Le séduisant roman de Bernard Tirtiaux, Le passeur de lumière, conte le cheminement que doit accomplir Nivard de Chassepierre pour devenir un maître verrier accompli, c’est-à-dire un artisan capable de sertir la lumière dans la pierre des cathédrales. Mais ce travail transitif (à l’instar de tout art) s’accompagne d’un travail immanent, intérieur (à l’instar de toute vertu) : Nivard n’apprendra à devenir « ce passeur de lumière sur sa barque de verre [1] » que s’il laisse lui aussi passer la lumière au travers de son être, au-delà des scories de la violence, de l’orgueil et de la recherche de soi. De même que l’artisan accompli ne tyrannise pas la matière mais la domestique, de même l’homme ne trouve l’accomplissement que dans le lent apprivoisement de son être. Méditation réussie sur l’unité entre l’homme et son œuvre.
Ce travail intérieur trouve sa fécondité et son levier dans une blessure intérieure (de vengeance, de violence) qu’une blessure physique humiliante symbolise. Mais la blessure du maître verrier guérit-elle vraiment ? C’est là que le roman déçoit. En effet, il fait consister la guérison dans une découverte de la joie de la paternité, en enjambant un nécessaire pardon. Secrètement, à l’instar de tous ces romans actuellement subjugués par le thème de l’initiation, du passage, le récit n’arrive pas à découvrir l’autre, dans la joie du don et du pardon. La personne d’autrui est toujours, non sans manichéisme, soit trop valorisée, soit trop dénigrée. Autant la description du travail du verrier ou de la nature nous enchante, autant la profondeur de la personne déçoit. Inexplicable est la fidélité d’une amitié dénuée de parole (Soma, Rosal) ou de l’amour idéalisé d’Awen ; bien miraculeuse est la brutale transformation de l’Adepte se découvrant un fils en Clément dont il risque fort de faire une doublure de lui-même.
Elle est à l’image de la dialectique qui sous-tend le roman, entre un Orient qui, délié des violences de l’histoire, est plus rêvé que réel, et un Occident qui est assujetti à une Église caricaturalement présentée comme autoritaire, dont cette admirable figure qu’est Bernard de Clairvaux sort bien réduite. Un passeur de lumière qui n’est pas sans opacité…
Pascal Ide
[1] Bernard Tirtiaux, Le passeur de lumière. Nivard de Chassepierre maître verrier, coll. « Folio », Paris, Denoël, 1993, p 311.