En 1141, Wolf, le duc de Bavières, est assiégé dans son château par l’armée de Frédéric, duc de Souabe, et de son frère, l’empereur Conrad, qui est aussi son pire ennemi. Le siège s’éternise, les assiégés perdent espoir et Wolf décide, la mort dans l’âme, de se rendre, avec ses hommes. De leur côté, les épouses décident d’envoyer à Conrad un message lui demandant un sauf-conduit pour pouvoir sortir du château sans préjudice et être autorisées à emmener avec elles tout ce qu’elles pourront porter.
L’empereur leur donne l’autorisation demandée. Les portes du château s’ouvre, et que voit-on ? Alors qu’on s’attendait à ce que les femmes emportent avec elles bijoux et riches vêtements, elles apparaissent courbées sous ce qui pour elles est le plus précieux : leur mari, qu’elles soustraient ainsi à la vengeance de l’empereur.
L’histoire dit que Conrad, homme bon et pieux, fut ému par cette bouleversante initiative d’amour. Non seulement, il garantit à ces femmes aimantes et à leurs époux la liberté et la sécurité, mais il les invita tous à un banquet où il célébra la paix avec le duc de Bavières. Depuis ce jour, le monticule sur lequel fut construit le château s’appelle la colline de Weibertreue, « la loyauté féminine » [1].
Et toi, Jésus, que portes-Tu en portant cette Croix trop lourde qui déchire ton épaule lacérée par les innombrables coups de fouet ? Tu es « l’Agneau de Dieu qui porte les péchés du monde ». Surtout, qui portes-tu ? Chacun de nous que tu as vu dans Ta Passion. « Tu m’as aimé et tu t’es livré pour moi » (cf. Ga 2,20). Quand je relis chacune des paroles que Tu prononces pendant cette « heure » qui est « le pouvoir des ténèbres » (Lc 22,53), je ne vois que Ta lumière qui luit dans les ténèbres. Non pas une lumière qui s’impose du dehors à celui qui n’en veut pas, mais la Vérité qui se propose du dedans à celui qui la cherche et l’a déjà trouvé. Aux Juifs : « Tu es donc le Fils de Dieu ? – Vous dites vous-mêmes que je le suis » (Lc 22,70). Comme aux Païens : « Es-tu le Roi des Juifs ? – C’est toi-même qui le dis » (Lc 23,3). Et, en ces jours saints, Tu es cette Vérité qui nous révèle qui est Dieu, l’Amour en personne, en nous révélant ce qu’est aimer.
Aimer, c’est se décentrer de soi-même pour se centrer sur notre prochain et compâtir : « Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi ! Pleurez plutôt sur vous-mêmes » (Lc 23,28). Aimer, c’est pardonner et, pour cela, aller jusqu’à excuser son ennemi : « Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23,34). Aimer, c’est offrir le meilleur bien, sans retour, sans retard et sans restriction : « Amen, je te le dis : aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis » (Lc 23,43). Aimer, c’est tout abandonner avec confiance entre les mains du Père : « Père, entre tes mains je remets mon esprit » (Lc 23,46). Jésus dont la première parole est : « Je dois être aux affaires de mon Père » (Lc 2,49).
Je suis donc aimé d’un Amour fou qui compâtit à mes souffrances, me pardonne mes péchés, m’offre rien moins que le Paradis avec Lui. Les personnes qui font une expérience de mort imminente racontent souvent qu’elles ont été bouleversés par deux choses : la lumière qui les enveloppe et, plus encore, la présence d’un amour sans condition et sans jugement. Comme si elles connectaient enfin avec cette Source divine qui ne cesse de les attendre au fond de leur cœur. Qui n’aspire à cette lumière-amour pacifiante et pacifique ? Et que ne ferais-je si je me savais constamment aimé, pardonné, béni au-delà de toute mesure ?
Et si, pendant cette sainte Semaine Sainte, nous relisions ces paroles, les paroles que Jésus m’adresse pendant sa Passion et les transformions en prière ? Si Jésus a sué des gouttes de sang pendant son agonie au mont des Oliviers, c’est parce qu’il a vu ceux qui, comme l’autre larron, se révolteraient et blasphèmeraient, et qu’il a prié pour tous les hommes sans exception.
Et moi-même, que répondrai-je ? Laisserai-je Jésus me porter avec et m’apporter sa miséricorde dans le sacrement de la confession ? Alors que je suis peut-être écrasé sous le poids de ma culpabilité, laisserai-je le Christ porter mes péchés et les absoudre ? Alors que je suis peut-être désespéré par notre monde, redirai-je ma confiance dans Celui qui est vainqueur du monde, parce qu’il l’a aimé alors que ce monde le haïssait ? Qui porterai-je avec patience pendant ces prochains jours ? À qui porterai-je le pardon et la compassion de Jésus ?
Et quand le ferai-je ? dans un poème sur la paix, sainte mère Teresa de Calculta dit : « Le jour le plus beau ? Aujourd’hui ». « Amen, je te le dis : aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis ».
Pascal Ide
[1] L’histoire est racontée par le père Marcelo Rossi, Agapè. L’amour sans limites, trad. Sandrine Lamotte, Paris, Robert Laffont, 2010, p. 48-49.