Guide de lecture du document de la CTI sur le Concile de Nicée 1/6

Commission Théologique Internationale, Jésus-Christ, Fils de Dieu, Sauveur. 1700e anniversaire du concile œcuménique de Nicée 325-2025, 16 décembre 2024. Pour une fois, le texte en français se trouve en accès libre sur le site du Vatican.

Introduction générale (note du commentateur)

Intention

Le texte a beau être déjà bien organisé (trois niveaux), il gagne à être encore davantage structuré pour deux raisons : les sous-titres ne sont pas toujours transparents ; l’organisation ne va pas jusqu’à l’unité qu’est le paragraphe qui seul contient (le plus souvent) une seule problématique. J’indiquerai les subdivisions des chapitres entre crochets (il aurait été plus logique d’indiquer nos subdivisions ainsi ; j’ai simplement voulu éviter une multiplication des crochets…).

Importance

Alors que, usuellement, les exposés théologiques en restent à une formulation objective, neutre, bref, informative (ce qui n’ôte rien à la possible profondeur du propos), le texte adopte une perspective inédite, performative, en l’occurrence, laudative : il intègre l’attitude du sujet croyant qui rend grâce pour le don que fut ce dogme exposé par le Concile de manière inédite. Il convient de mesurer la puissante originalité de ce point de vue doxologique, mais, plus encore son caractère traditionnel (les Pères et certains Docteurs médiévaux introduisaient volontiers dans leur exposé à la troisième personne des prières en première personne) et surtout sa grande cohérence avec la théologie (science de la foi, elle est un des grands actes du munus docendi, les trois munera étant les trois chemins par lesquels l’homme retourne vers Dieu).

Sur les auteurs du texte et son approbation, nous renvoyons à la « Note préliminaire ». Rappelons seulement que, même approuvé par le Saint-Père, il ne s’agit pas d’un texte magistériel.

Méthode

Comme usuellement, nous procéderons à une division du texte, en nous arrêtant le plus souvent à l’atome qu’est le paragraphe numéroté et, le cas échéant, nous nous arrêterons (l’ajout étant en italiques) sur tel ou tel paragraphe en raison de sa difficulté ou de son importance.

Limites du texte

Osons-le dire, le premier chapitre est, hormis la perspective doxologique dont nous venons de parler, le moins inédit du document. En revanche, les autres chapitres multiplient les propositions originales et stimulantes. Nous en noterons quelques-unes, chemin faisant.

L’un des points les plus étonnants et, osons-le dire, les plus décevants (et les plus frileux), du document, précisément de son premier chapitre, est qu’il n’expose pas le sens de l’expression homoousios (cf. n. 15 s), comme s’il craignait de réveiller d’antiques débats ou d’entrer dans le détail de la métaphysique chrétienne que revisite le dogme. Certes, les auteurs du texte s’en excusent par avance en écrivant : « ne vise pas à un approfondissement de chaque thème » (n. 7) ; mais, comme ils le font pour d’autres aspects difficultueux, on flaire plutôt ici un évitement qu’un souci pédagogique ou un choix économique…

Plan général du texte

Le numéro 5 expose le plan des 4 chapitres. Mais, peu réflexif, il n’en explique pas la raison d’être. Il nous semble que la distinction des chapitres se prend de leur objet formel, c’est-à-dire de la perspective sous laquelle ils envisagent le concile de Nicée :

 

En perspective doxologique (chap. 1)

En perspective liturgique (chap. 2)

En perspective dogmatique (chap. 3)

En perspective fondamentale, c’est-à-dire selon le point de vue réflexif de la théologie fondamentale (chap. 4)

Note préliminaire au texte

Au cours de son 10e quinquennium, la Commission Théologique Internationale a choisi d’approfondir une étude concernant le premier Concile œcuménique de Nicée et son actualité dogmatique. Le travail a été conduit par une Sous-commission spéciale, présidée par le P. Philippe Vallin et composée des membres suivants : S. Exc. Mgr Antonio Luiz Catelan Ferreira, S. Exc. Mgr Etienne Vetö, I.C.N., le P. Mario Ángel Flores Ramos, le P. Gaby Alfred Hachem, le P. Karl-Heinz Menke, la Prof. Marianne Schlosser, la Prof. Robin Darling Young.

Des discussions générales sur ce sujet ont eu lieu à la fois lors des diverses réunions de la Sous-commission et lors des sessions plénières de la Commission elle-même, qui se sont tenues dans les années 2022-2024. Ce texte a été soumis au vote et approuvé in forma specifica à l’unanimité par les membres de la Commission Théologique Internationale lors de la session plénière de 2024. Le document a ensuite été soumis à l’approbation de son président, S. Ém. le Cardinal Víctor Manuel Fernández, Préfet du Dicastère pour la Doctrine de la Foi, qui, après avoir reçu l’avis favorable du Saint Père François, en a autorisé la publication le 16 décembre 2024.

Introduction : Doxologie, théologie et annonce

Comme toute introduction digne de ce nom, elle dit de quoi elle va parler (l’objet), pourquoi (importance) et comment (le plan).

1) Objet formel

Si l’objet matériel, c’est-à-dire le contenu, est clairement indiqué par le titre, à savoir le Concile de Nicée (hormis la précision ajoutée par le n. 4), l’objet formel, c’est-à-dire la perspective, en l’occurrence doxologique. L’introduction générale en a dit la puissante originalité.

a) Énoncé
  1. Le 20 mai 2025, l’Église catholique et l’ensemble du monde chrétien se souviennent avec gratitude et joie de l’ouverture du Concile de Nicée en 325 : « Le Concile de Nicée est une pierre milliaire dans l’histoire de l’Église. Son anniversaire invite les chrétiens à s’unir dans la louange et l’action de grâce à la Sainte Trinité et en particulier à Jésus-Christ, le Fils de Dieu, “consubstantiel au Pèreˮ, qui nous a révélé ce mystère d’amour » [1]. Celui-ci est resté dans la conscience chrétienne principalement à travers le Symbole qui recueille, définit et proclame la foi dans le salut en Jésus-Christ et au Dieu Un, Père, Fils et Saint-Esprit. Le symbole de Nicée professe la bonne nouvelle du salut intégral des êtres humains par Dieu lui-même en Jésus-Christ. 1700 ans après, il s’agit avant tout de célébrer cet évènement dans unedoxologie, une louange à la gloire de Dieu, puisqu’elle s’est manifestée dans l’inestimable trésor de la foi exprimée par le Symbole : l’infinie beauté du Dieu Père qui nous sauve, l’immense miséricorde de Jésus-Christ notre Sauveur, la générosité de la rédemption qui est offerte à chaque personne humaine dans le Saint-Esprit. Nous joignons nos voix à celles des Pères, tel Éphrem le Syrien, pour chanter cette gloire :

 

« Gloire à Celui qui est venu

Chez nous par son premier né !

Gloire au Silencieux

Qui a parlé par sa voix !

Gloire au Sublime

Qui s’est rendu visible par son Épiphanie !

Gloire au Spirituel,

Qui s’est plu

A ce que son Enfant devînt corps,

Afin que par ce corps fût tangible sa puissance

Et que par ce corps eussent vie

Les corps des fils de Son peuple ! » [2]

b) Exposé

[2. La lumière répandue par l’assemblée de Nicée sur la révélation chrétienne permet d’y découvrir une richesse inépuisable qui continue à travers les siècles et les cultures de trouver des approfondissements, et de se montrer sous des facettes toujours plus belles et plus neuves. Ces différentes facettes sont mises à jour notamment par la lecture priante et théologique que la plus grande partie des traditions chrétiennes font du Symbole, chacune avec un rapport différent au fait même de l’existence d’un symbole. Il s’agit aussi de l’occasion pour toutes de redécouvrir ou même de découvrir sa richesse et le lien de communion entre tous les chrétiens qu’il peut constituer. « Comment ne pas rappeler l’importance extraordinaire d’une pareille commémoration au service de la recherche de l’union plénière des Chrétiens ? » [3], souligne le Pape François.

2) Importance

Il s’agit de toutes les nouveautés introduites par le Concile de Nicée

[3. Le Concile de Nicée fut le premier concile dit « œcuménique », parce que pour la première fois les évêques de toute l’Oikoumenē ont été invités [4]. Ses résolutions devaient donc avoir une portée œcuménique, c’est-à-dire universelle : elles ont été reçues comme telles par les croyants et par la tradition chrétienne, au cours d’un processus long et laborieux. L’enjeu ecclésiologique est capital. Le Symbole s’inscrit dans le mouvement de la progressive adoption par l’enseignement chrétien de la langue et des schémas de pensée grecs, qui s’en trouvèrent eux-mêmes, pour ainsi dire, transfigurés par leur contact avec la Révélation. Le Concile a marqué en outre l’importance toujours plus grande des synodes et de modes de gouvernement synodaux dans l’Église des premiers siècles, tout en constituant un tournant majeur : dans la ligne de l’exousia conférée aux Apôtres par Jésus et l’Esprit Saint (Lc 10,16 ; Ac 1,14-2,1-4), l’évènement de Nicée a en effet ouvert la voie à une nouvelle expression institutionnelle de l’autorité dans l’Église, l’autorité de portée universelle reconnue désormais aux conciles œcuméniques, autant pour la doctrine que pour la discipline. Ce tournant décisif dans la manière de penser et de gouverner au sein de la communauté des disciples du Seigneur Jésus aura mis en lumière des éléments essentiels de la mission d’enseignement de l’Église, et donc de sa nature.

3) Objet matériel

L’objet matériel requiert d’être précisé, délimité, du fait de la continuité notamment liturgique entre les deux Credo, de Nicée et de Constantinople.

[4. Une précision s’impose avant d’entrer plus avant dans la réflexion. Nous nous appuyons sur le symbole de Nicée-Constantinople (381) et non pas à strictement parler sur celui composé à Nicée (325). En effet, une cinquantaine d’années furent nécessaires pour accueillir le vocabulaire du symbole de Nicée et pour s’accorder sur la portée universelle du premier concile. Le processus de réception du symbole de Nicée s’est poursuivi pendant le conflit avec les Pneumatomaques entre Nicée et Constantinople, introduisant quelques modifications textuelles significatives, en particulier dans le troisième article. Selon l’opinion des Pères, cependant, ce processus, qui aboutit au symbole de Nicée-Constantinople, n’impliquait aucune altération de la foi nicéenne, mais sa préservation authentique. En ce sens, le préambule de la définition dogmatique de Chalcédoine, qui a été précédé par la transcription du symbole de Nicée et du symbole de Nicée-Constantinople, « confirme » ce qui a été dit dans le symbole des « 150 Pères » (Constantinople), puisque son sens réside, selon ses propres termes, dans la spécification de ce qui concerne l’Esprit Saint contre ceux qui nient sa seigneurie [5]. L’ampleur de ce qui s’est passé à Nicée se manifeste dans l’interdiction faite au Concile d’Éphèse de promulguer toute autre formule de foi [6], car dans les moments qui ont suivi Nicée, les tenants de l’orthodoxie ont pensé que le discernement cristallisé dans le symbole nicéen suffirait à garantir la foi de l’Église pour toujours. Athanase, par exemple, dira de Nicée qu’il est « la parole de Dieu qui demeure à jamais » (Is 40,8) [7]. Ce processus de Tradition vivante et normative se prolonge, entre le IVe et le IXe siècles, par son adoption dans les liturgies baptismales, notamment en Orient, puis dans les liturgies eucharistiques. Notons que le Filioque, qui se trouve dans les versions occidentales actuelles du Symbole, ne fait pas partie du texte originel du symbole de Nicée-Constantinople, sur lequel ce document entend s’appuyer [8]. Ce point continue d’être un sujet de malentendu entre les confessions chrétiennes, de sorte que le dialogue entre Orient et Occident se poursuit encore aujourd’hui.

4) Plan

Nous nous permettons de souligner en italiques les quatre chapitres.

  1. Ainsi, dans un premier chapitre, nous proposerons une lecturedoxologiquedu Symbole, pour en dégager la ressource sotériologique et donc christologique, trinitaire et anthropologique. Ce sera l’occasion d’en souligner la portée et d’en recevoir un nouvel élan pour l’unité des chrétiens. Mais accueillir la richesse du Concile de Nicée, 1700 ans après, conduit aussi à percevoir comment le Concile nourrit et guide la vie chrétienne quotidienne : dans un deuxième chapitre, de teneur patristique, nous explorerons comment la vie liturgique et la vie de prière a été fécondée dans l’Église après le Concile. Nicée constitue un tel tournant pour l’histoire du Christianisme, que nous nous arrêterons dans le troisième chapitre sur la manière dont le Symbole et la tenue du Concile témoignent de l’évènement Jésus-Christ lui-même, dont l’irruption dans l’histoire offre un accès inouï à Dieu et introduit une transformation de la pensée humaine, autrement dit un évènement de Sagesse. Le Symbole et le Concile témoignent aussi d’une nouveauté dans la manière dont l’Église du Christ se structure et accomplit sa mission : ils traduisent ce qui fut un évènement Ecclésial. Enfin, dans le quatrième chapitre, nous analyserons les conditions de crédibilité de la foi professée à Nicée en une étape de théologie fondamentale, qui mettra à jour la nature et l’identité de l’Église en tant qu’elle est interprète authentique de la vérité normative de la foi par le Magistère, gardienne des croyants, notamment les plus petits et les plus vulnérables.

2’) Retour sur l’importance actuelle

  1. « Quand on allume une lampe, ce n’est pas pour la mettre sous le boisseau, mais sur son lampadaire et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison » (Mt 5,15). Cette lumière, c’est le Christ, « lumière de lumière ». S’en émerveiller c’est aussi trouver un nouvel élan pour présenter cette bonne nouvelle avec encore plus de force et de créativité dans l’Esprit Saint. Cette lumière éclaire de manière vive notre époque travaillée par des ferments de violence et d’injustice, remplie d’incertitudes, entretenant un rapport complexe avec la vérité, par où la foi et l’appartenance à l’Église semblent mises en difficulté. La lumière est d’autant plus vive et rayonnante qu’elle est partagée par tous les chrétiens qui peuvent confesser leur foi dans une mêmemarty̆ria, un même témoignage, afin de contribuer à attirer les hommes et les femmes d’aujourd’hui à Jésus-Christ, Fils de Dieu et Sauveur :

 

« L’essentiel pour nous, le plus beau, le plus attirant et en même temps le plus nécessaire, c’est la foi dans le Christ Jésus. Tous ensemble, si Dieu le veut, nous la renouvellerons solennellement au cours du prochain Jubilé et chacun de nous est appelé à l’annoncer à chaque homme et femme de la terre. C’est là la tâche fondamentale de l’Église » [9].

Pascal Ide (pour la présentation et le plan)

4.5.2025
 

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