La sainteté ne prémunit pas contre la cécité

L’exemple de la relation entre Pacelli-Pie XII et sœur Pascalina Lenhert [1] atteste que la sainteté n’accorde pas une sorte d’omniscience ou de cardiognosie (connaissance immédiate du cœur humain).

D’un côté, rien ne permet de douter qu’Eugenio Pacelli fût un saint pape [2], tout donné à Dieu à travers son écrasant service ecclésial. Il n’y a nulle doute non plus que sa relation à la religieuse soit ajusté du point de vue de la chasteté et de l’amitié.

Pourtant, de l’autre côté, cette religieuse, qui fut à ses côtés de 1918 à 1958, le servant quotidiennement, semble au minimum posséder un tempérament autoritaire, dominateur et au maximum présenter de forts traits narcissiques. L’épisode fameux où elle gifla le cardinal Tisserand, alors doyen du Sacré Collège, n’est qu’un épiphénomène révélateur d’un quotidien, certes moins spectaculaire, mais pas moins violent et dictatorial.

De sorte que s’est mise en place une relation que l’ennéagramme décrirait comme celle d’un type 8 peut-être tête à tête et en tout cas non intégrée, avec un type  5 sous-type survie ; que la psychanalyse décrierait (oui, avec un e) comme régressive (Pacelli qui a vécu chez sa « Mamma » jusqu’à 37 ans, a toujours eu besoin d’une personne qui s’occupe de tous ses besoins matériels, le protège, décide de son agenda et donc des visiteurs, de leur temps d’attente, etc. ; sœur Pascalina est une mère de substitution qui transfère ainsi son besoin de maternité) ; que Stephen Karpman comme dramatique (la sauveteuse Pascalina surprotégeant, prenant totalement en charge sur le plan matériel un nonce, puis un pape dépendant jusqu’à être victimaire, c’est-à-dire concédant l’inconcédable pour la garder auprès de lui pas moins d’une quarantaine d’années) ; etc. En tout cas, Pacelli-Pie XII a accordé une place démesurée à une personne qui n’aurait dû être que médiatrice. Un signe incontestable en est fourni par le fait que, à côté, avant et après son service auprès de Pie XII, l’on observe que la religieuse présente les mêmes relations tyranniques à l’égard de son entourage et, a fortiori, de ses subordonnés.

Et si l’on objecte que, dans son intention, sœur Pascalina n’a jamais désiré que servir, selon le titre de son autobiographie [3], je répondrais que le problème posé n’est pas celui de la finalité, mais des moyens. Il suffit pour cela de comparer l’attitude de cette soeur avec la manière dont Marie a exercé son ministère auprès de Jésus…

Par conséquent, une nouvelle fois, nous voyons que la sainteté n’a jamais prémuni contre la cécité : sauf charisme particulier, Dieu n’accorde pas au Saint une vision adéquate de la psychologie de ceux qui l’entourent. Pour reprendre l’épisode du soufflet mémorable auquel Pie XII avait assisté, que celui-ci n’ait pas demandé à la religieuse un amendement en profondeur, en dit long sur son aveuglement relatif à ce qui se jouait dans l’attitude psycho-éthique de sœur Pascalina et ses conséquences systémiques pour la Curie romaine. Plus encore, une personne peut véritablement être canonisable et canonisée tout en étant manipulée ou en laissant faire une autre qui lui est proche. Autrement dit, elle peut, sans faute de sa part, être complice de manière totalement passive, par son ignorance. En positif, l’histoire nous apprend donc que la grâce ne se substitue pas à la nature et que la sainteté ne saurait jamais dispenser de la formation intellectuelle, en l’occurrence du coûteux apprentissage de notre condition humaine, psychologique et sociologique. Sainte Thérèse d’Avila le disait de la direction spirituelle. Il faut l’étendre à tous ceux qui sont appelés à exercer une fonction de gouvernance, une mission pastorale au sein de l’Église.

Pascal Ide

[1] Sur Pascalina Lenhert, cf. René Arlington et Paul I. Murphy, La popessa, Paris, Lieu commun, 1987 ; Martha Schad, La signora del sacro palazzo. Suor Pascalina e Pio XII, Roma, San Paolo, 2008 ; Bénédicte Lutaud, Femmes de papes, Paris, Le Cerf, 2021, chap. 2, p. 97-160 : « Pascalina Lenhert. La « Papesse-Mère’ ».

[2] Le 19 décembre 2009, le pape Benoît XVI a signé le décret reconnaissant les vertus héroïques de Pie XII. Autrement dit, il est reconnu vénérable,

[3] Cf. Pascalina Lenhert, Pie XII. « Mon privilège fut de le servir », trad. Joël Pottier, Paris, Téqui, 2009.

22.4.2021
 

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