Si l’homme fabriquait de toutes pièces un petit d’homme, Dieu lui infuserait-il une âme ?

Imaginons que des chercheurs prennent des biomolécules constitutives du vivant que sont les protéines, les acides nucléiques, les glucides et les protides, et constituent de toutes pièces un spermatozoïde et un ovule, et les fassent se féconder pour obtenir un zygote. Cet être artificiel sera-t-il doté d’une âme spirituelle et incorruptible à l’image de Dieu ? Michel Delsol, biologiste spécialiste de l’évolution, qui ne cache pas son catholicisme, pose cette question (qui, pour de nombreux chercheurs, ne relèvera plus de la science-fiction d’ici quelques décennies) ou plutôt l’a posée à deux illustres savants.

Le premier, Jean Ladrière, philosophe des sciences louvanien répondit : « On ne peut pas le savoir, Si Dieu veut lui donner une âme, il la lui donnera, s’il ne veut pas lui en donner, il ne lui en donner pas ».

Le second, le paléontologiste dijonais Henri Tintant, doué d’une vaste culture philosophique et théologique, a dit à Delsol : « En créant le monde, Dieu s’est volontairement rendu prisonnier du système qu’il a créé. Tout être qui a exactement la structure chimique d’un vivant humain et qui est intelligent et conscient de ce qu’il est, doit donc recevoir une âme [1] ».

Étrangement, c’est Tintant qui s’approche davantage de la réponse la plus en cohérence avec la foi catholique en un Dieu créateur et provident. Toutefois, le prix semble lourd à payer, au point de paraître opiner vers l’Open Theology (qui lie Dieu à la liberté de l’homme) : le Créateur, affirme-t-il, est « prisonnier » de sa création.

Pour répondre à cette contradiction (un Créateur dépendant de sa créature), il suffit de répondre que ce sont les deux réponses, celle de Ladrière et celle de Tintant, qui demeurent prisonnières, en l’occurrence, d’un schéma à deux temps. En effet, elles sont prises dans le dilemme suivant : ou Dieu ne crée pas d’âme, parce qu’il est souverainement libre à l’égard de l’homme ; ou Dieu crée une âme, parce qu’il est volontairement lié aux inventions de l’homme. Or, chacune des configurations oppose Dieu et l’homme, la première en donnant la primauté absolue à Dieu, la seconde en accordant une primauté relative à l’homme.

En réalité, la seconde réponse dissimule un troisième terme qui est Dieu lui-même, voire un quatrième qui est son œuvre, à savoir la création : l’homme qui agencerait une matière pour fabriquer un œuf humain fécondé serait obligé de suivre les propriétés de la nature (ce que l’on appelle, de manière imprécise, « les lois de la nature », mais c’est là un autre débat) ; or, cette création est de Dieu même ; donc, en se soumettant à l’homme et, par l’homme, à la nature, Dieu se soumet à lui-même qui a institué ces lois.

La réponse à la question inaugurale doit donc être claire : si toutes les conditions matérielles étaient requises, la fusion de deux gamètes humains, masculin et féminin, serait aussitôt actuée par une âme humaine. Et cela vaudrait de même si, au lieu de prendre ces grosses briques que sont les biomolécules, le technicien convoquait ces briques élémentaires que sont les atomes. Car, pas plus qu’il n’est l’auteur des lois de la biochimie, l’homme ne l’est des lois de la chimie et de la physique. Redisons-le : en obéissant à la technique qui elle-même ne fait qu’imiter (au sens le plus intime du terme) la nature, Dieu obéirait aux lois du monde qu’il a « fait avec sagesse par amour », donc obéirait non pas à l’homme, mais à Lui-même [2].

Pascal Ide

[1] Michel Delsol, Darwin, le hasard et Dieu, coll. « Science – Histoire – Philosophie », Paris, Vrin, 2007, p. 128. Ce n’est pas le lieu de discuter l’adhésion intégrale du naturaliste au darwinisme de la théorie synthétique de l’évolution.

[2] Que, tel le docteur Faust, l’homme obéisse à son Créateur en fabriquant (et non pas en créant) in vivo son semblable, est une autre question, non plus ontologique, mais éthique. De même, que l’âme saisisse le zygote et non pas le fœtus est une autre problématique (cf. Pascal Ide, Le zygote est-il une personne humaine ?, coll. « Questions disputées : Saint Thomas et les thomistes », Paris, Téqui, 2004 ; « La personnalité de l’embryon humain. Status questionis et dé­termination », Michel Bastit, Michel Mazoyer et Paul Mirault [éds.], L’embryon est-il une personne ?, coll. « Cahiers de Philosophie réaliste. Disputatio » n° 3, Paris, François-Xavier de Guibert, Lethielleux, 2011, p. 121-176).

16.10.2023
 

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