L’homme intérieur selon saint Paul

Les Saintes Écritures en général, l’Évangile en particulier connaissent la distinction intérieur-extérieur (cf., notamment, Mt 6,4.18 ; Mc 7,21 ; Lc 11,39). Mais l’expression « Homme intérieur » (entos anthropos) ne se rencontre qu’à trois reprises, et à chaque fois sous la plume de saint Paul (Rm 7,22. Si l’origine de l’expression se trouve dans la littérature grecque [1], l’Apôtre lui accorde un sens inédit [2]. Quel est-il ? Passons brièvement en revue les trois lieux.

« Car je me complais dans la loi de Dieu du point de vue de l’homme intérieur » (Rm 7,22).

Saint Paul parle de l’homme intérieur par opposition à l’homme qui suit la loi du péché. En effet, le texte continue : « mais j’aperçois une autre loi dans mes membres qui lutte contre la loi de ma raison et m’enchaîne à la loi du péché qui est dans mes membres ». (v. 23) C’est donc que l’homme intérieur est celui qui ne vit pas dans la loi de la chair et du péché. Or, tout le contexte montre que l’homme est trop faible pour accomplir seul le bien ; mais la raison (nous) peut recevoir l’Esprit (Rm 8,2s) ; or, celui-ci accorde l’homme à la loi de Dieu, donc de lutter contre le péché. Par conséquent, l’homme intérieur est l’homme qui vit accordé à l’Esprit. Confirmation en est donné par le long développement du chapitre 8 sur la vie dans l’Esprit qu’ouvre le passage sur l’homme intérieur. Or, Augustin montre que le cœur est le « lieu » de la présence de Dieu. Donc, « l’homme intérieur » selon Paul est l’homme vivant dans son cœur comme capacité à recevoir l’Esprit.

« Même si notre homme extérieur s’en va en ruine, notre homme intérieur se renouvelle de jour en jour » (2 Co 4,16).

Ici, Paul oppose explicitement « homme intérieur » et « homme extérieur » et cet antagonisme constitue un hapax dans l’Écriture. Le contexte montre que les deux pôles sont en contraste comme les « tribulations » actuelles et la « masse éternelle de gloire » (v. 17), comme « les choses visibles aux invisibles », comme les choses caduques (qui « n’ont qu’un temps ») aux choses « éternelles » (v. 18). Or, ces réalités actuelles, obsolètes, visibles ne sont pas seulement le péché, mais aussi les réalités contingentes du monde. Donc, l’homme intérieur est l’homme qui vit accordé aux réalités spirituelles, éternelles. C’est l’homme nouveau dont parle Paul.

De plus, la perspective du passage n’est pas celle d’une opposition statique, mais celle d’un progrès dynamique. L’être humain, précisément l’apôtre du Christ est appelé à s’intérioriser, à écarter de plus en plus ce qui est passager. La cause en est qu’il imite le Christ ou, plus encore, qu’il laisse le Christ dont il participe agir en lui ; or, le mystère du Christ est celui du passage de la vie terrestre à la vie céleste : le mouvement pascal est une intériorisation. C’est ce que décrit le contexte immédiat (2 Co 4,7-15). Par conséquent, l’homme intérieur ne se limite pas à une partie de la personne, comme l’âme, mais englobe toute la personne vivant du mystère pascal ; sa signification est plus éthique qu’ontologique.

« Qu’Il daigne, selon la richesse de sa gloire, vous armer de puissance par son Esprit pour que se fortifie en vous l’homme intérieur » (Ep 3,16).

Ce texte est le plus riche pour la compréhension de ce qu’est l’homme intérieur. Ici sont tissés étroitement les deux plans anthropologique et théologique (le mystère du Dieu Trinité).

D’abord, le contexte général est proprement théologique. Cette prière conclut toute la première partie de l’épître ; or, celle-ci est une longue description de l’économie divine montrant Dieu bénissant et sauvant l’homme en son Fils pour le constituer en un unique Corps qui est l’Église.

Ensuite, en quelques versets, la prière (3,14-21) reprend cette dynamique de l’exitus et du reditus. D’une part, Dieu le Père envoie son Fils et l’Esprit ; d’autre part, dans « l’Amour du Christ » tout retourne vers « la plénitude de Dieu ». Or, au centre se trouve « l’homme intérieur ». Celui-ci présente différentes caractéristiques : il est fortifié par l’Esprit, il est habité par le Christ, et cette habitation se fait par les deux vertus théologales de la foi et de la charité ; l’homme intérieur comprend les différentes dimensions de l’amour du Christ et entre dans le mystère de Dieu. Or, les premiers traits sont plus réceptifs et les seconds plus émissifs. Enfin, à côté de « l’homme intérieur », Paul parle de « cœur » (v. 17).

Il semble donc que, implicitement, « l’homme intérieur » puisse être interprété à partir de la dynamique ternaire du don (réception-appropriation-donation) : l’expression désigne le moment médian et médiateur, le cœur, dans sa double ouverture, en amont et en aval, entendue dans sa maximalité : d’un côté l’enracinement le plus haut dans le Dieu unitrine, de l’autre, l’expansion-extension la plus large. L’homme intérieur est donc l’homme compris en sa plus grande profondeur.

Pascal Ide

[1] Notamment, Platon parle de l’« homme intérieur » : celui-ci se comprend par opposition aux instincts mauvais comparés à des bêtes féroces (République, L. IX, 589 a). Le sens semble donc être celui de l’intériorité, de la conscience morale (cf. Édouard des Places, Lexique de Platon, coll. « Les Belles Lettres », Paris, Guillaume Budé, tome 1, 1964, p. 183-184).

[2] Existe-t-il une monographie détaillée sur ce thème en exégèse ? Nous nous sommes en partie inspirés des développements d’Aimé Solignac, « Homme intérieur. 1. Saint Paul », Dictionnaire de spiritualité, Paris, Beauchesne, 1969, tome 7, col. 650-653.

22.3.2025
 

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