Pourquoi cet évangile de la Transfiguration, alors que nous sommes en plein Carême ? Et, plus généralement, pourquoi Jésus a-t-il voulu se métamorphoser (le terme grec pour transfiguration » est « métamorphose ») devant ses disciples avant sa Résurrection ?
En fait, la bonne question est plus encore : quand s’est-il transfiguré ? Saint Thomas d’Aquin répond avec profondeur : « pour que quelqu’un marche avec assurance sur une route, il faut qu’il connaisse plus ou moins par avance le but du voyage, de même que l’archer ne lance pas bien la flèche s’il n’a pas vu la cible qu’il faut viser. Et cela est particulièrement nécessaire quand la voie est difficile et escarpée, le trajet pénible, et la fin joyeuse ». Or, si vous lisez le passage juste avant la Transfiguration, Jésus vient d’annoncer à ses disciples : « Il faut que le Fils de l’homme souffre beaucoup » (Lc 9,22) ; puis : « Celui qui veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix chaque jour et qu’il me suive » (v. 23). Cela fait beaucoup ! Ainsi, pour les réconforter, Jésus leur montre le but : la gloire de la Transfiguration. « Per Crucem ad Lucem : par la Croix vers la Lumière », disait saint Paul VI. C’est en pensant à l’admirable vue au sommet de la montagne, que le grimpeur trouve l’énergie pour arpenter le rude chemin. C’est en contemplant longuement la gloire à laquelle nous sommes tous appelés que nous pourrons endurer le poids du jour.
Qui ne l’a constaté, autour de lui et en lui, nous peinons à tenir pendant quarante jours les belles résolutions que nous avons pourtant prises avec beaucoup de générosité au début du Carême ! Pour être plus précis, la courbe de notre conversion suit un rythme à trois temps : élan initial ; baisse médiane de régime ; reprise finale. Nous obtenons ainsi une courbe en forme de « U ».
Deux chercheuses en sciences sociales s’intéressant à la manière dont les personnes suivent leurs objectifs eurent l’idée d’évaluer la fidélité avec laquelle les Juifs pratiquent la fête de Hanouka. Pendant cette fête des lumières qui dure huit jours, les participants allument progressivement les bougies d’un chandelier à neuf branches (une bougie ne pouvant être allumée que par une autre bougie, il en faut donc deux dès le premier jour). Or, elles constatèrent que, le premier soir, 76 % des 200 participants allumaient des bougies, 55 % le deuxième, moins de la moitié les soirs suivants, le pourcentage remontant la barre symbolique des 50 le dernier soir. Notre persévérance suit donc un schéma en U.
D’autres études ont montré que ce qui est vrai sur la durée d’une semaine se vérifie à d’autres échelles, comme la journée ou sur des mois. Par exemple, si nous décidons de perdre du poids ou de lire la Parole de Dieu quotidiennement pendant l’année scolaire, nous présentons une motivation forte en début et en fin, mais accusons une baisse de régime au milieu. Il en est de même pour les 7 semaines du Carême.
Que nous subissions ce coup de mou en milieu de parcours soit habituel ne signifie pas qu’il soit inévitable ! En en prenant conscience, nous pouvons le contrarier. Des chercheurs américains se sont intéressés à l’évolution d’une équipe de sport collectif en fonction du score à la mi-temps. Si, sans surprise, ils ont noté que les équipes victorieuses à mi-étape l’étaient aussi au terme, ils ont découvert une étonnante exception : l’équipe qui était en retard d’un seul point avait plus de chance de l’emporter que l’autre équipe ! Ainsi, il nous appartient de transformer le mi-parcours en chance de rebondir.
Tirons quelques conseils pratiques :
- Soyons conscients de cette baisse de rythme qui vaut pour tous nos engagements. Et soyons-y attentifs dans les prochaines semaines.
- Arrivés à la mi-Carême, observons la « dépression » du U et nommons-la comme une tentation.
- Et, avec la grâce de Dieu et l’engagement de notre liberté, transformons cette étape intermédiaire en but. Par exemple, en faisant mémoire des objectifs fixés le mercredi des Cendres, et en les décidant derechef. Per Crucem ad Lucem!
Pascal Ide