L’énergie de l’Ascension (Ascension, 18 mai 2023)

La deuxième lecture nous donne à entendre un texte qui ouvre une perspective abyssale sur le mystère célébré en ce jour : « Que [le Dieu de notre Seigneur Jésus Christ, le Père] ouvre à sa lumière les yeux de votre cœur, pour que vous sachiez [1] quelle espérance vous ouvre son appel, [2] la gloire sans prix de l’héritage que vous partagez avec les fidèles, [3] et quelle puissance incomparable il déploie pour nous, les croyants » (Ép 1,18-19). Explorons donc ces trois fruits, qui sont autant de fruits de notre foi [1] dans l’Ascension de Jésus.

 

  1. « Quelle espérance vous ouvre son appel ».

L’autre jour, prenant le TGV, j’échangeais avec ma voisine, ou plutôt je l’écoutais. Celle-ci me parlait de notre pays paralysé par les grèves, exprimait tout son contentement à l’égard du gouvernement, de ce qu’elle pensait être son incompétence. Bien évidemment arrive le moment où elle parle de l’âge des retraites. Je me saisis alors de l’occasion pour glisser un mot dans le flot de reproches adressés aux gouvernants : « En tout cas, la question de l’âge de la retraite ne se posera pas pour moi. Il est de 75 ans ». Stupéfaction : « Comment cela ? – Les prêtres partent à la retraite à cet âge là, et encore, il n’est pas rare qu’ils continuent à avoir un ministère ». Nouvelle stupéfaction. Je montre alors à ma voisine le col romain que, avec la configuration côte à côte, elle ne pouvait voir sans une attention particulière. « Ah, pardon, mon Père, je n’avais pas vu ». Et nous voilà partis à parler du Bon Dieu. Et de l’espérance qu’il donne. « Soyez toujours prêts à […] rendre raison de l’espérance qui est en vous » (1 P 3,15).

Et je songeais à cette parole de saint Paul dans la même épître aux Éphésiens leur rappelant que, avant leur rencontre avec le Christ, ils étaient « sans espérance et sans Dieu dans le monde » (cf. Ép 2,12). Benoît XVI commente : « Naturellement, il sait qu’ils avaient eu des dieux, qu’ils avaient eu une religion, mais leurs dieux s’étaient révélés discutables et, de leurs mythes contradictoires, n’émanait aucune espérance. Malgré les dieux, ils étaient ‘sans Dieu’ et, par conséquent, ils se trouvaient dans un monde obscur, devant un avenir sombre [2] ».

Avez-vous constaté combien le désespoir est contagieux ? Nous avons tous autour de nous des personnes qui, lorsqu’elles vous ont raconté des histoires, les concernant ou concernant la société, vous laissent littéralement « plombés ». Comme si, arrivant avec un sac à dos de découragement, elles le passaient sur vos épaules et repartaient plus légères. Toutefois, l’espérance est encore plus virale ! Alors, frères et sœurs, comment entrons-nous en relation avec les autres ? Que transmettons-nous lors de nos rencontres ? Nos décourageantes désespérances comme les païens, ou nos dynamisantes espérances comme les disciples du Christ ?

 

  1. « La gloire sans prix », littéralement « la richesse de la gloire de l’héritage que vous partagez avec les fidèles ». L’héritage est ce qui nous est promis. Donc, l’Apôtre nous invite à nouveau à regarder en avant. J’entends parfois parler du « bon vieux temps ».

J’ai une fois demandé à mon grand-père, né en 1900 et mort en 1999, ce qui, au xxe siècle, l’avait le plus marqué. Sans surprise, il m’avait répondu : les deux guerres mondiales, la première où il avait perdu son frère aîné, la seconde où il avait été mobilisé dans les Pyrénées, alors qu’il avait femme et enfants à charge. Michel Serres a heureusement tordu le cou à cette nostalgie amnésique qui s’exprime dans la formule « C’était mieux avant ! » [3]. Deux chiffres accablants parmi tant d’autres : le xxe siècle est celui des 6 millions de morts de la Shoah (un Juif sur trois) et des 180 millions de morts du communisme.

Non, il n’y a pas à regretter les oignons d’Égypte ou quelque prétendu âge d’or.

 

« On rencontre des gens qui récriminent sur leur époque et pour qui celle de nos parents était le bon temps – dit saint Augustin dans une homélie – ! Si l’on pouvait les ramener à l’époque de leurs parents, est-ce qu’ils ne récrimineraient pas aussi ? Le passé, dont tu crois que c’était le bon temps, n’est bon que parce que ce n’est pas le tien [4] ».

 

Il n’y a pas non plus à fuir dans le futur, par exemple, dans une inquiétude démesurée ou un rassurement lui aussi démesuré, qu’atteste de nos jours la multiplication des sites millénaristes. Il n’y a qu’un temps important : c’est l’instant présent. Comme le priait et le chantait sainte Thérèse de Lisieux « Ô mon Dieu, pour T’aimer sur la terre, je n’ai rien qu’aujourd’hui ». Et si nous espérons, donc si nous sommes aussi tournés vers l’avenir (ce qui n’est pas la même chose que le futur), c’est parce que, selon une superbe formule du pape Benoît XVI, l’espérance « attire l’avenir dans le présent [5] ».

Alors, chers amis, qu’avons-nous fait aujourd’hui ? Avons-nous déjà posé un acte d’amour ? Et qu’allons-nous faire aujourd’hui ? Au lieu de tourner dans notre roue de hamster à poser les mêmes actes automatiques, à nous précipiter dans les mêmes activités dénuées de sens, à ne faire que ce qui est urgent, n’oublions-nous pas ce qui est important ? Et si je ralentissais ? Et posais maintenant, dès maintenant, avant de poursuivre la lecture, un acte d’amour vis-à-vis de mon Dieu qui m’attend, dans mon cœur (« Jésus, je t’aime ») ?

 

  1. Enfin, « quelle puissance incomparable le Père déploie pour nous, les croyants ». Et il vaut la peine de poursuivre le texte : « c’est l’énergie, la force, la vigueur qu’il a mise en œuvre dans le Christ quand il l’a ressuscité d’entre les morts et qu’il l’a fait asseoir à sa droite dans les cieux » (Ép 1,19-20). Devant cette avalanche de mots (pas moins de quatre : « puissance », « l’énergie », « la force », « la vigueur »), on a l’impression que saint Paul n’en a pas assez pour dire son émerveillement face à la puissance que le Père a déployé pour ressusciter son Fils et l’attirer à sa droite. Lisons la suite : « Le Père l’a établi au-dessus de tout être céleste […]. Il a tout mis sous ses pieds et, le plaçant plus haut que tout, il a fait de lui la tête de l’Église qui est son corps, et l’Église, c’est l’accomplissement total du Christ, lui que Dieu comble totalement de sa plénitude » (v. 21-23). La Passion est l’œuvre du Fils, la Résurrection, l’œuvre de son Père. Jésus a donné sa vie par amour. Le Père lui répond en lui redonnant vie et la vie la plus totale, y incluant toute l’Église, c’est-à-dire tous les hommes.

Comprenons bien. Reprenons l’histoire depuis le début, je veux dire le début de ce temps liturgique. Acte 1. Jésus souffre sa Passion. Acte 2. Il meurt. La victoire de ses ennemis semble complète. Acte 3. Il ressuscite. Acte 4. Il monte aux Cieux rejoindre son Père. Le scénario n’a-t-il pas manqué quelque chose, du genre : « Acte 5. Jésus vainc ses ennemis » ?

Ici, lisons l’Évangile : « En ce temps-là, les onze disciples se prosternèrent » devant Jésus. « Mais certains eurent des doutes ». Alors, que fait Jésus ? Leur donne-t-il une preuve de sa résurrection comme il le fait avec ses Apôtres en mangeant du poisson (cf. Lc 24,41-42) ? Les enseigne-t-il longuement comme il fait avec les discples d’Emmaüs ? Non. Il leur reproche leur manque de foi et, paradoxalement, les invite à évangéliser : « Allez ! De toutes les nations faites des disciples » (Mt 28,16-20). Ce n’est plus le moment de recevoir, c’est le moment de donner. Vous voulez savoir si vous croyez, si vous avez assez de foi ? Exercez-la ! Elle grandira ! Car, en fait, cette foi que vous me demandez, elle est déjà en vous. Et si vous l’exercez, vous la verrez agir avec puissance ! Avec la même énergie de vie que celle avec laquelle le Père a ressuscité !

Ici, vous êtes à l’église Saint-François-Xavier. Vous le savez, le saint jésuite, l’un des tout premiers compagnons de saint Ignace, est, avec sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, saint patron des missions. Envoyé par le pape, il est parti d’abord en Inde, à Goa, où il a fondé une première mission. Puis, il est allé jusqu’aux confins du monde connu, en Indonésie, dans les Moluques, où il a fondé une autre communauté. Ensuite, ayant entendu parler du Japon qui n’avait jamais été évangélisé, il s’y est rendu, avec la même fécondité. Enfin, comprenant que le pays le plus important de toute cette région du monde était la Chine, il a décidé d’embarquer pour l’évangéliser. Mais il est mort sur une île, juste en face. À quel âge ? Dans ses vieux jours ? Non point : à 46 ans ! 11 ans de mission. Donc 3 ans et demi sur des bateaux, soit un tiers de son temps ! Comment Jésus vainct-il ses ennemis que sont la mort et l’incrédulité ? Par nous. Comment le Père continue-t-il son œuvre de résurrection ? Par nous.

 

Et si, pendant cette neuvaine de Pentecôte, vous relisiez, chaque jour, avec « les yeux de votre cœur », ce passage tellement énergétisant d’Éphésiens 1,19-23.

Pascal Ide

[1] Je dis bien de la foi. Saint Paul emploie l’expression « croire dans le cœur » (Rm 10,10. Cf. François, Lettre encyclique Lumen fidei sur la foi, 29 juin 2013, n. 26).

[2] Benoît XVI, Lettre encyclique Spe salvi sur l’espérance chrétienne, 30 novembre 2007, n. 2.

[3] Michel Serres, C’était mieux avant !, coll. « Manifeste le Pommier ! », Paris, Éd. le Pommier, 2017.

[4] Saint Augustin, « Office des lectures », Liturgie des heures, à la fête du 23 août.

[5] Benoît XVI, Lettre encyclique Spe salvi, n. 7. « Nous a été donnée l’espérance, une espérance fiable, en vertu de laquelle nous pouvons affronter notre présent : le présent, même un présent pénible, peut être vécu et accepté s’il conduit vers un terme et si nous pouvons être sûrs de ce terme, si ce terme est si grand qu’il peut justifier les efforts du chemin » (Ibid., n. 1).

18.5.2023
 

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