Le temps dit ordinaire nous raconte aujourd’hui une journée ordinaire de Jésus. Ordinaire ne veut pas dire temps banal, mais ce qui met de l’ordre. En l’occurrence, l’ordinaire de la vie de Jésus est rythmé par trois grands types d’actes.
- Parcourons cette journée (cf. Mc 1,29-39).
Tout d’abord, Jésus guérit les malades et exorcise les démons : « aussitôt sorti de la synagogue de Capharnaüm », Jésus guérit « la belle-mère de Simon » ; plus tard, « il guérit beaucoup de gens atteints de toutes sortes de maladies, et il expulsa beaucoup de démons ». Ensuite, il prie : « Jésus se leva, bien avant l’aube. Il sortit et se rendit dans un endroit désert, et là il priait ». Enfin, il prêche la Bonne Nouvelle : « Allons ailleurs, dans les villages voisins, afin que là aussi je proclame l’Évangile ; car c’est pour cela que je suis sorti ».
Ces trois actes ont reçu chacun un nom : le service (diakonia) ; la liturgie (leiturgeia) ; le témoignage (marturia). Et ils correspondent aux trois grandes missions de Jésus : royale, sacerdotale et prophétique. Et tels sont aussi les trois grands titres de Jésus : il est Roi, Prêtre, Prophète ; ou, selon l’ordre habituel : Prêtre, Prophète et Roi. En réconciliant l’homme avec Dieu, il est prêtre ; en révélant et témoignant qui est Dieu, il est prophète ; en servant, il est roi, c’est-à-dire exerce le véritable gouvernement, celui qui libère.
Peut-être avez-vous observé que le verbe « sortir » est répété trois fois. En l’occurrence, il est associé à chacun de ces trois actes. Or, cette sortie est beaucoup plus qu’un geste matériel ; ce n’est même pas seulement le geste divin par lequel le Fils est venu sur cette Terre ; c’est le « mouvement » intratrinitaire par lequel « le Fils de l’amour » ne cesse de sortir du Père. De fait, ces trois actes sont autant de dons ou de communications du Dieu-amour à l’homme : prêtre, Jésus nous donne la vie (c’est ce qu’il a fait le jour du baptême et ne cesse de faire à travers les divers sacrements) ; prophète, il nous donne sa lumière ; roi, il nous aime, puisque « la charité est serviable » (1 Co 13,4). Les trois missions de Jésus nous révèle donc que Dieu est « vie » (Jn 10,10), « Dieu est lumière » (1 Jn 1,5) et « Dieu est amour » (1 Jn 4,8.16).
- Loin d’être réservées à Jésus, ces trois missions ou fonctions sont communes à tous ses disciples. Le concile Vatican II a longuement rappelé cette doctrine traditionnelle : tout fidèle du Christ participe à ces trois fonctions ou charges (munera).
Ce sont ces munera que Marie exerce lorsqu’elle rencontre sa Élisabeth. Ayant reçu rien moins que son Rédempteur à l’Annonciation, elle répond amour pour amour lors de la Visitation. Celui-ci se diffracte selon les trois actes : elle est prophète en tant qu’elle annonce la Bonne nouvelle du salut ; elle est prêtre en tant qu’elle célèbre Dieu dans son Magnificat ; elle est reine en tant qu’elle sert sa cousine pendant trois mois (cf. Lc 1,39-55).
- Ce que la Révélation accomplit, la nature l’ébauche et l’homme le vit – analogiquement.
Par exemple, que fait le Soleil vis-à-vis des planètes en général et de la Terre en particulier ? Que leur et lui donne-t-il ? À l’origine, il leur a donné l’existence. Plus précisément, les planètes proviennent d’un proto-système solaire, mais peu importe ici le détail. Ensuite, notre étoile le Soleil ne cesse de nous éclairer et, en éclairant, de réchauffer et, pour la Terre. Enfin, l’astre solaire nous donne une direction, au double sens du terme : orientation et signification. En nous faisant tourner autour de lui, il a transformé la fuite à l’infini vers le vide intersidéral et glacial en une course qui lui donne en permanence l’énergie lumineuse ; et il a ainsi permis l’émergence de la vie qu’il ne cesse d’entretenir. Ainsi, analogiquement, le Soleil donne vie, lumière et bien (amour) aux planètes.
Que font les parents à l’égard de leurs enfants ? Que leure donne-t-il ? Certes, à l’origine, ils leur ont transmis la vie et l’entretiennent en les nourrissant, les protégeant, etc. Mais ils leur donnent aussi la lumière en les instruisant, par leur parole et, espérons-le, par leur exemple. Et ils ne se contentent pas de les instruire, ils les éduquent, c’est-à-dire qu’ils leur donnent la direction, le bonheur et le chemin du bonheur qu’est le don de soi : ils les servent et leur apprennent à servir. Derechef, analogiquement, nous trouvons une première réalisation des trois missions qui façonnent ou devraient façonner toute vie quotidienne. Celles-ci sont donc les trois manières et trois canaux dont nous recevons ou nous donnons.
- Nous avons tous un tropisme pour l’un des trois canaux. Nous privilégions souvent un ou deux des trois munera. Nous préférons servir, transmettre ou prier. Pourtant, tenir sur un tabouret à un pied relève de l’équilibrisme. Même être assis sur une chaise à deux pieds n’est guère confortable. Une vie de disciple-missionnaire harmonisée repose donc sur un trépied.
Quelqu’un me rapportait qu’il faisait partie d’un service de visite aux malades. L’on pourrait croire que cela se réduisait surtout à prier avec eux (mission sacerdotale). Mais, me disait-il, encore fallait-il que la personne croie en Dieu ; ce ministère était donc aussi l’occasion de témoigner (mission prophétique). Et parfois aussi de servir (mission royale). C’est ainsi qu’un des patients souffrait d’être en froid avec un de ses enfants depuis de nombreuses années, et cela d’autant plus qu’il sentait que sa mort était proche. Le visiteur avait fait des pieds et des mains pour retrouver cet enfant. Une superbe réconciliation s’en était suivie qui avait permis au malade de mourir en paix, ayant « pardonné du fond du cœur » (Mt 18,35).
Alors, qu’en est-il dans ma vie chrétienne ? Et si le prochain Carême était l’occasion pour moi de m’engager selon ces trois voies. Et ainsi de devenir, à la suite du Christ, prêtre, prophète et roi.
Pascal Ide