce que vous faites »), dont la répétition finit par tourner au gag, n’ait guère d’efficacité. Même mis debout devant le fait accompli, Jocelyn pactise avec l’interprétation miraculeuse dont personne n’est dupe et continue à simuler. Mais il est tout de même symbolique de son avancée intérieure que ce soit par un acte altruiste qu’il se trahisse : s’il fait de tout petits pas au dehors, il n’est pas certain qu’il n’en accomplisse pas de plus grands au dedans.

L’acte le plus décisif sera le pardon que Jocelyn adressera à Florence. Qu’il est heureux et juste que le cinéaste ait résisté à la tentation hollywoodienne d’aussitôt récompenser cet acte fou par l’amour fou. En effet, le pli compulsif le plus profond n’est pas le mensonge que conjure ce dire-vrai du « pardon » nu, enfin dépouillé de toute justification et de toute excuse. C’est ce besoin addictif de combler le vide intérieur par ces réussites et ces conquêtes aussi factices qu’extérieures. Voilà pourquoi le véritable changement intime devra être un brisement lui aussi intime. Ce n’est pas au bout d’une action qu’il maîtrise que se trouvera le salut, mais d’une passivité qu’il méprise. D’où la superbe trouvaille de cette scène finale. Le marathonien infatigable non seulement s’arrête, mais il tombe, incapable de se redresser. Et il tombe plus bas que Florence : il ne se retrouve pas assis, mais à quatre pattes, comme chez son ami Max, c’est-à-dire totalement à la merci de l’autre. Désormais, Jocelyn  peut accéder à cette dépendance consentie qui est le porche d’entrée de l’amour. Enfin à terre, le fondateur de la société Tout le monde debout ! va pouvoir initier sa montée vers la lumière.

Mais il y a plus. La blessure fondamentale du gagnant, celle qu’il se cache de toutes ses forces car elle est la plus douloureuse, c’est, paradoxalement, son manque d’estime de soi et de confiance en soi. Lucien, qui est son double véri-dique (celui qui dit vrai), le lui a d’ailleurs crié en apprenant son mensonge à Florence, laissant son frère sidéré : « Tu ne t’aimes pas, Jocelyn ». Mais comment pourrait-il s’aimer, cet enfant qui ne s’est jamais senti aimé par sa mère et n’a appris de son père (Claude Brasseur) que le regard lubrique – à moins qu’il ne jette ces femmes qu’à cause de la femme qui, la première, l’a rejeté ? Aussi, en étant porté par celle qu’il aime, comme un enfant, Jocelyn reçoit enfin cette proximité aimante et non jugeante dont il a tant manqué. Il devait recevoir avant de pouvoir donner à son tour, et offrir un baiser d’amour qui, enfin, fut vrai.

 

Il faudrait encore parler de la galerie plutôt réussie (sic !) de portraits – père, ami, sœur de Florence, secrétaire, sans parler de la figure finale inattendue du curé de Lourdes (François-Xavier Demaison), qui compense heureusement la triste prestation du curé de l’enterrement inaugural –. Je dirais seulement un mot de Florence dont on découvre avec stupéfaction que, depuis le début, elle savait. Si elle n’est pas la jolie ingénue manipulée, serait-elle alors une manipulatrice qui utilise Jocelyn à ses propres fins, pire, qui, en l’entretenant dans son mensonge, devient le complice de son enfermement coupable ?

En rester à l’explication que Florence donne (profiter le plus possible de l’amour qui passe) serait oublier un important aveu fait à Marie : elle n’a pas besoin de Jocelyn ; autrement dit, son attitude est mûre et non pas régressive. Elle n’est pas non plus agressive. Ainsi, lorsque le faux handicapé sort enfin de son fauteuil et de son mensonge, Florence est foudroyée par la tristesse, sans amertume ni vengeance : comment mieux dire dans ce chagrin accablant et sans mélange, son amour pour un homme qui, en la sauvant, lui dit aussi son attachement ?

Ce premier long-métrage de Franck Dubosc étonne d’autant plus que, avant qu’il ne passe derrière la caméra, les rôles qu’il jouait valorisaient son ego sans l’en faire sortir. L’essentiel, pour chacun et pour tous, n’est pas d’être en position assise ni même verticale, mais en mouvement, ainsi que l’affirme l’adjectif dynamique : « Debout ! ». Le véritable handicap consiste à demeurer figé dans sa posture, à se croire déjà arrivé et oublier que la vie est exode permanent, mieux, travail de Pâque. Le verbe grec égéiren, « ressusciter », ne signifie-t-il pas aussi « se lever » ? Merci au scénariste, réalisateur et interprète pour cette belle leçon d’amour et d’espérance. « La charité espère tout » (1 Co 13,7).

Pascal Ide

Jocelyn (Franck Dubosc), 49 ans, réussit en affaire (il est PDG d’une filiale de Nike) comme en amour (ou plutôt en aventures sans lendemain). Mais à quel prix ? Celui du mensonge à tous et toujours, sauf à son meilleur ami, un médecin gay, Max (Gérard Darmon), et à son frère jumeau Lucien (Laurent Bateau). Jusqu’au jour où leur mère meurt brutalement, ce qui conduit Jocelyn à ranger les affaires de son appartement. Alors qu’il s’est assis par commodité sur le fauteuil roulant de sa mère, sa charmante voisine, Marie (Elsa Zylberstein), rentre pour se présenter et le croit handicapé. Révélant qu’elle est aide à domicile, célibataire et au chômage, Jocelyn comprend tout le partie qu’il peut tirer de la situation pour la séduire. Le malentendu se poursuit jusqu’au moment où Marie lui présente sa sœur, Florence (Alexandra Lamy), elle-même paraplégique, dans l’intention sauveteuse qu’elle trouve enfin en Jocelyn le grand amour. Jusqu’où ira-t-il dans son mensonge ?

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