Le mensonge
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Pays:
Français
Thème (s):
Mensonge, Pardon
Date de sortie:
2020
Durée:
0 heures 52 minutes
Évaluation:
****
Directeur:
Vincent Garenq
Acteurs:
Daniel Auteuil, Victor Meutelet, Charlie Bruneau
Age minimum:
Adolescents et adultes

Le mensonge, mini-série télévisée dramatique et biopic français en quatre épisodes de 52 minutes, créée par Vincent Garenq, diffusée du 5 au 12 octobre 2020 sur France 2, puis actuellement sur la plateforme de streaming Netflix. Adapté du livre éponyme de Christian Iacono, ancien maire de Vence (Alpes-Maritimes) accusé de viol par son petit-fils Gabriel au début des années 2000. Avec Daniel Auteuil, Alex Terrier-Thiebaux, Catherine Alric.

Thèmes

Mensonge, pardon.

Si la micro-série présente de réelles imperfections, elle est sauvée par une histoire riche de multiples significations – ce que confirme le succès d’audience mérité lors de sa semaine de passage sur France 2.

 

À mon sens, la principale bavure est d’ordre scénaristique. En l’occurrence, au début du troisième épisode (donc pile au milieu de l’histoire), la fin est explicitement dévoilée, à savoir la reconnaissance par Lucas de son mensonge – et cela, par le procédé dont les auteurs actuels usent et abusent paresseusement : l’anticipation.

 

Mais cette faiblesse ne doit pas masquer le grand et multiple intérêt – psychologique, juridique, éthique et même théologique (spirituel) – d’une histoire qui n’est pas seulement une fiction. De ces différents points de vue, les quinze dernières minutes sont d’une rare densité.

 

  1. Psychologique. L’explication du Lucas jeune adulte (en fait, toujours adolescent) jette des lumières décisives sur le processus qui l’a conduit à s’enfermer et enfermer son entourage dans le mensonge. Notamment : le besoin de se sentir aimé en attirant l’attention sur lui ; l’induction d’images d’abus par une psychologue ignorante et dangereuse ; l’absolutisation de la parole du prétendu expert et, derrière, celle du discours scientifique ; la haine vengeresse du fils mal-aimé et mal-aimant ; les multiples biais de confirmation conduisant à l’exclusion et à l’annulation des contre-témoignages même patents ; l’autoconviction dans laquelle s’enferme celui qui a longtemps répété une contre-vérité, au nom du besoin vital de cohérence ; l’extrême difficulté à la limité de l’impossibilité de reconnaître une faute lorsqu’elle a été longtemps répétée ; la publicité parfois obsessionnelle des affaires de pédophilie ; l’absence aberrante de confrontation et de confirmation ; la carence tout aussi affligeante du principe « parole contre parole », comme de la présomption d’innocence.

S’il ne s’agit surtout pas de nier la réalité et la gravité des abus sexuels sur mineurs, il s’agit tout autant de ne pas oublier l’existence symétrique d’abus d’accusation, surtout à une époque profondément marquée par l’idéologie wokiste de la victimisation et l’idéologisation de l’indignation.

 

  1. Juridique. Rarement l’on a autant compris la pertinence de l’adage : « Summa lex, summa injuria». Il est d’autant plus crédible qu’il fut énoncé par l’un des peuples les plus juridiques, voire légalistes qui soit : lorsqu’ils ont pris conscience que le système légal qu’ils avaient mis en place avec vigueur et appliqué avec rigueur, conduisaient à son contraire, à savoir l’injustice, les juges latins, au premier rang desquels Cicéron, n’ont pas fait que l’assouplir, mais réfléchir à la raison de sa dureté : la dissocation de la lettre et de l’esprit, donc, corollaire, le nécessaire doublement de la vertu de la justice par celle d’équité.

Le spectateur ne pourrait qu’être terrifié par la raideur inique d’une machine juridique qui s’arcboute sur ses jugements et ses procédures, malgré la rétractation expresse et répétée d’un témoin non manipulé, ainsi que les fragilités flagrantes et plurielles du dossier, qui s’incarne par exemple dans les quatre mois de prison consécutifs à cette rétractation, si ces injustices n’étaient heureusement (mais seulement partiellement) équilibrées par la figure de l’avocat de la défense, admirable de justesse et irréprochable de persévérance.

 

  1. Éthique. La perspective morale est bien résumée par le titre de la série qui est d’abord celui de l’ouvrage. Admirable d’invention, il tresse le point de vue éthique et les besoins scénaristiques, puisque son ambivalence interdit de savoir qui est le menteur : l’accusé présumé coupable, la victime présumée innocente ou le système judiciaire présumé neutre ? Plus encore, il exprime le cœur même d’un problème que l’on qualifierait de passionnant s’il n’était d’abord vital et donc dramatique.

Précisons trois points. Le mensonge prend ici sa figure la plus destructrice, celle du faux témoignage dont il n’est pas inutile de rappeler qu’il constitue le contenu même du huitième commandement – « Tu ne témoigneras pas faussement contre ton prochain » (Ex 20,16) –, ce qui ne disculpe pas pour autant les autres formes de mensonge.

Ensuite, le mensonge est intentionnel et volontaire en sa cause originelle. Si excusable soit ce jeune garçon en quête d’amour, si excusable soit ce père mal-aimé lui aussi en quête de reconnaissance, toutefois, dix mille conditionnements ne font pas un déterminisme. Or, la faute commence avec la liberté.

Enfin, on l’oublie trop, la culpabilité n’est pas excusée, mais aggravée par l’entêtement vicieux. Je ne parle pas de cette habitude qui, faisant basculer le pécheur dans la faiblesse (par exemple de l’addiction) en vient à l’excuser, partiellement et parfois même totalement. Mais je parle de l’habitus (qui, bon, s’appelle vertu et, mauvais, vice) qui, faisant entrer dans une culture de mort, accuse de plus en plus cette mort spirituelle qu’est le péché (justement qualifié) mortel habituel. De fait, devenu adolescent, Lucas s’enferme dans la transgression et un hors monde narcissique auto-référencé. D’ailleurs, il est significatif que cette mort éthique se traduise chez lui par la mort intérieure de la tristesse létale engendrée par la mauvaise conscience.

 

  1. Spirituel. Assurément, cette dimension transcendante est attestée par le pardon final, aussi attendu qu’immérité, que signifie cette embrassade émue autant qu’émouvante. Mais elle l’est peut-être encore davantage par l’acte qui la prépare en profondeur : l’admirable lettre que le grand-père a rédigée pour son petit-fils. Sans doute parce qu’il avoue humblement sa difficulté à pardonner à ce petit-fils si choyé, peut-être même trop choyé. Mais pour une autre raison, décisive.

En effet, l’on ne dira jamais assez combien il est difficile de revenir de son péché, lorsqu’il est grave et habituel, et donc de ne pas succomber à la double tentation symétrique, d’un côté, de l’autojustification (dont Nietzsche a vu avec grande lucidité que, par le biais du ressentiment et de la réaction, elle est la plus pseudo-féconde pourvoyeuse de systèmes philosophiques, religieux, voire scientifiques), de l’autre, de l’auto-accusation suicidaire. Une seule voie conjure ces deux extrêmes, destructeurs pour l’autre ou pour soi-même : se savoir infiniment plus aimé que l’on ne se hait soi-même ; se savoir inconditionnellement aimé alors que la culpabilité multiplie les conditions les plus draconiennes. Revoyez la scène décisive de Will Hunting : « It’s not your fault ! ». Et cette voie porte un nom qui est le cœur même du christianisme (et de toute la Bible, lorsqu’elle est correctement lue) : la miséricorde. Reconnaître sa faute qui est un premier meurtre, celui de la victime, c’est commettre un second homicide lui aussi symbolique, celui du meurtrier. Tout à l’inverse, confesser la miséricorde depuis toujours déjà offerte et, dans cette lumière, confesser son péché, c’est renaître à la seule vie durable et heureuse, celle de l’amour pardonné et pardonnant.

Or, tel est le contenu de la missive que Claude Arbona écrit à son petit-fils Lucas, sans malheureusement pouvoir lui adresser (là encore, absurdité d’une loi qui finit par engendrer le contraire même de ce pour quoi elle est faite : il suffirait qu’un tiers, neutre et animé par l’esprit de la loi – dont nous répétons qu’il diffère de la lettre –, lise ce courrier et en discerne l’opportunité, surtout lorsqu’on sait combien les abuseurs ne demandent jamais pardon). Ainsi, en lui disant qu’il l’aime sans nulle condition, le grand-père répond au besoin le plus profond de son petit-fils qui se débat dans cet enfer-mement : celui de se sentir inclus, alors qu’il a tout fait pour exclure et, à son insu, s’exclure. Voilà pourquoi cette parole de miséricorde décide du retour du fils prodigue non pas d’abord à son grand-père, mais à la vérité, donc à la vie et à son salut.

Quelle parabole du noyau ardent de l’Évangile ! Si la prison où le grand père a survécu de longs mois de manière si injuste est révoltante, elle demeure extérieure et temporaire ; celle de la culpabilité est intime et peut s’éterniser dans l’auto-accusation tant qu’elle n’est pas rédimée par la seule libération : le pardon.

Pascal Ide

Claude Arbona (Daniel Auteuil) est maire de Castel-sur-Mer, sur le point de devenir sénateur. Époux heureux de Marie (Catherine Alric) et père malheureux de son fils Pierre (Benjamin Bellecour) qui est marié à Corinne (Maud Imbert). Un jour, son petit-fils Lucas (Alex Terrier-Thiebaux), neuf ans, l’accuse de l’avoir violé. L’expertise affirmant avoir retrouvé des traces de traumatisme anal et les déclarations de Lucas étant aussi douloureuses que précises, Claude Arbona est incarcéré en détention préventive. Aidé par son avocat, maître Frédéric Lancel (Grégoire Bonnet), il clame son innocence et finit par obtenir sa remise en liberté. Cependant, son petit-fils maintient ses accusations et, six ans plus tard, alors qu’il est désormais adolescent (Victor Meutelet), Arbona est renvoyé devant la cour d’assises et condamné, bien qu’il continue à clamer son innocence. Qui, du petit-fils ou du grand-père, ment ?

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