C) Les arguments idéalistes
« Une remarquable unité d’inspiration règne dans l’école idéaliste. Les systèmes sont nombreux et divers, mais les arguments invoqués pour fonder l’idéalisme de ces systèmes sont partout les mêmes et presque identiquement formulés. L’histoire présente peu d’exemples d’une ‘scolastique’ aussi rigide. Au fond, il n’y a qu’un argument, et c’est une sorte d’intuition ou d’évidence premère qu’on appelle de nos jours le principe d’immanence [1] ».
Selon Roger Verneaux, tous les arguments idéalistes se concentrent en ce que l’on a appelé le principe d’immanence. Sa simplicité, autant verbale que conceptuelle, est frappante. La connaissance est l’acte du sujet : elle demeure donc dans le sujet. Autrement dit, elle est « pour moi », non « en soi ». Par analogie, de même que la digestion ou la procréation sont des actes qui me sont propres et immanents, de même la connaissance. La thèse ci-dessus ne se démontre pas à proprement parler, mais elle peut s’habiller de diverses manières qui lui donnent une forme plus parlante (et apparemment plus démonstrative).
Ce principe d’immanence se présente sous deux formes principales et complémentaires : le connu dépend du connaissant ; l’hétérogénéité du sujet et de l’objet.
1) Le connu dépend du connaissant
La connaissance sensible est déterminée par mon appareil organique ou de ma structure psychique. Autrement dit, la sensation dépend de ce que je suis. Or, ce que je suis constitue ma subjectivité. Donc le connaître dépend du sujet connaissant et non de l’objet connu.
a) L’argumentation physiologique
C’est déjà vrai du seul point de vue de nos conditionnements organiques. On pourrait Donnons-en un exemple qui, pour n’être pas emprunté à un philosophe, n’en demeure pas moins philosophique et éloquent. Barjavel nous le propose dans La faim du Tigre [2] qui est, pour l’écrivain français, comme son Ce que je crois. Soit une pièce sans ouverture sur l’extérieur dans laquelle se trouve une ampoule raccordée au secteur. Branchons-la. Notre auteur demande : « Y a-t-il de la lumière à l’intérieur de cette pièce qui est vide de tout occupant ? » Spontanément, nous aurions tendance à répondre oui. Or, continue notre auteur, ce serait une erreur. En effet, il n’y a de lumière que pour un observateur humain. La preuve en est que si on plaçait une cellule photoélectrique à l’intérieur de la pièce éclairée, elle émettrait un courant électrique : c’est donc qu’elle ne reçoit pas la même information que nous. En conclusion, la perception de la lumière ne vaut que pour l’homme et de manière plus générale, on ne peut parler d’objet connu en faisant abstraction du récepteur et de sa structuration : ce qui est l’exact énoncé du principe d’immanence.
Selon Philippe Meyer, médecin et directeur de l’enseignement des sciences humaines et sociales à la Faculté de médecine Necker, le percept est l’objet d’une constitution extrêmement complexe à l’intérieur du cerveau [3]. Cela n’empêche pas l’œil de percevoir le réel, mais fait de cette perception pour une part une construction. Il existe toujours une distance entre le réel authrntiquement approché et les représentations que l’on s’en fait.
On aurait aussi pu argumenter de manière physique, à partir de la structure ondulatoire de la couleur, autrement dit, du côté de l’objet connu.
b) L’argumentation psychologique
C’est aussi vrai d’un point de vue plus psychologique. Les sciences humaines ne nous montrent-elles pas que toute connaissance est interprétation ? Point de connaissance purement objective : le sujet interagit avec la réalité. « L’existence se veut plus qu’un simple sens car elle s’éprouve dans une qualité de présence à laquelle le sens est indifférent [4] ».
Il y a quelques années, le centre George Pompidou, à Beaubourg, a montré dans une exposition d’art contemporain, une porte de voiture (!). Cette porte ne devait pas évoquer dans la tête d’un tôlier (« 50 francs ! ») la même chose que dans l’esprit de celui qui l’avait placée là.
Permettez-moi d’évoquer un souvenir personnel. Je traversais en Land-Rover la Guinée-Conakry et, un moment, j’eus envie de partager mon émerveillement face au paysage au conducteur : « Oh ! Quelle belle route ! » Le chauffeur qui s’escrimait à éviter les nids de poule parsemant la piste me répliqua : « Ça dépend pour qui ! » C’est la réponse même de l’idéalisme (mais mon interlocuteur ne prétendait pas faire de philosophie !).
Plus sérieusement, le botaniste Francis Hallé affirme qu’on ne peut pas dire que l’homme ou que l’animal est supérieur au végétal. C’est là un point de vue autocentré. Mais, si on laissait parler le végétal, ne mépriserait-il pas l’animal qui grouille à ses pieds ou sur lui ? Qu’importe à un chêne centenaire de trente-huit mètres de haut la différence de nombre de pattes qui, pour nous, est si différente ?
c) L’argumentation philosophique classique
Reprenons l’argumentation de Kant dont on a vu que l’idéalisme est posé dès l’esthétique transcendantale. Toute connaissance vient de l’expérience. Or, toute l’expérience sensible, toute sensation s’effectue dans le cadre d’un espace et d’un temps. Nous ne percevons rien que dans un lieu et selon une durée donnés. C’est donc que ce cadre spatio-temporel précède la sensation. Et s’il ne vient pas de la réalité extra-mentale, il ne peut venir que du sujet et est une structure innée demeurant en l’homme, une forme a priori, pour reprendre le vocabulaire de Kant. Mais rien ne nous autorise à dire que ces catégories (au sens non kantien) sont parties intégrantes du réel. Aussi faut-il conclure que la connaissance est relative au sujet et doit se borner aux apparences : la connaissance des choses en soi nous est nécessairement interdite. Pour reprendre une autre distinction kantienne : je connais bien les objets (c’est-à-dire les réalités telles qu’elles m’apparaissent, jetées face à ma subjectivité), mais je ne connais pas les choses (c’est-à-dire les réalités hors de mon esprit).
d) L’argumentation en philosophie analytique
La philosophie analytique est friande d’expérience de pensée. Le philosophe américain Hilary Putnam en a proposé une qui renouvelle l’argumentaire en faveur de l’idéalisme : l’histoire des cerveaux dans une cuve.
« Supposons qu’un être humain (vous pouvez supposer qu’il s’agit de vous-même) a été soumis à une opération par un savant fou. Le cerveau de la personne en question (votre cerveau) a été séparé de son corps et placé dans une cuve contenant une solution nutritive qui le maintient en vie. Les terminaisons nerveuses ont été reliées à un super-ordinateur scientifique qui procure à la personne-cerveau l’illusion que tout est normal. Il semble y avoir des gens, des objets, un ciel, etc. Mais en fait tout ce que la personne (vous-même) perçoit est le résultat d’impulsions électroniques que l’ordinateur envoie aux terminaisons nerveuses. L’ordinateur est si intelligent que si la personne essaye de lever la main, l’ordinateur lui fait ‘voir’ et ‘sentir’ qu’elle lève la main. En plus, en modifiant le programme le savant fou peut faire ‘percevoir’ (halluciner) par la victime toutes les situations qu’il désire. Il peut aussi effacer le souvenir de l’opération, de sorte que la victime aura l’impression de se trouver sans sa situation normale. La victime pourrait justement avoir l’impression d’être saisie en train de lire ce paragraphe qui raconte l’histoire amusante mais plutôt absurde d’un savant fou qui [5]… ».
On voit où se situe, pour nous, l’objection : ici, de fait, le monde extérieur n’existe pas, puisqu’il est fabriqué par l’ordinateur, mais l’homme a l’illusion que ce monde existe ; or, la thèse de l’idéaliste, en sa forme radicale, est celle-là, en sa forme modérée, énonce que le monde n’existe que pour moi, par rapport à moi.
C’est l’équivalent de l’hypothèse cartésienne du Malin génie, mais appliqué à l’idéalisme.
En fait, partant de l’hypothèse maximaliste, Putnam va tenter de montrer que « si nous étions des cerveaux dans une cuve », nous ne pourrions pas « dire ou penser que nous sommes des cerveaux dans une cuve [6] ». Pour lui, cette hypothèse est auto-réfutante.
e) L’argumentation en phénoménologie
Le principe d’immanence prend une forme qui fut singulièrement valorisée par la phénoménologie : l’évidence première du cogito. Pour Husserl, le fait primordial et indépassable, l’alpha et l’oméga, est l’expérience du flux de conscience. Une fois aperçu cette intériorité de la pensée à elle-même, il n’est plus possible ni d’en douter ni d’en sortir.
2) L’hétérogénéité du sujet et de l’objet
Ce deuxième argument peut se formuler de manière simple : il y a hétérogénéité entre le monde et mon intellect. En effet, le monde est matériel, alors que mon intelligence est spirituelle ; or, matière et esprit sont hétérogènes.
Sous forme simple. Mr God n’est pas grand. « Il prend la taille qu’il veut. S’il ne savait pas se faire petit, comment aurait-il l’idée de ce qu’est une coccinelle [7] ? ». Le biologiste Francis Hallé affirme que, pour savoir ce qu’est un végétal, il faudrait être un végétal.
Exposons un peu cette conception. La connaissance suppose un minimum de similitude (les philosophes présocratiques aimaient dire que « seul le semblable connaît le semblable »). Or, mes capacités de connaissance n’entretiennent rien de commun avec l’objet connu : pour connaître la matière telle qu’elle est, l’esprit devrait être matière (et nous démontrerons que l’intelligence ne peut pas être matérielle dans le chapitre sur la philosophie de l’homme), ce qui est absurde. Plus simplement encore et sans présupposé, pour connaître le vert en lui-même, l’œil devrait être vert, ce qui est totalement contraire à l’expérience. Donc, la connaissance est bornée au connaissant.
C’est une des grandes questions de la philosophie des sciences : comment se fait-il que les mathématiques qui semblent être le pur produit de l’esprit de l’homme accusent une si parfaite réussite dans leur application à la saisie de la nature et de ses mécanismes les plus intimes ? Il ne semble pas que la grande majorité des épistémologues (au sens de philosophe des sciences) actuels l’ait résolue (notamment, ce n’est pas le cas de Ladrière).
3) La fécondité du tournant anthropologique
En fait, à ces deux arguments fondateurs, s’ajoute un argument par les conséquences. Avec le philosophe catholique Miklos Vetö, nous avons vu que l’idéalisme a permis de penser de manière neuve la liberté (c’est-à-dire la profondeur de la subjectivité) et la temporalité, c’est-à-dire l’histoire. On pourrait aussi ajouter l’altérité et la négativité. On retrouve la même conviction chez le jésuite français Gaston Fessard et tant d’autres penseurs chrétiens. Au point que l’un des courants du thomisme, le thomisme transcendantal, a dialogué avec l’idéalisme kantien (cf. plus loin) et que de nombreux théologiens catholiques, notamment jésuites, eux, avec l’idéalisme hégélien [8]. Voilà pourquoi nous parlons de la fécondité du tournant anthropologique.
D) Évaluation critique des arguments
Pour le détail de l’examen des arguments empruntés au philosophe de Kœnigsberg ou à ceux qui se trouvent dans sa mouvance, nous renvoyons à Roger Verneaux [9].
1) Évaluation critique de la dépendance connaissant-connu
Le premier argument énonçait que le connu dépend du connaissant. Pour l’examiner, il faut revenir à l’expérience tout à fait fondamentale et commune de la connaissance. Quand je connais, je connais quelque chose qui n’est pas moi, je m’ouvre à autre chose : « Il est évident que la connaissance atteint d’emblée et directement autre chose qu’elle-même [10] ». Quelle que soit par ailleurs les éventuelles interprétations : avant toute déformation herméneutique, antérieurement à toute sorte de précompréhension, il y a cet extraordinaire dynamisme naturel, ce processus par lequel l’animal (l’homme) ne reste pas clos sur lui-même. Heidegger, à un moment clef de son évolution intellectuelle, a d’ailleurs été saisi par cette apérité et a pensé réfuter la définition classique de la vérité (nous le reverrons).
L’écrivain et philosophe André Frossard observe :
« Le ‘je pense, donc je suis’ de Descates est une autre farce-attrape de la pseudo-métaphysique moderne ; car pour dire ‘je pense’, il faut que l’esprit soit déjà revenu sur lui-même, ce qui fait que l’énoncé n’est pas une donnée première et immédiate de la conscience [11] ».
En termes techniques, l’idéalisme confond objectum quod et objectum quo. Une fois n’est pas coutume, je cite Abbé Georges de Nantes qui, outre d’être un historien informé, n’a pas oublié sa philosophie :
« Ainsi nous était démontrée d’abord la valeur objective, existentielle, du jugement intellectuel. L’esprit humain est capable de saisir et d’affirmer la vérité touchant les êtres de son univers, et cette vérité est l’œuvre des sens et de l’intelligence associés pour tenir le sujet en communion spirituelle, ‘intentionnelle’, avec l’objet : Non avec ses propres idées, comme le prétend la philosophie moderne, mais avec les êtres extérieurs, appréhendés par les sens et connus par le moyen des concepts élaborés par l’Esprit. Monsieur Ruff disait : Tout le drame de la pensée moderne tient à un coup de dés. Et malheureusement, ajoutait-il en s’écroulant dans sa chaire, car il était grand comédien, on a perdu un dé ! ? La dixième fois, je compris. L’idée est pour les scolastiques le moyen de connaître le réel, ce par quoi l’esprit atteint l’être des choses mêmes ; en latin objectum quo. Pour les modernes, elle est ce que l’esprit connaît, n’atteignant ainsi jamais que ses propres conceptions et non la vérité objective ; en latin, objectum quod. Quo, ou quod ? une histoire de d, qu’on garde ou qu’on perd. Au-delà du calembour, enthousiasme du jeune élève de première année que l’Église libère judicieusement de trois siècles d’erreur philosophique ! Là-dessus commençait l’exposé de la vaste théorie de la connaissance selon Aristote et saint Thomas, dont j’acceptai tout, jusqu’à la distinction géniale des deux intellects, patient et agent, théorie qui me paraît toujours satisfaisante, inébranlable et vraie [12] ».
Attentif observateur de l’idéalisme et son contempteur impitoyable, Étienne Gilson observe avec profondeur : « La plus grande différence entre le réaliste et l’idéaliste est que l’idéaliste pense alors que le réaliste connaît [13] ». Il remarque ailleurs :
« On ne se résignera pas à raisonner en artiste à la manière d’un idéaliste (en effet, l’idéaliste construit le monde ou au moins le sens qu’il veut lui donner comme l’artiste donne forme au réel en le travaIllant selon le sens de son intuition créatrice, comme nous le montrerons dans le chapitre réservé à la philosophie de l’art). La musique de Beethoven est vraiment la sienne et c’est pourquoi elle nous intéresse mais ce qui doit nous intéresser n’est pas de savoir si le monde est celui de Descartes, c’est de savoir si le monde de Descartes est aussi le vrai [14] ».
La remarque suivante de Maritain va dans le même sens : « On ne pense du pensé qu’après avoir pensé du pensable ‘bon pour exister’. Le premier pensé c’est l’être indépendant de la pensée. Le cogitatum du premier cogito n’est pas cogitatum, mais ens. On ne mange pas du mangé, on mange du pain [15] ».
De manière plus technique, les philosophes idéalistes ont compris, comme les réalistes, l’unité du connaissant et du connu qui se réalise dans le sujet. Mais ils n’ont pas vu l’intentionnalité de l’existence de l’objet dans le sujet, la similitude du concept avec la quiddité de l’objet extérieur. Pour l’idéalisme, l’objet propre de l’acte de connaissance reste le concept, la « conscience de l’objet ». Saint Thomas avait déjà perçu le raisonnement que fait le père de la phénoménologie dans sa première Méditation cartésienne : si l’objet connu est le concept, l’intelligence ne pouvant connaître que son propre produit, ne peut être établie qu’une « science de la raison », qu’Husserl nommera « science de l’idée de la science », « science éidétique », « seule science véritable [16] ». Or, le concept n’est pas « quod intelligitur », mais « quo intelligit » : ce n’est pas ce que nous intelligeons, mais ce par quoi nous intelligeons. L’intelligence peut poser un acte de réflexion sur elle-même pour se connaître comme objet (comme « conscience de l’objet »), mais cet acte reste second par rapport à l’acte de connaissance de l’objet extérieur par sa similitude qui est en nous, le concept. Cette affirmation s’oppose donc aux idéalistes, car ceux-ci, depuis Descartes, ont fait commencer leur démarche philosophique par un retour sur eux-mêmes, par une réflexion sur leur « cogito », leur « entendement », leur « ego », etc. Alors que c’est en posant un acte de connaissance d’un objet extérieur à soi que le sujet commence à prendre conscience de lui-même.
2) Évaluation critique de la prétendue hétérogénéité entre l’esprit et la nature
Le deuxième argument se fonde sur l’hétérogénéité entre le monde et mon intellect. Les « choses matérielles » du cartésianisme et l’esprit humain sont hétérogènes, car « un corps est une portion d’étendue, et il n’a rien de commun avec l’esprit dont l’esence est la pensée. Mais cette métaphysique dualiste ne s’impose aucunement. On peut tout aussi bien admettre, et à meilleur titre, que les choses ont une forme qui les constitue dans leur nature et les rend tout ensemble actives et connaissables. Auquel cas, on aura cette parenté entre les choses et l’esprit qui est une condition de la connaissance [17] ». On reverra ce point plus loin.
Quelques critiques complémentaires seront adressées en traitant en détail de la nature de la connaissance.
3) Évaluation critique du tournant anthropologique
Une réponse à l’argument de Miklos Vetö est de distinguer le fait et le droit : de fait, on ne peut que constater un grave déficit de la pensée de l’histoire et de la liberté en position historique dans le thomisme. En droit, il n’est pas nécessaire de se tourner vers Hegel, Blondel, Augustin pour trouver une pensée de l’histoire ; ses virtualités sont présentes dans le projet métaphysique développé par Métaphysique Théta.
De plus, cette relecture de Vetö est unilatérale et amnésique. Elle ne voit pas d’une part tous les apports de la métaphysique de l’être, de l’homme, de la nature. D’autre part, elle ignore toutes les insuffisances de l’idéalisme allemand : l’absence actuelle de philosophie de la nature, l’incapacité à rendre compte de la loi naturelle, l’ouverture au fidéisme, la survalorisation kantienne de la finitude, etc. – sans rien dire des compromissions avec le luthéranisme [18].
4) Confirmation historique : le retour du réalisme philosophique
Edgar Morin lui-même revient au réalisme. Dans le dernier volume de son discours sur La Méthode, Morin montre dans une perspective « aristotélicienne » et résolument anti-idéaliste la place de la pensée dans le monde des humains [19].
Isabelle Thomas-Fogiel, professeur de l’université d’Ottawa, défend la thèse originale selon laquelle aujourd’hui les philosophes contemporains ont finalement adhéré à nouveau au réalisme [20]. Plus encore, pour une fois, les deux modèles souvent irréconciliables de la philosophie analytique et de la philosophie continental convergent vers ce dispositif où le sujet est spectateur du monde. Pour le montrer, elle parcourt d’abord ce qu’elle appelle « la tournure réaliste prise par la nouvelle phénoménologie » (première partie) ; puis, elle parcourt ce qu’elle nomme « le combat réaliste de la philosophie analytique » (deuxième partie), étudiant principalement Wittgenstein, mais aussi quelques autres réalistes, Frege, Putnam, Cavell, Bouveresse et Descombes. Elle conclut en montrant que ces deux postures réalistes communient au même topos : elles adoptent la même question, la même réponse et la même méthode.
Mais ce constat est, pour elle, un diagnostic critique : ce réalisme trahit l’option initialement idéaliste de Husserl ; donc, il est urgent de « virer de bord [21] » et de sortir des apories de ce réalisme, c’est-à-dire du face-à-face naïf de l’homme et du monde. « Nous sommes passés du mot d’ordre ‘retour aux ou vers [Zu] les choses mêmes’ à un ‘retour des choses mêmes’ [22] ». Dans une troisième partie, elle montre d’abord le présupposé commun de ces deux tendances réalistes, la voie métaphysique ; autrement dit, elle propose un diagnostic étiologique (chap. 1 à 3). Enfin, elle propose la solution ou le remède qui est une nouvelle valorisation de la perspective (chap. 4 à 6).
Faut-il le préciser, le remède est beaucoup moins percutant que le diagnostic ? C’est d’ailleurs pour cela que l’auteur semble être épuisé par ce parcours et ne consacre que trois pauvres chapitres à la défense de l’idéalisme contre onze à la démonstration du tournant réaliste de la philosophie actuelle…
5) Évaluation critique de l’épistémologie piagétienne
a) Apports positifs
Un premier apport de Piaget est de ne pas limiter la « cognition », la connaissance à la seule intelligence. On reverra avec la connaissance sensible que celle-ci, même si sa finalité est exclusivement végétative chez l’animal, n’est pas pour autant un processus végétatif par essence : sa spécificité la rapproche bien plus de la connaissance intellectuelle. L’usage de la connaissance est extrinsèque à sa nature et sa structure.
Seconde remarque positive. Le refus du préformisme, de l’innéisme, et aussi de l’idéalisme (côté sujet, comme cause unique de la connaissance) autant que des théories environnementaliste, behavioriste, épigénétique (côté objet). Car ce refus manifeste bien que la connaissance présuppose une relation étroite et pas seulement passive entre un objet et une puissance. En effet, la puissance requiert une réceptivité ; mais celle-ci dit plus et plus précisément que passivité. Il demeure cependant une tendance innéiste marquée liée au structuralisme. Ainsi, Danset n’hésite pas à écrire : « les progrès cognitifs ont aussi, selon le système d’explication piagétien, une origine purement endogène [23] ».
b) Limites
Reste que l’on peut adresser une quintuple critique négative à l’épistémologie piagétienne.
1’) Exposé
- La volonté d’enraciner le cognitif dans le biologique, pour être louable, fait tomber dans le réductionnisme, au point que Piaget perd de vue le spécifique du cognitif. C’est une tentation perpétuelle du savant : ainsi Freud et Darwin réduisent l’homme à l’animal, Piaget, l’animal au végétal (dans ce présupposé méthodologique, s’entend), et les mécanicistes comme Monod, le vivant à l’inerte, au biochimique pur.
Or, si le point de vue est scientifiquement légitime, il ne l’est plus philosophiquement et en tout cas ne nous renseigne pas sur le formel, le spécifique de l’être étudié : en effet, le réductionnisme met le formel entre parenthèses pour n’étudier que les éléments (qui joue comme le rôle d’une certaine matière). Danset dit que l’accomodaiton « sur le plan cognitif, […] au plan du principe, c’est la même chose que l’accommodation biologique [24] ».
- L’assimilation qui est le procès central n’est ni copie ni construction mentale. Le concept d’interprétation substitue à la dualité matière-forme celle de fait et sens, de sorte que le rapport environnement-système cognitif n’est plus une relation acte-puissance : l’environnement n’est pas intelligible pour Piaget, et le système cognitif reçoit l’information selon une structuration qui, si on traduit son être en langage réaliste, est une puissance déjà actuée, préformée ; de sorte que l’objet connu est « grillé » et connu non pas en lui-même mais par rapport à ce qu’en dit le sujet. Et l’universalité de cette structure intérieure au sujet humain n’en diminue pas moins la coloration nettement subjectiviste voire solipsiste.
Au-delà du structuralisme, Piaget est héritier de tout l’idéalisme allemand. C’est e qui apparaît dans la phrase suivante :
« Faire qu’un objet devienne intelligible, c’est le mettre en accord avec la nature de l’organisation actuelle (différente pour un bébé de ce qu’elle est pour un organisme dit ‘adulte’), c’est l’interpréter, autrement dit c’est le faire entrer dans un système de signification [25] ».
- De plus, l’accommodation intervient indéniablement dans le procès cognitif : je ne peux voir un paysage que si je suis face à lui. Reste à savoir si elle est constitutive de la connaissance. Par exemple, ce n’est pas parce qu’il faut manger pour engendrer (la dénutrition est cause d’impuissance ou de stérilité, par exemple) que la nutrition fait constitutionnellement partie de la génération. La nutrition est une cause dispositive de la génération. Eh bien, de même, l’accommodation, pour être indispensable, n’est pas constitutive mais dispositive de la connaissance.
En fait, cette mise en parallèle trompeuse, cette équivalence réalisée entre accommodation et assimilation relève d’un glissement méthodologique plus profond : Piaget voit dans la science (et la science physico-mathématique) le prototype même du savoir. Cela ressort déjà nettement dans sa façon de classer les diverses étapes du développement cognitif, dans l’intérêt accordé à la théorie des groupes et à la structure I, N, R, C (tout cela relève de la logique formelle ; Piaget ne tient pas compte d’une modalité plus spécifiquement philosophique de l’exercice de l’intelligence. C’est là toute la distinction réalisée entre abstraction formelle et totale).
Mais de plus, une caractéristique du savoir mathématisé est la disparition d’un sens précis des articulations, de la hiérarchie: dans une équation, les deux termes de part et d’autre de l’égalité sont interchangeables. Que le talus ou le train bouge importe peu : c’est la seule vitesse relative qui compte. Or, il en est de même ici, à savoir le schéma accommodation-assimilation présente une symétrie illusoire : les deux relations ont une importance inégale et sont ordonnées différemment l’une à l’autre.
- Enfin, il est faux que la connaissance recherche la seule adaptation à l’environnement. Cet effet est par accident, non par soi : car par soi, la connaissance ne vise que l’assimilation, c’est-à-dire devenir l’autre. Même s’il se trouve corrélé à celle-ci une adaptation due à une meilleure connaissance de l’environnement. Or, par définition, est par accident ce qui est corrélé (même toujours) et non comme tel contenu et conséquence de la cause en son essence.
- Le philosophe polonais Georges Kalinowski adresse une autre critique à Jean Piaget : son monisme cognitif. Le fondateur de l’épistémologie génétique « proclame le monisme cognitif. Il n’y a qu’une espèce de connaissance, la connaissance scientifique […] En le soutenant, J. Piaget se place aux antipodes de Jacques Maritain qui dans ses Degrés du savoir (Paris, Desclée, 1935) s’efforce précisément de montrer la pluralité des connaissances : vulgaire, préscientifique ou préphilosophique, scientifique, théologique, mystique… » D’ailleurs, prenant « partie pour le monisme cognitif, J. Piaget se situe dans le prolongement du scientisme positiviste [26] ».
2’) Confirmations
Elle est donnée par l’intéressant article déjà cité [27].
a’) Historique. Un progressif remplacement de la théorie de Piaget
Nous avons vu que les interprétations piagétiennes sont longtemps dominé les théories sur l’intelligence des bébés Or, à partir des années 1960, de nouvelles méthodes d’étude du bébé vont faire leur apparition [28]. « Ces méthodes : temps de fixation relatif, habituation, sont essentiellement centrées sur les capacités de discrimination perceptive ».
Or, et voilà ce qui nous intéresse, les résultats vont « mettre en évidence des capacités précoces non prévues par la théorie de Piaget ». La critique de la première thèse énoncée ci-dessus remet aussi en question la seconde thèse : certaines performances du bébé précèdent l’acquisition de la coordination vision-préhension.
Ces nouvelles théories et ces nouveaux résultats ont été diversement accueillis. « Aux États-Unis, où se trouve la majeure partie des spécialistes du bébé, la théorie de Piaget a été découverte tardivement et la contradiction entre les observations et la théorie n’a pas provoqué de difficultés majeures. L’empirisme américain a conduit à donner priorité aux faits et à la rigueur des méthodes permettant de les mettre en évidence [29] ». Mais tôt ou tard, les faits se raccrochent à une théorie. Puisque le constructivisme piagétien faisait défaut, « la solution la plus simple a consisté à dire que ces ‘compétences précoces’ étaient innées […]. Ce néo-innéisme est actuellement la théorie dominante chez les spécialistes de la ‘cognition’ du bébé [30] ».
Détaillons maintenant quelque peu les expériences et les résultats de cette nouvelle tendance épistémologique. On peut les présenter, négativement, comme des critiques de la théorie de Piaget et, positivement, comme la mise en place d’une nouvelle conception de l’enfant.
b’) Doctrine. Une critique de la théorie piagétienne
1’’) Premier résultat
En 1978, on réalisa une expérience célèbre à l’université de Washington : « des bébés âgés de 1 mois explorent une sucette en forme de boule lisse ou munie de picots. Ils regardent ensuite plsu longuement une boule semble à celle qu’ils avaient sucée ». Mêmes résultats pour des enfants de 2 mois, en France. Conclusion : le schéma piagétien de coordination tardive de la préhension et de la vision est donc erroné. Autrement dit, « le bébé vit dans un monde cohérent et ne perçoit pas simplement une succession de tableaux sensoriels sans lien, comme le pensait Piaget [31] ». Dans le cadre de la psychologie aristotélicienne, on dirait que l’enfant met tout de suite en œuvre le premier sens interne qu’est le sens commun.
2’’) Deuxième résultat
Les expériences de Spelke, dans les années 1980, à l’université de Pennsylvanie puis à l’université de Cornelle, montrent que dès 4 mois « et même à la naissance, les bébés ont une conception de l’objet comportant unité, permanence et identité [32] ». L’univers de l’enfant est donc là encore bien mieux unifié, coordonné que ne le pensait Piaget.
3’’) Troisième résultat
Enfin, les bébés sont très précocément capables de catégoriser.
La catégorisation consiste d’abord à traiter de manière numérique une variation continue, par exemple à classer les couleurs alors que leur variation est continue. Or, M. Bornstein de l’université de New York a montré que les bébés de 4 mois catégorisaient les couleurs comme les adultes [33] ».
En un sens plus classique, la catégorisation consiste à « décider si différents obejts peuvent être considérés comme ayant une dimension commune, laquelle pourrait servir de base à une classification. Ainsi, si l’on donne à un enfant de deux ans des jetons petits ou grands, rouges ou verts, ronds ou carrés, il pourra isoler des collections correspondant à des applications partielles de critères disponibles. À partir de quand les bébés pourraient-ils effectuer des classifications élémentaires [34] ? » Jusqu’à récemment, la plupart des auteurs ont considéré que l’âge de 7 mois était la limite au dessous de laquelle les bébés ne seraient pas capables de catégoriser [35] ». Mais il s’avère que c’est un a priori erroné.
Roger Lécuyer montre que la catégorisation existe déjà dès 3 mois. Il se fonde sur le critère d’habituation-réaction à la nouveauté possible.
« Dans une première série d’expériences nous avons présenté aux bébés des figures catégorielles composées de quatre éléments disposés suivant différentes configuratios et une figure hors catégorie composée de trois éléments. Nous avons présenté cette situation avec uen catégorie très homogène (les éléments étaient toujours des cercles) et une catégorie plus hétérogène (la forme des éléments changeait d’une figure à l’autre : des croix, des carrés, des ovales, des cercles, des triangles). Dans tous les cas, avec ce matériel et cette méthode, nous avons pu mettre en évidence une capacité de catégorisation à 5 mois. Après familiarisation avec ce matériel, les bébés regardaient plus longtemps une figure n’appartenant pas à la catégorie qu’une figure nouvelle mais appartenant à la catégorie. Les mêmes expériences ont été faites avec des bébés de 3 mois et ont donné les mêmes résultats [36] ».
c’) Doctrine. Une nouvelle théorie de l’enfant
La théorie piagétienne de l’intelligence sensori-motrice est donc désormais irrecevable. L’innéisme est-il plus recevable ? Nous verrons que non en traitant du rationalisme : l’intelligence est tabula rasa. Lécuyer remarque d’ailleurs « que pour étayer le point de vue innéiste, il est nécessaire de montrer que les capacités observées le plus souvent entre 3 et 5 mois n’ont pas pu faire l’objet d’un apprentissage pré-ou post-natal. Des recherches récentes semblent indiquer que des capacités précoce et supposées innées ne le sont pas [37] ».
Il faut donc une autre théorie : « supposer que la transformation des rapports entre le sujet et l’objet par l’action motrice n’est pas une condition nécessaire au développement des connaissances [38] ». Voilà qui nous rapproche de près du réalisme : la connaissance ne peut être confondue avec l’assimilation-accommodation entre système cognitif et environnement, elle est un processus original distinct de ce dynamisme plus végétatif que sensitif décrit par Piaget. Les expériences de Lécuyer s’opposent donc à la thèse chère à Piaget de la continuité existant entre le biologique et le culturel : il y a donc une profonde solution de continuité entre le végétatif (le biologique) et le cognitif (qui est propre à l’animal).
Notre conclusion est double : négative et en creux, contre l’idéalisme de Piaget ; positive et en plein, pour le réalisme.
d’) Confirmation
Il semble même qu’il faille remonter jusqu’à la naissance. Une passionnante expérience fut réalisée par T. M. Field à l’université de Miami. Elle « a montré que des bébés âgés de 48 h (c’est-à-dire en moyenne 5 h de veille) étaient capables de faire la différence entre le visage de leur mère et celui d’une étrangère ». Or, « il est difficile d’imaginer une programmation génétique de la forme du visage de la mère [39] ». Il est tout aussi difficile de concevoir une connaissance de type piagétien, par accommodation ou par assimilation.
Depuis, de nombreuses autres expériences établissent l’apparition toujours précoce de l’intelligence de l’enfant et même du nourrisson. Nous en retrouverons dans le chapitre sur la réfutation de l’empirisme [40] – et déjà plus bas dans la réfutation de l’idéalisme.
6) Évaluation critique de l’interprétation idéaliste de la physique quantique
Certaines critiques attaquent l’interprétation idéaliste. D’autres critiques font des propositions réalistes nouvelles.
a) Réponse à l’interprétation kantienne de la mécanique quantique
L’objection se fonde sur les acquis de la mécanique quantique pour critiquer la philosophie, ce qui est critiquer le plus certain à partir du moins certain, sans compter qu’il fait appel aux théories physiques qui, pour une bonne part, relèvent du constructivisme mental. À ce sujet, il est bon d’entendre les critiques pertinentes de l’épistémologue Mario Bunge : « La mécanique quantique, une des théories les plus riches et les plus puissantes qui soit, a été contaminée dès sa naissance, il y a quarante ans, par une épistémologie subjectiviste qui tire son origine de Berkeley et de Mach ». Mais des physiciens ont approfondi, appliqué et testé la théorie quantique sans se laisser distraire, au niveau de leur pratique quotidienne, par toute cette gangue philosophique ».
Or, cette dernière constatation « est[-elle] un indice suffisant que la fameuse union de la mécanique quantique et de l’épistémologie subjectiviste est en fait un mariage de convenance […] ? Ce mariage a manifestement mal tourné et il est temps d’en prononcer la dissolution ». En effet,
« il est possible d’éliminer la gangue subjectiviste qui alourdit la mécanique quantique et de ne garder que la théorie complètement physique, libérée de tous ses éléments psychologiques. Néanmoins la mécanique quantique ne reste pas pour autant seule ; elle s’apprête à épouser en secondes noces une autre philosophie, la philosophie réaliste. Il ne s’agit pas évidemment ici d’une philosophie réaliste acritique mais bien de ce réalisme qui repose sur le postulat de l’existence autonome d’un mode extérieur [41] ».
b) Des interprétations réalistes
Une autre interprétation. Eugène Wigner, en 1962, jugeant trop minimaliste l’interprétation de Copenhague, a proposé de dire que la réduction du paquet d’ondes lors d’une mesure résulte de l’influence active de la conscience sur la réalité physique. En effet, un principe estime qu’il y a égalité de l’action et de la réaction veut ; or, la matière peut changer l’esprit : une maladie d’Alzheimer modifie les états de conscience ; donc, de même dans l’autre sens : l’esprit peut agir en retour sur la matière. Cette thèse n’est pas seulement floue ; elle est fausse : l’esprit ne peut agir que sur la matière qu’il informe, qu’il actue.
Ilya Prigogine et Isabelle Stengers prônent aussi une interprétation réaliste de la mécanique quantique : « La nouvelle théorie quantique que nous avons esquissée [cf. tout le chapitre 5] est une théorie réaliste [42] ».
c) Une confirmation actuelle en faveur de la théorie de Bohm-de Broglie
Le journal Nature fait écho d’une nouvelle proposition en faveur de la théorie de Bohm-de Broglie. Un chercheur du Perimeter Institute, Antony Valentini, pense aujourd’hui qu’il est possible de départager ces deux interprétations en étudiant en détail les fameuses fluctuations du rayonnement fossile. Un seul présupposé : la théorie de l’inflation, selon laquelle l’Univers a connu au point de départ une phase courte d’expansion ultra-rapide, est exacte.
Une telle théorie présente deux conséquences d’une importance majeure. La première est ontologique : l’inflation aurait amplifié ces fluctuations quantiques ; or, celles-ci auraient provoqué la matérialisation de particules ; donc, les particules de l’Univers proviennent indirectement de fluctuations d’un champ quantique au tout début de l’histoire du cosmos.
La seconde est épistémologique ou en tout cas ontophanique : l’inflation aurait agrandi ces fluctuations de sorte que des détails de la physique à l’échelle de Planck se trouveraient littéralement inscrit dans le ciel sous forme de fluctuations de températures dans le rayonnement de fond diffus. Autrement dit, selon l’intuition de Brian Greene, l’inflation peut servir de « super microscope » pour sonder des distances extrêmement courtes à la recherche de signatures d’une nouvelle physique en rapport avec la gravitation quantique.
Partant de là, rappelons-nous que Louis de Broglie émettait l’hypothèse que le réservoir d’énergie se communiquant aux particules par la chaleur est un thermostat à l’équilibre thermodynamique. Or, la théorie de l’inflation et l’ignorance de processus de gravitation quantique introduisent une nouveauté : ce réservoir d’énergie ne doit pas nécessairement être à l’équilibre thermodynamique. Donc, au début de l’univers, l’on pourrait rencontrer des écarts aux lois probabilistes de la mécanique quantique connues. Valentini a exploré cette possibilité et d’après certains calculs préliminaires de sa théorie basée sur une extension de la théorie de BDB, ces écarts se présenteraient sous la forme de fluctuations non gaussiennes dans le rayonnement fossile.
Certes, la présence de ces fluctuations est déjà assez fortement contrainte par les données de WMap et il existe d’autres théories prédisant elles-aussi une légère composante de fluctuations non gaussiennes.
Inversement, l’interprétation déterministe est aujourd’hui explorée par le prix Nobel de physique néerlandais 1999 Gerard ‘t Hooft (1946-) qui fait appel à la théorie de variables cachées non locales en rapport avec la gravitation quantique. Le satellite Planck conduira-t-il à une revanche de Broglie, Einstein et Bohm ?
Pascal Ide
[1] Roger Verneaux, Épistémologie, p. 49-50. Souligné dans le texte.
[2] Cf. René Barjavel, La faim du tigre, Paris, Denoël, 1966.
[3] Cf. Philippe Meyer, L’œil et le cerveau. Biophilosophie de la perception visuelle, Paris, Odile Jacob, 1997.
[4] Une des thèses centrales d’André Dartigues, La révélation. Du sens au salut, coll. « Le christianisme et la foi chrétienne », Manuel de théologie, Paris, Desclée, 1985.
[5] Hilary Putnam, Raison, vérité et histoire, trad. Abel Gerchenfeld, Paris, Minuit, 1984, p. 15-16.
[6] Ibid., p. 17.
[7] Fynn, Anna et Mr. God, trad. Luc de Goustine, Paris, Seuil, 1976, p. 57.
[8] Pour plus de détail, cf. l’article suggestif, mais très incomplet, de Michel Fourcade, « Kant, Hegel et Compagnie », Étienne Fouilloux et Frédéric Gugelot (éds.), Jésuites français et sciences humaines (années 1960), Chrétiens et Sociétés. Documents et Mémoires, n° 22, 2014.
[9] Roger Verneaux, Épistémologie, p. 52-55.
[10] Roger Verneaux, Épistémologie, p. 53.
[11] André Frossard, L’homme en questions, Paris, Stock, 1993, p. 101)
[12] Abbé Georges de Nantes, Extraits de la Contre Réforme Catholique, 170 (octobre 1981), p. 3-12.
[13] Étienne Gilson, Le réalisme méthodique, Paris, Téqui, 1935, p. 90.
[14] Étienne Gilson, Constantes philosophiques de l’être, Paris, Vrin, 1983, p. 50.
[15] Jacques Maritain, Les degrés du savoir ou Distinguer pour unir, coll. « L’ordinaire », Paris, DDB, 1963, p. 209.
[16] Edmond Husserl, Méditations cartésiennes. Introduction à la phénoménologie, trad. Gabrielle Peiffer et Emmanuel Levinas, Paris, Vrin, 1980, p. 6-22.
[17] Roger Verneaux, Épistémologie, p. 53.
[18] Cf. la détermination faite par Chapelle de l’influence de Hegel sur la théologie actuelle (Cours de métaphysique, 1ère partie, chap. 1).
[19] Cf. Edgar Morin, La Méthode. 4. Les idées. Leur habitat, leur vie, leurs mœurs, leur organisation, Paris, Seuil, 1991.
[20] Cf. le passionnant ouvrage d’Isabelle Thomas-Fogiel, Le lieu de l’universel. Impasses du réalisme dans la philosophie contemporaine, coll. « L’ordre philosophique », Paris, Seuil, 2015.
[21] Alain Danset, Eléments de psychologie du développement, p. 24.
[22] Ibid., p. 45.
[23] Ibid., p. 81.
[24] Ibid., p. 78.
[25] Ibid., p. 78.
[26] Georges Kanilowski, Impossible métaphysique, Paris, Beauchesne, 1981, p. 50.
[27] Roger Lécuyer, « L’intelligence des bébés ».
[28] Cf. Roger Lécuyer, « Les méthodes d’étude du nourisson », John P. Rossi (éd.), Méthodes de la recherche expérimentale en psychologie, Paris, Dunod, 1989.
[29] Roger Lécuyer, « L’intelligence des bébés », p. 1160.
[30] Ibid.
[31] Ibid., p. 1160.
[32] Ibid., p. 1161.
[33] Ibid., p. 1161.
[34] Ibid., p. 1161.
[35] Ibid., p. 1162.
[36] Ibid., p. 1163.
[37] Ibid., p. 1165.
[38] Ibid., p. 1164.
[39] Ibid., p. 1165.
[40] Cf. Alison Gopnik, Le bébé philosophe, trad. Sarah Gurcel, coll. « Essais », Paris, Le Pommier, 2010.
[41] Mario Bunge, Philosophie de la physique, coll. « Science ouverte », Paris, Seuil, 1975, p. 133 et 134.
[42] Ilya Prigogine et Isabelle Stengers, Entre le temps et l’éternité, Paris, Fayard, 1988, p. 187.