La parabole du riche bon vivant et du pauvre Lazare (26e dimanche du temps ordinaire, année C, 25 septembre 2022)

Ne nous le cachons pas, comme la parabole de dimanche dernier sur le gérant malhonnête, qui parlait déjà de la gestion de notre argent, la parabole bien connue du riche bon vivant et du pauvre Lazare suscite en nous deux tentations : la fuite ou la culpabilisation. Or, contre la fuite ou le déni, cette parabole est un appel à nous convertir ; contre la culpabilité, qui est une peur, elle est un appel à redresser notre intention, pour que nous agissions pour le bien de l’autre, autrement dit, par amour. Détaillons ces points, auxquels nous ajouterons une troisième tentation, très actuelle.

 

  1. Cette parabole n’est qu’un cas particulier de la manière plus générale dont Dieu voit la richesse. Il y a une apologétique unilatérale de la pauvreté qui est contraire aux Saintes Écritures. Non seulement, Dieu n’est nullement jaloux de nos richesses, mais il aime multiplier nos talents, qu’ils soient matériels, relationnels, intellectuels, artistiques, etc. D’Abraham, qui est notre père dans la foi, il est dit qu’il avait de grands biens. Et Dieu va même ajouter à ces richesses matérielles une richesse infiniment plus grande, la foi.

Mais le sens biblique de la richesse est le suivant : Dieu nous donne afin que nous donnions à notre tour. C’est ce que Dieu dit à Abraham : Je te bénis pour que tu bénisses à ton tour. Israël est choisi par Dieu pour que, à son tour, il bénisse les autres nations de la terre, ce qu’il fera en donnant le Messie. Benoît XVI s’interroge sur la raison pour laquelle Jésus a choisi de se révéler aux douze Apôtres plutôt qu’à d’autres. Quel fut le critère de son élection ? Certainement pas leur science, leur position sociale, leur richesse matérielle. Il les a choisis pour une raison : leur générosité. En effet, dès que les premiers Apôtres le rencontrent, loin de garder cette bonne nouvelle (littéralement : cet évangile) pour eux, qu’ont-ils fait ? Ils l’ont partagée à leurs frères, à leurs proches. Voilà le riche selon l’esprit biblique : celui qui sait qu’il n’a reçu que pour donner à son tour. C’est ce que Jésus dira un jour : « Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement » (Mt 10,8). Le problème n’est donc pas notre richesse, mais notre avarice, notre crispation sur « notre chère cassette » : « Mon or, c’est mon argent. Mon argent, c’est mon or », comme disait Don Salluste (Funès) dans La folie des grandeurs.

Alors, frères et sœurs, quels sont donc ces richesses, ces talents, que Dieu m’a donnés ? Comment les mettre au service pour prendre soin des autres ?

 

  1. Considérons maintenant la culpabilité. Il est vrai que, même si la parabole ne parle pas de l’enfer, mais de l’Hadès qui est un lieu transitoire, il y va de notre salut éternel. De plus, le pape Paul VI fait même de cette parabole l’allégorie des relations entre le Nord et le Sud de notre planète : les pays du Nord insouciant festoient alors que les pays du Sud meurent de faim à sa porte.

Comment sortir de cette mauvaise conscience et ne donner en quelque sorte que pour rembourser la dette insolvable d’avoir plus reçu que d’autres ? En revisitant notre motivation, en convertissant notre intention. En donnant comme Dieu donne : « Pour nous et pour notre salut, il descendit du Ciel », dirons-nous tout à l’heure dans le Credo. Il s’agit donc de chercher le bien de l’autre pour l’autre. Sans chercher de retour, sans attendre de reconnaissance. Si elle vient, réjouissons-nous. Mais c’est un surcroît, gratuit, comme notre don l’a été.

Inversement, il y a une manière de donner de la main droite en reprenant de la main gauche qui est contraire à l’Évangile. Je pense à tel parent qui donne à ses enfants, mais en espérant bien qu’un jour, ceux-ci le lui rendront. Je pense à telle personne faisant une généreuse offrande à un organisme humanitaire, mais qui surveille et trace le devenir de son argent. Ce mécanisme est si connu que les chercheurs lui ont donné un nom : ouvrir un livre de compte. Je donne, mais, dans ma tête, je comptabilise ce que je donne. Et, un jour, je rappellerai tout l’arriéré des impayés, j’enverrai la facture…

Nous, chrétiens, sommes le plus souvent généreux. En revanche, il nous faut veiller à la pureté de notre intention. Alors, frères et sœurs, pour quoi (en deux mots), donnons-nous ?

 

  1. J’ajouterais aujourd’hui, une troisième raison qui nous empêche d’être généreux.

Une étude très classique de psychologie sociale, celle de Darley et Batson, a montré que le stress diminue, voire annule la disponibilité intérieure nécessaire au don de soi [1]. Voici le dispositif. Des étudiants suivent un enseignement religieux. On leur propose de rédiger un sermon sur la parabole du bon Samaritain (cf. Lc 10,25-37). Puis on leur demande de se rendre dans un quartier voisin et d’enregistrer leur sermon dans un studio. On dit à la moitié d’entre eux qu’ils ont largement le temps de s’y rendre, alors qu’on incite l’autre moitié à se dépêcher. Par ailleurs, un comparse des expérimentateurs joue le rôle de l’homme blessé de la parabole : il se déguise en clochard gémissant et se place sous une porte cochère qui se trouve sur le chemin des étudiants. Résultat : seuls 10 % des étudiants qui devaient agir en hâte se sont arrêtés pour aider l’inconnu, contre 41 % chez les autres.

Ce résultat étonne d’autant plus que les étudiants s’étaient disposés à éprouver de la compassion pour le clochard en écrivant leur sermon sur lui et qu’ils se repassaient mentalement le texte de la célèbre parabole [2]. Comment interpréter ce hiatus, considérable et presque scandaleux, entre la parole (ici écrite) et l’action ? Les étudiants concentrés sur leur tâche n’étaient pas disponibles, même à la misère sur laquelle ils s’apprêtaient pourtant à prêcher. La conclusion est habituellement celle-ci : « Le coût de l’aide associé à la pression du temps a rendu ces personnes apparemment ‘bonnes’ moins sensibles aux besoins des autres [3] ». Dit autrement, le stress rend le sujet indisponible au don de soi.

Bien évidemment, il est difficile d’être attentif à celui qui a besoin de nous si nous avons des écouteurs sur les oreilles, si nous sommes plongés dans notre Smartphone. Mais il en est de même si nous sommes toujours pressés, si notre emploi du temps est bourré comme une valise. Nous ne pourrons être attentionnés que si nous sommes attentifs.

Que si nous prenons le temps de nous arrêter pour nous demander en famille, quel pourcentage de notre argent sera donné à

Alors, frères et sœurs,

 

« Dieu aime qui donne avec joie », dit saint Paul.

Pascal Ide

[1] Cf. J.M. Darley, C.D. Batson, « From Jerusalem to Jericho: a Study of Situational and Dispositional Variables in Helping Behaviors », Journal of Personality and Social Psychology, 27 (1973), p. 100-108.

[2] Cf. Philip G. Zimbardo, L’effetto Lucifero. Cattivi si diventa ?, trad. Margherita Botto, Milano, Raffaello Cortina, 2008, p. 456.

[3] David A. Schroeder, Louis A. Penner & John F. Dovidio, The Psychology of Helping and Altruism. Problems and Puzzles, New York, McGraw-Hill, 1995, p. 43.

25.9.2022
 

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