Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, c’est le « dogme vécu »

Dans la « petite voie », sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus et de la Sainte Face n’a pas seulement proposé un chemin de sainteté éminemment démocratique, ouvert à tout baptisé, elle a condensé le cœur brûlant de l’Évangile. Encore faut-il ne pas défigurer la voie d’enfance spirituelle. Non sans un sourire, le père Descouvemont aime rappeler que « petite voie » ne signifie pas « petite voix », « petits désirs », « petite maison », etc. La pauvreté évangélique n’est pas le misérabilisme !

Encore faut-il, surtout, resituer cette petite voie dans l’ensemble de la doctrine mystique de la sainte de Lisieux. Elle est le deuxième moment d’une dynamique en trois temps que ce grand thérésien que fut le carme Philippe de la Trinité a admirablement résumée. D’ailleurs, ce résumé semble repris presque textuellement dans la lettre apostolique où saint Jean-Paul II la proclame Docteur de l’Église (Divini amoris scientia [la science de l’amour divin] n. 8).

 

« La mystique est le dogme vécu et Thérèse est une mystique. À ces deux points de vue corélatifs, je dirai volontiers que sa théologie spirituelle est commandée par les trois notions clés ‘triangulaires’ que voici : 1° au sommet, à la source et au terme, l’amour miséricordieux des Trois Personnes divines (1 Jn 4,7-10.16) ; 2° à la base du côté du sujet, fils adoptif du Père en Jésus, l’enfance spirituelle sous la motion du Saint-Esprit (Ga 4,4-7) ; 3° à la base encore, face à nous le prochain, ‘les autres’ (Ga 6,2 ; Ph 2,4), dont avec et en Jésus nous devons être les corédempteurs, par amour miséricordieux (Col 1,24). […] En résumé : par l’enfance spirituelle qui s’épanouit en corédemption, tout vient de Dieu, retourne à Lui et demeure en Lui dans un mystère d’amour miséricordieux. Tel est le message doctrinal enseigné et vécu par une sainte particulièrement héroïque : Thérèse de l’Enfant-Jésus a su exalter l’enfance spirituelle et Thérèse de la Sainte-Face fut corédemptrice de manière éminente pour le demeurer jusqu’à la fin des temps [1] ».

 

Tout est dit de la manière la plus ramassée et la plus profonde. Mais l’un des aspects du génie de sainte Thérèse, qui explique que, avec saint François d’Assise, elle soit la sainte la plus lue et la plus aimée du xxe et du xxie siècle commençant, vient de ce que sa vie raconte ce qu’elle enseigne. Or, un passage central de son autobiographie [2] met en scène la dynamique en trois temps :

  1. Le soir de Noël 1886, en « cette nuit de lumière » non sans une forte décision de Thérèse, celle-ci reçoit gratuitement de l’amour miséricordieux de la Trinité la grâce d’être guérie de ce qu’elle appelle les « défauts de l’enfance ». En réalité il ne s’agit de rien moins que des conséquences traumatisantes d’abandons à répétition, à commencer par celui de sa mère, morte alors qu’elle avait à peine cinq ans : « la petite Thérèse avait retrouvé la force d’âme qu’elle avait perdue à quatre ans et demi et c’était pour toujours qu’elle devait la conserver !… ».
  2. Quelque temps plus tard, elle voit « une photographie de Notre-Seigneur en Croix » : « je fus frappée par le sang qui tombait d’une de ses mains Divines, j’éprouvai une grande peine en pensant que ce sang tombait à terre sans que personne ne s’empresse de le recueillir, et je résolus de me tenir en esprit au pied de (la) Croix pour recevoir la Divine rosée qui en découlait ». En recueillant le sang du Crucifié, Thérèse devient celle qui, « les mains vides », entre dans son être de fille adoptive du Père. Telle est la voie d’enfance, qui est identiquement celle de l’abandon confiant.
  3. Enfin, ce sang, qui est celui de la rédemption, Thérèse ne le garde pas pour elle, « comprenant qu’il me faudrait ensuite la répandre sur les âmes ». Brûlée du désir de sauver les « grands pécheurs », elle entend « parler d’un grand criminel qui venait d’être condamné à mort pour des crimes horribles ». Et c’est ainsi que, avec Céline, son intercession et son jeûne obtiennent le salut de Pranzini.

 

Ce qu’elle a reçu gratuitement, notre futur Docteur s’empresse de le redonner gratuitement (cf. Mt 10,8). Étrangère à toute conception juridique du salut, elle redécouvre la logique évangélique du retour d’amour (cf. Jn 15,1-9). Décidément, la grande « petite Thérèse », c’est le « dogme vécu ».

Pascal Ide

[1] Philippe de la Trinité, Thérèse de Lisieux, la sainte de l’enfance spirituelle. Une relecture des textes d’André Combes, Paris, Lethielleux, 1980, p. 52-54. Souligné par l’auteur.

[2] Ms A, 45 r° – 46 r°.

3.10.2018
 

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