Vibrer ! La France, championne du monde de football 2018

Vibrer avec toute la France championne du monde deux étoiles.

Vibrer…

… avec une équipe de foot qui, comme tant d’autres en ce mondial, n’était peut-être pas au plus haut de sa forme, mais a su faire la différence par son incroyable talent et son admirable précision ;

… avec des joueurs qui ne nous ont peut-être pas toujours enthousiasmés par leurs attaques, mais nous ont convaincus par leur (presque) impénétrable défense et leurs fulgurantes contre-attaques ;

… de tension silencieuse pendant les 18 premières minutes de jeu avant que ne soit marqué le (notre !) premier but ;

… puis, après l’égalisation signée Perisic à la 24e, à nouveau de tension contenue 14 minutes presque insoutenables, avant que Griezmann ne réussisse le penalty ;

… d’espoir tricoté d’inquiétude, retenant notre souffle, pendant cette éprouvante attente où, seul, terriblement seul, l’arbitre Nestor Pitana consulte la VAR, ses massives épaules se chargeant brusquement d’une décision dont dépendait le sort de tout le match et de tout un pays, avant qu’un geste de devin (un templum dessiné dans l’air) ne relance la quasi-certitude de marquer ;

… jusqu’à exploser littéralement de joie, à quatre reprises, aux quatre buts, ne plus faire qu’un avec la foule ;

… jusqu’à frissonner en une extase qui abolit momentanément toute frontière et toute réserve ;

… jusqu’à se transformer en soleil, les bras vers le ciel, les pieds décollés de terre, sautant et tournant, dansant, hurlant, trépignant, jubilant, sans même y penser, juste pour ex-primer notre ex-ultation, comme si elle s’échappait, comme si elle jaillissait hors de nous sans nous !

… jusqu’à tous vivre au diapason, les yeux dans les yeux, lacs pleins d’étoile ! Nous en redemandons de cette joie ensemble qui rassemble, sans pudibonderie et sans impudeur, sans honte et sans limite !

… comme un océan où nous plongeons et nous émergeons ;

… comme une onde qui soudain gonfle partout au même instant, arrêtant le temps et arrêtée par rien ;

… parce que seule l’onde électrise et galvanise, seule elle se propage sans rage ;

… avec la foule-houle du café (du coin et au coin de la rue de Vaugirard et du boulevard de Montparnasse) et, en écho, avec les milliers de supporters des autres terrasses ;

… avec les motards pétaradants, les bus klaxonnants, les conducteurs débordants, les piétons délirants ;

… avec une France en cadence et qui danse ;

… avec une France enchantée et en chantant ;

… avec une France qui, pendant quelques jours, a vécu d’espérance, aujourd’hui est en transe et, encore quelques jours, oubliera sa souffrance ;

… avec une France qui coagule sans calcul ni virgule ;

… avec ma chère France, pourtant si individualiste et si fière de son exception, qui devient soudain capable de célébrer sans exclusion : « On est Français » ;

… avec mon cher pays, qui éprouve son unité, sans idéologie ni discours, sans violence ni drogue, mais en musique et en danse ;

… avec une foule en liesse qui délaisse sa pudeur pour entonner sans cesse la Marseillaise ;

… avec une France qui chante son hymne national, en chœur et d’un seul cœur ;

… avec mes compatriotes, trop pudiques jusqu’à en être cyniques, qui, dans cette fête des fous, retrouvent la sobre ébriété d’être une nation et pas d’abord un État ;

… avec ces boute-en-train qui dopent le train, avec cette rame de métro roulant au pas et tanguant au rythme des « Qui-ne-saute-pas-n’est-pas-Français » ;

… avec ces métropolitains qui, dans la touffeur et la moiteur, abandonnent pour une fois asthénie et nostalgie, rient et sourient, chantent et inventent (des comptines) ;

… avec une foule de toute génération (même si, plus l’heure avance, plus l’âge recule…), avec mes compatriotes black, blancs, beurs ;

… en descendant la plus belle avenue du monde, sous une lumière mordorée et en remontant l’avenue des Champs-Élysées sous les chants sans huée ;

… avec une foule qui, certes non sans police, n’ignore pas la politesse ;

… avec une France qui a besoin d’avancer, simplement pour avancer, comme un homme, vers la Place de l’Étoile – pardon des deux Étoiles ! – ;

… avec une France en marche tout en se moquant – temporairement – de ses clivages politiques ;

… parce que nous sommes faits pour marcher avec le moral et non pas pour un marché sans morale ;

… tout simplement aussi parce que nos corps lassés ont besoin de s’embrasser et nos esprits harassés de s’enlacer ;

… parce que la victoire d’une poignée d’homme se transmet et se multiplie soudain plus d’un million de fois, transforme des myriades et des myriades de « Moi, je » en un « nous » ou un « on » qui n’est plus anonyme (« On est les vainqueurs ») ;

… avec (au moins) un milliard de spectateurs répandus sur toute la planète qui, par la magie de la télévision et des réseaux, résonne et même parfois raisonne ;

… pour une victoire pacifique qui rime avec gloire irénique ;

… pour une équipe qui, à vaincre avec péril, a triomphé avec gloire ;

… pour le chemin et non point pour la fin, pour les quatre buts et non pour le but ;

… parce que cette victoire sans contestation (4) est aussi sans humiliation (2).

 

Oui, vibrer sans réserve. Mais pas sans souvenir.

Car, hier, à plus d’une reprise, mon cœur a aussi battu en cadence avec ma mémoire.

Là encore une foule…

… non pas 20 (je m’étais aussi rendu sur les Champs-Élysées), mais 21 ans en arrière ;

… non pas aux Champs, mais à Longchamp ;

… mondiale, mais présente ;

… de vainqueurs, mais sans vaincus ;

… certes composée surtout de jeunes, mais entourant un vieillard malade ;

… en vibration, mais sans excitation ;

… jubilatoire, mais pacifiée, sans fumigène ni pétard, sans hurlement ni débordement, sans snipper ni terreur ;

… où les forces dites de l’ordre s’émerveillaient d’un ordre venu du dedans et de plus haut…

Oui, vibrer sans réserve. Mais pas sans compassion. Pour le clochard hébété qui se glisse soudain entre nous, au café, demandant, le regard égaré, combien de buts la France a marqués, et tendant la main, assuré qu’une telle joie ne peut que se transformer en manne.

 

Mais ne suis-je pas en train de jouer les rabat-joie, de comparer l’incomparable, voire de récupérer la fête d’aujourd’hui par la célébration d’hier, et, par un « oui, mais… », d’effacer de mon précédent propos l’enthousiasme qui l’a suscité et porté ?

Et si, tout au contraire, en faisant mémoire, je déchiffrais notre présent ? Cette vibration intense, somme toute superficielle et temporaire, n’est pas une illusion, mais une promesse non tenue d’une unité que les JMJ 97 ont, elles, durablement et profondément concrétisée.

Vibrer est bien ce qui agrège les atomes en molécules, les individus en groupe. La vibration est communion sans fusion, parce qu’elle est communication avec effusion.

Vibrer parce que c’est la mystique et non le ludique, surtout récupéré par le politique, qui rend notre âme ecclésiastique (attention, je ne dis surtout pas cléricale ; car ecclesia signifie « assemblée » et assemblée rassemblée). Et comment ne pas évoquer le coach croate, à la retenue pleine de dignité, Zlatko Dalić, la main vissée dans sa poche à son chapelet et le cœur rivé au plus proche à sa foi ?

Vibrer, surtout, parce que la seule vibration durable naît du diapason de la compassion.

Vibrer, surtout et plus encore, parce que la seule vibration permanente naît de l’harmonie que l’image entretient avec son divin Modèle (cf. Gn 1,26) et qu’elle pourra alors, au quotidien, tenter de vivre, sans exclusion et sans illusion, avec le plus prochain et, non sans la grâce, avec le plus lointain. Toute jubilation sans mélange est un « Alléluia » qui s’ignore.

Pascal Ide

16.7.2018
 

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