« L’événement de ta mort a tout pulvérisé en moi. Tout sauf le cœur » (Christian Bobin).

Christian Bobin n’est plus, mais ses paroles demeurent. Si son corps n’est plus parmi nous, son cœur demeure, ainsi qu’il le disait de son épouse dans La plus que vive.

La femme que Christian Bobin aime, Ghislaine, meurt très brutalement, à 44 ans, d’une rupture d’anévrisme. « On peut se laisser dépérir dans le manque. On peut aussi y trouve un surcroît de vie ». Pourquoi « Christian » (ainsi qu’il se nomme une fois) y trouvera-t-il ce surcroît de vie ? Les deux premières phrases de l’ouvrage le disent : « L’événement de ta mort a tout pulvérisé en moi. Tout sauf le cœur ».

Comment le comprendre ? C’est parce qu’il a toujours vécu de gratuité, qu’il n’a jamais cherché à la capter. Aussi, l’écrivain dit-il à la fin qu’il n’a « pas le cœur pleurer », car dessous les larmes, il y a cette certitude : « Cette vie nous est donnée, et avec elle nous est donné bien plus que ce qui nous sera repris le jour de notre mort [1] ». C’est aussi parce que Ghislaine l’a toujours éveillé à la liberté. « ce que j’aime en toi, […] c’est ta liberté – c’est-à-dire ce point de ton cœur où tu devenais à toi-même imprévisible, c’est-à-dire encore ce qui, dans ton cœur, contrariait les désirs que l’on pouvait concevoir de toi, c’est-à-dire enfin ton amour et ton intelligence, car l’amour réel, l’intelligence charnelle et la liberté vécue ne font en nous qu’un seul cœur battant, volant [2] ». Or, continue Bobin : « Ce qui m’échappe dans ta mort m’échappait déjà de ton vivant ».

Et plus loin : « Tu as aimé d’amour entier ceux que tu as rencontrés, et dans cet amour tu n’as cessé d’exercer ta liberté radieuse ». Voilà pourquoi Christian Bobin ne la retrouve pas dans les photographies, car il n’en a pas besoin : « Tu n’es pas dans les photographies. Tu es dans ce goût que j’ai de vivre [3] ».

Aussi cet écrivain chrétien qui n’avait besoin de confesser sa foi pour qu’elle transparaisse peut-il conclure : « C’est entendu, Ghislaine, c’est entendu : je continuerai à bénir cette vie où tu n’es plus, je continuerai à l’aimer, je l’aime de plus en plus [4] ».

Pascal Ide

[1] Christian Bobin, La plus que vive, coll. « L’un et l’autre », Paris, Gallimard, 1996, p. 101 et 102.

[2] Ibid., p. 35.

[3] Ibid., p. 59.

[4] Ibid., p. 102.

3.12.2022
 

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