Mon identité, c’est ma mission (22 janvier 2023. 3e dimanche du Temps Ordinaire année A)

Si je vous demandais : « Qui êtes-vous ? », que répondriez-vous ? Très certainement, en me donnant votre prénom et votre nom. Si je vous posais la question une deuxième fois, qu’ajouteriez-vous ? Sans doute, en me déclinant votre profession ou votre état de vie. Imaginez que je réitère mon interrogation une troisième fois : « Qui êtes-vous vraiment ? » Là, vous vous arrêteriez et vous réfléchiriez.

Dans l’évangile de ce jour, Jésus répond à la place des disciples : « Je vous ferai pêcheurs d’hommes ». D’un mot, pour le chrétien (mais aussi pour tout homme) : son identité est sa mission. Son identité ne se situe pas dans ce qu’il a été, mais dans ce qu’il est appelé à faire. Son identité n’est pas seulement humaine, mais aussi divine. « L’homme passe infiniment l’homme », dit Pascal.

C’est vrai de Jésus, ainsi que nous l’avons entendu dimanche dernier lors du baptême : tout Fils de Dieu qu’il est, il a dû recevoir du Père sa mission. C’est vrai des apôtres. Leur nom même, apostolos, signifie qu’ils sont « envoyés en avant ». D’ailleurs, le terme mission vient du participe passé missus, « envoyé ». Comme toutes les figures de l’Ancien Testament, Abraham, Moïse, David, les prophètes, etc., les Douze sont appelés et envoyés. Au point même, parfois, de changer de nom. C’est ainsi que Simon est devenu Pierre – qui, à l’époque, n’était pas plus un prénom que « caillou » n’est aujourd’hui un prénom.

Et c’est vrai aujourd’hui de chacun de nous. Vous qui me lisez ou m’entendez, votre identité la plus profonde n’est pas sur votre carte d’identité, mais dans la mission que vous recevez ; elle n’est pas dans vos racines, mais dans les fleurs et les fruits que vous êtes appelés à porter.

Mais comment savoir quelle est ma mission ? Je vous propose trois moyens.

 

  1. Relire notre histoire

Même si notre mission configure notre présent et notre avenir, elle n’apparaît que si vous relisons notre histoire. Loin de cette idéologie woke qui est devenue pour certains aujourd’hui une nouvelle religion [1], construisant l’avenir sur le ressentiment à l’égard du passé, l’attitude de Jésus nous montre qu’il ne fait pas fi de notre histoire. Il est significatif que, dans une de ses formules créatives dont il a le secret, Jésus dise : « pêcheur d’hommes », inscrivant ainsi la mission future en continuité avec le passé. Comme si l’action de Dieu était préparé par l’action de l’homme.

Pour connaître notre mission, il est bon de rendre grâces pour tout ce qui a pu être fait par nous (j’y reviendrai). Il s’agit aussi de repérer les fausses pistes.

Une mauvaise bifurcation consiste à imiter l’autre au point de s’identifier à lui. Je pense à cet ambassadeur qui, en poste en Allemagne, avait connu une belle évolution professionnelle, possédait une fortune personnelle, était marié à une femme merveilleuse, était fière de la réussite de ses enfants et, pourtant, demeurait triste. Parce qu’il n’avait pas obtenu le poste d’ambassadeur aux États-Unis comme son collègue. Cet homme ne souffrait pas seulement de cette tristesse qu’est la jalousie, il passait à côté de sa mission. Un seul remède : cesser de se comparer et accepter ce que je suis et ce que j’ai, parce que le Bon Dieu a voulu chacun différent pour mieux le bénir afin qu’il bénisse les autres.

Une autre manière de manquer sa mission est la procrastination. « Demain, je pourrai enfin faire ce pour quoi je suis fait ». C’est le cas de l’enfant qui rêve de quitter la maison et manque ce moment béni de l’enfance. C’est le cas du jeune adulte qui ne fait que rêver de finir ses études pour enfin travailler. C’est le cas de l’adulte qui n’assigne à son travail qu’une fonction alimentaire et ne rêve que de partir à la retraite pour enfin faire ce qu’il aime, y compris servir. C’est le cas du célibataire qui ne rêve que d’être marié pour enfin vivre pleinement sa mission. Et c’est le cas de la personne âgée qui se plaint à Dieu de ne pas être enfin auprès de lui… À chaque fois, nous n’existons que projetés dans un avenir possible au lieu de pleinement habiter le présent (d’enfant, d’étudiant, etc.) et y vivre notre mission.

 

  1. Se mettre à l’écoute de nos désirs profonds.

Nous avons vu les sentiers de traverse. Comment reconnaître le bon chemin ? Tout le monde n’entend pas Dieu lui parler comme Saul sur le chemin de Damas. Tout le monde n’est pas appelé par l’Église comme le séminariste qui devient prêtre.

En revanche, chacun de nous est habité par des grands désirs. Bien entendu, le grand désir s’oppose aux envies superficielles, passagères, comme celles de goûter un chocolat. Mais, en positif, un grand désir est un désir profond, durable, qui souvent touche les valeurs les plus hautes, comme le juste, le bien, le vrai, le beau, l’unité, l’amour et qui, toujours, nous tourne vers l’autre pour nous donner à lui et en prendre soin, directement ou indirectement.

Dans un livre que je vous conseille vivement et qui porte justement sur la mission, le père Jean Monbourquette rapporte l’exemple suivant :

 

« Une jeune femme me confiait que ses éducateurs l’avaient poussée à devenir pianiste de profession, sous prétexte qu’elle remportait tous les concours auxquels elle participait. Sans doute adorait-elle jouer du piano, mais elle ne souhaitait pas en faire une carrière ; elle se voyait plutôt éducatrice. À tort, certains lui rappelaient la parabole des alents pour l’influencer dans le choix de sa mission. Mais la parabole invite à faire fructifier ce que le Créateur a mis en soi, et non telle ou telle habileté. En effet, le mot talent y désigne une pièce de monnaie et non une aptitude.

« Cette jeune femme entreprit donc de faire carrière comme pianiste, mais elle restait toujours insatisfaite. Après avoir longtemps douté – elle ne voulait pas ‘trahir’ son talent –, elle décida plutôt de se consacrer à l’accompagnement de malades en phase terminale. Pour al première fois, elle sentait qu’elle suivait l’élan de son cœur. Quant à son talent de musicienne, elle le mit au service de sa nouvelle mission [2] ».

 

Superbe convergence qui montre que la mission est capable de tout intégrer et qu’il appartient à Dieu de faire l’unité dans notre vie !

Dans son dernier livre, qui porte sur le sacerdoce et que je vous conseille aussi beaucoup, le père François Potez donne l’exemple de son père, homme profondément croyant qu’il admirait et aimait beaucoup.

 

« Médecin de famille, il était toujours passionné pour la psychiatrie, et s’était formé en direct, sur le terrain, accompagné par un maître pour qui il avait un très grand respect. […] C’est après une vingtaine d’années d’exercice de la médecine qu’il est devenu psychiatre pour de bon. […] Il aimait ses malades, parce que leur souffrance le touchait au cœur. Il les portait jour et nuit, à bras-le-corps. Un jour, je lui demandais s’il n’était pas fatigué d’entendre à longueur de journée des personnes en difficulté. Je n’oublierai jamais sa réponse : ‘Si tu savais comme ils souffrent !’ [3] ».

 

Voilà donc un homme qui a su entendre l’appel profond de son cœur et y répondre avec toute son énergie.

Ajoutons, mais nous ne pouvons pas tout dire, que, pour connaître notre mission, il est aussi nécessaire de se mettre à l’écoute de ce qui est extérieur à nous : les signes de Dieu qui, notamment passent par l’Église. Nous pouvons ainsi entendre le thème que la paroisse a choisi cette année comme une mission : « Prendre soin ».

 

  1. Prendre les moyens de vivre la mission aujourd’hui

Une chose est d’écouter ces désirs profonds et durables par lesquels Dieu s’exprime, autre chose est de les mettre en œuvre sans procrastiner. Autrement dit, passer de l’urgent à l’important. Si nous ne faisons que liquider l’urgent sans consacrer dès aujourd’hui de la place pour ce qui est important, c’est-à-dire notre mission, notre vie perd de son sens et nous nous vidons de notre énergie.

Prenons un exemple au plus haut niveau : le pape Benoît XVI. Nous imaginons à peine combien la charge du Souverain Pontife est écrasante, combien il doit rencontrer de personnes, prendre des décisions difficiles face à des situations extrêmement complexes. Pourtant, le Saint-Père récemment décédé savait aussi entendre sa mission propre : Dieu avait appelé sur le Siège pétrinien un théologien, un docteur de la foi appelé à éclairer les fidèles et le monde. Et cette œuvre proprement magistérielle (magister signifie « maître » en latin) s’est notamment incarné dans un de ses plus beaux héritages, les trois tomes de Jésus de Nazareth. Comment, parmi les charges surhumaines qui étaient les siennes et malgré une énergie limitée, a-t-il trouvé le temps de porter leur écriture à accomplissement ? Parce qu’il en a pris les moyens. Il y consacrait tous ses mardis où, sauf exception, il n’accordait pas d’audience. D’ailleurs le fruit ne trompe pas. Loin de le fatiguer, ce travail du mardi l’énergétisait : « Il y trouvait […] une vigueur renouvelée. Le lendemain, il apparaissait serein, plus concentré sur ses tâches et les décisions à prendre [4] ».

Tournons-nous vers des exemples plus proches de nous. Une laïque que j’interrogeais sur sa mission me répondait : « Le dernier Concile l’a dit : notre mission première est d’annoncer le nom de Jésus. Je ne manque pas de le faire auprès de mes nombreux petits-enfants que j’aime tant. Mais je ne rate pas non plus les autres occasions, par exemple, auprès de ma femme de ménage. Ou quand je fais le marché, ne serait-ce qu’en souriant au lieu de me plaindre de faire la queue. Pour m’y préparer, je prie, je commence et finis mes journées en disant le nom de Jésus. C’est extraordinaire. Je respire le nom de Jésus, car, j’en fais l’expérience, il nous transforme profondément ».

Une veille dame presque centenaire a eu cette parole merveilleuse : « Je n’arrive plus à dire mon chapelet. Mais je regarde la Sainte Vierge ». D’ailleurs, elle ne cessait de répéter avec gratitude : « Les gens sont merveilleux ». Et elle a gardé son sens de l’humour jusqu’à la fin de sa vie : « Le Bon Dieu est bon ! Maintenant, je ne peux plus marcher que toute courbée. Mais ainsi, je peux mieux voir ce qu’il y a sur les trottoirs et éviter de mettre les pieds dedans ! »

 

De même que Jésus appelle chacun de ses disciples pour sa mission, de même il ne cesse d’appeler chacun de nous dès aujourd’hui pour une mission. « Aujourd’hui, ne fermons pas notre cœur, mais écoutons la voix du Seigneur » (Antienne du psaume invitatoire 94).

Pascal Ide

[1] Je vous conseille l’ouvrage courageux et lucide de Jean-François Braunstein, La religion woke, Paris, Grasset, 2022.

[2] Jean Monbourquette, À chacun sa mission, Paris, Bayard, 2001, p. 49-50.

[3] Père François Potez, La grave allégresse. Être prêtre aujourd’hui, Paris, Mame, 2022, p. 83, note 1 et p. 84.

[4] Elio Guerriero, Serviteur de Dieu et de l’humanité. La biographie de Benoît XVI, trad. Alexandre Joly, Paris, Mame, 2017, p. 554.

22.1.2023
 

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