Une proposition nouvelle sur la vertu théologale de foi

Les sept années du fécond pontificat de Benoît XVI ont été ponctuées par six documents majeurs portant sur les plus grands dons de Dieu : quatre lettres encycliques sur les trois vertus théologales (dans l’ordre : Deus caritas est ; Spe salvi ; Lumen fidei), qui sont comme harmonisées par l’encyclique sur les fondements de la doctrine sociale de l’Église (Caritas in veritate), deux exhortations apostoliques, l’une sur la Parole de Dieu (Verbum Domini), l’autre, sur l’Eucharistie (Sacramentum caritatis). Précisons que, même si l’encyclique Lumen fidei est signée par le pape François, tout montre la « patte » du pape bavarois.

Cette dernière lettre, qui a rien moins que l’autorité d’une encyclique (c’est-à-dire la plus haute après les définitions ex cathedra et les actes d’un concile par lui promulgués) est à mon sens le plus grand texte que le Magistère nous offre sur la foi. Cet écrit, à la fois limpide et extrêmement dense, est riche de toute la connaissance d’une histoire et de nombreux débats qui trouvent en elle sinon leur résolution, du moins une amorce de solution : un acte magistériel n’est pas, à proprement parler, un traité de théologie ; il ne lui est pas, pour autant, étranger, ainsi qu’une vision trop dualiste des relations entre auditus fidei et intellectus fidei pourrait donner à penser.

Dans cette brève note, je souhaiterais seulement rassembler en une unique proposition la définition que Lumen fidei nous donne : la foi est les yeux que Dieu donne à son Église pour voir le mystère de son amour.

Sans nous attarder à une longue exégèse d’un texte que j’ai lu et relu de nombreuses fois, commentons brièvement chacun de ces mots. Chacun conduit à un déplacement salutaire qui nous centre sur ce que la Sainte Écriture, relue dans la Tradition, nous donne à contempler.

1. les yeux…

Les traités de théologie et même les catéchismes parlent volontiers de la foi avec des notions, c’est-à-dire des idées, comme vertu ou acte. C’est volontairement que je commence par une image et non par un concept. Certes, parce que à la suite de la Bible, les deux derniers papes emploient volontiers des métaphores. Mais surtout, parce qu’on trouve 13 fois la formule « fixer son regard » ou « fixer les yeux » et pas moins de 6 occurrences de l’expression « les yeux de la foi », rendue célèbre par un théologien jésuite, Pierre Rousselot, dans deux articles qui ont fait basculer notre compréhension de la foi.

2. … que Dieu donne…

Considérons maintenant successivement la cause, le sujet, l’acte et l’objet de la foi.

Classiquement, la foi est vue comme une vertu ou un acte de la personne. D’emblée, l’encyclique en parle comme d’un acte dialogal. En effet, la foi naît d’une rencontre. Et d’une rencontre dont Dieu prend l’initiative.

3. … à son Église…

Le plus souvent, nous voyons la foi comme un acte individuel. Or, instruit par toute la Tradition, Lumen fidei affirme que celui qui dit « je crois » affirme en fait : « nous croyons ». Le sujet de la foi est toujours d’abord l’Église dont je suis mystérieusement solidaire.

4. … pour voir

Habituellement, croire qui est l’acte de la foi est opposé à savoir : alors que le savoir se fonde sur l’évidence (au moins médiatisée par un raisonnement), la foi théologale, elle, est une certitude inévidente, donc obscure. Or, la Bible, en particulier le quatrième évangile, nous invite tout au contraire à penser la foi à partir de la vision, donc de la lumière. Voilà pourquoi l’encyclique nous interpelle en s’intitulant « Lumière de la foi ».

5. … le mystère…

Pendant de longues décennies, la théologie et la catéchèse se sont centrés, de manière parfois défensive, sur l’apologétique, cherchant à rendre presque nécessaire l’acte de foi, à partir de signes comme les miracles. Or, si le Dieu biblique se donne librement à voir et nous appelle même à la vision face à face dans la vie éternelle (cf. Jn 17,3), il est Lumière (1 Jn 1,5) au-delà de toute lumière et donc Mystère qui nous saisit et non que l’on saisit.

6. … de son amour

Usuellement, la foi a pour objet la Vérité divine ou la Révélation. C’est ce qu’affirme le traditionnel acte de foi. Mais, dans la perspective biblique, la Vérité n’est pas une affirmation abstraite, mais une Personne et, ultimement, pour le Nouveau Testament, la Personne même du Christ que le Père nous a donné par amour (cf. Jn 3,16). De plus, la Vérité est une Révélation, c’est-à-dire, étymologiquement, la levée d’un voile, l’acte par lequel le Père que personne n’a jamais vu (cf. Jn 1,18) se montre, donc se donne à voir. Donc, pour ces deux raisons, le cœur même de la Vérité et l’objet de la foi sont l’amour.

 

Ainsi que nous l’avons vu, Benoît-François prend à rebrousse-poil de nombreuses approches usuelles (je ne dis pas, traditionnelles, parce que justement, ce faisant, les papes retrouvent les intuitions les plus profondes de la grande Tradition ecclésiale). Mais comprenons bien. Il ne s’agit pas d’opposer, ni seulement de juxtaposer, mais de composer, c’est-à-dire d’intégrer. En particulier, il nous faut prendre en compte la notion précieuse de vertu, c’est-à-dire de disposition habituelle qui nous transforme et qui grandit par entraînement, mais en la réinterprétant à la lumière de la précédente définition.

Cette proposition de définition de la foi est confirmée par les définitions analogues des autres vertus théologales, que les autres encycliques suggèrent et qu’un développement singulier confirmera bientôt. Ainsi, la charité serait les mains que Dieu donne à son Église pour répondre à son amour. Et l’espérance est le cœur que Dieu donne à son Église pour L’attendre de Lui.

Pascal Ide

19.12.2023
 

Les commentaires sont fermés.