Une Annonciation de Fra Angelico. Lecture théologique

Au Musée diocésain de Cortone (dans la province d’Arezzo, en Toscane), on peut admirer une superbe Annonciation peinte par Fra Angelico, datant de 1436. Au fond, la scène d’Adam et Eve, chassés du paradis, nous rappelle l’origine de l’Incarnation. Le jardin fait le lien avec la scène actuelle de l’Annonciation. L’Ange, en rouge-doré, sur la gauche, est très émissif : il montre d’une main le Père et de l’autre, pointe la Vierge à qui il s’adresse. Lui faisant face, donc à droite, et de trois-quarts, dans une superbe robe bleue, Marie est toute en concavité. Accompagnant ces attitudes et joignant les personnages, le Beato a peint en lettres d’or les paroles échangées en utilisant un curieux, mais astucieux procédé : au lieu de convoquer la lecture de gauche à droite qui nous est habituelle, l’ordre des lettres des mots demande à être déchiffrée de droite à gauche. Est-ce pour rappeler la lecture hébraïque ? Ce serait contradictoire avec le message qui est écrit en latin. La seule réponse est que nous lisons non pas les paroles de l’ange Gabriel, mais celles de la Vierge. Mais la difficulté rebondit : le message de l’émetteur n’est-il pas infiniment plus important et plus riche de doctrine que celui du récepteur ?

Trop de peintures représentent l’Ange incliné, au moment de la salutation, les bras croisés sur la poitrine et déjà l’Esprit-Saint descendant sur Notre Dame. Or, Marie n’a conçu Jésus qu’une fois prononcé son Fiat. Donc, en faisant coïncider le salut introductif et l’obombration conclusive de l’Esprit, cette représentation picturale shunte et nie la liberté de la Vierge. Mais comment ne pas être indulgent ? De fait, comment une seule scène, qui est de prime abord synchronique, pourrait-elle montrer une succession diachronique ?

L’artiste qui est autant théologien que mystique a réussi le tour de force de résoudre cette difficulté. Trois moments chronologiquement successifs sont ainsi suggérés : la demande de l’ange Gabriel (qui est médiateur de la demande divine) ; la réponse de Marie ; la réponse divine : l’Incarnation.

Ainsi, l’Annonciation du Bienheureux chante le dialogue extrêmement émouvant de la liberté infinie de Dieu à la rencontre de la liberté finie de l’homme, dans la différence comme dans le respect de la spécificité de chacune : la différence est soulignée par le jeu des courbes (l’émissivité divine, plus linéaire, est reçue par la concavité mariale) ; le respect est manifesté par l’activité langagière où s’incarne la décision autant que le désir qui l’a préparé.

Comme tout chef d’œuvre artistique, le sensible ouvre à l’intelligence, le visible à l’invisible, le singulier à l’universel. Universale concretum. Cette scène inaugurale de l’Évangile est aussi le narthex du Salut offert à toute personne. Marie consent « au nom de toute la nature humaine [loco totius humanae naturae] », affirmait saint Thomas. Or, Marie met pleinement en jeu sa liberté et son désir dans son choix et sa parole. À Dieu qui s’adresse à lui, chaque homme est donc invité à pleinement répondre avec toute sa liberté désidérative.

Pascal Ide

25.3.2025
 

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