Les papes et la médecine : L’éthique médicale

Françoise Caravano et Pascal Ide, « Quarante ans de discours pontificaux sur la santé (1939 à 1978). Regards de Pie XII, Jean XXIII et Paul VI sur le monde de la santé », Archivum Historiæ Pontificiæ, 39 (2001), p. 151-289.

40) La déontologie médicale

L’essentiel de la doctrine de Pie XII sur la déontologie médicale se concentre en trois discours fondamentaux : M 1, M 22, M 37, voire en ces deux derniers. Complets et bien structurés, il suffit de s’y reporter pour connaître le détail de la pensée du pape. Je soulignerai seulement certains points.

a) Déontologie médicale générale

1’) Nature du droit médical

Le droit médical se distingue pour lui de la morale médicale comme le droit positif du droit naturel, celui-là concrétisant celui-ci. « Le droit médical comprend l’ensemble des normes qui, dans une communauté politique, concernent la personne et l’activité du médecin et dont l’observation peut être imposée par les moyens de coercition du droit public ». (M 37, 518) Pie XII double cette définition objective de deux autres centrées sur le sujet. Si les trois définitions sont complémentaires, la première fonde les deux autres. La conscience individuelle est toujours subordonnée à une instance extérieure et transcendante ; mais elle doit la faire sienne et l’accepter en son for intérieur (M 26, 394).

2’) Nécessité

Un droit médical est nécessaire à deux titres (M 37, 518-519 ; M 22, 540). D’une part, le médecin exerce une immense influence sur la sécurité de la communauté politique ; or, les « obligations morales sont trop vagues dans la réalité concrète de la vie » ; « il faut donc les compléter et les préciser par le droit positif ». D’autre part, l’ordre éthique ne dispose pas du pouvoir de coercition nécessaire pour punir ou prévenir les éventuelles transgressions de ses normes. C’est pour cela que les pays civilisés ont toujours possédé un Code de droit médical, le plus ancien code connu étant celui, fameux, d’Hammourabi (M 25, 362).

A ce propos, Pie XII insiste sur la nécessité et la nature d’un serment international. Ce qu’il dit aux médecins militaires est aisément généralisable : « Le serment serait une profession personnelle des principes de la morale médicale et en même temps un soutien et un encouragement à l’observer. Donnez à ce serment ou plutôt laissez-lui ce qui lui revient de par sa nature : le sens religieux d’une promesse formulée devant l’autorité suprême du Créateur, de qui nos exigences reçoivent en dernière instance leur force obligatoire et leur plus haute consécration ». (M 22, 539)

3’) Fondement

Pie XII s’est interrogé sur les fondements de la déontologie médicale (M 8, 411 ; M 22, 533 et 541-542 ; M 26, 395 ; M 46, 695).

a’) Premier fondement la morale

Les fondements ultimes et premiers du droit médical sont ceux de l’éthique médicale (M 22, 540). On peut les reconduire aux trois principes directeurs suivants : respect de l’essence de la nature humaine et de ses lois ; orientation selon des valeurs et des finalités clairement déterminées ; enracinement dans le transcendant (M 26, 393). Le droit médical se trouve ultimement fondé « sur l’être, sur la raison et sur Dieu » (M 26, 395).

b’) Second fondement le droit positif

De façon plus immédiate, le Droit médical est une œuvre positive construite par la raison humaine. L’élaboration du code est un travail qui déborde la compétence de la profession médicale et relève du pouvoir législatif de l’Etat même (cf. M 22, 540). Le contenu d’un tel code est fondé sur le droit et le devoir qu’a le médecin d’aider et guérir (M 22, 533), de conserver la vie et la santé (M 46, 695).

c’) Relation entre ces deux fondements

Quelles relations entretiennent le Code de déontologie et la morale médicale ? Sans qu’il y ait recouvrement, le minimum requis est la non-contradiction, le droit naturel servant de référence au Code positif. Le droit médical doit exprimer la morale médicale au moins en ne contenant rien d’opposé à elle. En effet, « le Droit [positif] ne reprend les exigences morales que dans la mesure requise par le bien commun » (M 22, 540). Plus précisément, « le droit positif n’a valeur ni force exécutoire que dans la mesure où il est reconnu par Dieu source dernière et suprême de tout droit ». « Le droit médical est donc subordonné à la morale médicale. Cela engendre deux cas de figure : l’un où le droit médical doit absolument ne pas contredire la morale [le cas type est l’avortement] ; l’autre indifférent où il suffit d’éviter toute opposition entre droit et morale et veiller à ce que, chacun conservant son caractère propre, ils se complètent et s’appuient mutuellement ». (M 37, 519-521) Il faut donc éviter deux erreurs opposées : lier trop étroitement droit et morale, donc sombrer dans le juridisme ou le légalisme ; les disjoindre exagérément, donc réduire la morale à une éthique de situation et en arriver à un positivisme juridique.

Se fondant sur ces réflexions, Pie XII propose que soit créé, en sus d’un Code de morale international médical, un « Droit international des médecins, sanctionné par la communauté des peuples ». Et le pape d’en détailler le contenu de fond, la nécessité (surtout en temps de guerre), voire l’urgence. Il s’interroge aussi sur l’autorité qui pourrait l’imposer (cf. M 22, 539-543 et M 26, 392-393).

4’) Contenu des normes relevant de la morale

Les normes d’éthique naturelle intéressant la médecine sont intégralement contenues dans le Décalogue (Ex 20,1-13). Dès son premier discours aux médecins, Pie XII y fait appel (M 1, 207s). Mais tous les commandements ne sont pas intéressés par la médecine. Grosso modo, on peut dire que les questions de déontologie peuvent se ranger sous deux chefs : le cinquième commandement (« Tu ne tueras pas ») et le huitième commandement (« Tu ne mentiras pas »). Au premier se rattache les questions relatives à la protection de la vie humaine (M 22, 533-535 ; M 6, 198), de la contraception, etc. Au second se rattache les questions relatives à la vérité due au malade, la sauvegarde du secret professionnel (M 22, 542), etc.

Pie XII fait aussi appel à quelques règles d’éthique et de casuistique qu’il applique à la médecine. Par exemple, les normes relatives aux conflits d’intérêt (M 1, 203), le principe de double effet, la distinction entre coopération matérielle et coopération formelle, la distinction entre droit naturel et droit positif, les relations entre l’individu et l’Etat. Ce dernier point a tout particulièrement retenu son attention, pour des raisons historiques évidentes (communisme, fascisme, nazisme). La doctrine de Pie XII est constante (cf. par exemple M 1, 203-204 ; M 13, 460-464 ; M 22, 535 ; M 37, 514-515). Elle est résumée dans la règle selon laquelle « civitas propter civis, non cives propter civitatem ». Car « quand l’homme entre par la naissance dans la société, il est déjà pourvu par l’homme de droits indépendants » de sorte que « l’autorité publique n’a en général aucun droit direct à disposer de l’existence et de l’intégrité des organes de ses sujets innocents ». Pie XII ajoute une preuve qui attaque directement les principes du physicisme social : « La communauté politique n’est pas un être physique comme l’organisme corporel, mais un tout qui ne possède qu’une unité de finalité et d’action ». On doit donc appliquer avec beaucoup de prudence le principe de totalité selon lequel la partie est pour le tout, ainsi que nous l’avons déjà vu (cf. M 37, 514-515 et M 13, 462-463).

b) Déontologie médicale particulière

Pie XII entre aussi dans le détail déontologique de quelques spécialités. Nous renvoyons aux paragraphes concernant l’Amputation (46*), la Greffe et le don d’organe (47*), l’Expérimentation médicale (48*), le Secret professionnel (49*), l’Expertise médicale (50*).

41) L’accouchement sans douleur

A l’époque de Pie XII, ont vu le jour des méthodes d’accouchement sans douleur. En vue de répondre aux difficultés soulevées par la nouveauté de cette pratique, le Souverain Pontife a consacré un discours entier (M 30) pour en donner une appréciation scientifique, éthique et théologique.

a) L’appréciation scientifique

Face aux développements en cours, Pie XII dit réserver son jugement en demandant que l’on vérifie toute affirmation nouvelle (M 30, 27).

b) L’évaluation éthique

L’assistance médicale, précise-t-il, est moralement légitime et bonne : elle est « une ascèse naturelle qui garde la mère de la superficialité et de la légèreté », source de calme, de maîtrise de soi et d’une conscience accrue de la grandeur de la maternité et de l’importance de la naissance (M 30, 27-28).

c) L’évaluation théologique

Cette appréciation est liée au fait que la méthode était sous tendue à ses débuts par une philosophie matérialiste. Pie XII précise à ce propos qu’une découverte ne doit pas sa vérité aux convictions morales et religieuses de son auteur, mais à sa réalité scientifique. Ainsi, cette découverte peut être utilisée par l’individu sans l’obliger d’aucune sorte à adhérer à une philosophie sous-jacente (M 30, 29). Cette salutaire distinction retrouve la différence déjà opérée entre fait et interprétation.

d) L’évaluation existentielle chrétienne

On connaît l’objection : puisque la douleur de l’accouchement est une conséquence du péché originel décrite par Dieu lui-même (Gn 3,16), s’y opposer serait contredire la volonté du Créateur. Pie XII répond que cette pratique médicale n’est pas en contradiction avec l’Écriture Sainte (M 30, 30). La mère chrétienne peut accepter cette méthode sans scrupule de conscience. Il ajoute qu’un échec partiel ou total de la méthode n’est pas pour autant un échec spirituel : la femme possède les ressources intérieures pour, au-delà de la souffrance, vivre l’accouchement de manière positive (M 30, 31).

42) La stérilité

a) Généralités

C’est dans son discours de mai 1956, au Congrès Mondial de la Fertilité que Pie XII a le plus détaillé les problèmes et les implications médicales consécutives à la stérilité du couple (M 34).

La stérilité conjugale involontaire est un mal qui comporte des dangers de différents ordres : 1. individuel : absence d’accomplissement de la sexualité qui est le don de la vie, d’où repliement sur soi, d’où déstabilisation du couple (M 34, 313) ; 2. économique et social à plus long terme, par l’abaissement de l’indice de fertilité des populations (M 34, 312).

Le médecin se doit donc d’utiliser toutes les ressources de la science pour lutter contre ce mal et permettre au couple d’accéder, dans les limites de licéité morale, à la procréation, vocation première de sa sexualité (M 34, 312). Pour cela, le médecin ne doit pas négliger de tenir compte des répercussions que les méthodes proposées à cet effet auront sur la personne et son destin (M 34, 315).

Le bien qu’est la recherche des causes de stérilité ne justifie toutefois pas tous les moyens : Pie XII rejette notamment l’utilisation d’examens recourant à la masturbation pour obtenir le sperme ; en effet, celle-ci est par nature immorale (M 24, 316-317). Mais il n’est pas exclu de trouver d’autres moyens pour l’obtenir (M 21, 497).

b) En particulier

1’) L’insémination artificielle

Dès 1949, Pie XII se prononce dans le détail sur la valeur morale de l’insémination artificielle humaine.

Pour les raisons notamment vues en traitant de la contraception (43*), le pape rejette complètement la notion d’insémination artificielle hors mariage comme immorale. Il rejette aussi la fécondation par un autre donneur que le père légitime, fécondation dite hétérologue (M 8, 412) : « Aucun époux ne peut mettre ses droits conjugaux à la disposition d’une tierce personne ». (M 53, 505)

Quant à la fécondation artificielle homologue, entre les deux époux, elle dépasse les limites des droits acquis par les époux dans le contrat matrimonial. Ce droit ne peut être déduit du droit à l’acte conjugal naturel, ni du droit à l’enfant : « Le moyen par lequel on tend à la production d’une nouvelle vie, prend une signification humaine essentielle, inséparable de la fin que l’on poursuit et susceptible, s’il n’est pas conforme à la réalité des choses et aux lois inscrites dans la nature des êtres, de causer un dommage grave à cette fin même ». (M 34, 315 ; cf. SF 492-493)

Pie XII ne se contente pas de condamner. Il exhorte les chercheurs à trouver des moyens – artificiels – pour aider l’acte naturel à parvenir à sa fin (M 34, 315 ; M 8, 413). Enfin, il invite les couples stériles à dépasser cette stérilité physique en trouvant leur épanouissement dans une fécondité intellectuelle, morale et spirituelle de leur foyer, en recherchant leur équilibre dans une fécondité de vie supérieure toute consacrée à Dieu et au prochain (M 34, 318). L’adoption est notamment un moyen d’ouvrir leur foyer à une fécondité tout aussi riche que celle qui est le fruit de l’union charnelle (M 53, 509).

2’) La fécondation in vitro

Cette technique n’est pas éthiquement recevable car elle sépare union et procréation. Voici ce que dit Pie XII en 1956 : « Mais l’Église a écarté aussi l’attitude opposée qui prétendrait séparer, dans la génération, l’activité biologique de la relation personnelle des conjoints. L’enfant est le fruit de l’union conjugale, lorsqu’elle s’exprime en plénitude, par la mise en œuvre des fonctions organiques, des émotions sensibles qui y sont liées, de l’amour spirituel et désintéressé qui l’anime ; c’est dans l’unité de cet acte humain que doivent être posées les conditions biologiques de la génération. Jamais il n’est permis de séparer ces divers aspects au point d’exclure positivement soit l’intention procréatrice, soit le rapport conjugal. La relation qui unit le père et la mère à leur enfant, prend racine dans le fait organique et plus encore dans la démarche délibérée des époux, qui se livrent l’un à l’autre et dont la volonté de se donner s’épanouit et trouve son aboutissement véritable dans l’être qu’ils mettent au monde ». (M 34, 314)

43) La contraception

a) La contraception proprement dite

Pie XII définit clairement la position de l’Église, vis-à-vis de la contraception dès son premier discours aux médecins, en 1944 : la contraception, dit-il en substance, est contre nature (M 1, 209). Mais c’est dans son discours au Congrès Mondial de la Fécondité qu’il en précise les raisons : « L’enfant est le fruit de l’union conjugale, lorsqu’elle s’exprime en plénitude, par la mise en œuvre des fonctions organiques, des émotions sensibles qui y sont liées, de l’amour spirituel et désintéressé qui l’anime ; c’est dans l’unité de cet acte humain que doivent être posées les conditions biologiques de la génération. Jamais il n’est permis de séparer ces divers aspects au point d’exclure positivement soit l’intention pré-créatrice, soit le rapport conjugal » (M 34, 314).

Dans son discours aux gynéco-obstétriciens de 1977, Paul VI souligne la concordance des données scientifiques en gynéco-psychosomatique et du jugement éthique de l’Église sur le caractère déshumanisant de la contraception (M 77, 1001), fermement défini dans l’encyclique Humanæ vitæ, en juillet 1968.

b) La stérilisation artificielle

1’) La stérilisation définitive

La légitimité de la stérilisation et ses limites ont été longuement abordées par Pie XII dans son discours au Congrès des hématologues de 1958. « La stérilisation directe n’est pas autorisée par le droit de l’homme à disposer de son propre corps. Elle est une violation grave de la loi naturelle, dont l’Église elle-même, n’a pas le pouvoir de dispenser ». (M 53, 505-506 ; M 6, 199) Pour cette même raison, l’autorité publique n’a aucun droit en la matière et sûrement pas celui d’imposer une stérilisation obligatoire (M 53, 506).

Seule la stérilisation indirecte reste licite. En effet, elle consiste en la suppression d’une glande génitale malade pouvant porter un préjudice grave à plus ou moins long terme sur le reste de l’organisme. Ici aussi joue le principe moral du double effet (M 21, 493 ; M 53, 506). Mais l’inverse n’est pas éthiquement recevable, à savoir qu’une maladie générale grave n’autorise pas la stérilisation pour éviter qu’une grossesse éventuelle aggrave celle-là (M 21, 494). Les motivations avancées par l’eugénisme sont encore moins aptes à justifier un tel recours (M 53, 507-508).

2’) La stérilisation temporaire

La stérilisation temporaire par les moyens chimiques ou mécaniques (préservatifs) est, pour les mêmes raisons, illicites, excepté dans le but thérapeutique provisoire de régulariser la fonction génitale (M 53, 507).

c) L’usage de la stérilité temporaire naturelle

1’) Licéité de la méthode

Tout autre est le cas des méthodes qui mettent à profit la stérilité temporaire naturelle du cycle féminin. En effet, respectant la signification objective de la sexualité qui entrelace union et procréation, elles sont conformes à la morale naturelle, donc à la morale chrétienne (M 53, 508 ; Association Familiale d’Italie, discours du 26 novembre 1951 : sera abrégé par la suite AFI, 550).

2’) Condition d’exercice l’intention

Ces méthodes sont objectivement bonnes. Mais leur usage pleinement humain suppose aussi une condition subjective : l’intention d’être utilisée en vue d’une fin bonne, à savoir la régulation des naissances. Or, la mentalité contraceptive (le refus de la vie) s’oppose à une telle intention. Donc, tout emploi des méthodes dites naturelles dans une mentalité contraceptive sera prohibé : « La licéité morale d’une telle conduite des époux (l’utilisation des périodes de stérilité naturelle) serait à affirmer ou à nier, selon que l’intention d’observer constamment ces périodes est basée ou non sur des motifs moraux suffisants et sûrs ». (SF 485)

En effet, selon la morale naturelle, le premier devoir qui découle du contrat matrimonial est la conservation du genre humain ; pour Pie XII, la finalité première de l’acte sexuel, avant même d’être le langage privilégié de l’amour des époux, est la procréation (SF 485). Il n’empêche qu’il arrive qu’un couple soit « dispensé de cette prestation positive obligatoire, même pour longtemps, pour la durée entière du mariage, pour des motifs sérieux, comme ceux qu’il n’est pas rare de trouver dans ce qu’on appelle l’«indication» médicale, eugénique, économique et sociale ». (SF 486)

3’) Moyen d’exercice la continence

La mise en place d’une régulation naturelle des naissances suppose le recours à la continence. Ce moyen est souvent jugé par les couples impraticable, donc irrecevable.

Soulignons trois points que Paul VI confirmera et précisera dans Humanæ Vitæ. D’abord, le Saint-Père ne s’adresse qu’aux croyants (SF 487-488), ce qui signifie implicitement que l’accomplissement plénier de la norme suppose une aide surnaturelle, la grâce de chasteté.

Ensuite, Dieu n’oblige jamais à l’impossible. Si donc il invite à la continence périodique, c’est que celle-ci est accessible. Pie XII cite Saint Augustin : « Dieu ne commande pas des choses impossibles, mais en commandant il exhorte, et à faire ce que tu peux et à demander ce que tu ne peux pas, et il t’aide afin que tu puisses le faire ».

Enfin, encore faut-il avoir de l’exigence envers soi-même, ce à quoi Pie XII exhorte ses contemporains : « C’est faire tort aux hommes et aux femmes de notre temps que de les estimer incapables d’un héroïsme continu […] C’est bien clair, celui qui ne veut pas se dominer lui-même ne le pourra pas, et qui croit pouvoir se dominer, en comptant seulement sur ses propres forces, sans chercher sincèrement et avec persévérance le secours divin, restera misérablement déçu ». (SF 488)

44) L’avortement

C’est en s’adressant aux sages-femmes et aux familles que Pie XII précise le plus la pensée de l’Église vis-à-vis de l’avortement. Il est à noter qu’à cette époque, seul l’avortement dit thérapeutique posait de réels problèmes de conscience au médecin.

a) Illicéité absolue de l’avortement

Pie XII insiste sur l’intangibilité de la vie humaine : celle-ci est indépendante de la valeur subjective que lui donne la société (SF 474). Il évoque notamment à quels excès monstrueux et criminels a donné lieu, pendant la dernière guerre, une argumentation viciée en ce domaine (SF 474 ; AFI, p. 547). Paul VI fait appel à la déclaration de Gaudium et spes, 51 : « Dieu, Maître de la vie, affirme le Concile, a confié aux hommes, le noble ministère de la vie, et l’homme doit s’en acquitter d’une manière digne de lui. La vie doit donc être sauvegardée avec un soin extrême dès la conception ». (M 73,61)

Même l’avortement dit thérapeutique, douloureux problème que Pie XII aborde, n’est jamais licite, quelle que soit la légitimité du but recherché (SF 474-475 ; M 6, 199 ; AFI, 546-547).

La condamnation de l’avortement s’étend à ceux qui y coopèrent. C’est ainsi que les pharmaciens engagent leur responsabilité morale dans la vente de produits abortifs (P 2, 352).

b) Réponse à une objection

On ne saurait tirer argument de la valeur à venir d’un enfant à naître ou de la portée sociale de sa destinée. En effet, du temps de Pie XII (en l’absence d’échographie et de tests génétiques), on ne pouvait rien préjuger. Le pape en donne un très bel exemple dans son discours du mois de novembre 1951 (AFI 548-549). « Mais vous savez aussi que la maladie et même les déformations organiques ne privent pas l’individu de la dignité humaine et de son droit inaliénable à la vie, et que par conséquent, une vie humaine ne peut pas être supprimée au nom de la qualité de la vie ». (M 78, 259)

En revanche, différent est le cas d’une intervention chirurgicale urgente et indispensable sur une femme enceinte qui aurait pour conséquence annexe et involontaire la mort du fœtus : en ce cas, on ne saurait dire que le geste du chirurgien est illicite. A l’instar de l’évaluation de l’euthanasie indirecte, Pie XII fait ici appel au principe du double effet.

c) Illégalité d’une législation acceptant ou tolérant l’avortement

Aucun code de droit médical ne peut user d’autorité en la matière pour faire pratiquer l’avortement (M 37, 520).

Compte tenu du glissement moral de la législation des pays à ce sujet, Paul VI fut conduit à préciser l’attitude moralement recevable du médecin chrétien par rapport à une législation en désaccord avec sa conscience : « personne, pas même le pouvoir législatif d’une nation, n’a le droit de contraindre un médecin à agir en contradiction avec sa conviction en matière aussi grave […]. En revanche, nous estimons moralement acceptable pour un médecin catholique de transmettre pour décision et dans le cadre prévu par la loi une demande d’avortement aux autorités compétentes. Aussi peu que le prêtre, le médecin chrétien ne doit exercer de pression indue sur ceux qui le consultent. Il peut, certes, expliquer nettement son point de vue ». (M 68, 1081)

45) L’euthanasie

et la nature et le moment du « fait » de la mort (M 46, 693 à 698)

a) Discernement

Il aborde ce problème dans de nombreux discours en distinguant euthanasie directe et indirecte :

1’) L’euthanasie directe

Celle-ci est l’acte qui entraîne, immédiatement, intentionnellement, délibérément la mort d’une personne, en vue d’abréger ses souffrances. S’adressant à des pharmaciens en 1950, Pie XII affirme clairement que, quel que soit le cas de figure, cet acte est moralement condamnable. En effet, ainsi qu’on l’a vu dans le paragraphe sur la Vocation du corps (2*), l’homme n’est pas le possesseur de son propre organisme, mais son usufruitier (M 41, 56 ; M 13, 457). Selon ce même principe, le médecin, la famille ou l’autorité publique n’ont aucun droit de disposer de l’existence et de l’intégrité de l’organisme de sujets innocents, même et surtout si ceux-ci ne disposent pas de toutes leurs facultés mentales (M 22, 535). De même, les pharmaciens engagent leur responsabilité morale en vendant des produits dont l’emploi qu’en fera le client porte à suspicion (P 2, 352 ; P 1, 347). Par ailleurs, si un droit médical vicié prenait autorité en la matière, le médecin n’est pas tenu de lui obéir (M 37, 520).

Enfin, Paul VI ratifie la position de Pie XII (M 76, 811) quant à l’euthanasie : « la maladie […] ne prive pas l’individu de la dignité humaine […] par conséquent une vie humaine ne peut pas être supprimée au nom de la qualité de la vie ». (M 78, 259)

2’) L’euthanasie indirecte

L’euthanasie indirecte est l’abrègement de la vie consécutif à un traitement voulu pour lui-même et non pour cet abrègement. Pour établir la licéité de cette pratique, Pie XII fait appel au principe de double effet. L’administration des drogues doit être telle que 1) l’abrègement de la vie est distinct de l’effet recherché par le traitement ; 2) les avantages tirés du traitement soient nettement supérieurs aux conséquences secondaires de celui-ci (M 41, 57). A contrario, un médecin réanimateur ne pourra jamais être accusé de pratiquer l’euthanasie en décidant de l’arrêt de la réanimation (M 46, 697).

b) Le problème posé par la narcose

La narcose ou analgésie par anesthésie a pour finalité de supprimer ou diminuer la douleur. L’indication est posée en deux cas : lors d’une intervention chirurgicale (avant, pendant et après) et chez les mourants.

La narcose ne pose pas de problème moral et religieux en elle-même, mais à raison soit de sa condition, soit de ses conséquences : la perte de conscience, voire l’abrègement de la vie dont il vient d’être question.

1’) Premier critère éthique

La pratique de l’anesthésie requiert la volonté expresse du mourant (E 41, 54). Il serait donc illicite de la pratiquer hors de son accord.

2’) Second critère éthique

La norme éthique générale conduisant le discernement est que l’homme est dans l’obligation morale de ne pas se priver de cette conscience de soi sans vraie nécessité (cf. l’explicitation donnée en M 41, 51-52).

La juste attitude chrétienne consiste à vivre consciemment les derniers instants de son existence avec l’aide d’un des siens, d’un ami ou d’un prêtre. Aussi, dans la mesure où cela n’est pas motivé par la douleur, « l’Église laisse-t-elle entendre qu’il ne faut pas, sans raison grave, priver le mourant de la conscience de soi ». (M 41, 55)

46) L’amputation

Dans ses diverses allocutions, Pie XII ne fait qu’une seule fois allusion à l’amputation d’organes (M 21, 493-494).

a) Conditions morales de licéité

Trois conditions préalables sont nécessaires à la justification morale d’une mutilation anatomique ou fonctionnelle :

1 – Le maintien ou le fonctionnement de l’organe concerné entraîne directement ou indirectement une menace sérieuse pour l’organisme.

2 – Cette menace ne peut être évitée que par la mutilation et l’efficacité de celle-ci doit être assurée.

3 – L’effet négatif de cette intervention doit être largement compensé par l’effet positif sur le reste de l’organisme.

Ces conditions trouvent leur fondement éthique dans le principe de totalité selon lequel, dans un tout physique, une partie peut se sacrifier pour le tout (M 21, 493).

b) Limites politiques

Le principe de totalité ne peut être appliqué par les pouvoirs publics pour justifier des pratiques telles que la stérilisation obligatoire, ainsi que cela se fait dans certains pays (M 53, 506). Pie XII est aussi amené à dénoncer l’utilisation de ce principe pour justifier l’ovidectomie chez une femme souffrant d’une maladie clinique qui rendrait dangereuse une grossesse éventuelle : la deuxième condition préalable citée plus haut n’est pas remplie (M 21, 494).

47) La greffe et le don d’organe

a) Fondement des normes

A plusieurs reprises, Pie XII fut conduit à préciser les normes éthiques relatives à l’utilisation du corps humain à des fins médicales. Il en pose les fondements anthropologiques dès son premier discours aux médecins, en novembre 1944 : « En formant l’homme, Dieu a réglé chacune de ses fonctions ; il les a distribuées parmi divers organes […] ; en même temps, il a fixé, prescrit et limité l’usage de chaque organe ; il ne peut donc permettre à l’homme de régler la vie et les fonctions de ses organes suivant son bon plaisir, d’une façon contraire aux buts internes et constants qui leur ont été assignés. L’homme, d’autre part, n’est pas le propriétaire, le maître absolu de son corps, il en est seulement l’usufruitier ». (M 1, 202-203) Mais c’est en s’adressant aux chirurgiens (M 33) qu’il détaillera les normes qui doivent gérer d’une part les greffes d’organes, d’autre part les dons d’organes.

b) Principes moraux présidant à la greffe d’organe

La licéité des greffes, notamment des hétérogreffes, dépend de la nature de l’organe greffé : « Il faut distinguer d’après les cas et voir quel tissu ou quel organe il s’agit de transplanter. La transplantation de glandes sexuelles animales sur l’homme est à rejeter comme immorale ; par contre, la transplantation de la cornée d’un organisme non-humain à un organisme humain ne soulèverait aucune difficulté morale, si elle était biologiquement possible et indiquée ». (M 33, 259) Les mêmes critères sont applicables à la thérapie cellulaire (M 33, 259).

c) Principes moraux relatifs à l’utilisation du cadavre

Pie XII précise les normes d’utilisation des cadavres à des fins de transplantation d’organes sur des vivants ou de recherche médicale. « Il revient à l’autorité publique d’établir des règles convenables. Mais elle non plus ne peut procéder arbitrairement ». (M 33, 267 ; M 26, 392)

Le premier principe de morale naturelle à respecter est le suivant : le cadavre humain ne peut être mis sur le même plan que le cadavre animal ou qu’une simple chose : « Le corps était la demeure d’une âme spirituelle et immortelle, partie constitutive essentielle d’une personne humaine dont il partageait la dignité ; quelque chose de cette dignité s’attache encore à lui » (M 33, 264).

Un second principe limite par le haut le statut du cadavre : « Le cadavre humain n’est plus, au sens propre du mot, un sujet de droit ; car il est privé de la personnalité qui seule peut être sujet de droit ». (M 33, 264)

Enfin, la famille garde une primauté sur l’État dans le choix du devenir du cadavre : même si du vivant du défunt, celui-ci avait émis le désir de donner son corps ou un de ses organes, les pouvoirs publics ne peuvent imposer ce don à la famille si celle-ci s’y oppose (M 33, 266).

d) Principes moraux relatifs au don d’organe

Quant au don du corps ou d’un organe, les pouvoirs publics comme l’opinion publique (dépendante grandement des derniers) se doivent de ne pas faire de cet acte une obligation morale (M 33, 265). Le dédommagement financier n’est pas illicite bien qu’il soit dangereux (M 33, 265). Enfin, l’utilisation systématique des corps des patients pauvres est immorale (M 33, 266) [1].

Jean-Paul 1er met en garde contre le danger de verser dans l’expérimentation, au détriment du respect de la dignité humaine (M 79, 835).

48) L’expérimentation médicale

Pie XII n’a parlé qu’une fois de manière approfondie de l’expérimentation médicale (M 26). Mais il a évoqué plusieurs fois l’expérience traumatisante des abus de la dernière guerre en ce domaine (M 26, 388 ; M 13, 461 ; M 51, 462 ; M 22, 532-533).

a) Critères éthiques

L’expérimentation sur l’homme vivant est nécessaire à la recherche médicale (M 26, 389 ; M 71, 454 ; M 74, 662). Pour autant, cette nécessité est clairement normée par différents critères éthiques.

Voici comment Pie XII les énonce, avec grande précision, dans une phrase dont chaque mot mériterait un commentaire : « Dans les cas désespérés, quand le malade est perdu si l’on n’intervient pas et qu’il existe un médicament, un moyen, une opération qui, sans exclure tout danger, garde encore une certaine possibilité de succès, un esprit droit et réfléchi admet sans plus que le médecin puisse, avec l’accord explicite ou tacite du patient, procéder à l’application de ce traitement » (M 26, 389-390).

b) Limites éthiques

Cependant, en pratique, le médecin est sans cesse sollicité à transgresser ses conditions. Paul VI souligne que les risques de dépasser les limites de licéité en matière d’expérimentation médicale sont plus grands dans le cadre de la structure hospitalière.

Comment parer ces débordements ?

En premier lieu, le médecin chercheur doit avoir les idées claires quant aux limites morales de la recherche. Celles-ci ont été traitées dans le paragraphe sur la Recherche médicale (22*) et le Médecin chercheur (23*).

Le médecin, explique Pie XII, doit toujours mesurer le cas qui lui est présenté aux normes morales qui sous-tendent toute activité ayant l’homme pour sujet, à savoir : « les relations entre l’individu et la communauté, les limites du droit d’utiliser la propriété d’autrui, les présupposés et l’extension du principe de totalité, les relations entre finalité individuelle et sociale de l’homme ». (M 26, 391 ; cf. l’explicitation donnée en M 13).

Enfin, ce qui est interdit pour autrui l’est aussi pour soi : le médecin ne peut lui-même être objet de sa propre expérimentation ; cela, toujours au nom du principe selon lequel il n’est qu’usufruitier de son corps (M 13, 464-465).

49) Le secret professionnel

a) Fondement

L’observance du secret professionnel découle de l’application du Décalogue : « Tu ne porteras pas de faux témoignage ». Elle doit « servir et sert non seulement à l’intérêt privé, mais plus encore au bien commun » (M 1, 210).

b) Importance

Pie XII est très ferme sur l’importance du respect du secret professionnel dans la profession médicale. Sa sauvegarde est « d’un intérêt essentiel pour la société » (M 15, 145) ; elle est une nécessité imposée tant par le bien commun que par le bien privé (M 22, 542).

Comme le secret est souvent remis en question dans des situations particulières limites ou embrouillées, la mise en place d’une législation du secret professionnel donnera un cadre objectif de référence au médecin, lui permettant ainsi d’évoluer plus librement dans les cas difficiles (M 22, 542).

Bien que tenu au secret professionnel, le médecin doit éviter par tous les moyens à sa disposition que son patient révèle des secrets, notamment au cours d’une narcose (M 41, 49).

c) Extension

Ce que nous avons dit vaut pour la médecine mais le secret professionnel s’étend à tout le corps soignant. Notamment, l’infirmière est, elle aussi, tenue à un secret professionnel strict (I 5, 206). De même, en psychothérapie, le secret professionnel ne peut ni être forcé par le psychanalyste, ni être enfreint par le patient, « même en dépit d’inconvénients personnels graves » (M 15, 145). « Il s’agit, non pas d’abord de la discrétion du psychanalyste, mais de celle du patient, qui souvent ne possède aucun droit de disposer de ses secrets ». (M 15, 145 ; cf. M 47, 189)

d) Limites

Cependant, bien que garder le secret professionnel soit une obligation pour le médecin, cette norme ne jouit pas d’une valeur absolue. Le médecin peut enfreindre ce précepte. Cette transgression requiert les conditions suivantes : « pour une cause proportionnellement grave, il est permis, à un homme prudent et discret, de manifester un secret » (M 15, 145) A quoi il ajoute une autre condition, la nécessité du bien commun : « Ces règles, en affirmant nettement l’obligation pour le médecin de garder le secret professionnel, surtout dans l’intérêt du bien commun, ne lui reconnaissent pas cependant de valeur absolue ». (M 1, 210)

50) L’expertise médicale

Bien que Pie XII n’aborde le sujet de l’expertise médicale qu’une seule fois dans ses discours (M 21) et à propos d’un cas bien particulier : les procès matrimoniaux, il fournit à cette occasion des précisions intéressant l’attitude morale du médecin expert en général.

Pour rester dans la vérité, le médecin expert doit, avec un souci d’objectivité et prudence, se contenter de tenir sa place d’analyste de faits médicaux sans anticiper sur le rôle de synthèse qui appartient au juge : « Le principe décisif se déduit de la nature et de la finalité de cette activité [l’expertise]. Que, d’après cela, l’expert dise donc ce que ses connaissances médicales lui imposent de dire et qu’il le dise avec les nuances et les distinctions exigées par son savoir […], qu’il présente les faits médicaux comme des faits, leur interprétation médicale comme une interprétation, les conclusions médicales telles quelles, les avis médicaux comme des avis […]. L’expert doit donner son avis de telle sorte que les nuances indiquées soient clairement perceptibles ». (M 21, 494-495)

51) La médecine en temps de guerre

Pie XII aborde ce sujet lors d’un discours à des médecins militaires en 1953 (M 22). Cette médecine présente en effet une spécificité : pendant les périodes troublées et instables que sont les temps de guerre, le médecin est soumis à de fortes pressions morales, individuelles et surtout collectives, qui risquent de restreindre notablement sa liberté de conscience professionnelle.

a) Importance du médecin en temps de guerre

Certes, le médecin joue un rôle important du fait des nombreux blessés. Mais il joue aussi une fonction plus générale à l’égard de la paix : « Le principe fondamental de la morale médicale commande non seulement «d’aider et de guérir, de ne pas nuire ni tuer», mais aussi de prévenir et de préserver. Ce point est décisif pour la position du médecin vis-à-vis de la guerre en général, de la guerre moderne en particulier. Le médecin est adversaire de la guerre et précurseur de la paix. Autant il est prêt à guérir les blessures de la guerre, quand elles existent déjà, autant il s’emploie, dans la mesure du possible, à les éviter ». (M 22, 536)

b) Devoirs éthiques

1’) La finalité est avant tout de soulager la souffrance de tout homme

Moralement, le médecin est tenu d’aider et de guérir, non de faire du tort, de détruire et de tuer. Ceci amène à exiger de la part du médecin « le respect de la vie humaine depuis sa conception jusqu’à la mort, le souci de son bien-être, la guérison de ses blessures et ses maladies, l’adoucissement de ses souffrances et ses infirmités, la préservation et la lutte contre les dangers, l’abandon de tout ce qui s’oppose à ses tâches ».

Cette règle s’applique « à tout homme, ami ou ennemi, indépendamment du sexe et de l’âge, de la race, de la nation et de la culture » (M 22, 533). L’éthique médicale de jure universelle doit le devenir de facto (M 22, 534).

2’) La seule priorité est l’urgence

Le personnel de santé ne connaît qu’une priorité, celle de l’urgence médicale. Les soins seront portés en priorité à ceux qui en ont le plus besoin, quelle que soit son appartenance, politique (ami ou ennemi ?), sociale, religieuse (M 22, 541).

3’) Le bien de l’individu est prioritaire sur les intérêts collectifs

Pie XII insiste une nouvelle fois sur la prévalence du bien de l’individu sur celui de la collectivité : au nom de celle-ci on ne peut nuire à celui-là (M 22, 535) ; c’est ce souci qui doit guider la conscience médicale du praticien en temps de guerre (M 22, 536).

4’) Le secret doit être respecté

Le médecin doit particulièrement respecter le secret professionnel très menacé en temps de guerre (M 22, 542).

5’) Le médecin ne peut coopérer dans une guerre injuste

Un moment, Pie XII est amené à prendre une position très claire sur la position des médecins et des militaires en cas de conflit lors d’une guerre ABC (atomique, biologique et chimique) : il ne saurait y avoir de collaboration possible dans une guerre injuste (M 22, 537).

c) Nécessité d’un Ordre et d’un droit international des médecins

Nécessaire est la création d’un droit médical international (M 22, 539). Celui-ci est d’une particulière urgence : « Si l’urgence d’un droit médical se vérifie pour les circonstances normales, elle s’affirme bien plus encore en temps de guerre. Nulle part, il n’est plus important d’observer la justice ; nulle part, ne menace autant le danger d’erreur, mais aussi de traitement injuste ; nulle part les conséquences ne sont plus redoutables pour le soldat comme pour le médecin ». (M 22, 540)

Ce droit permettra – plus encore, il fera un devoir professionnel – au médecin d’exercer sa profession envers tout homme, quelle que soit sa condition, en respectant les priorités d’urgence médicale (M 22, 541), sans risquer d’encourir des sanctions pour trahison ou pour refus de collaboration nuisible. Il codifiera le secret professionnel si menacé par la guerre (M 22, 542).

La préservation d’une éthique médicale universelle nécessite la création d’une autorité internationale, d’un Ordre international des médecins se portant garant de celle-ci et susceptible de faire respecter ce droit (M 22, 538 et 543).

Pascal Ide

[1] Proche du don d’organe est le don du sang. Il sortirait de notre propos d’en parler ici cf. S. S. Pie XII, Allocution au Congrès de l’Association italienne des don­neurs de sang, 9 septembre 1948, in Documentation catholique, n° 1033, 2 janvier 1949, col. 51 et 52 ; Jean XXIII, Allocution au Congrès de l’Association italienne des donneurs de sang, 8 mars 1959, in Documentation catholique, n° 1306, 5 juillet 1959, col. 842. Pour un développement, cf. Pascal Ide, Eh bien dites don ! Petit éloge du don, Paris, L’Emmanuel, 1997, chap. 19, § 2, p. 245-247.

29.10.2018
 

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