Secte et nouveaux mouvements religieux. Brèves présentation et évaluation

Ernst Troeltsch (1865-1923) a introduit une différence justement fameuse entre « secte » et « église » [1], en 1912 [2]. Cette distinction se fonde sur deux critères principaux :

– Relation au monde : l’église est intégrée au monde ; la secte se définit par son opposition au monde ambiant et son rejet de la culture majoritaire.

– Relation interne : l’église est de structure très hiérarchique ; la secte privilégie la relation égalitaire et fraternelle. D’où il s’en suit non pas une opposition entre esprit totalitaire et esprit tolérant ou démocratique, mais deux formes, forte et évidente, soft et masquée, de totalitarisme…

Déjà Troeltsch avait conscience de définir deux « idéaux-types ». Depuis, plusieurs critiques lui ont été adressées. En effet, son modèle est très situé du point de vue chronologique et géographique (l’actuelle Europe de l’ouest). Il l’est aussi en son contenu. Le philosophe, théologien et sociologue allemand propose ses catégories en fonction du christianisme : la secte, par exemple, ne se définit qu’en se différenciant de celui-ci (et dès l’origine du christianisme). Or, on distingue aujourd’hui sectes (mouvements dissidents du christianisme) et nouveaux mouvements religieux (groupements s’enracinant dans d’autres traditions religieuses, le plus souvent asiatiques).

Ces sectes et nouveaux mouvements religieux se caractérisent notamment par les traits suivants :

– l’internationalité concrète, c’est-à-dire la rencontre au quotidien de personnes de toute provenance. Cette internationalité correspond au caractère nomade, non institutionnel et réactionnel vis-à-vis de l’occidentalo-centrisme ;

– l’accent placé sur l’individu vis-à-vis de la communauté ;

– l’importance accordée à la réalisation plénière de la personne ;

– le holisme, c’est-à-dire l’intégration de toute la personne, singulièrement son affectivité ;

– le primat du bien, voire de l’utile sur le vrai : les méthodes pragmatiques, les « modes d’emploi » en tous domaines priment la vision du monde ;

– la réconciliation philosophie, sciences, techniques, spiritualité et même parfois religion ;

– la marchandisation du religieux, fruit de la sécularisation [3]. Nous sommes passés d’un héritage subi, inconsciemment assumé par conformisme, à un individualisme, où chacun bricole sa propre religion à partir des « offres » disponibles.

 

Souvent, ce que l’on appelle sectes et nouveaux mouvements religieux est indexé négativement, voire suspecté de dangerosité. Avec courage, la sociologue des religions Liliane Voyé essaie de montrer que, pour être parfois périlleux, ils sont aussi victimes d’une représentation de leur caractère périlleux qui est erronée. Une des raisons de cette illusion tient à l’attention prioritaire que les médias accordent aux cas personnels, aux témoignages individuels. Précisément deux genres de personnes : les parents s’inquiétant que leurs enfants appartiennent à ces mouvements ; les ex-membres confiant leur désarroi. Or, d’une part, la « personnalisation de la souffrance rend celle-ci plus intolérable et émeut davantage que ne pourrait le faire cette même souffrance partagée par un grand nombre [4] ». Pourtant cette simple contradiction devient révélatrice : l’homme de l’extérieur réagit moins à plus de souffrances, mais moins mises en scène qu’à une seule, parfois ponctuelle, mais dramatisée. D’autre part, l’enfant en question est souvent un adulte, libre, dont le changement n’a rien de répréhensible. Enfin, les ex-membres sont, par définition, réactifs, avec une forte tendance victimaire, donc accusatrice [5].

Pascal Ide

[1] Plus précisément, il faudrait introduire un troisième terme, « mystique » : cf. Annette Disselkamp, « La typologie église-sectes-mystique selon Ernst Troeltsch », L’année sociologique, 56 (2006) n° 2, p. 457-474.

[2] Cf. Ernst Troeltsch, Die Soziallehren der christlichen Kirchen und Gruppen, Tübingen, J. C. B. Mohr, 1912 (Gesammelte Schriften, vol. 1, 1919).

[3] Cf. Karel Dobbelaere, Secularization. An Analysis at Three Levels, Bruxelles, P.I.E. Pater Lang, 2002.

[4] Liliane Voyé, « De la dangerosité des sectes et nouveaux mouvements religieux ? Perspective sociologique », Revue théologique de Louvain, 36 (2005), p. 21-41, ici p. 31.

[5] Cf. Ibid., p. 31-33.

15.10.2024
 

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