Contact
Loading...
Pays:
Américain
Thème (s):
Foi, Solitude
Date de sortie:
17 septembre 1997
Durée:
2 heures 33 minutes
Évaluation:
*****
Directeur:
Robert Zemeckis
Acteurs:
Jodie Foster, Matthew McConaughey, Tom Skerritt...
Age minimum:
Adolescents et adultes

Contact

Film de science-fiction américain de Robert Zemeckis, 1997, tiré d’un roman éponyme de Carl Sagan. Avec Jodie Foster, Matthew McConaughey, John Hurt.

Thèmes

Etranger, solitude, rencontre, raison, foi, rationalisme, fanatisme.

Certains font du film de Robert Zemeckis le plus grand film de science-fiction depuis Rencontre du troisième type. D’autres, en revanche, lui reprochent son manque de mystère : quittant l’utopie pour sa réalisation, finalement il « s’embourbe[r] illico dans le plus rabâché des débats sur […] le conflit science-religion [1] ».

Sans être dénué de défauts [2], Contact donne autant à réfléchir qu’à rêver – ce qui est suffisamment rare pour être salué – : laissons chacun rêver ; mais cela n’a jamais empêché de réfléchir. Sans didactisme, mais en nous narrant une histoire attachante, parfois poétique, le réalisateur du méga-succès Forrest Gump (son dernier film avant Contact) pose et propose trois regards sur le monde qui sont autant d’états par lesquels passe ou aurait pu passer son héroïne.

1) Le monde de la solitude

a) La relation à l’autre

Le professeur Eleonore Ann Harroway est une sommité dans son domaine : l’astrophysique, en particulier le SETI (Search for Extra-Terrestrial Intelligence : « recherche d’intelligence extraterrestre »). Son cursus est éminemment brillant, ses découvertes reconnues. Pourtant, elle est aussi considérée comme « tenace » et « enquiquineuse » : « Essaie de ne pas être trop conflictuelle », lui dit son ami aveugle, Kent. En effet, le monde d’Ellie refuse toute intrusion de l’autre. Elle décourage d’emblée le séduisant Palmer Joss par « Je ne suis pas un bon sujet d’étude ». Dans le commentaire du film, Judie Foster explique que son personnage refuse l’intimité dès qu’elle risque de s’attacher et de perdre celui qu’elle aime. Aussi fuit-elle dans la science, en cherchant quelque chose de très élevé et de parfait.

Certes, elle cède à ses avances (était-ce bien utile pour le scénario, d’autant que leur liaison n’aura pas de suite ? Les impératifs me semblent surtout commerciaux) pour des raisons que l’on va dire. Néanmoins elle se dérobe aussitôt, peut-être à regret, mais sans laisser aucune trace permettant de la retrouver. Elle préfère le pseudo-contact sans risque, sans hystérie, avec Kent qui lui-même n’est séduit (peut-être secrètement amoureux d’Ellie) que pour son oreille unique : « Je trouve formidable que vous écoutiez ». D’ailleurs que Kent se nomme Clark, comme le pseudo de Superman, est plus qu’un clin d’œil comique aux Comics, c’est discrètement montrer qu’il en est le double et l’ombre : comme Ellie, sa vie principale le tourne vers un autre monde et lui fait habiter cette terre en étranger.

Ce n’est pas la peine d’être grand clerc en psychologie pour comprendre la raison de cette attitude sauvage et solitaire. Ellie est orpheline d’abord de mère, à sa naissance, puis de son père Théodore, disparu d’un accident cardiaque alors qu’elle avait neuf ans. A ce manque se joint une culpabilité, sans doute assez US, mais en cohérence avec son tempérament déjà exigeant : « J’aurais dû lui apporter ses médicaments ». De quel droit vivrait-elle, elle qui a pu laisser mourir son unique parent encore vivant ? Comment le monde ne serait-il pas vide depuis qu’elle fut si tôt abandonné ? Surtout, comment s’attacher, puisque tout attachement risque de se terminer par un détachement aussi irréversible que douloureux ?

La mort de sa mère à sa naissance avait déjà décidé de ses goûts et de ses futures orientations scientifiques qui sont autant de protections : « Papa, tu crois qu’on pourrait parler à maman ? » Mais Ellie n’a pas retenu la leçon de son père : « Même la radio la plus puissante ne le pourrait pas ». Alors, la quête va se redoubler avec la disparition du père : « Ici, Éléonore, Papa, réponds ».

L’appel tourné vers le cosmos, mais adressé à plus loin, à ses parents, se transformera en un appel adressé au cosmos, à l’impossible visite des extraterrestres, avec une énergie tenace qui n’a d’égale que la profondeur de sa déréliction et de son isolement. Cette ténacité elle-même emprunte aux leçons de vie de son père : « Je ne reçois rien », dit-elle avec impatience. « Petit à petit », lui répond son père.

Voilà pourquoi, si elle a éconduit sans hésitation Palmer Joss, elle manifeste un intérêt soudain lorsqu’il est présenté comme « Père », intérêt qui devient abandon de son corps (mais ce ne sera qu’un prêt et non un don), et sans doute besoin de consolation, lorsqu’elle l’entendra prononcer le nom qui a décidé de sa vocation de spécialiste d’intelligence extraterrestre : s’il n’y avait personne dans le cosmos, « ce serait un beau gâchis d’espace ».

Le professeur Harroway est toujours une grande enfant : dans un classique fondu-enchaîné, deux plans successifs nous la montrent, passant la main dans les cheveux du même geste enfantin, à quinze ans d’intervalle. Elle courra, dans le couloir, à la poursuite du signal galactique, bientôt végan, avec la même énergie désespérée que celle avec laquelle elle s’était précipitée à la recherche des pilules qui auraient pu sauver ce père bien-aimé. Palmer a le mot juste qui décèle sa blessure secrète : « Ton père, tu as l’air très proche de lui ». Au point que ce contact envahit tout, et interdit tout autre.

b) La relation à la connaissance

Ce monde de la solitude et de la méfiance est aussi celui de la froide raison raisonnante. Lorsque Palmer explique, avec simplicité, la raison de ses études de théologie et le pourquoi de sa foi (peu orthodoxe, plutôt Nouvel Age) en Dieu : « C’était Dieu », Ellie fait appel à l’explication réductionniste et scientiste la plus classique : « C’est vrai, car tu en as besoin ». Lorsqu’elle est interrogée par le même pasteur : « Croyez-vous en Dieu ? », Ellie répond : « En tant que scientifique, je me fie à des preuves. Il n’y en a pas ».

Car il y a un mauvais usage de la passivité (et la foi est une certaine passivité, une réception d’un donné) qu’Ellie va rencontrer de plein fouet. Le professeur David Drumlin reconnaît l’injustice, mais en voulant passer pour un martyre de l’incontrôlable. Nullement dupe de cette déresponsabilisation manipulatrice, Ellie rétorque en rappelant le caractère inaliénable de l’autonomie responsable : « J’ai toujours pensé que le monde était ce qu’on en faisait ».

Plus encore, au moins à deux reprises, Ellie rencontre une foi qui est une abdication de l’intelligence : au catéchisme, lorsqu’elle pose des questions sensées ; à la mort de son père, lorsque le pasteur cherche vainement à la consoler : « Nous ne savons pas pourquoi. Il faut parfois seulement accepter les faits selon la volonté de Dieu ». On imagine, au vu de son évolution ultérieure, ce que cette phrase a pu engendrer de révolte en elle. Ellie n’aura plus confiance qu’en ses oreilles, surtout lorsqu’elles sont démultipliées par des radars ultra-performants pointés vers l’espace.

c) La relation à la nature

De prime abord, ce scientisme, ce monde de la seule science, est un monde sans extraterrestre, puisque rien ne prouve leur existence. Mais que devient le chercheur, lorsque l’existence d’intelligences non terrestres devient avérée par les relevés de vingt-sept antennes cordonnées ? Le scientifique froid se transforme en politique opportuniste, tel Drumlin, et en militaire méfiant, tel Michael Witz (James Wood). D’ailleurs, se refusant au simplisme, le scénario a su nous rendre ces deux personnages antipathiques plus pitoyables que méchants. L’autre qui a depuis toujours été nié s’efface en ennemi voué à disparaître. D’ailleurs, c’est peut-être le contact avec ces sinistres individus qui la poussera en partie à évoluer.

Mais une telle conclusion ne contredit-elle pas l’attitude d’Ellie ? Comment corréler son rationalisme et sa foi inconditionnelle en l’existence d’intelligences extraterrestres, son courage à affronter pendant treize mois refus après refus, non dénués d’ironie ?

Si Ellie est si confiante, c’est qu’elle fait appel, sans le savoir, à une autre source de signification, donc à une confiance. Et ce principe même rend instable sa position et pourrait la faire basculer dans la position suivante, selon un processus dialectique au sens hégélien du terme – le principe de déséquilibre est interne et conduit, par autosuppression, à la figure suivante : la blessure qui ferme Ellie à la confiance est aussi celle qui la rend vulnérable à l’autre. D’ailleurs – Maurice Blonde réfutait ainsi le scientisme –, le scientifique explique tout sauf son acte scientifique : comment Ellie pourrait-elle rendre compte de cet acharnement – une belle image montre la quasi-identification de son visage auréolé d’un chapeau avec l’une des multiples antennes braquées vers le cosmos – à écouter l’univers, obstination entêtée qui ne saurait se réduire à l’archaïque ?

2) Le monde de la fusion

Tout opposée à la solitude, mais aussi dangereuse, est la fusion. Celle-ci est plus évoquée que décrite ; elle est toutefois assez présente pour apparaître comme une solution alternative.

a) La relation à l’autre

Ellie ne demeure pas dans ce monde solitaire, plus subi que choisi. Mais cette attirance sympathisante pour le monde extraterrestre ressemble fort à cette fusion-confusion qui va prendre racine autour de l’observatoire. Ne va-t-elle pas devenir une ufologue sympa en quête de la grande fraternité cosmique à laquelle la Terre se dérobe ? La description de ce melting pot New Age relèverait de la microsociologie ou du folklore, s’il ne s’avérait aussi être le creuset de fanatiques assassins de la pire espèce. Le pasteur suicidaire – dont on ne nous révèlera pas le nom, car la Bête n’en a pas – sera responsable de la mort de dizaines de personnes – dont David Drumlin – et de dégâts matériels inchiffrables (de l’ordre de douze billions de dollars), justifiés par le mot d’ordre de toutes les tyrannies sanguinaires : « pour le bien de l’humanité. L’apocalypse qui vient justifiera notre foi ». La fusion comme l’agression sont des corps à corps.

Mais Ellie n’a pas besoin de constater ces excès pour résister à ce modèle excentrique et violent. Sa rigueur rationnelle lui est sans doute un utile garde-fou ; la structuration donnée par la figure paternelle l’est au moins autant.

b) La relation à la connaissance

La médiatisation de l’existence assurée d’extraterrestres entraîne les remarques les plus loufoques (les critères de Miss Univers et la concurrence vont bien changer !), les plus dangereuses (les groupuscules néo-nazis), mais aussi et aussitôt un incontrôlable retour vers le religieux le plus magique et plus régressif. Le rationalisme laisse place au fidéisme, à cette pathologie de la religion que sont les nouvelles religiosités, et donc à une dérégulation, voire une disparition de la raison.

Si Ellie demande à ses financiers potentiels « un peu d’imagination », en revanche, dans une logique New Age, la raison a totalement laissé la place à l’imaginaire qui lui-même n’est que la projection incontrôlée des désirs les plus désordonnés. L’homme se définit par celui-ci conçu comme créateur. Peu importe désormais ce monde où nous vivons ; seul compte celui que nous rêvons et qui nous sauvera.

C’est pour cela qu’il est tellement important qu’Ellie, une fois contemplées les merveilles de Vega (26 années lumières de la Terre), revienne sur la Terre : c’est là qu’elle est née, c’est là qu’elle est appelée à vivre. Alors que le Nouvel Age rêve de changer de monde, Ellie ne s’est pas découragée de changer le monde, en commençant par se changer elle-même.

c) La relation à la nature

Dans cet univers fusionnel, l’autre est celui que je ne rencontre pas et que je fuis vers un illusoire Eldorado extraterrestre. Cet univers n’est-il pas symbolisé, a minima, par le richissime solitaire S. R. Hadden (John Hurt) ? D’un côté, il vit dans un avion qui est un objet technique détaché temporairement de la Terre – et à la fin définitivement, dans la navette spatiale Mir – ; mais de l’autre, il pilote la vie d’Ellie depuis la naissance. Or, le New Age évolue, comme à regret, dans ce monde sans y toucher ; en réalité, il le manipule selon ses desseins (« Vous avez mis en danger nos codes de sécurité »). Cet univers n’est en tout cas pas celui de Kent, l’ami aveugle d’Ellie : il a trop souffert pour ne pas connaître le prix infini de la relation à l’autre.

Comme tout manipulateur grand format, Hadden présente un côté charismatique ici surdimensionné – il est omnipotent, omniscient, ubiquitaire, bref, presque divin – et un côté sombre qui est cette instrumentalisation d’Eleonore à ses propres fins, revanchardes.

3) Le monde de la réconciliation

Est-on voué au dilemme solitude-fusion ? L’idéologie scientiste tue l’âme, le fanatisme New Age peut aller jusqu’à tuer les personnes. Ces deux voies sont donc des impasses. Une troisième voie s’ouvre, qui suscite autant d’espérance que la découverte de l’existence de la seconde station, celle d’Okaïdo. La première plate-forme baigne en pleine lumière et s’offre en spectacle ; la seconde, au fond d’une baie, comme lovée dans une matrice, est cachée aux regards indiscrets des journalistes et du monde. A la symbolique orgueilleuse de la mainmise masculine sur la nature se substitue la symbolique féminine, réceptive qui consent au mystère. La station américaine et triomphaliste était comme vouée à sa disparition, en sécrétant son contraire en terre orientale.

a) La relation à l’autre

Ce troisième monde est ouvert à l’autre. C’est lui auquel accède Ellie, après un long cheminement, une lutte, des souffrances et des renoncements, on oserait dire une initiation.

La brillante astrophysicienne doit d’abord accepter de ne pas tout contrôler : « Je ne sais plus où j’en suis ». Ellie doit ainsi reconnaître qu’il y a en elle quelque chose dont elle ne maîtrise pas l’origine. Même perte de maîtrise, lorsqu’elle fait l’expérience qu’elle est aimée par Palmer : « Je ne voulais pas que tu partes. Retrouve vite le chemin du retour ». Ellie sent confusément qu’on ne peut tout maîtriser, par exemple le don de la vie : voilà pourquoi elle sera profondément offusquée qu’on lui présente la possibilité de se suicider. Certaines phrases ne sont pas non plus anodines dans l’itinéraire d’Ellie : « On dit que mendier fait du bien pour l’âme », dit Kent, ce sage qui voit de l’intérieur. Or, mendier, c’est recevoir, le contraire même de ce qu’Ellie, l’indépendante, a appris à vivre.

Mais décisive sera surtout l’épreuve de l’impuissance des mots et du langage rationnel, le seul qu’elle ait appris à dominer : « C’est un événement céleste, commente-t-elle, arrivée sur Véga. Ils auraient dû envoyer un poète. C’est tellement beau… » Aveu d’impuissance verbale qui traduit une impuissance beaucoup plus décisive : « Je n’en avais pas la moindre idée ».

Pour décisive qu’elle soit, cette expérience n’est qu’un commencement. A son retour, c’est l’épreuve de la solitude qui va lui montrer que, dans la vie, les preuves ne suffisent pas. Elle s’entend rétorquer par le président Clinton lui-même l’argument qu’elle a toujours avancé : « Tenir compte des seuls faits ». Ellie a droit à tout le cortège des arguments scientistes : « L’explication la plus simple est la meilleure », sans oublier la réduction psychologisante puisqu’elle est suspectée d’hallucinations d’auto-soutien. Face à tous ces arguments qu’elle ne connaît que trop, Ellie, soudain très pauvre, ne peut qu’opposer son expérience : « Je ne retire pas ce témoignage ». Et elle a cette belle formule (en français) : « Il m’a été donné quelque chose de nouveau ».

Elle peut alors enfin reconnaître que « science is not our God ». Le fameux rasoir d’Occam – interprété de manière un peu courte comme principe de parcimonie – trouve ici ses limites.

La jeune femme avait un second obstacle à vaincre : la culpabilité qui lui fait sans cesse rejouer la scène où elle secourt son père et accuse la rupture avec l’autre. Là encore, la rencontre sur Véga sera un jalon essentiel dans cette guérison. La figure et la parole de son père, joint à la douceur de ce paysage idyllique lui permettent de se tourner vers l’autre. En effet, elle s’entend dire que, pour cette étrange espèce qu’est l’homme, « mélange de beaux rêves et d’affreux cauchemars », « la seule chose qui rend la vie supportable, c’est l’autre ». Mais cette découverte d’autrui doit se conjuguer au respect de la seconde altérité, celle du temps : « Pas à pas, Ellie ». On peut même suggérer une autre cause qui secrètement a joué : les Végans n’ont pu figurer le père d’Ellie que parce qu’ils l’ont puisé dans son inconscient ; on peut imaginer que c’est la même chose pour la plage à l’eau couleur d’encre cobalt ; c’est ainsi qu’Ellie se représente le bonheur ; mais c’est surtout le signe que cette image du bonheur, sous la figure d’une douceur habitée et splendide est présente en elle, et le désir secret qui accompagne cette représentation. A elle de se brancher sur ces ressources. Recevant du fond d’elle-même, avec mansuétude, ses richesses, elle peut donc cesser de trouver la sécurité dans le tout-contrôle.

Aussi, de retour, ne se contente-t-elle plus d’argumenter dans l’universel et l’impersonnel. Sa raison impuissante laisse enfin la place à une parole engagée, à la première personne, le témoignage de ce qu’elle a vécu : « Aucun de nous n’est seul. Je souhaite partager cela. Sentir cette béatitude, cette humilité, cet espoir. Cela continue à être mon souhait ». Et cette dramatique opposition entre le monde scientiste de l’isolement et le monde de la foi et de l’ouverture à l’irruption à l’autre, au Tout-Autre, devient celle des technocrates et de la foule qui l’accueille avec enthousiasme et l’appelle par son prénom, symbolique du contraste entre le confinement du tribunal et de l’ouverture infinie du dehors. Il demeure que le contraste ne vaut que lorsqu’on oublie combien le comportement de la foule est infantile et versatile. Plus important est le témoignage de Palmer : « Quelle est votre opinion, lui demande-t-on à propos d’Ellie ? – Nous avons le même but : la recherche de la vérité. Alors moi, je la crois ». Il s’agit en effet désormais de foi. Ce qui ne signifie pas que toutes les croyances se ressemblent. Cet amalgame est justement le syncrétisme New Age ici déjoué. Aussi est-il passionnant que Palmer souligne la différence entre sa foi et celle d’Ellie : « Notre alliance de foi est différente ». La solitude, comme la fusion, sont vaincues. Ce nouveau monde respecte l’autre, en donnant à chacun sa place. D’ailleurs, l’altérité est à ce point respectée que, évitant la finale trop classique, il n’est pas dit que Palmer et Ellie vont s’épouser ; peut-être même vont-ils continuer chacun leur chemin.

Ellie peut maintenant descendre sur la plage, y jouer avec le sable, comme un enfant, mais un enfant réconcilié avec son père dont elle accepte qu’il ne soit plus, comme elle consent aussi à l’absence des extra-terrestres.

b) La relation à la connaissance

Le monde de la réconciliation donne sa place non seulement à chaque personne, dans sa différence, mais aussi aux diverses approches du réel, aux multiples types de savoir. En toute droiture, Ellie reconnaît son scepticisme. Mais, murée dans sa bonne foi, elle prend son authenticité pour une vérité. Indéniablement, sa conviction est autrement plus droite que la foi d’un Drumlin (« Moi, j’ai dit la vérité. Et Drumlin a dit ce que vous vouliez entendre ».). Néanmoins, elle n’a pas conscience de la dose de fermeture, du dureté et d’exclusivisme qu’elle comporte. Sincérité n’est pas vérité. Il faudra l’épreuve du manque pour qu’elle en prenne conscience. A vrai dire, plusieurs expériences se conjugueront pour la conduire de la vérité-évidence de la science à la vérité-confiance, c’est-à-dire à la vérité-mystère à laquelle ouvre la foi :

* La démarche de foi naît de la reconnaissance d’un mystère non maîtrisable, d’un donné. Or, Ellie dit : « Il m’a été donné quelque chose de nouveau ». Plus encore, si en avance Véga soit-elle au plan technoscientifique, cette civilisation n’est pas la source ultime du savoir : le chemin (les vortex successifs [3]) a été construit par d’autres. Les Végans se sont reçus d’autres qu’eux. Ils ne sont que les maillons d’une chaîne de généreuse transmission.

* Un chemin privilégié vers le consentement passe par l’expérience de la splendeur contemplée sur Véga. Mais déjà, auparavant, le départ pour l’étoile a quelque chose de la beauté dépouillée d’un acte liturgique.

* L’expérience de la foi est personnelle, elle engage ; elle est aussi incommunicable, elle isole.

* La foi demande la mort non pas de la raison, mais de la toute-puissance de la raison, d’une raison qui fait de l’évidence (« les idées claires et distinctes ») le critère unique de la vérité. Or, symboliquement, le voyage vers Végan, le passage par les différents vortex, suppose plus qu’un lâcher-prise (Ellie flotte en apesanteur), un abandon, voire l’expérience angoissante d’une possible mort, mais dans la confiance, donc le mouvement pascal de mort à soi-même et de résurrection à une autre vie.

* La foi requiert l’humilité. Or, lorsqu’elle est interrogée dix-huit mois plus tard, Ellie répond humblement : « La meilleure réponse est toujours de chercher ». D’ailleurs, le second voyage sur Véga n’a rien du départ spectaculaire mais au total violent par lequel une fusée s’arrache à la pesanteur terrestre.

* Ellie prend aussi conscience d’une contradiction : « Moi, j’ai besoin de preuves, affirme-t-elle. – Tu aimais ton père infiniment, lui rétorque Palmer. Prouve-le ». Plus encore, elle découvre qu’elle est dépassée. Que le départ pour Véga échappe à toute observation sensorielle comme l’esprit échappe à la matière, est symbolique du passage d’un ordre de connaissance à un autre ordre.

* Ellie rentre progressivement dans le lien, donc dans l’interdépendance. Pour être sauvée de sa fermeture scientiste, elle a eu besoin de multiples médiations : il a fallu que Palmer lui pardonne et la comprenne, que Kent l’aime et la suive fidèlement, que Rachel Constantine (du gouvernement) la croie.

* Enfin, jamais les extraterrestres ne nous sont montrés. Certains ont reproché au film de ne pas rester dans la réserve de Rencontre du troisième type ; ne sont-ils pas passés à côté du sens, tout autre, de Contact ? Judie Foster, dans son commentaire du film, note elle-même que le thème principal est celui des relations entre science et foi, en vue de montrer que ces deux approches ne sont pas ennemies. Je ne parle pas seulement de la rencontre finale sur Véga dont on a vu que son secret présente un sens profond. Je veux parler de tout le film : le Terrien n’a jamais accès à un Végan, mais à sa communication. Celui-ci ne se donne à voir et à contempler qu’à travers des signes. Mais peut-être ceux-ci en disent-ils plus long que toute apparence physique, à qui accepte de les déchiffrer patiemment ? En effet, l’habitant de notre planète doit sortir d’un plat univers à trois dimensions ; il lui faut mettre en jeu un langage universel qui est celui de la mathématique. Au fait, n’en est-il pas de même de l’homme qui ne se révèle qu’à travers les signes qu’il émet ? Ceux-ci lui permettent de prendre conscience de soi. Encore faut-il le comprendre et l’accepter. Lorsque les chercheurs découvrent la Croix gammée dans le message végan, son premier réflexe est de couper toute relation, voire de déclarer le Végan hostile. Jusqu’au moment où il saisit que celui-ci ne fait que lui renvoyer sa propre image : en effet, la première retransmission radio internationale fut l’ouverture des Jeux olympiques de 1936 par Hitler ; or, le début du film nous montre que plus nous nous éloignons de la Terre, plus les messages émis donc susceptibles d’être captés sont anciens ; comme Véga est située à 26 années-lumières, ses habitants n’ont pas encore accès à notre présent. Quelle leçon de vie et d’humilité ! Maintenant et maintenant seulement, le Terrien peut prendre conscience que, en se donnant à voir, le Végan a fait plus que donner (un signe, les trésors de la science), il s’est donné lui-même.

* La foi est dynamique, elle nous inscrit dans une longue chaîne de transmission [4], dont je suis autant débitrice que responsable : ce que j’ai reçu gratuitement, je suis appelé à le donner gratuitement. Voilà pourquoi Ellie est appelée à vivre l’expérience crucifiante du témoin incompris ou plutôt accepté et rejeté à la fois.

Pour toutes ces raisons, le film est comme une leçon de choses épistémologiques sur les relations de la science et de la foi, voire sur les relations entre science, foi et philosophie : ne sont-ce pas des représentants de ces trois types de discipline qui ont embarqué sur la première navette ? Certes, la conception de la foi comme paradoxe et saut dans la foi, comme appropriation subjective et incommunicable, est peut-être plus inspirée du penseur danois protestant Kierkegaard que catholique. Certes, et cela est plus profond, l’objet végan est proportionné à notre esprit et n’appelle donc pas, par nature, une autre lumière que celle de la raison. Certes, enfin, on regrettera les bavures finales : un commentaire un peu trop appuyé – bien américain – et surtout la découverte des secondes manquantes, qui reconduisent l’inconnaissable quoad se (en soi, par nature) à un inconnaissable quoad nos (repérable et bientôt maîtrisable par la science) – malheureuse concession à un scientisme dormant, ici frappé d’insomnie. Il demeure une heureuse et pédagogique analogie.

c) La relation à la nature

La rencontre du troisième type entre la Terrienne Ellie et le monde Végan dose avec doigté (un tact qui rime avec contact) le même et l’autre : d’un côté, la différence est assez grande pour susciter l’étonnement et l’humilité ; de l’autre, la similitude est suffisamment présente pour ne pas conduire au découragement ou à la frayeur.

Ellie passe enfin d’un univers tout intérieur qui, au début, se trouve symboliquement absorbé en sa totalité dans le noir de sa rétine, à un univers extérieur à elle, dont l’irréductible altérité lui est signalée par sa beauté inouïe autant qu’insaisissable.

4) Conclusion

Astucieusement, le réalisateur conjugue les points de vue de la psychologie, de la cosmologie et de la théologie fondamentale (précisément les articulations foi-raison). Un tableau pourrait résumer le schéma tant structural que narratif du film. On ajoutera même une dernière colonne : la relation au « monde », celui-ci s’entendant non pas au sens philosophique de réalité immanente extérieure à l’homme (ce qui regroupe autant la nature que les artefacts, la réalité que l’homme a humanisée), mais au sens néotestamentaire.

 

Relation à l’autre (notamment au sein de la famille) Relation à la nature (notamment la présence des extraterrestres) Relation à Dieu (notamment l’articulation raison-foi) Relation au monde (au sens chrétien)
Modèle masculin exclusif Monde individualiste du chacun pour soi L’univers est vide

et, si jamais les extraterrestres existent, ce sont avant tout des agresseurs

Le rationalisme : seule la science dit vrai ; il n’y a pas de place pour un donné et une confiance Être dans le monde en étant du monde, c’est-à-dire en le manipulant à mes propres fins utilitaristes
Modèle féminin exclusif Monde fusionnel du chacun pour tous Les extraterrestres sont plus importants que les terriens Le fidéisme : seule est vraie la foi en Dieu (jusqu’au fanatisme) Ne pas être du monde (contredire ses pseudo-valeurs), en n’étant pas dans le monde (en le fuyant)
Modèle intégré, réconcilié Monde libre du chacun pour l’autre « Si les extraterrestres n’existaient pas, ce serait un beau gâchis d’espace ! » Foi et raison possèdent leur légitimité et leur validité, chacune dans son domaine propre Être dans le monde sans être du monde

 

Tricotant ces trois perspectives, Contact édifie des ponts entre les trois relations : à l’autre, à la nature et à Dieu, qui sont les trois domaines de l’existence. Plus encore, il dessine un chemin. Partant d’un monde égotiste sans contact, refusant la tentation fusionnelle du full-contact, Ellie accède au vrai contact qui est communion, c’est-à-dire proximité toujours respectueuse de la distance. Le don du réel l’ouvre au don à l’autre : double contact de la nature et de l’homme.

Une parole et un geste scandent ce passage de l’enfance à la maturité. D’abord, la phrase « un beau gâchis d’espace » est prononcée à trois reprises dans le film : d’abord par son père face à une petite fille éperdue d’admiration ; puis, par la bouche de Palmer, substitut paternel, qui n’engendrera qu’une passion sans lendemain chez une Ellie tentée par la fusion illusoire ; enfin, par la même Ellie qui, enrichie de la rencontre des Végans et mûrie par l’épreuve, à la toute fin du film, la reprend à son propre compte afin de permettre à ce groupe d’enfants de conquérir sa liberté : une ébauche de maternité ? Le geste. A deux reprises, on retrouve Ellie en train de méditer, dans le même lieu « magique » : la première fois, son corps est rétracté en position fœtale, comme recroquevillé sur le passé, en recherche de cette consolation – la mère qui manque douloureusement ? – ; la seconde fois, tout son corps est détendu, ouvert, en un mot, prêt à la rencontre : elle se prépare paisiblement à une surprise qui ne viendrait plus de l’ailleurs et de l’au-delà, mais de l’ici et du maintenant, bref, un présent venant du présent, une rencontre : ce qu’on appelle aussi un contact.

Pascal Ide

[1] Jean-Claude Loiseau, Télérama n° 2488, 17 septembre 1997, p. 37. Ce jugement hâtif n’est pas argumenté.

[2] L’histoire s’étire inutilement en longueur ; les perspectives semblent un instant se juxtaposer plus que s’articuler. Le cinéaste a déjà fait des faux-pas : que l’on songe au scénario raté – ou du moins à contretemps (si je puis dire !) – du deuxième opus (1989) de la trilogie de science-fiction Retour vers le futur dont le premier (1985) est un classique.

[3] On sait que Zemeckis a demandé l’aide du réputé scientifique américain Carl Sagan et que celui-ci a pris part personnellement à la réalisation. Le film lui est dédié (la dernière image porte « Pour Carl »).

[4] Cf. 1 Co 15,3 s. Cf. François, Lettre encyclique Lumen fidei sur la foi, 29 juin 2013, chap. 3 : « Je vous transmets ce que j’ai reçu ».

Le docteur Eleanor « Ellie » Arroway (Jodie Foster) est une spécialiste reconnue en radio-télécommunication et en astronomie. Poursuivant la passion qu’a suscitée en elle son père Theodore (David Morse), mort alors qu’elle avait 9 ans, elle travaille aujourd’hui pour le programme SETI à l’observatoire d’Arecibo au Porto Rico, recherchant avec ses collègues des signaux radios d’origine extra-terrestre. Toutefois, le scientifique gouvernemental David Drumlin (Tom Skerritt) coupe le financement de ce programme jugé futile. Arroway obtient un financement du milliardaire S.R. Hadden (John Hurt) pour continuer son travail de recherche au Very Large Array situé au Nouveau-Mexique. Ellie fait connaissance avec le séduisant pasteur chrétien, Palmer Joss (Matthew McConaughey), qui interroge son rationalisme fermé à tout dialogue. Parviendra-t-elle à prendre contact avec des êtres d’un autre monde ? Et d’abord avec ce qui en elle la dépasse ?

Les commentaires sont fermés.