La logothérapie en trois ternaires (+ 1)

L’approche psychologique que Viktor Frankl a élaborée à partir de sa longue expérience en camp de concentration lui permet d’accorder une place singulière à la souffrance que l’immense majorité des autres psychothérapies cherche à annuler. Sans pour autant sombrer dans le tragique, le masochisme ou le dolorisme. « Qu’on me comprenne bien : loin de moi l’idée que la souffrance est nécessaire pour donner un sens à la vie. J’insiste seulement sur le fait qu’on peut trouver ce sens même à travers la souffrance, si celle-ci est inévitable [1] ».

On peut systématiser les intuitions de Viktor E. Frankl à partir de trois ternaires – que l’on peut faire succéder d’un autre qui est biographique.

 

Les deux premiers ternaires sont diagnostiques.

Frankl distingue trois types de névrose selon leur origine : somatogène, psychogène ou noogène (du substantif grec noûs, « esprit »). Les premières s’enracinent dans un dysfonctionnement biologique, comme une pathologie cérébrale, les deuxièmes dans un traumatisme psychologique, comme un abus, et les troisièmes dans une carence de sens, comme le vide existentiel engendré par l’ennui ou le syndrome du dimanche (bien connu des singles). C’est ainsi qu’une même maladie, la dépression, peut s’expliquer à partir d’un déficit en neuromédiateur, de la réactivation d’un abandon maternel précoce ou de la perte de goût de vivre après le décès d’un conjoint.

La logothérapie se centre sur les névroses noogènes (sans pour autant nier les deux autres origines possibles). Elle estime que le déficit de sens provient de trois sources, qui constituent la triade tragique : la souffrance, le sentiment de culpabilité et la mort.

Enfin, la thérapie par le logos (la raison de vivre ou le sens) propose trois voies thérapeutiques qui sont trois manières différentes de réinjecter du sens dans l’existence. Le premier est l’accomplissement d’une œuvre. Le deuxième réside, en dernière instance, dans l’amour. Frankl parle d’abord de « trouve un sens à sa vie » par « l’expérience de la bonté, de la vérité, de la beauté [2] », qui sont autant de transcendantaux impersonnels. Mais il se centre ensuite sur la relation personnelle d’amour : « connaître le caractère unique d’un être humain à travers l’amour [3] ». Le troisième  consiste dans « le sens de la souffrance » : « trouver un sens à l’existence, même dans une situation désespérée, où il est impossible de changer son destin. L’important est alors de faire appel au potentiel le plus élevé de l’être humain, celui de transformer une tragédie personnelle en victoire [4] ». Précisons, et ce point est d’importance, que, même si on peut le diffracter en ces trois voies, ce sens de la vie si hautement curatif n’existe pas en soi, abstraitement : il appartient à chacun de le trouver pour lui. Or, trouver, c’est agir, donc être la cause responsable de ses actions. Ainsi, sans en rien occulter la souffrance, Frankl ne fait donc pas le jeu du victimisme de la cancel culture :  « Chaque personne fait face à une question que lui pose l’existence et elle ne peut y répondre qu’en prenant sa vie en main. C’est pourquoi la logothérapie considère la responsabilité comme l’essence même de l’existence humaine [5] ».

 

Ajoutons du point de vue biographique que, décidément amoureux des ternaires, Frankl aime se situer à l’égard de deux autres médecins, eux aussi viennois, et eux aussi spécialistes de l’âme (sans pour autant être psychiatres comme Frankl) : l’un, très célèbre, Sigmund Freud ; l’autre, à l’instar de Frankl, beaucoup moins connu, Alfred Adler. Et notre auteur aime les citer, certes, pour s’en différencier (les deux premiers s’intéressent aux névroses psychogènes), mais pour montrer ce qu’il leur doit (il fut l’élève de Freud et d’Adler) et combien sa perspective est complémentaire : Freud est tourné vers le passé, les traumatismes et la sexualité alors que, lui, Frankl cherche la réponse dans l’avenir, le sens et l’esprit (le nous) ; Adler fait du complexe d’infériorité, donc, de la faiblesse, la source des névroses, et de la puissance, sa sortie, alors que le fondateur de la logothérapie diagnostique un déficit de sens et y remédie par un surcroît de raison de vivre.

Pascal Ide

[1] Viktor E. Frankl, Découvrir un sens à sa vie avec la logothérapie, trad. Clifford J. Bacon et Louise Drolet, coll. « J’ai lu. Bien-être » n° 12205, Paris, J’ai lu, 2013, p. 136.

[2] Viktor E. Frankl, Découvrir un sens à sa vie avec la logothérapie, trad. Clifford J. Bacon et Louise Drolet, coll. « J’ai lu. Bien-être » n° 12205, Paris, J’ai lu, 2013, p. 134.

[3] Ibid.

[4] Ibid., p. 135.

[5] Ibid., p. 132.

20.9.2024
 

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