Pauvreté, chemin de l’espérance selon Bernanos

Le moyen par excellence pour entrer dans l’espérance est la pauvreté ou plutôt l’appauvrissement de l’âme. Saint Augustin et saint Thomas à sa suite, joignent l’espérance à la première béatitude : « Bienheureux les pauvres en esprit » (Mt 5,3) par la médiation du don de crainte [1]. De manière plus simple, Thérèse corrèlera la petite voie d’abandon et la pauvreté [2] : « l’unique bien, c’est d’aimer Dieu de tout son cœur et d’être ici-bas pauvre d’esprit », écrit-elle en citant expressément la première béatitude [3].

Avec profondeur, dans son poème de 1903 intitulé Le livre de la pauvreté et de la mort, Rilke retrouve l’intuition thérésienne et au fond simplement chrétienne du lien essentiel nouant pauvreté et espérance, quand il parle des « pauvres qui n’ont que leur espoir pour les guider [4] ». De même, dans une intuition fulgurante qui en dit long sur la pureté théologale de son regard, Bernanos noue la pauvreté et l’espérance, au nom de l’humble enracinement dans la divine Origine :

 

« Le pauvre n’est pas un homme qui manque, par état, du nécessaire, c’est un homme qui vit pauvrement, selon la tradition immémoriale de la pauvreté, qui vit au jour le jour, du travail de ses mains, qui mange dans la main de Dieu, selon la vieille expression populaire. Il vit non seulement de l’ouvrage de ses mains, mais aussi, de la fraternité des autres, des mille petites ressources de la pauvreté, du prévu et de l’imprévu. Les pauvres ont le secret de l’espérance [5] ».

 

Toute proche de la figure du pauvre est celle du paysan, du fait de leur commune dépendance l’un avec le quotidien, l’autre avec la terre. Précisons qu’il ne s’agit en rien d’une romantique apologie misérabiliste. L’essayiste distingue, en effet implicitement le pauvre qui vit du nécessaire, et le plus pauvre ou misérable qui, lui, survit, en manquant de ce nécessaire :

 

« Aussi longtemps que les hommes vivent très près de la terre, comme formés et façonnés par elle, leur expérience n’est que les mérites accumulés de l’humble effort de chaque jour. Elle est une espèce de sainteté naturelle, qui s’exprime par l’indulgence et la sérénité, une forme de prudence inaccessible aux êtres encore engagés dans la lutte pour le pain et le vin, car elle s’inspire d’un détachement sans amertume, d’une simple et solennelle acceptation [6] ».

 

Cette attitude d’abandon confiante entraîne une autre relation à l’argent et la meilleure critique de la cupidité comme désir excessif de celui-ci :

 

« Ils [les paysans, ces vrais pauvres] n’ont nullement fait vœu de pauvreté, c’est le Bon Dieu qui l’a fait à leur insu : il a percé leurs mains pour qu’ils ne puissent rien garder dedans […]. Le signe de leur vocation mystérieuse n’est pas de mépriser l’argent, il leur arrive même de penser qu’ils l’aiment autant que les autres, mais s’ils l’aiment, ils ne le désirent pas réellement, ils y rêvent à peine, on se demande s’ils croient beaucoup plus sérieusement à lui que les enfants aux ogres et aux fées. Dieu les maintient dans cet état de curiosité innocente vis-à-vis du monstre dont tout le sang de la race humaine n’étancherait pas la soif [7] ».

Pascal Ide

[1] Thomas d’Aquin, Somme de théologie, IIa-IIæ, q. 19, a. 12. Il cite saint Augustin, De Sermone Domini in monte, I, 4, PL 34, 1234.

[2] Conrad de Meester, Dynamique de la confiance, p. 455-486.

[3] Ms A, 32 v°, p. 121. Souligné dans le texte.

[4] Rainer Maria Rilke, Le livre de la pauvreté et de la mort, trad. Arthur Adamov, Paris, Actes Sud, 1982, p. 31.

[5] Albert Béguin, Bernanos par lui-même, coll. « Écrivains de toujours », Paris, Seuil, 1954, p. 188.

[6] Georges Bernanos, Les grands cimetières sous la lune, dans Essais et écrits de combat. I, éd. Michel Estève, coll. « Bibliothèque de la Pléiade » n° 232, Paris, Gallimard, 1997, p. 527.

[7] Id., Le chemin de la Croix-des-Ames, dans Essais et écrits de combat. 2, p. 449-450.

5.7.2024
 

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