L’idée chez Newman. Une relecture à la lumière du don

Le concept d’« idée » est central dans la vision et la pratique de Newman [1]. Même s’il est primitivement développé durant la période anglicane, il éclaire toute sa théologie catholique. Cette étude doit être complétée par l’étude plus générale : « Le visible, sacrement de l’invisible chez Newman ».

1) L’importance de l’idée

La notion d’idée est l’un des principes clés de la pensée (et de la pratique) newmanienne(s).

Plusieurs ouvrages essentiels de Newman portent, en leur titre même, le mot « Idée » : L’idée de développement ; L’idée d’Université ; etc. Mais, en fait, cette vision se retrouve dès les Sermons Universitaires. Surtout, en leur contenu, ces ouvrages traitent de l’idée comme d’un centre organique et organisateur. De fait, plusieurs livres traitent du développement ; or, pour Newman, tout développement s’opère à partir d’un noyau organisateur, d’un principe germinatif.

À ces preuves directes, on peut joindre une confirmation indirecte. Le concept d’idée concerne l’objet dans sa logique de développement. Or, qui dit objet dit sujet ; précisément, la notion d’idée appelle, du côté du sujet récepteur, une attitude non pas tant d’abord de savoir, d’évidence, de maîtrise, que de confiance, d’assentiment. Ce n’est donc nullement un hasard si le dernier ouvrage de Newman est La grammaire de l’assentiment.

2) Un texte fondateur

Ce concept original (non quant au nom, mais quant à sa compréhension) est défini dans le xve sermon universitaire, prêché pour la fête de la Purification, le 2 février 1843 [2]. Voici le développement central sur l’idée :

 

« Tous les systèmes qui sont vivants et substantiels dépendent de quelque principe ou doctrine intérieurs dont ils sont le développement. Ils ne sont pas un assemblage fait de l’extérieur, mais l’expansion d’un élément moral intérieur. Ils ne peuvent mourir de mort naturelle avant que cet élément moral ne meure, bien que, naturellement, comme toute choses ici-bas, ils puissent être emportés par la violence. Mais ils sont indestructibles, vus de l’intérieur, tant que dure le principe qui leur donne forme ; car il est leur vie. […] tant que dure leur vie interne, ls réparent leurs pertes ; si des parties sont coupées, il pousse de nouvelles branches. Mais quand la vie s’en va, ils n’existent plus, ils n’ont plus d’être, ils se dissolvent. Quelque belle apparence qu’ils puissent montrer pour un temps, qu’il s’agisse d’un État, d’une nation, d’une société, d’une Église, d’une université, d’un agent moral, ils sont morts […]. L’unité extérieure est le résultat de l’unité intérieure ; mais quand il n’y a rien de réel à l’intérieur, ce qui apparaît au-dehors est aussi peu réel et substantiel que le visage d’un homme dans un miroir, qui n’est pas le développement physique d’une âme, mais seulement le résultat de certaines lois de la matière [3] ».

3) Contenu de l’idée

a) Nature de l’idée

1’) Ce qu’elle n’est pas

Avant tout, l’idée ne doit pas s’entendre au sens habituel de concept, de notion. Il n’est pas non plus l’idea factiva des scolastiques, même si son caractère dynamique la rapproche de la juste essence de l’idée. Ce sens noétique est trop restreint.

2’) Ce qu’elle est

L’idée peut être rapprochée de l’Idée au sens proprement platonicien de principe d’intelligibilité mais aussi principe ontologique directeur, organisateur, régulateur. L’idée est le principe à partir duquel une réalité se constitue et croît. C’est ainsi que l’idée d’Université doit se comprendre comme le principe architectonique à partir duquel se constitue ladite entité.

Dit autrement, l’idée est comme l’âme, le principe de vie, le principe organique. Voici ce que dit Newman dans le quinzième des Fifteen Sermons, alors qu’il réfléchit sur la « crise de croissance » de la jeune Église d’Amérique :

 

« Tous les systèmes qui sont vivants et substantiels dépendent de quelque principe ou doctrine intérieurs dont ils sont le développement. Ils ne sont pas un assemblage fait de l’extérieur, mais l’expansion d’un élément moral intérieur. Ils ne peuvent mourir de mort naturelle avant que cet élément moral ne meure, bien que, naturellement, comme toutes choses ici-bas, ils puissent être emportés par la violence. Mais ils sont indestructibles, vus de l’intérieur, tant que dure le principe qui leur donne forme ; car il est leur vie [4] ».

b) Finalité de l’idée

La raison qui rend peut-être le mieux compte de l’idée est la nécessite de faire « tenir ensemble » les différentes pièces d’une complexité. En effet, les réalités, qu’elles soient naturelles ou culturelles, apparaissent comme l’articulation d’une complexité ; or, qui dit organisation, articulation, dit unification, donc principe unificateur. Le complexe est le divers mais dans l’unité. « L’idée qui représente un objet réel ou supposé tel est proportionnelle à la somme de l’ensemble de ses aspects, quelles que soit leurs différences dans la conscience des individus ; et sa force, sa profondeur et ce qui permet d’affirmer sa réalité seront proportionnels à la diversité des aspects sous lesquels elle se présente à l’esprit de chacun [5] ». C’est ainsi que Newman le montre dans le chap. 1 du Développement de la doctrine chrétienne : l’idée est le principe interne assurant la cohésion du système au plan statique et dynamique.

Ensuite, l’idée est principe interne d’unité. Elle s’oppose à une conception mécaniste ou artificielle faisant de l’unité un principe extrinsèque. Par exemple, l’Incarnation peut être vue comme une idée au sens défini ci-dessus. De fait, elle en présente les différentes caractéristiques.

 

« L’Incarnation est l’aspect central du christianisme, dont dérivent les trois aspects principaux de son enseignement, l’aspect sacramentel, l’aspect hiérarchique et l’aspect ascétique [entendons aujourd’hui : moral]. Mais il ne faut jamais permettre à l’un des aspects de la Révélation d’exclure ou d’obscurcir les autres ; aussi le christianisme est-il à la fois dogmatique, dévotionnel et pratique ; il est ésotérique et exotérique, il est indulgent et strict, il est lumineux et sombre, il est amour et crainte [6] ».

 4) Sources du concept newmanien d’idée

a) L’influence patristique

Une première source semble patristique. On sait l’influence qu’Athanase d’Alexandrie exerça, au-delà de l’Église de son temps, sur Newman. Or, dans son Traité sur l’Incarnation du Verbe et le Contre les Païens, Athanase développe le thème d’une plénitude du réel et d’une interdépendance des éléments séparés de la création en un tout : ceux-ci sont indigents séparément ; mais, « réunis tous ensemble », il forment « comme un seul grand corps [7] ». Or l’unité du corps révèle la gloire divine : « Le Verbe se déploie partout, en haut et en bas, dans la profondeur et la largeur, en haut dans la création, en bas dans l’incarnation, dans la profondeur aux enfers, dans la largeur du monde : tout est rempli de la connaissance de Dieu [8] ».

b) Les influences littéraires

Une seconde origine est la pensée de Butler et, plus encore, de Coleridge. Dans différents ouvrages, Aids to Reflexion, Biographia literaria, Confessions of an inquiring spirit, Coleridge estime que tout développement organique se fait à partir d’un centre qui n’est pas sans rappeler les « raisons séminales » des néoplatoniciens.

De manière plus générale, la conception newmanienne hérite de la vision romantique.

c) Une influence de la vision scientifique de l’histoire au xixe siècle ?

Newman est nécessairement influencé par les mouvements culturels de la société victorienne ; or, celle-ci est marquée par l’importance accordée à l’historicité, tant individuelle qu’institutionnelle, voire textuelle. De même, Darwin et l’évolutionnisme habite et agite les esprits. De plus, Newman a suivi assidûment les cours de géologie et de minéralogie du Dr Buckland à Oxford et il leur accorde de l’importance, puisqu’il en a soigneusement gardé les notes [9] ; or, si ces disciplines ne sont pas encore touchées par la doctrine de l’évolution, elles le sont indirectement, en aidant les sciences de la vie.

Toutefois, Newman prend ses distances avec cette conception du développement sur un point essentiel : sa vision platonicienne lui fait concevoir la transformation à partir d’un type, et donc de manière ordonnée et finalisée ; or, le transformisme de Darwin se fonde sur le hasard des mutations.

5) Relecture à la lumière du don

Ainsi présentée, le concept newmanien d’idée présente les différentes caractéristiques de l’âme, du principe organisateur de la vie [10]. Mais il peut être éclairant de l’interpréter à partir de la structure ontophanique ; or, celle-ci s’éclaire à partir de l’amour-don. Redisons-le : nous traitons aussi de ce sujet dans l’autre article intitulé « Le visible, sacrement de l’invisible chez Newman ».

a) La structure ontophanique synchroniquement

1’) Exposé chez Newman

La structure ontophanique articule le réel à partir de deux pôles : le fond invisible ou intérieur, et l’apparition visible ou extérieure. Ces deux pôles statiques sont dynamiquement connectés à partir de deux mouvements : le dévoilement par laquelle le fond se manifeste dans l’apparition ; le voilement (ou enveloppement ou retrait) par lequel l’apparition se retire dans le fond pour en dire l’excès [11].

Or, le fond correspond très exactement à l’idée : il est un principe interne d’unité et d’organisation. Au fond, l’idée demeure mystérieuse, car il est difficile de saisir tous les fils qu’elle noue. En revanche, ce sont ces divers fils qui nous sont accessibles. Ils sont donc comme l’apparition du fond qu’est l’idée.

 

« Ainsi malgré la connaissance précise que nous avons de la vie animale et de la structure des divers animaux, nous ne parvenons toujours pas à donner une définition d’aucun d’entre eux, et nous nous trouvons contraints, en fait de définition, de procéder à une énumération de propriétés et d’accidents [12] ».

 

La grammaire de l’assentiment est fondé sur le constat ultime que la lumière de la vérité nous échappe, que le passage à la certitude est, pour une part, mystérieux – tout en se refusant à toute espèce d’irrationalisme, tout en maintenant que le raisonnement l’assentiment comme jugement de la certitude sont nécessaires.

Plus généralement, Newman structure le réel en visible et invisible, faisant du premier le signe du second. Dans l’homélie citée ci-dessus, ne dit-il pas : « L’unité extérieure est le résultat de l’unité intérieure » ? Or, le fond ou l’idée est premier à l’égard de la manifestation. Voilà pourquoi Newman accorde une telle place aux anges dans la nature. Pour le détail, cf. l’article sur le site « Les anges et la nature ».

Enfin, ce penseur si attentif à la structure sacramentaire de la création et de l’histoire qu’est Newman note que la manifestation s’accompagne d’un retrait. C’est ce qu’atteste un écrit de la période anglicane :

 

« C’est la loi de la Providence ici-bas : elle travaille derrière un voile, et ce qui est visible dans son cours ne fait rien d’autre le plus souvent que projeter une ombre [does but shadow out at most] sur ce qui est invisible, et parfois même l’obscurcit et dissimule [13] ».

2’) Confirmation. Primat du monde invisible dans la pensée anglaise

Newman est profondément anglais dans sa forma mentis. Or, la mentalité britannique est doublement sigillée. D’abord, le fait est bien connu, elle se caractérise par l’empirisme, cette observation très fine et très respectueuse du réel : ce qui pourrait à la limite s’identifier à une contemplation. En ce sens, l’esprit anglais se distingue de la raison française qui, idéologue ou plutôt idéophile née, doublera toujours la description d’une interprétation et préfèrera toujours aux faits bruts leur relecture dans l’idée claire et du Begriff (« concept ») allemand qui le dégage laborieusement l’intelligible de son fond obscur. Voilà pourquoi l’auteur anglais offre de splendides descriptions de la nature, par exemple dans Trois hommes dans un bâteau.

Mais l’esprit insulaire est aussi fortement notifié par une forte propension à l’imaginaire : depuis les fables insérées dans les pièces de Shakespeare jusqu’aux multiples contes de Noël que l’on s’est toujours raconté en famille, en passant par Purcell, sans parler, bien entendu des Carroll, Tolkien, Lewis, Chesterton et autres Rawling.

Or, comment joindre ces deux aspects apparemment contrastés ? Je fais l’hypothèse, qui est celle de Lewis, que l’imaginaire n’est pas une évasion du réel, mais son ouverture : pour celui qui vit dans le monde plat des faits, la seule manière d’honorer son aspiration jamais tue à la profondeur est de passer par la médiation du fantasme constructeur de sens. Martin Charcosset ajoute, de manière suggestive, l’importance que Newman accorde au monde invisible, dès la période anglicane. Il ne cesse de sensibiliser son auditoire à ce que le monde visible est entouré des anges, des Saints et, au fond, de ce qu’est l’Église comprise en sa profondeur.

Est-ce que l’articulation de cette bipolarité n’engendre pas ce « sense of humour » si idiosyncrasique de l’âme anglaise ? On l’interprète souvent à partir de la distanciation, c’est-à-dire de la pudeur ou de la discrétion dans l’accès à son intimité. Mais ne pourrait-on pas faire jouer, à côté de cette différence intérieur-extérieur, fond-apparence, celle du visible et de l’invisible, la nécessité de relativiser cette invasion charnelle, sensuelle, des choses, de la chair des choses, en rappelant constamment l’importance de l’invisible et du surnaturel.

b) La structure ontophanique diachroniquement

1’) Exposé

Nous avons considéré la constitution épiphanique de l’idée de manière anhistorique. Mais  celle-ci se déploie aussi temporellement. En effet, l’idée est un germe. Or, le principe germinatif passe progressivement à l’acte, il ne développe ses potentialités que graduellement dans une histoire. Voire, l’idée doit se comprendre comme créateur de son temps propre : ce principe vivant travaille non seulement dans l’histoire mais l’histoire elle-même.

 

« En raison de la nature de l’esprit humain, le temps est nécessaire à la pleine compréhension et à la perfection des grandes idées ; et que les plus hautes et les plus magnifiques vérités, bien qu’elles soient communiquées au monde une fois pour toutes par les pédagogues inspirés, ne pourraient être comprises d’un seul coup par leurs destinataires, mais, dans la mesure où elles sont reçues et transmises par des esprits qui ne sotn pas inspirés et par des intermédiaires humains, ont demandé un temps plus long et une méditation approfondie pour leur pleine élucidation [14] ».

 

Faut-il le préciser ? Cette conception s’oppose frontalement à la conception protestante de l’histoire : en effet, selon celle-ci, le temps se déploie à partir du texte évangélique et de son vécu par les premières communautés chrétiennes ; or, ce texte est parfait et son vécu de même ; donc, le protestant considère le temps comme une dégradation à partir de l’origine, tant théorique que pratique (on ne peut donc même pas se rabattre sur un progrès dans la mise en œuvre).

Or, inversement, Newman considère l’histoire comme un développement progressif à partir d’un centre ou d’un fond. Nous retrouvons donc la constitution ontophanique qui structure l’idée – le temps rendant plus évident cette structure bipolaire qui refoule le cœur au centre.

2’) Confirmation : la croissance de l’idée

Tout homme a ses convictions et ses certitudes. On ne peut tout simplement pas vivre sans elles. La différence n’est donc pas entre ceux qui en ont et ceux qui n’en ont pas, mais entre ceux qui en ont conscience et ceux qui n’en ont pas. Par exemple, chacun, quelle que soit la philosophie qu’il professe, a la certitude que l’autre existe. Le solipsisme est pensable, il n’est pas vivable.

Le meilleur ouvrage sur la certitude est peut-être celui de Newman, La grammaire de l’assentiment. Il donne l’exemple d’un homme qui se promène le soir, aperçoit quelqu’un et pense qu’il s’agit d’un ami. Il s’approche et réalise que c’est un bout d’arbre. Il continue de marcher et se ravise : c’est vraiment son ami qu’il voit, et sa certitude est totale puisqu’il le salue. Il y a donc deux erreurs successives : la première fois, il a pris un arbre pour son ami ; la seconde fois, il s’est trompé d’avoir pensé qu’il s’est trompé. Cette double erreur doit-elle le conduire à douter de tout ? Non, répond le cardinal Newman. Et un fait immédiat le prouve qui réfute tous les scepticismes se fondant sur les erreurs des sens : je suis bien certain que celui avec qui je parle est mon ami. Sinon, je ne parlerais pas avec lui. Un raisonnement similaire se trouve dans la Préface à la Phénoménologie de l’esprit.

On peut élargir, ainsi que le fait Robert Spaemann en donnant un exemple personnel.

 

« Pendant la guerre, j’avais un ami, nous avions 17 ans. Il est entré dans l’armée. Il s’est ensuite rendu en Hongrie, mais personne n’a plus jamais rien su de lui, il n’est jamais revenu. Durant des années, j’ai rêvé qu’il était revenu. La dernière fois c’était il y a deux ans : j’ai rêvé de nouveau qu’il était revenu. Puis dans mon rêve, je me souvenais que j’avais déjà rêvé plusieurs fois qu’il était revenu. Et je disais à mon ami : tu sais, j’ai déjà cent fois rêvé que tu étais revenu, et maintenant tu es vraiment là. J’étais vraiment sûr qu’il était là. Puis je me suis réveillé et j’ai réalisé qu’il s’agissait de nouveau d’un rêve. On peut, durant un rêve, être sûr de manière réflexive que ce n’est pas un rêve. Et c’est quand même un rêve. Mais en ce moment-là, en parlant avec lui, je n’avais absolument aucun doute sur le ait qu’il ne s’agissait pas d’un rêve ».

 

Conclusion : « La certitude ne souffre pas du fait qu’elle m’a trompé beaucoup de fois. Je pense que c’est une constante anthropologique [15] ». Autrement dit, le scepticisme est pensé, il n’est pas vécu. L’épreuve des faits le réfute en permanence : si nombreuses soient mes erreurs, si répétées soient mes tromperies, il y a des données que je ne remets jamais en question.

En revanche, et c’est ce que disent tant Newman que Spaemann, il existe un progrès immanent au processus de certitude. Celle-ci n’est pas fixe, mais s’approfondit. Ce processus passe par des étapes, la certitude peut connaître des crises, se fragiliser. Il demeure que le but est bien la stabilité reposant dans la possession ferme de la vérité. L’esprit aspire à voir le réel à partir de sa propre lumière.

c) Relecture de la structure ontophanique à partir de l’amour

Or, cette structure ontophanique doit être relue à partir de l’amour [16]. D’un mot, la loi d’autocommunication qui est la loi fondatrice de l’amour-don ne se vérifie pas seulement ad extra, mais ad intra et c’est elle qui structure tout étant. L’amour possède une puissante charge ontologique. En regard, l’intellect peut finir par ne rencontrer que soi. Contre les cloisonnements d’un certain essentialisme scolastique, il faut souligner la vérité de ce propos. Spaemann dit :

 

« Je crois qu’il n’y a que l’amour qui touche l’être comme être. Parce que l’amour est impossible sans la réalité de ce que j’aime. L’amour est une sorte de transcendance. Je ne peux aimer que le réel. Le vrai amour vise vraiment l’autre comme autre et non pas comme mon idée de lui [17] ».

6) Conclusion

Le concept newmanien d’idée, en particulier relu à partir de la dynamique interne du don (comme communication ad intra) n’est pas sans rappeler ceux de « centre » chez Balthasar ou de « fond » (Grund) chez Gœthe. Comment s’en étonner quand on sait le tropisme platonicien de ces auteurs ?

Pascal Ide

[1] Cf. Pierre Gauthier, « L’Idée selon Newman : de l’idée de développement à celle d’Université », Newman et l’éducation : une réflexion pour le xxie siècle ?, Actes du Colloque de Chantilly, mai 1998, Etudes newmaniennes, n° 15 (1999), p. 89-104.

[2] Ce sermon est assez important pour que Pierre Gauthier lui consacre un chapitre entier : Pierre Gauthier, « Le pouvoir de l’idée. Le xve sermon universitaire », Newman et Blondel. Tradition et développement du dogme, coll. « Cogitatio Fidei » n° 147, Paris, Le Cerf, 1988, chap. xii, p. 131-145. Le contenu, très décevant, est très peu élaboré conceptuellement. Les notions ne sont pas cernées, distinguées, manifestées par contraste. L’auteur ne montre que très peu combien la philosophie de l’action éclaire en profondeur la Tradition. Il ne semble pas avoir de recul sur un texte dont il se contente de faire la paraphrase ou qu’il tente d’éclairer par d’autres citations de Newman.

[3] John Henry Newman, Fifteen Sermons preached before the University of Oxford, éd. standard, London, Longmans, Green & Co, 1868-1881, ici 1872, xv, § 5, p. 333-334. Traduit par Pierre Gauthier, p. 135. Cf. Jean Guitton, p. 60 ; R. Desjardins, « L’idée de l’Église, Maurice Hauriou et l’institution. Newman et l’Église », BEL, 1971/3, p. 200-223.

[4] Cité et traduit par Pierre Gauthier, Newman et Blondel, p. 135.

[5] John Henry Newman, An Essay on the Development of Christian Doctrine, London, Longmans, Green and Co, 121903, p. 34.

[6] John Henry Newman, An Essay on the Development of Christian Doctrine, p. 36.

[7] Athanase d’Alexandrie, Traité sur l’Incarnation du Verbe et Contre les Païens, introd., trad. et notes de Th. Camelot, coll. « Sources chrétiennes », Paris, Le Cerf, 1946, p. 165.

[8] Ibid., p. 236.

[9] Cf. Robert Dudley Middleton, Newman at Oxford. His religious Development, Oxford, Oxford University Press, 1950, p. 28.

[10] L’on trouve une moisson de textes dans Albert de l’Annonciation, Douce lumière dans la nuit. John Henry Newman, Maître spirituel, Toulouse, Carmel, 2010. Reprise intégrale de deux articles du même père Carme sous le titre plus précis : « Douce lumière dans la nuit. John Henry Newman, en marche vers la Terre promise », Carmel, 1959, n° 3, p. 161-188 et n° 4, p. 266-291.

[11] Pour le détail, cf. Pascal Ide, Être et mystère. La philosophie de Hans Urs von Balthasar, coll. « Présences » n° 13, Namur, Culture et vérité, 1995, chap. 1.

[12] Ibid., p. 35.

[13] John Henry Newman, « Milman’s View of Christianity », 1841, Essays Critical and Historical, II, London, Longmans, 1907, p. 191.

[14] Ibid., p. 29-30.

[15] Robert Spaemann, Interviewé par Paulin Sabuy Sabangu, Nature, raison et personne. Une approche anthropologique d’après Robert Spaemann, Thèse pour le Doctorat de Philosophie, Faculté de philosophie de l’Université Pontificale de la Sainte Croix, Rome, 1998, p. 280.

[16] Pour le détail, cf. Pascal Ide, « Métaphysique de l’être comme amour. Quelques propositions synthétiques », La métaphysique, numéro coordonné par Emmanuel Tourpe, Recherches philosophiques, 6 (2018), p. 29-56.

[17] Robert Spaemann, Interviewé par Paulin Sabuy Sabangu, Nature, raison et personne, p. 282-283.

14.10.2019
 

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