La Finale
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Pays:
France
Année:
21 mars 2018
Thème (s):
Beau, Bien, Fragilité, Maladie d'Alzheimer, Vrai, Vulnérabilité
Durée:
1 heures 25 minutes
Directeur:
Robin Sykes
Acteurs:
Thierry Lhermitte, Rayane Bensetti, Émilie Caen
Age minimum:
Tout public

 

 

 

La Finale, comédie franco-belge de Robin Sykes, 2018. Avec Thierry Lhermitte, Rayane Bensetti, Émilie Caen et Lyes Salem. Grand prix du 21e festival de l’Alpe d’Huez.

Thèmes

Fragilité, vulnérabilité, maladie d’Alzheimer, vrai, bien, beau.

Le premier long métrage du réalisateur qui est aussi coscénariste met en scène, sans naïveté et sans gravité excessives, l’une des principales causes de fragilité de notre temps : la maladie d’Alzheimer. Il en montre les trois facettes qui sont celles de toute vulnérabilité : elle fait souffrir, elle suscite le soin, elle révèle notre humanité.

 

  1. Alliant légèreté et finesse, le film évoque les multiples souffrances de la personne vulnérable, ici du malade d’Alzheimer : celle du patient, surtout au début, lorsqu’il est encore conscient des atteintes de sa pathologie ; celle de son entourage (le spectateur aurait souhaité en apprendre plus sur la famille) ; et même celle de la société (la maison médicalisée, le bus de malades d’Alzheimer).

Attardons seulement sur le premier type de souffrance. Thierry Lhermitte a mérité son Prix d’interprétation masculine au 21e festival de l’Alpe d’Huez. Choisir un de nos inoxydables comiques, de surcroît jeune premier au profil de gagnant, était un défi. Sa brisure nous le rend d’autant plus proche et, avec lui, tous ceux qui, de plus en plus nombreux, sont atteints par cette terrible maladie. La fragilité n’est pas seulement « la capacité à être brisé », ainsi que le dit son étymologie, mais la capacité à être brisé brutalement, ainsi que le révèle le dernier et beau livre de Jean-Louis Chrétien : « est fragile ce qui se peut briser […] facilement » ; « la brisure peut survenir tout à coup et de façon inattendue, s’opposant de ce fait à un lent procès d’usure [1] ». Le cut entre la première et la deuxième scène qui fait un bond en avant d’une année, exprime quelque chose de cette soudaineté qui rime avec brutalité. Avec délicatesse, le scénariste fait entrer dans la souffrance vécue par Roland. Si celui-ci dénie souvent ses amnésies, les prend parfois avec humour, quelquefois aussi il réagit avec colère : « Quelle saloperie, cette maladie ! ».

 

  1. La vulnérabilité souffrante appelle le soin et, sinon la guérison, du moins une temporaire amélioration. Comment ne pas se réjouir des petits ou grands bonheurs de Roland, retrouvant, l’espace d’un voyage ou d’un dîner, la joie de la rencontre et d’une possible amitié ? Quelle leçon de vie que ces oublis qui transforment la routine en étonnement permanent (« MacDo, la première fois, c’est toujours énorme ! ») et l’amnésie en occasion de gratitude incessante !

Comment aussi ne pas jubiler de ces souvenirs égrenés qui permettent à J.B. de se constituer une mémoire (par exemple sur sa naissance), donc de corriger les fausses interprétations (sur la prétendue indifférence de l’ancêtre) et donc de sortir du jugement, acquérir avec reconnaissance des compétences, s’éveiller à l’admiration et enfin à l’amour ?

Comment, plus encore, ne pas se féliciter du recul, même transitoire, de la pathologie qui est proportionnel à l’avancée de l’entourage en attention, voire en affection ?

Comment, encore davantage, ne pas bénir cet aveu involontaire de l’agent immobilier qui permet à Roland de connecter avec le souvenir traumatique qui, s’il est l’effet de la maladie, a pu, par son intense culpabilité et son enfouissement, en devenir partiellement une cause maximisant l’enfermement ? En tout cas, si l’on ne peut l’assurer, il n’est pas interdit d’en émettre l’hypothèse, ainsi que le film le suggère discrètement. Une telle reconnaissance, si douloureuse soit-elle, permet alors une réconciliation avec soi-même,

Ainsi, cette maladie est montrée pas seulement comme une source de souffrance, mais aussi comme une occasion de sollicitude et donc de bonté. Mais il y a plus.

 

  1. L’éthique qui avait écarté la vulnérabilité de son champ au nom du primat de l’autonomie responsable, lui accorde depuis peu une place de choix, voire centrale, via ce que l’on appelle les éthiques du care (terme anglais intraduisible couvrant autant le soin qui est un acte objectif que la sollicitude qui est une attitude intérieure). Toutefois, que la vulnérabilité soit offusquée comme passivité infra-éthique, ou au contraire promue comme souci majeur de la même éthique, elle est toujours considérée négativement, comme un manque. Ce n’est pas l’un des moindres mérites du film que d’en montrer aussi un visage positif [2]. Et cela triplement.

Tout d’abord, Roland va révéler les trésors cachés de bonté présents dans le cœur de son petit-fils. Alors que la mère est préoccupée par les soucis matériels et financiers, le père par ses missions médicales humanitaires hors de la maison et même hors du continent, et la petite sœur par son entrée dans la crise d’adolescence, seul le grand-père s’avèrera disponible, pour accompagner, écouter, observer, admirer, et même conseiller et applaudir avec lui à la victoire. Or, en se donnant sans compter à J.B., il va le conduire à donner en retour. Du petit-fils dans sa musique et du grand-père dans sa maladie, qui est le plus emmuré ? Alors que la première image de Jean-Baptiste le montre enfermé dans son sport et son baladeur, nous allons le voir peu à peu sortir de sa bulle narcissique, s’intéresser au grand-père, poser un acte gratuit (le don de la casquette), apprendre à parler son langage (« Tu sais, J.B., comme la marque de whisky »), voire en inventer un nouveau (superbe scène où, délicatement, en glissant des photos sous la porte, Jean-Baptiste suscite sa mémoire, lui permet, sans violence, de le reconnaître et ouvre ainsi son grand-père à sa présence), et finalement préférer le bien de l’autre au sien propre.

Et comme la famille est la réalité systémique par excellence, en se déplaçant, le champion de France junior en basket déplace les autres membres de la constellation : certes, en osant parler vrai (« J’ai passé le plus beau jour de ma vie. Vous n’êtes jamais venu à un seul de mes matchs »), mais plus encore, en les invitant à enfin lâcher leur problématique égocentrée.

Ensuite, Roland parle en vérité. La personne fragile n’est pas seulement un être privé de compétences ; c’est un être simplifié : dépouillé des apparences, il peut enfin devenir apparition ; débarrassé de ses personnages, il est enfin une personne. Autrement dit, elle coïncide avec ses besoins les plus fondamentaux qui, loin d’être seulement matériels, s’avèrent être aussi spirituels : amour, respect, etc. Certes, il ne s’agit pas de nier que les fonctions relationnelles et intellectuelles d’un sujet atteint de la maladie d’Alzheimer régressent ; mais en demeurer là serait passer à côté d’un autre phénomène, plus secret, mais plus décisif : le patient est comme recentré sur son noyau le plus profond. La preuve en est que ces malades, si appauvris soient-ils, sentent toujours quand on leur manque de respect. Voilà pourquoi Roland s’apaise, plus, sourit, lorsque, à sa demande : « Nous sommes-nous déjà rencontrés ? », Juliette (Anna Macina), elle aussi atteinte de démence lui répond avec tant de courtoisie : « Oh, non, cela je m’en souviendrai ! » ; ou bien lorsque J.B. renonce à sa musique pour écouter celle qui plaît à son grand-père. La vulnérabilité de vérité passera du corps à la parole et se fera singulièrement entendre lorsque, en quelques phrases d’une saisissante lucidité et d’une confondante pédagogie, Roland, si profondément rejoint par J.B. qui s’est « assis à côté de lui sur le banc », énoncera, pour sa famille en souffrance, diagnostic – « Une famille, c’est comme une équipe » – et remède : « Une passion, c’est sacré ».

Enfin, après le bien et le vrai, la personne vulnérable est porteuse d’une troisième richesse, encore plus insoupçonnée et incommensurable : la beauté [3]. Quel festival de lumière que cette scène finale où, face à la finale du mondial de football 1998 France-Brésil, non seulement Roland vibre à chaque passe et exulte à chaque but, mais sa jubilation devient peu à peu communicative : les visages extatiques (transfigurés) reflètent alors l’extase (le désir décentré) de donner à Roland le bonheur qu’il attend. Il n’y a pas plus grand amour que de se donner. Il n’y a pas plus claire beauté que celle qui irradie d’un cœur aimant.

 

La finale, heureux terme polysémique décliné de multiples manières (depuis la fin de vie jusqu’à la finale du petit-fils et la finale française qui est devenu le présent où vit le grand-père, en passant par l’image finale…), devient ici la finalité. Non pas la mort, selon le mot du commentateur télévisé (« On peut mourir tranquille »), qui d’ailleurs aussitôt se gourmande (« … enfin, le plus tard possible »), mais cet au-delà où « Dieu essuiera toutes larmes de nos yeux » (Is 25, 8 ; Ap 7,17), guérira tous les corps et tous les psychismes, et surtout fera briller tous les cœurs.

Pascal Ide

[1] Fragilité, coll. « Paradoxe », Paris, Minuit, 2017, p. 7.

[2] Sur la vulnérabilité positive en général, je me permets de renvoyer à Pascal Ide, « L’homme vulnérable et capable. Une alternative au dilemme puissance-fragilité », Bernard Ars (éd.), Fragilité, dis-nous ta grandeur ! Un maillon clé au sein d’une anthropologie postmoderne, coll. « Recherches morales », Paris, Le Cerf, 2013, p. 31-88.

[3] Sur la triple déclinaison de la vulnérabilité selon la bonté, la vérité et la beauté, cf. Pascal Ide, « La vulnérabilité positive », dans Marie-Christine Monnoyer (éd.), Vulnérabilité et innovation sociale, colloque des 19 et 20 octobre 2017, Institut Catholique de Toulouse.

 

Roland Verdi (Thierry Lhermitte) est le gérant dynamique d’une brasserie parisienne. En riant, il retient un de ses clients parce que, pense-t-il, il a oublié de payer son repas, avec une expression tirée de son hobby favori, le sport : « Carton rouge ». Le client lui fait gentiment remarquer que c’est lui qui a oublié qu’il a réglé l’addition. Roland 100 000 volts se fige, en état de choc…

Nous le retrouvons un an plus tard, à Lyon, prenant son journal sans avoir de quoi le payer, cherchant le chemin de retour, se trompant de maison avant d’être reconduit chez lui par sa voisine manifestement habituée. Sa mémoire bloquée le jour de la Coupe du monde de football 1998, Roland est désormais sous tutelle, hébergé chez sa fille Delphine (Émilie Caen) et son gendre médecin Hicham Soualem (Lyes Salem). Delphine se trouve contrainte de l’enfermer dans la chambre de son fils Jean-Baptiste « J.B. » (Rayane Bensetti) qui, lui, est en partance pour la finale junior de basket-ball qui a lieu le lendemain soir contre le club de Bobigny à Paris. De plus, avec Hicham, elle va tester une institution en vue de placer Roland dont la démence est de plus en plus avancée. Ils promettent de rentrer à temps pour conduire J.B. à son TGV. Mais, sur le chemin du retour, Hicham se fait arrêter alors qu’il téléphone avec son portable, a bu trop de bières, n’a plus de points à son permis et commet un délit de fuite… Inutile de dire qu’il ne pourra rentrer de si tôt à la maison. Comment J.B. renoncerait-il à ce qu’il envisage comme le jour le plus important de sa vie ? Certes, cet aïeul qui confond J.B. avec une marque de whisky et qu’il n’a vu que trois fois dans sa vie, ne compte pas pour lui. Mais il ne peut l’abandonner dans la maison avec Pénélope (Cassiopée Mayance), sa petite sœur de treize ans. Une seule solution. Commence alors le plus improbable et le plus imprévisible des road-movies…

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