Télékinésie

Pascal Ide, Art. « Télékinésie », Dictionnaire des miracles et de l’extraordinaire chrétiens, sous la dir. de Patrick Sbalchiero, Paris, Fayard, 2002, p.  784-785.

1) Notion

La télékinésie fait partie du genre plus global des phénomènes paranormaux au sein duquel Rhine a distingué deux catégories : 1. les perceptions extrasensorielles ou télépathiques (PES) et 2. les phénomènes de psychokinèse (PK), selon que l’action immédiate de l’esprit concerne 1. un autre esprit ou 2. la matière.

Comme le signale l’étymologie, la télékinésie ou psychokinèse est l’action immédiate d’un esprit humain sur un objet matériel. Immédiate signifie que l’esprit déplace l’objet sans l’intermédiaire du corps ou d’un quelconque instrument mû par le corps. On oppose la télékinésie au sens restreint qui est un phénomène contrôlé et intentionnel au poltergeist (terme allemand signifiant « esprit frappeur ») qui est spontané et désordonné.

2) Les faits

Les faits cherchant à établir la psychokinèse sont de deux ordres. Il y a d’abord les témoignages qui sont autrement plus rares pour la PK que pour la PES. Il y a ensuite les expériences scientifiques, notamment le travail princeps de Joseph Banks Rhine qui a cherché à mettre en évidence un effet PK par analyse statistique de processus aléatoires (jets de dé, chute d’une balle dans une cascade mécanique aléatoire, etc.) modifiés par l’esprit (1934, 1953). D’autres études ont suivi, confirmant et affinant celles du fondateur (Chauvin, Tischner). Les « pouvoirs » d’Uri Geller et de Jean-Pierre Girard qui, en leur temps, ont défrayé la chronique, ont été testés en laboratoire selon des protocoles rigoureux (Crussard ; cf. La Recherche, Halsted).

Les cas de falsification sont fréquents. Le caractère spectaculaire de la psychokinèse invite, encore plus que pour la télépathie, à multiplier les précautions pour démasquer les faussaires (cf. Majax, Pracontal, Randi, Ranky).

3) Interprétations

Différentes hypothèses ont été émises, spirites (cf. OBE*), physiques et psychologiques (cf. Télépathie*).

a) L’explication par les niveaux mentaux

Pour le psychiatre chercheur Philippe Wallon, le poltergeist s’explique comme une « décharge extérieure d’un trop-plein d’énergie psychique » intérieure (1999, p. 64). Il se fonde sur un constat : les phénomènes surviennent le plus souvent en cas de conflit interne intense et disparaissent après la décharge de cette énergie, par résolution du conflit endopsychique. Et il en propose la théorie suivante. L’homme possède différents niveaux de Mental (sept) qui vont, en continuité stricte, de la conscience jusqu’au niveau le plus inconscient qui est à la fois le plus profond et le plus universel : indépendant du temps, de l’espace et de la matière, il est proprement divin (« Plus nous allons vers les profondeurs de notre inconscient, plus nous devenons indépendants de l’espace matériel (Ubiquité) » : Wallon, 1996, p. 160). Or, les pouvoirs paranormaux se caractérisent par leur capacité à effacer le temps et l’espace. Mais certaines circonstances, liées à la fragilité du moi ou un relâchement de la conscience (relaxation profonde), font communiquer les niveaux de sorte que celle-ci s’ouvre à des couches plus profondes. Voilà pourquoi les moments de tension intense peuvent induire des esprits frappeurs.

Cette théorie, pour séduisante qu’elle soit, pose de multiples problèmes : elle nie la différence nature-grâce (pélagianisme), voire créateur-Créateur (monisme) ; elle gomme la dignité de la personne, puisque l’approfondissement des niveaux va de pair avec leur impersonnalisation (il y a « une tendance de noter inconscience à se libérer de notre personne » : p. 162) ; elle est dualiste, voire méprise l’incarnation ; elle renverse la hiérarchie anthropologique et éthique en accordant une plus grande dignité à l’inconscient (involontaire) qu’au conscient (condition de l’agir libre) ; etc.

b) Une action immédiate de l’âme

Une action immédiate, directe de l’âme sur un corps autre que celui auquel elle donne vie est incompatible avec la conviction chrétienne de l’unité du corps et de l’âme (cf. Télépathie*) et même avec la seule anthropologie philosophique. « L’âme est incapable, par sa puissance naturelle, de modifier la matière corporelle, sauf par l’intermédiaire de quelques corps », dit Thomas d’Aquin (ST, Ia, q. 117, a. 3). En effet, l’âme est unie à son propre corps dont elle est l’acte, le principe de vie. Or, l’agir suit l’être : l’âme est cause efficiente parce qu’elle est cause formelle (cf. Anges*). Mais mouvoir un corps, c’est en être la cause efficiente. Voilà pourquoi l’âme qui actualise tel corps ne peut étendre son action au-delà de celui-ci : « puisque l’âme est de par sa nature déterminée à mouvoir le corps dont elle est la forme, elle ne peut mouvoir aucun autre corps par sa puissance naturelle. » (Ibid., a. 4, ad 1um. Cf. Ia, q. 51, a. 1 à 3. QD De Anima, a. 7, p. 305 et 306) Elle n’agit sur un autre corps que par la médiation du sien propre. La croyance en la télékinésie au sens propre d’action immédiate de l’esprit sur une matière extracorporelle refuse donc cet entrelacement et cette épousaille du corps et de l’âme dont parlait Montaigne (Essais, L. II, ch. 17, in Œuvres complètes, éd. Albert Thibaudet et Maurice Rat, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », Paris, Gallimard, 1962, p. 622 et 623) ; c’est pour cela qu’elle est souvent concomitante de croyances en la réincarnation.

c) L’intervention angélique

En revanche, l’ange a la capacité d’agir sans médiation matérielle sur les corps, notamment sur leur déplacement local (cf. Anges*). Les phénomènes véritablement PK qui privilégient la translation peuvent donc s’expliquer par l’intervention d’un esprit pur. Les raisons de leur intervention doivent être jugées au cas par cas. Si l’on doit souligner la sollicitude des anges gardiens pour notre monde, voire, par leur intermédiaire, la possibilité pour les âmes du Purgatoire de se rappeler à notre prière (McAll), il ne faut jamais oublier que ces capacités psychokinétiques sont partagées par les démons. Un discernement est donc nécessaire (Vernette, Aldunate).

d) L’intervention divine

Cf. Télépathie*.

Bibliographie

Les faits : La Recherche, août 1976, p. 385. Rémi Chauvin, La parapsychologie : quand l’irrationnel rejoint la science, coll. « Littérature », Paris, Hachette, 1980. La fonction psy, Paris, Robert Laffont, 1991. C. Crussard et J. Bouvaist, « Étude de quelques déformations et transformations apparemment anormales de métaux », Mémoires scientifiques, Revue de Métallurgie, février 1978, p. 117-130. J. B. Halsted, La parapsychologie devant la science, Rencontre internationale, Reims, 16-17 décembre 1975, Paris, Berg-Bélibaste, 1976. J. B. Rhine, Extra-sensory Perception, Boston, Bruxe Humphiers, 1934. Le nouveau monde de l’esprit (New York, William Morrow, 1953), trad., Paris, A. Maisonneuve, 1955.

Illusionnistes et parapsychologie : Gérard Majax, Le pouvoir de la magie, Paris, La Table Ronde, 1986. Les escrocs de la parapsychologie, Paris, Fernand Nathan. Michel de Pracontal, L’imposture scientifique en dix leçons, Paris, La Découverte, 1986, p. 143 à 169. James Randi, The Magic of Uri Geller, New York, Ballantine Books, 1975. Ranky, Vérités et illusions de la parapsychologie. Confidences et révélations d’un magicien, Paris, Dervy, 1996.

Interprétations variées : Rudolf Tischner, Introduction à la parapsychologie, trad. L. Larmorlette, coll. « Aux confins de la science », Paris, Payot, 1973. M. Varvoglis, La rationalité de l’irrationnel. Une introduction à la parapsychologie scientifique, Paris, InterEditions, 1992. Philippe Wallon, Expliquer le paranormal. Les Niveaux du Mental, Paris, Albin Michel, 1996. Le paranormal, coll. « Que sais-je ? » n° 3424, Paris, PUF, 1999.

Discernement chrétien : Saint Thomas d’Aquin, Somme de théologie, Somme contre les Gentils. Quæstiones Disputatæ, Turin-Rome, Marietti, vol. II, 1965. Carlos Aldunate, Les phénomènes paranormaux. Regard chrétien, trad. Alexis Smets, Bruxelles, Fidélité, 1993. Dr. Kenneth McAll, Le guide de la guérison de l’arbre généalogique, trad., S. Benoît du Sault, Ed. Bénédictine, 1999. François Russo, « La parapsychologie », Études, juillet 1978, p. 7-25. Jean Vernette, L’irrationnel est parmi nous. Magie, divination, envoûtements, paranormal, Paris, Salvator, 2000, p. 15-34, 169-175, 243-272.

1.3.2018
 

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