Bref guide de lecture de l’Encyclique Ecclesia de Eucharistia

Pascal Ide, « Pour que nos vies soient Eucharistie », Il est vivant !, juin 2003, n° 195, p. 20-22.

Quatorzième et dernière encyclique de Jean-Paul II, Ecclesia de Eucharistia (littéralement : « L’Église [qui naît] de l’Eucharistie »] n’est pas la moins intéressante, loin de là !

« Mais cette encyclique de Jean-Paul II, sur l’Eucharistie, est-ce que je vais y comprendre quelque chose ? » Eh bien ouvrez-la et dites-moi s’il y a un passage que vous ne comprenez pas ! Autre bonne nouvelle : l’encyclique du Saint-Père est, pour une fois, – relativement – brève et découpée en paragraphes courts, ce qui accroît sa lisibilité !

Le style méditatif et l’absence de plan clairement annoncé pourraient faire oublier qu’avant d’être une nourriture pour la prière, cette lettre propose une doctrine destinée à alimenter la foi. Certes, Jean-Paul II répète qu’il souhaite susciter ou renouveler en nous une « ‘admiration’ eucharistique » (6) ; mais pas d’admiration sans adoration et donc sans une foi et un contenu précis.

Telle sera donc l’intention de ce bref article : expliciter l’ordre (le plan) rigoureux quoique caché de l’encyclique et en souligner les idées essentielles (les chiffres entre parenthèses sont ceux des paragraphes).

 

L’objet de l’encyclique est livré par le titre qui est toujours constitué des premiers mots et est soigneusement choisi : Ecclesia de Eucharistia (vivit), « l’Eucharistie comme vie de l’Église ». En ce sens, cette encyclique s’inscrit dans la continuité de Novo millennio ineunte, l’importante lettre apostolique signée à la fin du Jubilé et qui est le message pour l’Église entrant dans le troisième millénaire : l’Église est appelée, chaque fidèle est appelé à repartir du centre : contempler le visage du Christ ; or, la foi nous dit que nulle part mieux que dans l’Eucharistie apparaît le visage du Christ (6) ; voilà pourquoi le Saint-Père a tenu à écrire cette encyclique sur l’Eucharistie.

 

Précédée d’une introduction et s’achevant par une conclusion, le document se divise en six chapitres : le premier rappelle les éléments essentiels de la foi de l’Église dans l’Eucharistie. Les trois chapitres suivants, qui constituent le cœur, exposent lesdites relations entre Église et Eucharistie. Enfin, les chapitres 5 et 6 détaillent deux points particuliers : la dignité de la célébration eucharistique et Marie, comme modèle pour notre relation à l’Eucharistie.

Le chapitre 1 rappelle les principaux aspects de ce « don par excellence » (11) qu’est le sacrement de l’Eucharistie. Ils sont au nombre de quatre, passant du passé à l’avenir par le présent. 1. L’Eucharistie est la re-présentation du sacrifice du Christ (12-14) : elle n’est ni une simple évocation, ni un nouveau sacrifice, mais elle rend présent, comme sacrement, l’unique sacrifice de la Croix par lequel Jésus a sauvé le monde. Et ce sacrifice s’étend de la passion à la résurrection. 2. L’Eucharistie est la présence réelle du corps et du sang du Christ, présence tout à fait spéciale qui dépasse les sens et l’intelligence pour être accueillie dans la foi (15). 3. L’Eucharistie est communion et vrai banquet par lequel le fidèle reçoit le Christ en nourriture (16) et, par le Christ, l’Esprit (17). 4. L’Eucharistie est une attente eschatologique (du grec eschata, « les choses dernières »), c’est-à-dire une attente de la résurrection des corps et de la communion avec l’Église du ciel (18-20).

Le lecteur aura constaté le souci constant qu’a Jean-Paul II, dans ce chapitre, d’abreuver ses réflexions à une triple source : l’Écriture, la liturgie (il médite dans ce chapitre les différentes phrases de ce qu’on appelle l’anamnèse : « Nous proclamons ta mort… »), les Pères (notamment orientaux, tant son souci œcuménique est constant).

Bien que bref, le chapitre 2 constitue comme le cœur de l’encyclique. L’Église vit de l’Eucharistie, dit son titre. En quoi ? La réponse est résumée par le titre du chapitre : l’Eucharistie édifie, construit l’Église. En effet, si l’Église naît avec le sacrement de baptême, elle grandit grâce à l’Eucharistie. Cela est vrai dès l’origine (21). Mais pourquoi ? Le Saint-Père développe deux raisons : par la communion eucharistique, l’Église renouvelle ses forces spirituelles pour la mission (22) et elle consolide son unité (23-24). La conséquence immédiate en est la « valeur inestimable » de l’adoration eucharistique en dehors de la messe (25) : il est très significatif que Jean-Paul II ait voulu parler de ce sujet actuel qui lui tient tant à cœur (cf. n. 10), non pas dans un chapitre à part mais en connexion intime avec ce chapitre central : la dévotion eucharistique n’est pas une dévotion privée, accidentelle, qui relève d’options seulement personnelles ; elle est l’une des manières principales par lesquelles ne cesse de se construire l’Église : « rester en adoration devant elle [l’Eucharistie] en dehors de la Messe permet de puiser à la source même de la grâce. »

Les chapitres 3 et 4 développent deux aspects plus particuliers par lesquels l’Eucharistie fait vivre l’Église : ils sont liés à deux des quatre caractéristiques (ou « notes ») de l’Église confessées dans le Credo (« Je crois en l’Église une, sainte, catholique et apostolique »), en l’occurrence l’apostolicité et l’unité (26).

Le chapitre 3 montre que l’Eucharistie est, comme l’Église, apostolique. Pour trois raisons. Le mystère eucharistique est apostolique car, comme l’Église, il a : 1. pour origine les Apôtres (27) ; 2. pour contenu ce que les Apôtres ont transmis (27) ; 3. pour ministre, les successeurs des Apôtres, à savoir les évêques, assistés par les prêtres (28). Le Saint-Père développe ce dernier point : le don de l’Eucharistie requiert, nécessairement, le don du sacrement de l’Ordre (29). Et il en tire trois conséquences : dans le cadre de l’activité œcuménique (30), pour la vie du prêtre qui, menacée par la dispersion trouve dans l’Eucharistie un centre unifiant (31) et les communautés paroissiales qui ne peuvent trouver leur achèvement sans la présence d’un prêtre (32-33). On notera que, dans ce chapitre comme dans les suivants, à chaque fois que Jean-Paul II rappelle une norme, loin de jouer de sa seule autorité, il veille toujours à en éclairer le sens et la justesse.

Le chapitre 4 montre que l’Eucharistie est le sacrement par excellence de l’unité de l’Église. De trois manières : 1. Elle est, dans sa nature, communion (c’est l’un de ses noms) puisqu’elle nous unit à la Sainte Trinité (34). 2. L’Eucharistie présuppose la communion, autrement dit en est l’effet. En effet, puisqu’elle consolide et parfait l’unité de l’Église, elle présuppose que l’unité existe déjà, ébauchée (35). D’abord, au plan invisible de la grâce : on ne peut communier sans avoir la vie de la grâce, donc si l’on est en état de péché grave (36-37) ; ensuite, au plan visible de l’institution : on ne peut célébrer la messe sans le respect des signes extérieurs de communion (énumérés aux n. 38-39). 3. Enfin, l’Eucharistie est source de la communion de l’Église (40). Le Saint-Père tire de ces différents points deux conclusions pratiques : l’importance de la messe dominicale (41) et les conditions d’accès à la communion (42) – dans le cadre général de l’intercommunion qui, désirée mais non encore réalisée, interdit la concélébration (43-44) et dans le cadre individuel où des besoins spirituels sérieux peuvent au contraire légitimer la communion de personnes chrétiennes non catholiques (45-46).

Le chapitre 5 traite de l’importance de célébrer dignement l’Eucharistie. Jean-Paul II établit la dignité de celle-ci, à partir de l’Écriture, notamment, de manière originale, à partir de l’épisode de l’onction de Béthanie : l’honneur rendu à son corps vaut pour toute Eucharistie (47). De ce respect se déduisent deux types d’attitude de respect : d’abord intérieure – l’accueil de ce don inestimable et le refus de la banalisation (48) – ; ensuite extérieure – la liturgie est régie par certaines normes, concernant tant le riche patrimoine artistique sacré (49), occidental et oriental (50), que «  les continents où le christianisme est plus jeune » (51). En sens inverse, le Saint-Père déplore les abus et les infidélités aux normes liturgiques (52).

Enfin, le bref et original chapitre 6 propose à l’Église de se mettre à l’école de Marie, femme « Eucharistie ». En effet, si l’Eucharistie construit l’Église, Marie, qui est la Mère et le modèle de l’Église, sera un modèle à imiter pour notre relation au Saint-Sacrement (53). Et cela pour quatre raisons qui sont autant d’aspects du mystère de l’Eucharistie. 1. L’Eucharistie est par excellence le mystère de la foi et Marie est celle qui vit de l’obéissance de la foi (54) ; plus encore, elle a anticipé la communion eucharistique en vivant dans la foi la présence du Christ conçu en elle (55). 2. L’Eucharistie est sacrifice rédempteur du Christ et Marie a vécu l’offrande totale de soi, notamment à l’unisson avec son Fils, au pied de la Croix (56). 3. L’Eucharistie est mémorial de la Passion où Jésus nous y donne sa mère et nous invite donc à nous mettre à l’école de Marie. 4. Enfin, l’Eucharistie est action de grâces (c’est là son sens étymologique) et Marie chante le Magnificat, de sorte que « l’Eucharistie nous est donnée pour que notre vie, comme celle de Marie, soit tout entière un Magnificat ! » (58).

 

Ce dont parle Jean-Paul II avec enthousiasme (jeune vieillard de 83 ans), il en vit depuis longtemps avec ferveur. Dans sa monumentale biographie, George Weigl décrit l’emploi du temps quotidien du pape. Levé à 5h 30, le Saint-Père commence sa journée par un long temps d’adoration, de plus d’une heure, jusqu’à la messe de 7h 30. Il n’est pas rare que des visiteurs le retrouvent allongé de tout son long, à même le sol, en train d’adorer, dans sa chapelle privée. Puis, après la messe et le petit-déjeuner, de 9h 30 à 11 heures, le pape se livre à des travaux d’écriture : « Comme à Cracovie, il travaillait fréquemment dans la chapelle devant le Saint-Sacrement […]. C’est là qu’il écrivait ses encycliques, ses lettres apostoliques et ses exhortations, les discours des audiences. » (p. 345) Enfin, encore maintenant, malgré sa fatigue et sa maladie, le pape prie longuement à genoux devant le Saint-Sacrement.

 

Bien évidemment, cet article n’est qu’apéritif ! Il perdrait tout intérêt si vous ne preniez pas maintenant l’encyclique en main.

Trois conseils : dégustez chapitre après chapitre ; notez quelques phrases clés à méditer ; tirez-en une conséquence concrète pour votre vie. Ainsi nos vies deviendront Eucharistie !

Et maintenant… bonne lecture !

 

Pascal Ide

5.1.2018
 

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