Une théologie du don. Les occurrences de GS chez JP II 4/4

Pascal Ide, « Une théologie du don. Les occurrences de Gaudium et spes, n. 24, § 3 chez Jean Paul II », Anthropotes, 17/2 (2001), p. 129-163.

5) Les applications

Ce schéma don reçu-don offert, par la médiation de la liberté comme don à soi, est très présent dans la méditation du pape et en éclaire souvent, quoique pas toujours explicitement, la logique intime. Je retiendrai quelques exemples où la corrélation est évidente. Ce seront autant de confirmations de notre thèse dans des domaines plus régionalisés que celui de l’anthropologie générale étudiée jusqu’ici [1].

a) La vie humaine

Dans sa lettre encyclique Evangelium Vitæ [2], le pape éclaire le mystère de la vie à partir des trois dimensions du don : la vie est un don reçu, pour, librement accueilli, être offert.

La vie, pour l’homme, est d’abord un don reçu. L’état créaturel est, par essence, un état récipiendaire. En effet, l’homme est créature. Or, la « créature […] reçoit de Dieu l’être et la vie comme un don [3] ». La « très haute valeur », la « valeur unique » de la vie humaine tient donc à ce que « le Seigneur a créé toutes les autres choses sur la terre pour l’homme [4] ».

Ensuite, la vie est faite pour être donnée, ainsi que le montre l’exemple du Christ : « le sang du Christ révèle à l’homme que sa grandeur et donc sa vocation, est le don total de lui-même [5] ». Ce don total de soi prend la forme du martyre mais aussi celle de ce que Jean Paul II appelle « l’héroïsme du quotidien », saluant en particulier le témoignage de « toutes les mères courageuses [6] ».

Enfin, il existe un lien étroit entre don reçu et don offert. L’homme ne s’accomplit dans le don de lui qu’en s’arrimant à son origine, qu’en consentant à se recevoir : « c’est seulement en acceptant sa dépendance première dans l’être que l’homme peut réaliser la plénitude de sa vie et de sa liberté [7] ». Or, la médiation s’opère par la liberté c’est-à-dire le don à soi : il existe un « lien inséparable entre la vie et la liberté ». D’une part, la liberté reçoit le don : « Il n’y a pas de liberté véritable là où la vie n’est pas accueillie ni aimée » ; d’autre part, l’« amour, comme don total de soi [et ici il est fait mention de GS 24], représente le sens le plus authentique de la vie et de la liberté de la personne [8] ».

Dans un paragraphe très dense, Jean Paul II résume l’essentiel du message évangélique sur la vie en le corrélant implicitement aux divers moments du don : « C’est l’annonce d’un Dieu vivant et proche, qui nous appelle à une communion profonde avec lui et nous ouvre à la ferme espérance de la vie éternelle [la communion comme achèvement du don de soi] ; c’est l’affirmation du lien inséparable qui existe entre la personne, sa vie et sa corporéité [don 2, dans la mesure où la vie reçue doit être intégrée dans la totalité de la personne pour être offerte] c’est la présentation de la vie humaine comme vie de relation, don de Dieu, fruit et signe de son amour [don 1] ; […] c’est la manifestation du ‘don total de soi’ comme devoir et comme lieu de la réalisation plénière de la liberté [don 3] [9] ».

b) Le corps humain

Lier le corps au don, éclairer le mystère de celui-ci par celui-là est une des applications les plus fécondes et les plus novatrices du pontificat de Jean Paul II. Dans l’imposant corpus des cent dix-huit catéchèses qu’il a consacrées au corps humain sur plus de cinq années, il montre que non seulement le corps ne trouve son sens que dans le don, mais qu’il est l’expression visible et même le sacrement du don [10]. À cette occasion, il parle de dimension sponsale du corps. En un mot, le corps demande à être reçu comme ce par quoi, avec l’âme, nous sommes à l’image de Dieu (don 1), approprié librement comme une dimension de notre subjectivité et non « utilisé comme un matériel » ou un objet (don 2), pour être donné notamment dans la communion des personnes que réalise le mariage (don 3) [11].

c) Le travail humain

Le pape s’est penché à plusieurs reprises et longuement sur le travail humain. Si ses encycliques sociales relatives au travail ne citent pas GS 24, il n’en est pas de même d’un paragraphe aussi bref que suggestif de l’Audience générale consacrée à son encyclique sociale Centesimus annus [12] : « le travail, dans sa structure interne, valorise à la fois l’autonomie de la personne et la nécessité de se lier au travail des autres ». Plus encore, l’homme « ne travaille pas seulement pour lui-même mais aussi pour les autres, à commencer par sa propre famille, jusqu’à la communauté locale, à la nation et à toute l’humanité ». Donc, « dans le travail lui-même s’exprime le don de soi libre et fécond ». Qui dit autonomie dit liberté. Par conséquent, le travail, de par sa nature (« sa structure interne », dit le pape) connecte étroitement le don à soi (don 2) au don de soi (don 3).

Mais le texte continue : « En confirmant donc l’étroite connexion entre la propriété individuelle et la destination universelle des biens, la doctrine sociale de l’Église ne fait rien d’autre que restituer l’activité économique dans le cadre plus élevé et plus large de la vocation générale de l’homme ». Jean Paul II introduit ici le don reçu (don 1) que constituent les biens confiés à l’homme dans la propriété. Or, il ne présente ce don qu’en lien étroit avec les autres dons : c’est ce que signifie la conjonction « donc » et la relation explicite avec la « destination universelle des biens », c’est-à-dire le don offert.

Enfin, le pape confirme toute cette analyse, lorsqu’il finit en soulignant que ce qu’il vient de développer n’est qu’une approche particulière de « la vocation générale de l’homme », dont on sait avec GS 24 qu’elle est liée au don.

d) Le gouvernement des hommes

A l’instar du travail humain qui concerne le domaine économique, le gouvernement qui intéresse autant l’économie que la famille ou le politique, s’éclaire à partir d’une théologie du don (le temps intermédiaire de la liberté n’étant pas explicité).

En effet, « régner [c’est-à-dire gouverner], c’est servir », selon une expression qui remonte aux Pères de l’Église et que reprend le dernier Concile [13]. « Sa ‘royauté’ est un service ! Son service est une ‘royauté’ ! C’est ainsi que devrait être comprise l’autorité dans la famille comme dans la société et dans l’Église . La ‘royauté’ est une révélation de la vocation fondamentale de l’être humain, en tant que créé à ‘l’image’ de Celui qui est Seigneur du ciel et de la terre, et appelé à être son fils adoptif dans le Christ [14] ». Suit la citation intégrale du passage final de GS 24.

Or, le service dit le don en ses divers moments. D’abord le don de soi. Servir, c’est se donner, ainsi que le Christ en a fourni l’exemple : il « s’est fait homme entre les hommes ‘non pour être servi mais pour servir’ (Mt 20,28) La doctrine sociale de l’Église, qui a reçu ce suprême exemple, enseigne que la personne ne peut se trouver que dans le don généreux de soi [15] ».

Mais le service fait aussi allusion au premier moment du don. L’articulation du don reçu et du don offert permet de mieux comprendre ce qu’est le gouvernement (la seigneurie, la royauté) pour le chrétien. Par le don qui lui est fait, l’homme est roi, car ce don est véritablement royal et l’établit dans cette dignité (cf. 1 P 2,9). Mais ce don reçu trouve son accomplissement dans le don offert qui est le don de soi à l’autre, c’est-à-dire le service d’autrui.

En retour, l’interprétation de l’oxymore « Régner, c’est servir » à partir du don déjoue la contradiction apparente : le règne et le service s’entendent selon deux points de vue complémentaires et non dans la même perspective.

e) Les états de vie

Last but non least, le pape éclaire les divers états de vie à partir du don. Le don et précisément le don de soi est le point de vue à partir duquel se distingue les deux et seulement deux vocations proprement chrétiennes : mariage et consécration virginale – excluant de ce fait une prétendue troisième voie qui serait celle du célibat non choisi [16]. C’est ce que dit un paragraphe capital de l’exhortation apostolique sur les tâches de la famille chrétienne : « ‘Dieu est amour’ (1 Jn 4,8.16) et il vit en lui-même un mystère de communion personnelle d’amour. En créant l’humanité de l’homme et de la femme à son image et en la conservant continuellement dans l’être Dieu inscrit en elle la vocation, et donc la capacité et la responsabilité correspondantes, à l’amour et à la communion. L’amour est donc la vocation fondamentale et innée de tout être humain. […] La Révélation chrétienne connaît deux façons spécifiques de réaliser la vocation à l’amour de la personne humaine, dans son intégrité : le mariage et la virginité. L’une comme l’autre, dans leur forme propre, sont une concrétisation de la vérité la plus profonde de l’homme, de son ‘être à l’image de Dieu’ [17] ».

Le don est au cœur du mariage. « Dans le mariage, l’homme et la femme trouvent leur vocation commune [18] » qui est le don, ainsi que l’atteste la citation du texte conciliaire qui suit.

Le pape détaille longuement ce point dans sa belle Lettre aux familles. À partir de GS 24, il montre comme les trois moments du don se concrétisent dans la réalité familiale et conjugale [19]. Certes, explique-t-il, toute personne est appelée à vivre de ce don de soi, mais le couple en fait « une expérience tout à fait spécifique » dans « le moment de l’union conjugale », « lorsque les époux, s’offrant mutuellement dans l’amour, réalisent cette rencontre qui fait des deux ‘une seule chair’ [20] ». Plus souvent, le Saint-Père insiste sur le troisième pôle du don, le don de soi dont le mariage est la réalisation privilégiée : « le don de la personne requiert par nature d’être durable et irrévocable [21] ». Or, tel est le cas de l’engagement du mariage qui est indissoluble. Voilà pourquoi le mariage est une réalisation toute particulière de l’essence du don interpersonnel : la famille « se constitue sur la base du don sincère et réciproque de soi » ; inversement, les succédanés de famille que l’on propose aujourd’hui se fondent toujours sur une négation de ce don de soi, donc « de la dimension profonde de la personne humaine et de sa transcendance [22] ». Ou, comme le dit une homélie dont la fin a déjà été citée : « Un amour ne cesse jamais. Chaque famille peut construire un tel amour. Toutefois un tel amour peut s’acquérir seulement dans le mariage si les époux deviennent – selon la parole du Concile – , sans aucune condition et pour toujours, ni sans aucune limite [23] ».

La théologie du don éclaire l’amour entre les époux. Elle illumine aussi le don de la vie. Par le mariage, les époux deviennent « l’un pour l’autre un don du Seigneur, par le moyen du sacrement de mariage. Vous le deviendrez dans la forme spécifique de l’union conjugale, à l’intérieur de la quelle surgit la vie d’un nouvel être humain. Donner la vie rend l’homme – masculin et féminin – semblable au Créateur [24] ». Nous avons d’ailleurs vu que la vie se fondait sur la dynamique du don. Enfin le don de la vie se continue dans l’œuvre de l’éducation. Celle-ci est doublement en relation avec le don, précisément le don de soi. D’une part, il est sa finalité ou plutôt son objet : « En quoi consiste l’éducation ? Pour répondre à cette question, il faut rappeler deux vérités essentielles : la première est que l’homme est appelé à vivre dans la vérité et l’amour ; la seconde est que tout homme se réalise par le don désintéressé de lui-même [25] ». D’autre part, le don de soi est le chemin de l’acte éducatif. Le pape appelle les parents à aimer l’enfant d’un « amour gratuit et oblatif, en évitant de l’instrumentaliser selon leurs intérêts ou leur propre gratification personnelle. Certes, l’enfant qui naît est aussi un don pour les parents ». Mais l’enfant est aussi directement créé par Dieu, selon le début du passage de GS 24 que cite ici Jean Paul II. Par conséquent, « les parents doivent imiter l’amour gratuit de Dieu, voulant l’enfant , dans le plein respect de son autonomie et de son originalité [26] ».

Ce qui est vrai du mariage l’est encore davantage du sacerdoce : en effet, même si l’appel au don sincère de soi vaut « pour tous », il présente « une signification particulière » pour la « vocation au sacerdoce ministériel [27] ». Il faudrait déployer ici la logique de l’exhortation apostolique post-synodale Pastores dabo vobis.

Enfin, la vie consacrée vit de la dynamique ternaire du don. C’est ce que montre la dernière des trois exhortations sur les états de vie (après la famille et le sacerdoce) : Vita consecrata. Très charpentée, elle s’articule en trois chapitres : la consécration, la communion et la mission. Or, la consécration renvoie au don originaire (les sources christologiques et trinitaires de la vie consacrée) ; la communion et la mission au don de soi sans partage respectivement ad intra et ad extra. Mais cette oblativité s’enracine dans une décision qui est elle-même le fruit d’une maturation et d’une formation longuement étudiée [28]. On s’étonnera toutefois qu’aucune citation de GS 24 n’apparaisse dans l’exhortation, d’autant que des textes de moindre impact en traite, par exemple à propos de la continence pour le Royaume des Cieux. Certes, celle-ci « signifie incontestablement un renoncement », mais elle constitue « en même temps une affirmation », car elle est « la découverte en même temps d’une nouvelle perspective de réalisation personnelle de soi-même ‘au moyen d’un don sincère de soi’ [29] ».

6) La perspective

a) Une difficulté

Ce qui vient d’être dit sur le don de soi concerne l’homme. Or, « la vérité sur l’homme semble être complètement accessible à la connaissance humaine, à la connaissance pré-scientifique comme aux diverses branches de la science sur l’homme [30] ». Plus encore, elle éclaire l’agir humain au plan familial et social : elle est une norme qui relève de ce que l’on appelle parfois la « morale naturelle » ou le « droit naturel ». Néanmoins, le contenu de GS 24 fait appel à la Révélation. C’est ce qu’affirme la suite du texte qui vient d’être cité : « pourtant la plénitude de cette connaissance ne naît que sur la base de ‘l’image et de la ressemblance avec Dieu’ ». D’ailleurs le contexte immédiat du passage de la constitution conciliaire que nous commentons parle de « perspectives inaccessibles à la raison » : c’est à partir de la révélation trinitaire que se comprennent les relations entre personnes humaines et les Personnes divines elles-mêmes. Alors, l’affirmation selon laquelle l’homme est une créature appelée au don relève-t-elle de la foi ou de la raison ?

La question est d’importance : elle engage l’articulation entre fides et ratio ; elle permet aussi d’éclairer de manière originale le débat sur la spécificité de l’éthique chrétienne.

b) Une perspective de foi

Jean Paul II emboîte clairement le pas au Concile en affirmant à plusieurs reprises que cette vérité tout à la fois anthropologique et éthique est révélée, c’est-à-dire « inaccessible à la raison humaine [31] ». Pour le montrer, il utilise le double argument de l’autorité et du raisonnement. L’autorité est celle du Concile rappelée ci-dessus, autorité elle-même fondée sur l’Écriture, à savoir la prière de Jésus pour l’unité qui est explicitement citée (Jn 17,20-21). Le raisonnement, fut aussi développé : il est celui de l’analogie entre relations intra-trinitaires et relations interhumaines. Cette révélation sur l’homme est en relation avec « la vérité suprême de » la « révélation » que Jésus a confiée à ses apôtres : « l’indivisible Unité dans la Trinité [32] ».

Cette argumentation se renforce d’une argumentation historique. Face aux jeunes de Rome, Jean Paul II a expliqué avec une particulière pédagogie le progrès de la Révélation sur la pensée rationnelle, ici représentée par celui que les médiévaux appelaient le Philosophe. Il vaut la peine de citer tout le paragraphe : « Aristote était un génie de la pensée humaine à qui nous devant une grande hérédité intellectuelle, philosophique. Pour lui, qui était l’homme ? C’était un être raisonnable qui a sa propre finalité. Et cette finalité de l’homme est sa perfection, doit arriver à ce but qui est d’être parfait comme homme. Rien à objecter à cette vision d’Aristote, parce que Jésus aussi a dit dans le Discours sur la Montagne que le Père Céleste est parfait et ‘vous devez être parfaits comme Lui’. Mais si, en un sens, nous sommes d’accord avec Aristote, d’un autre côté, nous devons corriger sa vision. La correction de sa vision vient de Jésus. Parce que Jésus nous a révélé le Père qui envoie son Fils. S’il l’envoie, si le Père a envoyé son Fils […] Jésus, cela signifie qu’il n’est pas seulement un être absolu, parfait en lui-même, comme modèle de l’homme et de toutes les créatures, mais qu’il est un mystère, une relation, un don de soi, un don (un darsi, un dono) et exactement ainsi, avec Jésus, cela révèle une nouvelle vision anthropologique : l’homme est vraiment l’être plus parfait entre tous les êtres créés par Dieu mais cet être parfait ne se réalise lui-même que par le don sincère de soi [33] ». Dans ce texte, absolu signifie ici parfait en soi, achevé et s’oppose donc non pas à relatif mais à relationnel. Le Saint-Père veut donc dire que, dans l’ordre des seules forces naturelles, l’homme s’accomplit lui-même ; dans l’ordre théologal, l’homme s’accomplit en relation à l’autre, donc en se donnant.

Cette affirmation relève de la foi non seulement quant à sa vérité mais quant à sa réalisation, comme aimait dire Newman, c’est-à-dire sa mise en œuvre. En effet, si c’est la foi qui nous fait découvrir cette vocation au don c’est la charité qui donne de la réaliser : « le don désintéressé » de soi « n’est possible que dans la rencontre avec Dieu [34]« ; « la disponibilité à donner représente une caractéristique constante de la vocation chrétienne [35] ». Pourquoi la grâce de Dieu est-elle nécessaire pour se donner à autrui ? Un beau texte du pape qui vaut la peine d’être cité largement développe deux raisons. La première est le péché et la faiblesse de l’homme : « Une intervention d’en haut est nécessaire qui, emportant nos cœurs mesquins dans le courant d’amour qui s’écoule des Personnes divines, les rend capables de dépasser les barrières de l’égoïsme et de les ouvrir au ‘tu’ des frères dans une communion de vie où chacun se perd comme être singulier pour se retrouver dans un ‘nous’ qui parle avec la voix même du Christ, premier-né de l’humanité nouvelle ». Et le pape cite notre passage de GS 24 qui parle d’un « horizon inaccessible à la raison humaine ». La seconde raison est la participation à la vie même de Dieu. Elle va plus loin car elle est d’ordre strictement théologal. « Nous pouvons entrevoir cet ‘horizon inaccessible’ et nous aventurer vers lui si nous nous ouvrons à la grâce du Christ qui nous élève à la participation même de la vie trinitaire ». En effet, la Sainte Trinité est la communion par excellence ; or, la grâce de Dieu est la vie même de Dieu Trinité en nous ; donc c’est elle et seulement elle qui nous fait participer à la vie trinitaire. Et le pape précise que cette participation s’effectue selon le double mode déjà évoqué, exemplaire et efficient : la communion trinitaire est « le modèle exemplaire et comme la source nourrissant la communion entre les hommes [36] ».

Voilà pourquoi, contrairement à ce que pensent « beaucoup de gens », la civilisation de l’amour, « l’amour n’est […] pas une utopie : il est donné à l’homme comme une action à accomplir avec l’aide de la grâce divine [37] ».

c) Une application humaine

Toutefois, il demeure remarquable que « la vérité suprême de » la « révélation » divine soit aussi « la vérité suprême » sur l’homme. La relation d’intimité que l’homme tisse avec Dieu renouvelle aussi sa propre humanité. En effet, la vie théologale n’est pas sans retentir profondément sur la vie humaine de deux manières complémentaires : quant à l’intelligence, c’est-à-dire la compréhension que l’homme a de lui-même ; quant à la liberté, c’est-à-dire la réalisation de son humanité : « Grâce à la relation d’intimité avec Dieu dans l’Esprit Saint, l’homme se comprend également lui-même d’une façon nouvelle, il comprend sa propre humanité [voilà pour le premier point]. L’image, la ressemblance de Dieu qu’est l’homme depuis le commencement est ainsi pleinement réalisée [voilà pour le second point] [38] ». Or, ces deux aspects sont eux-mêmes corrélés à GS 24, par la médiation de la ressemblance avec Dieu (Gn 1,26), puisque le début de la phrase du concile fait justement allusion à cette ressemblance.

A un moment au moins, dans son encyclique sur l’œcuménisme, Jean Paul II souligne que la vérité affirmée par la foi chrétienne est très proche de la vérité accessible à la réflexion philosophique : « La disposition au ‘dialogue’ se situe au niveau de la nature de la personne et de sa dignité. Du point de vue philosophique, une telle position se rattache à la vérité chrétienne exprimée par le Concile sur l’homme », et de citer en entier le passage de GS 24 que je commente [39].

Au total, Jean Paul II a donc clairement répondu que l’affirmation de GS 24 sur l’homme comme être-de-don transcende nos capacités créées : cette vérité anthropologique est surnaturellement révélée et sa concrétisation éthique requiert la grâce. En même temps, il n’a pas levé tout paradoxe ni toute interrogation. En effet, comme le dit la constitution conciliaire deux paragraphes avant, « le Christ […] manifeste pleinement l’homme à lui-même [40] ». C’est pour cela que « la pensée personnaliste actuelle », à laquelle le pape fait allusion dans le texte cité ci-dessus [41], voit l’homme comme un être en relation, ouvert.

Une nouvelle fois, le Successeur de Pierre ne se substitue pas au travail du théologien, mais en indique la direction. Il appartient à la théologie d’éclairer, sans le nier, ce paradoxe [42].

7) De l’anthropologie du don à l’éthique du don

Jean Paul II lit d’abord le passage de la constitution comme un texte d’anthropologie et non comme un texte d’éthique, ainsi qu’on est souvent et spontanément porté à l’interpréter. Pour autant, il n’en ignore pas ses résonances éthiques : la jonction (hiérarchisée) de ces deux approches est même l’un des intérêts majeurs de cette affirmation. La « conception de la personne [contenue dans GS 24,3] comprend aussi l’essence de l’‘ethos’ [43] ».

a) Le fondement de l’éthique en anthropologie

L’une des principales questions actuelles posée à l’éthique – sinon la principale – est celle de la fondation des normes. Au nom de quoi peut-elle parler à l’impératif ?

La réponse tient en une phrase : « il ne peut y avoir d’éthique sans une anthropologie [44] ». Répondant implicitement à la théorie de l’auto-fondation de la morale, le Saint-Père estime que celle-ci doit s’étayer sur une vision de l’homme.

L’éthique se fonde sur une anthropologie. Encore faut-il bien le comprendre. L’interprétation la plus évidente semble être : l’anthropologie est à l’éthique ce que le don reçu est au don offert. Dans son libre agir, l’homme répond à celui-là par celui-ci. C’est oublier que la liberté est en relation étroite avec les deux pôles extrêmes du don : certes, le don de soi est un acte éminemment volontaire, mais l’accueil du don reçu l’est tout autant ; or, qui dit mise en œuvre de la liberté dit éthique.

En fait, plus finement, Jean Paul II articule les deux disciplines autant au don 1 qu’au don 3, par la médiation de la liberté. Il faut donc procéder à une lecture non pas simple mais dédoublée – anthropologique et éthique – de toute la phrase du concile.

La lecture éthique du don de soi est trop évidente pour qu’il vaille la peine d’insister. Mais au nom de quoi le don offert est-il prescrit ? Car il achève l’homme. C’est parce que l’anthropologie lit dans la donation sincère de soi l’actualisation de la liberté, son accomplissement et sa finalité, que l’éthique y discerne une norme : la distance éthique de l’être et du devoir-être se fonde sur la distance anthropologique (et, au-delà, métaphysique) entre la puissance et l’acte. Jean Paul II le dit très clairement à plusieurs reprises : l’homme est « enrichi d’un don qui est également un devoir [45] » ; « le don sincère de soi [est] devoir et lieu de réalisation plénière de sa propre liberté [46] ». Voilà pourquoi le don de soi est source de normes morales : « toute personne, à commencer par l’enfant, est reconnue et respectée pour elle-même et tout choix est motivé et guidé à l’aune du don total de soi [47] ».

A l’opposé, la lecture anthropologique du don reçu est patente : qui s’est donné son être d’homme ? l’homme n’est-il pas fils avant d’être père ? Pour autant, l’interprétation éthique du premier moment du don est possible et nécessaire. En effet, considéré du point de vue du don reçu, l’homme, dit le Concile, est voulu pour lui-même. Or, être voulu pour soi s’oppose à être voulu pour autre chose, c’est-à-dire être moyen et objet. Donc, l’être humain apparaît comme fin et sujet, autrement dit comme digne de respect. Par conséquent, le don reçu fonde la dignité humaine qui, Kant nous l’a montré, est la norme éthique fondamentale.

De même que la liberté est doublement ouverte : au don reçu et au don offert, de même le devoir-être humain se fonde doublement sur l’être de l’homme. En conséquence, l’anthropologie du don appelle une éthique du don. Le don est normatif de tout agir : personnel, familial [48], social et politique.

Toujours attentif à ne pas séparer la réflexion plus universelle de son application pastorale, Jean Paul II donne quelques indications concrètes sur la manière dont se déploie cette éthique du don, cette « discipline intérieure du don », le « devoir » de se donner [49] : d’une part les actes proprement dit, d’autre part les moyens. Les actes sont de deux sortes : vivre le/du don ; quitter le péché. Les moyens dont il est question sont aussi de deux espèces : intérieur, à savoir la grâce sacramentelle et extérieur, à savoir les modèles.

b) Vivre le/du don

Le don de l’être reçu (tout homme est voulu par Dieu « pour lui-même ») fonde une éthique du respect de la dignité de tout être humain, quel qu’il soit. Il dit même plus que le seul respect, il implique deux autres gestes qui sont la coopération et le service mutuel : « respecter les autres, s’ouvrir à la collaboration et au service réciproque [50] ».

Le don de soi passe aussi par des actes. Jean Paul II n’hésite pas à incarner cette donation et l’effectuer dans des dons très concrets. Ces gestes reçoivent en retour leur lumière de la logique vitale du don : tel est par exemple le cas du don du sang [51], du don d’organes [52], etc.

c) Quitter son péché

Le Saint-Père parle surtout du refus du don de soi ; il n’oublie pas le déni du don reçu. Double est le péché qui défigure et enfouit le don de soi : personnel et collectif.

Le refus personnel du don de soi s’enracine dans l’orgueil. C’est pourquoi le « dépouillement de tout orgueil et de tout pouvoir humain définit les relations entre les personnes [53] ». Or, ce dépouillement est identiquement le don de soi : « Le riche n’est pas celui qui possède, mais celui qui donne, celui qui est capable de se donner [54] ». Ce refus porte aussi un nom bien connu : l’égoïsme. « L’égoïsme est une contradiction. Par sa nature, l’homme est appelé à ouvrir son cœur dans l’amour, à son prochain, car il a été aimé par Dieu [55] ». L’égoïsme adopte une forme nouvelle qui est l’individualisme par opposition au personnalisme. En effet, dans celui-là, le sujet opte pour la liberté de faire ce qu’il veut et surtout pas le don à l’autre ; dans celui-ci, le sujet se donne. Plus profondément, l’individualiste refuse toute vérité objective, notamment sur l’homme comme être de don, alors que le personnalisme se fonde sur la vérité de la personne [56].

La principale est la revendication de l’autonomie au détriment d’autrui. Aujourd’hui, « nous pouvons être tentés de croire que nous nous développons comme personnes dans la mesure où nous affermissons notre autonomie par la confrontation avec les autres, les dominant et les instrumentalisant à des fins de réussite ou de prestige. La doctrine sociale chrétienne enseigne » certes que la liberté humaine présente une immense valeur, mais qu’elle ne s’accomplit que dans le don de soi [57].

Le déni collectif, social du don de soi porte aussi un nom : l’aliénation. Un paragraphe lumineux de l’encyclique Centesimus annus constate l’existence massive et dramatique de processus aliénants dans la société occidentale non collectiviste. Comment les comprendre ? L’interprétation marxiste (à qui on doit d’ailleurs le terme d’aliénation) est insuffisante car elle s’arrête aux seules structures d’oppression ; or, celles-ci trouvent leur origine dans le cœur humain : le génitif de l’expression structure de péché est d’abord subjectif avant d’être objectif. Et le péché en question est la perte du sens du don En effet, l’aliénation est « l’inversion entre les moyens et les fins », par laquelle l’homme « ne reconnaît pas la valeur et la grandeur de la personne en lui-même et dans l’autre ». Or, le don se fonde sur la reconnaissance en l’homme de sa valeur, d’une finalité insubordonnable à une autre. Donc, « l’homme est aliéné quand il refuse de se transcender et de vivre l’expérience du don de soi » ; de même, « une société est aliénée quand, dans les formes de son organisation sociale, de la production et de la consommation, elle rend plus difficile la réalisation de ce don [58] ». Pour être comprise dans sa logique intime, l’aliénation doit être interprétée à partir de l’éthique du don. Le mal dicte le remède : la véritable libération est l’accès au don de soi.

Il existe enfin un péché de refus du don qui s’offre à nous : c’est la convoitise qui transforme l’être en avoir, la réception en possession (sous ses deux formes : utiliser et jouir). Le remède consiste alors non seulement à aimer, mais à limiter ses « propres aspirations à seulement posséder, consommer et jouir [59] ». Le thème de l’objectivation de l’autre est longuement déployé à propos du corps, lorsque Jean Paul II analyse le désir du corps.

d) L’aide des sacrements

Le moyen par excellence pour vivre le don de soi est la grâce sacramentelle. Et en premier lieu « l’Eucharistie » par laquelle « l’homme, participant au sacrifice de la Croix que cette célébration rend présent, apprend à ‘se trouver […] par le don […] de lui-même’, dans la communion avec Dieu et avec les autres hommes, ses frères [60] ».

e) L’aide des modèles

Ils sont de deux sortes : Jésus et les Saints. Jean Paul II aime bien lier le « don sincère de soi » à l’illustration exemplaire du Bon Samaritain. « Un bon Samaritain, c’est justement l’homme capable d’un tel don de soi [61] ». Certes, on l’a vu, le modèle par excellence du don de soi est le Christ. Mais, justement, le Bon Samaritain est la figure de Jésus le Sauveur. Toute son attitude (geste, parole, etc.) dépeint concrètement les caractéristiques du don sincère de soi : « il sert de manière désintéressée celui qui souffre, lui dédiant son temps et ses forces disponibles [62] ».

Avec Jésus, Marie est le modèle par excellence du don. Cela est évident pour le don de soi qui s’incarne dans la maternité : « La maternité de Marie signifie la plénitude et le sommet de son ‘Je’ féminin et de sa personnalité humaine ». Mais cela est aussi vrai du don reçu que signifie la plénitude dont la Vierge fut gratifiée, selon la parole de l’ange (Lc 1,28). Cela n’est-il pas vrai, enfin, du don à soi qu’est la liberté ? Le Saint-Père n’établit-il pas un lien entre don reçu et don de soi par la médiation de la liberté de Marie acceptant le message de l’ange ? « Le don sincère de soi s’est rencontré en elle avec la plénitude de grâce proclamée par le divin messager à Nazareth : ‘Je te salue, pleine de grâce’ , dit Gabriel (Lc 1,28). ‘Voici la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon ta parole’ (Lc 1,38) [63] ».

8) Conclusion

a) Évolution de Paul VI à Jean Paul II

Un rapide sondage dans les Insegnamenti du pape Paul VI indique, jusqu’à plus ample information, que la mention de GS 24 y est quasiment absente [64].

C’est donc une des originalités du Magistère de l’actuel Souverain Pontife que cette insistance sur ce texte conciliaire. Ce dernier est sans doute, avec GS 22, celui qu’il cite avec le plus de constance (on l’a dit, la première mention de GS 24 remonte au vendredi 2 février 1979) et de fréquence. Ces deux passages de la Constitution pastorale ne sont d’ailleurs pas sans connexion : ils concernent l’homme ; leur perspective est théologique ; ils éclairent de manière complémentaire l’anthropologie. Il est d’ailleurs significatif que, faisant mémoire de Gaudium et Spes trente ans après sa publication, Jean Paul II en vienne à citer expressément ces deux et seulement ces deux passages d’une constitution dont, dit-il, le centre de la réflexion est « le mystère de l’homme ». D’abord GS 24 : l’homme « créé , unique créature sur terre que Dieu a voulu pour elle-même» ». Puis GS 22 : « c’est seulement dans le mystère du Verbe incarné que le mystère de l’homme trouve sa vraie lumière [65] ».

On pourrait s’interroger sur l’intérêt si particulier accordé par le pape à ce passage de la Constitution conciliaire au point d’y trouver concentré tout le cœur de l’anthropologie et de l’éthique. Un article rédigé et publié juste avant son accès au Pontificat Suprême est éclairant à cet égard [66]. Il développe la vision anthropologique sous-jacente à l’encyclique Humanæ Vitæ. Pour cela, il montre que la vision anthropologique de l’encyclique est plus personnaliste qu’humaniste, affirmation paradoxale quand on considère la rareté d’utilisation du terme « personne » dans le texte. Mais si le mot n’y est pas, le concept est présent. En effet, Humanæ Vitæ se fonde sur l’assertion centrale de Gaudium et Spes relative à la vie conjugale : « l’union intime » des deux époux, dit la Constitution, est une « donation mutuelle [67] ». Or, cette affirmation « ne se contente pas de répéter le terme personne, mais cherche à clarifier à quelle réalité répond ce terme et ce concept ». Pour l’établir, Wojtyla va faire appel à GS 24 dont il cite intégralement le dernier paragraphe relatif à l’image de Dieu. En effet, la notion d’image renvoie à celle de personne : elle présente deux aspects, l’un spirituel et individuel, l’autre relationnel ; or, le premier « constitue la personne dans son individualité irrépétable » et l’autre, qui est « la référence à une autre personne », s’inscrit aussi « dans la structure intérieure de la personne [68] ». Voilà pourquoi la thématique de l’encyclique est personnaliste.

Fort de ce constat, Karol Wojtyla estime qu’il existe un « progrès notable dans la vision anthropologique » (mais progrès dans la continuité, puisqu’il « suit la ligne » antérieure [69]) entre l’enseignement de la Constitution conciliaire (surtout le n. 51) et l’encyclique pontificale (surtout le n. 12) qui d’ailleurs s’y réfère expressément (n. 7). Or, toujours pour l’archevêque de Cracovie, cette évolution tient à ce que « l’encyclique Humanæ Vitæ 12 souligne encore plus la subjectivité des personnes [70] ».

Cette succincte analyse du cœur de l’article livre trois enseignements capitaux pour notre propos. Le futur pape : 1. se préoccupe, au-delà de l’éthique, de fonder celle-ci en anthropologie : « Il est évident que l’éthique présuppose l’anthropologie [71] » ; 2. lit déjà dans le passage final de GS 24 la définition de la personne ; 3. se passionne pour l’articulation éthique entre l’objectivité des normes (qui demeure première) et leur appropriation intérieure ; plus encore, il fait de l’intégration de la subjectivité dans l’objectivité (ici de la « conscience droite » dont parle Humanæ Vitæ, 10) le critère d’une véritable évolution du Magistère.

De ces trois constatations, on peut déduire, au moins partiellement, le fait et les causes de l’intérêt singulier du Saint-Père pour la phrase de la Constitution pastorale : celui-ci fonde l’éthique dans une vision de l’homme ; plus encore, il définit la personne dans sa double dimension d’une part individuelle et spirituelle, d’autre part relationnelle ; enfin, il conjugue les perspectives objective et intérieure.

b) Évolution de la pensée de Jean Paul II ?

Il me semble que Jean Paul II a évolué et dans l’importance qu’il donne à ce texte, et dans l’élaboration de sa pensée sur le don, la première étant sans doute source partielle de la seconde. Je soulignerai deux points.

Certes, le Souverain Pontife cite la fin du n. 24 de Gaudium et spes quelques mois après le début de son Pontificat (et même avant, ainsi qu’on l’a vu). Mais il semble n’avoir pris conscience de toute la richesse de ce texte que progressivement. N’est-il pas frappant qu’une encyclique aussi centrée sur le don que Dives in misericordia (1980) ne le cite pas une seule fois ? De même, l’exhortation apostolique Familiaris consortio (1981) en fait une unique mention. Pourtant, ces deux textes, où se rencontrent beaucoup de ses intuitions profondes, sont porteurs d’une doctrine qui est chère au cœur du Saint-Père. Inversement, en 1994, dans un texte qui aborde le même sujet que Familiaris consortio et qui sort lui aussi tout droit du génie du pape, La lettre aux familles, le texte conciliaire est cité pas moins de sept fois. La méditation prolongée des catéchèses sur le corps toute centrée sur le don n’a-t-elle pas participé à cette prise de conscience du caractère central du texte conciliaire ?

Par ailleurs, le Souverain Pontife n’a-t-il pas, au début de son pontificat, davantage commenté le début de la phrase de GS 24 (relatif à ce que l’on a appelé le don 1), pour progressivement porter son attention sur la fin (relative aux dons 2 et 3), non sans marquer sa relation avec le premier membre ? Cela tient-il à ce que, comme philosophe, en anthropologie et en éthique, il fut d’abord soucieux de dialoguer avec Kant et à sauver le règne des fins et la primauté du sujet autonome ?

c) Évolution du Magistère ? [72]

Notre étude a notamment montré trois vérités étroitement connectées :

  1. La dernière phrase de la Constitution pastorale Gaudium et spes 24 occupe une place centrale dans la pensée de Jean Paul II. Loin de s’être contenté de la citer fréquemment et régulièrement ou d’en souligner l’intérêt, le pape en a déployé les harmoniques qui, mises en résonance, forment un ensemble assez impressionnant. Au fur et à mesure des années, des discours et des circonstances, il a analysé la signification précise de chaque terme et notion, il en a montré la vivante articulation, en a étayé le fondement et multiplié les applications, notamment en éthique familiale et sociale.
  2. Le commentaire que le Souverain Pontife consacre au passage de GS 24 montre que le texte propose une vision de l’homme centrée sur le don. D’une part, il estime que la perspective du texte est anthropologique, même si la pointe est d’ordre éthique. Déjà l’allusion qu’y faisait l’article de 1978 du futur pape cité ci-dessus en soulignait la signification et la portée essentiellement anthropologiques. D’autre part, il montre que le contenu de la phrase est le don et le don dans son dynamisme ternaire : reçu de Dieu, il est appelé à être offert ; précisément, le passage parle de l’homme et de ce qui, dans l’homme, en est le cœur, à savoir la liberté (don 2) ; mais c’est pour l’ouvrir doublement, en amont au don que Dieu lui fait de son être (don 1) et en aval sur le don qu’il est appelé à faire (don 3). Le texte conciliaire, et Jean Paul II à sa suite, prennent donc à bras-le-corps la problématique actuelle de l’homme comme liberté, pour la dépasser de l’intérieur, d’un côté en l’enracinant en Dieu, de l’autre en l’achevant, c’est-à-dire en l’actualisant, dans la donation de soi.
  3. Par conséquent, le pape polonais nous propose une vision anthropologique et éthique de l’homme comme être-de-don. En effet, l’introduction citait un certain nombre de textes faisant du passage de GS 24 une définition théologique de la personne humaine. Si le texte conciliaire s’éclaire tout entier à partir du don en sa dynamique de surabondance, c’est donc que l’homme peut proprement se définir comme être-de-don.

L’enseignement de Jean Paul II, tout entier habité et animé par la dynamique du don, dépasse largement le domaine de l’opinion théologique ou de la systématisation. Ne constitue-t-il pas un enrichissement, une avancée du Magistère en matière anthropologique et éthique ? Comme tout progrès véritable, il est à la fois profondément traditionnel et profondément novateur.

Il est traditionnel dans le sens où il est à l’écoute de la Tradition, ici celle que véhicule le Concile. Avec humilité et endurance, le pape a fait de cette parole de GS 24 (et tout le paragraphe) une source permanente de sa méditation. La considérant comme véritablement inspirée, il en a de plus en plus fait le centre de sa contemplation sur l’homme. Au fur et à mesure des années et des interventions, sa réflexion sur la personne humaine, loin de se répéter, est allée s’approfondissant, témoignant de la richesse inépuisable du texte conciliaire. À l’école de la Tradition, cet enseignement est novateur. Ce progrès consiste notamment en une intégration. L’anthropologie du don permet de saisir plus pleinement le cœur du mystère révélé sur l’homme ; plus encore, il l’articule, en amont avec sa source divine et en aval avec son agir. Le don permet d’unifier organiquement anthropologie, dogmatique et éthique. Si la sagesse est la vertu qui permet de juger de tout sans être jugé, de considérer la réalité dans son unité fontale, le Saint-Père nous fait donc entrer dans une vision profonde de sagesse et de sagesse théologale. Notre monde n’a-t-il pas encore plus besoin de sagesse que de science ?

Mais cette constatation, loin d’être une clôture du discours et de la pratique, est une invitation à les prolonger de manière inventive, dans les mêmes domaines (anthropologie, éthique) voire en l’ouvrant à d’autres (théologie trinitaire, métaphysique, cosmologie, etc.). Ne serait-ce pas mettre en acte la dynamique du don et ainsi de vivre ce que nous avons essayé de penser, à la suite du dernier Concile et de Jean Paul II ? A en croire saint Paul (1 Co 15,3), l’acte novateur de la Tradition peut lui-même se comprendre à partir de la dynamique du don. Honorer l’apport de l’enseignement de Jean Paul II est, à sa suite, et selon le mode propre du labeur théologique, continuer à développer cette formule extraordinairement dense et riche de sens. En effet, le don n’est pleinement lui-même que, lorsqu’une fois reçu, il est offert. Or, ce geste de donation, loin d’être redondant est créatif, car il s’effectue par la médiation de la liberté.

Pascal Ide

Annexe

La colonne de gauche du tableau donne la liste de tous les passages de textes de Jean Paul II qui furent cités car il y est fait mention de GS 24 ; la colonne centrale mentionne la référence à la table des Insegnamenti et la colonne de droite les équivalences, lorsqu’elles existent, dans la traduction française de la Documentation catholique.

 

Interventions du Saint-Père [73] Référence dans les Insegnamenti [74] Référence éventuelle dans la Documentation catholique [75]
1979

Homélie à la fête de la Présentation du Seigneur, 2-2, n. 2

Allocution à la réunion plénière du Sacré Collège, 11-6, n. 7

Lettre encyclique Redemptor hominis, 4-3, n. 13

 

II-1, p. 344-345

II-1, p. 1053

II-2, p. 573 (lat.) et 630 (it.)

 

1761, 1-4-1979, p. 310

1980

Audience générale, 16-1, n. 1 à 5

Discours aux participants d’un Congrès pour obstétriciens, 26-1, n. 2

Audience générale, 6-2, n. 5

Homélie à la messe des Focolari, 18-5, n. 2

Audience générale, 23-7, n. 4 et 5

 

III-1, p. 148-150

III-1, p. 192

 

III-1, p. 328

III-1, p. 1397

III-2, p. 290-291

 

1780, 17-2-1980, p. 163s

1781, 2-3-1980, p. 214

1792, 7-9-1980, p. 810

1981

Exhortation apostolique Familiaris Consortio sur les tâches de la famille chrétienne dans le monde d’aujourd’hui, 22-11, n. 22

 

IV-2, p. 971 (lat.) et 1066 (it.)

 

1821, 3-1-1982, p. 10

1982

Message pour la xie assemblée du Bureau catholique international pour l’Education, 18-3

Audience générale, 7-4, n. 2

Audience générale, 28-4, n. 6

Homélie à la messe concélébrée avec les prêtres adhérents du mouvement des Focolari, 30-4, n. 4

Audience générale, 5-5, n. 6

Homélie à la messe pour les familles, au sanctuaire de Sameiro à Braga, 15-5, n. 2

Discours aux participants d’un Congrès de l’Académie Pontificale des Sciences sur l’expérimentation biologique, 23-10, n. 4

Audience générale, 24-11, n. 1

 

V-1, p. 891

 

V-1, p. 1128

V-1, p. 1347

V-1, p. 1370

 

V-2, p. 1407-1408

V-2, p. 1708

 

V-3, p. 891

 

 

V-3, p. 1431

 

1829, 2-5-1982, p. 448

1830, 16-5-1982, p. 496

1831, 6-6-1982, p. 551

1840, 21-11-1982, p. 1029

1983 (aucune mention)    
1984

Lettre apostolique Salvifici doloris sur le sens de la soufrance humaine, 11-2, n. 28

Homélie de la messe à Alatri (Frosinone), le 2-9, n. 3

 

VII-1, p. 316 (lat.) et 354 (it.)

VII-2, p. 314

 

1869, 4-3-1984, p. 247

1985

Lettre apostolique aux jeunes du monde pour l’Année Internationale de la Jeunesse, 31-3, n. 14

Allocution aux travailleurs, Luxembourg, 15-5, n. 7

Audience générale, le 4-12, n. 3

 

VIII-1, p. 793 (lat.) et 831 (it.)

VIII-1, p. 1384-5

VIII-2, p. 1410

 

1894, 21-4-195, p. 459

1910, 19-1-1986, p. 101

1986

Discours à une rencontre avec des jeunes de France, Luxembourg, Belgique, 3-4

Lettre encyclique sur l’Esprit Saint dans la vie de l’Église et du monde Dominum et vivificantem, 18-5, n. 59 et 62.

Audience générale, 21-5, n. 2 et 5

Discours aux frères des Miséricordes d’Italie et aux donneurs de sang, 14-6, n. 2

 

IX-1, p. 924 (néerl.) et 925 (it.)

IX-1, p. 1536 et 1541 (lat.) ; p. 1611 et 1615 (it.)

IX-1, p. 1646 et 1647

IX-2, p. 1831

 

1920, 15-6-1986, p. 609, 610, 611

1921, 6-7-1986, p. 643

1987

Discours aux religieuses et membres des Instituts séculiers au sanctuaire de Maipu (Chili), le 3-4, n. 5 et 6

Message pour la journée mondiale pour la paix, 8-12-1987 (et 1-1-1988), § 3

Homélie à la messe pour les Universités romaines, 15-12, n. 4

 

X-1, p. 985

X-3, p. 1337

X-3, p. 1417

 

1939, 3-5-1987, p. 485

1953, 3-1-1988, p. 3

 

1988

Discours aux religieuses à la Cathédrale de Notre Seigneur à La Paz, 10-5, n. 7

Discours au monde de l’industrie et du travail à l’autodrome de Fiorano-Modena, 4-6, n. 6

Homélie à la fête de s. Jean-Baptiste, à Vienne, 24-6, n. 5

Lettre apostolique Mulieris dignitatem sur la dignité et la vocation de la femme du 15-8, n. 7, 10, 18, 24, 27, 30

Discours à l’Ambassade du Bangladesh près le Saint-Siège, 10-11

Exhortation apostolique postsynodale Christi fideles laïci, 30-12, n. 40

 

XI-2, p. 1280

XI-2, p. 1775

XI-2, p. 2133-2134

XI-3, p. 256, 264, 269, 283, 291, 312 (lat.) ; p. 329, 335, 339, 351, 358, 374 (it.)

XI-4, p. 1490-1491

XI-4, p. 2035 (lat.) et 2137 (it.)

 

1972, 20-11-0988, p. 1068, 1070, 1071, 1077, 1083, 1085, 1087

1978, 19-2-1989, p. 180

1989

Discours aux participants au viie symposium des évêques d’Europe, 17-5, n. 5

Aux juristes catholiques italiens, 16-12, n. 2

 

XII-2, p. 945

XII-2, p. 1549

 

1994, 19-11-1989, p. 1021

1990

Message pour la 11e réunion du Centre médico-moral de recherche et d’éducation Jean XXIII, 20-1, n. 2

Discours à la Fédération italienne des consulteurs familiaux d’inspiration chrétienne, 2-3, n. 4

Homélie à la célébration de la parole pour les familles indigènes à Tuxtla Gutiérrez, 11-5, n. 3

Homélie aux fidèles des diocèses Willemstad (Antilles hollandaises), 13-5, n. 3

Homélie au séminaire Majeur à Naples, 10-11, n. 1

Discours aux entrepreneurs de la Faculté Pontificale de Théologie d’Italie méridionale, 11-11, n. 7

Discours à la Conférence internationale sur l’esprit humain organisée par le Conseil Pontifical pour la Pastorale de la Santé, 17-11, n. 2

 

XIII-1, p. 126

XIII-1, p. 571

XIII-1, p. 1223-1124

XIII-1, p. 1289

XIII-2, p. 1066

XIII-2, p. 1123

XIII-2, p. 1212

 

2008, 7-6-1990, p. 604

2019, 6-1-1991, p. 5

1991

Aux dirigeants et aux travailleurs de l’établissement de la confection de matelas, 19-3, n. 4

Aux jeunes venant du monde entier, 24-3, n. 4

Lettre encyclique Centesimus annus pour le premier centenaire de Rerum novarum, 1-5, n. 11 et 41

Audience générale sur Centesimus annus, 1-5, n. 5

Rencontre avec le monde de la culture au Grand Théâtre national de Varsovie, 8-6, n. 1, 2 et 5

Homélie de la messe de béatification de la religieuse franciscaine conventuelle Raphaële Chylinski, à Varsovie, 9-6, n. 5

Discours aux participants d’un congrès sur les transplantations d’organes, Rome, 20-6, n. 5

Discours à la rencontre avec les jeunes de Castiglione delle Stiviere à la mémoire de s. Louis de Gonzague, 22-6, n. 8

Discours aux participants de la semaine d’étude sur Ressources et Populations organisé par l’Académie pontificale des Sciences, 22-11, n. 6

Discours de clôture au Synode européen, 13-12, n. 3

Homélie de la messe de conclusion du Synode d’Assise, 14-12, n. 2

 

XIV-1, p. 601

XIV-1, p. 637

XIV-1, p. 966 et 1001 (lat.) ; 1035 et 1065 (it.)

XIV-1, p. 1087

XIV-1, p. 1608, 1609, 1612-1613

XIV-1, p. 1630

XIV-1, p. 1713

XIV-1, p. 1744

XIV-2, p. 1218

XIV-2, p. 1374-5

XIV-2, p. 1379

 

 

2029, 2-6-1991, p. 524 et 539

2029, 2-6-1991, p. 552

2051, 7-6-1992, p. 527

2042, 19-1-1992, p. 84

1992

Exhortation apostolique postsynodale sur la formation des prêtres dans les circonstances actuelles Pastores Dabo vobis, 25-3, n. 44

Visite à la Maison de l’Immaculée fondée par Don Emilio de Roja, 3-5, n. 4

Discours à la Curie romaine pour la Présentation des vœux de Noël, 22-12, n. 4

 

XV-1, p. 778 (lat.) et 906 (it.)

XV-1, p. 1137

XV-2, p.

 

2050, 17-5-1992, p. 478

2065, 7-2-1993, p. 104

1993

Lettre encyclique Splendor Veritatis sur quelques questions de l’enseignement moral de l’Église, 6-8, n. 13, 86

Discours aux participants d’un Congrès national de la Commission épiscopale de la CEI sur « Les femmes, nouvelle évangélisation et l’humanisation de la vie », 4-12, n. 4

Angelus. Premier anniversaire de la promulgation du Catéchisme de l’Église Catholique, 8-12

 

XVI-2, p. 170 et 242 (lat.) ; 286 et 348 (it.)

XVI-2, p. 1394

XVI-2, p. 1431

 

2081, 7-11-1993, p. 905 et 930

1994

Discours aux prélats de la Conférence Episcopale des Antilles en visite ad limina, 29-1, n. 3

Lettre aux familles Gratissimam sane, 2-2, n. 9, 10, 11, 12, 19

Rencontre avec les jeunes de Rome en préparation du dimanche des Rameaux, 24-3, n. 2

Message de la Messe de Pâques Urbi et Orbi à l’occasion de l’année de la famille, 3-4, n. 3

Homélie de mariage présidée par le cardinal Lopez Trujillo dans la Basilique S. Pierre, 12-6, n. 2

Audience générale, 20-7, n. 2

Méditation à Castel Gondolfo, 31-7, n. 1

Lettre apostolique Tertio Millennio Adveniente sur la préparation du Jubilé de l’an 2000, 10-11, n. 9

Message Urbi et Orbi le jour de Noël, 25-12, n. 1 et 4

 

XVII-1, p. 220

XVII-1, p. 267-268, 272, 278, 308 (lat.) ; p. 337, 340, 346, 371 (it.)

XVII-1, p. 800-801

XVII-1, p. 866

XVII-1, p. 1167

XVII-2, p. 56

XVII-2, p. 81-82

XVII-2, p. 671 (lat.) et 714 (it.)

XVII-2, p. 1143-1145

 

2090, 20-3-1994, p. 255-260 et p. 270-271

2093, 1-5-1994, p. 401

2100, 4 et 18-7-1994, p. 759

2105, 4-12-1994, p. 1019

2108, 15-1-1995, p. 51-52

1995

Homélie à la solennité de l’Epiphanie du Seigneur pour l’ordination de douze évêques, 6-1, n. 2

Homélie de béatification de Sr Mary MacKillop, 19-1, n. 3

Lettre encyclique Evangelium Vitæ sur la valeur et l’inviolabilité de la vie humaine, 25-3, n. 25, 81, 86, 88, 96

Audience pour le pélerinage de l’Archidiocèse de Lodz, 24-4

Lettre encyclique sur l’engagement oecuménique Ut unum sint, 25-5, n. 28

Angelus en vue de la IVe Conférence mondiale sur les femmes à l’ONU (en septembre), 18-6, n. 2

Lettre aux femmes, 29-6, n. 10

Message au cardinal Etchegaray, 27-9, n. 5

Discours lors de la visite ad limina de la Conférence Episcopale de la Région Nord Est II du Brésil, 29-9, n. 5

Angelus. Guide de relecture 30 ans après la conclusion du Concile, 29-10, n. 2

Audience à la Conférence Internationale organisée par le Conseil pontifical pour la Pastorale de la Santé, 25-11, n. 3

Discours à la Curie romaine pour la Présentation des vœux de Noël, 22-12, n. 2

 

XVIII-1, p. 40

XVIII-1, p. 211

XVIII-1, p. 635, 704, 709, 712, 721 (lat.) et 758, 816, 820, 822, 830 (it.)

XVIII-1, p. 1042

XVIII-1, p. 1454-1455 (lat.) et 1523 (it.)

XVIII-1, p. 1776

XVIII-1, p. 1880

XVIII-2, p. 643

XVIII-2, p. 666

XVIII-2, p. 1001

XVIII-2, p.1236-1237

XVIII-2, p. 1434

 

2110, 19-2-1995, p. 170

2114, 16-4-1996, p. 363, 392, 393, 395, 399

2118, 19-6-1995, p. 575

2121, 6 et 20-8-1995, p. 721

2130, 21-1-1996, p. 55

1996

Homélie à la célébration des vêpres à l’abbaye de Pannonhalma (Hongrie), 6-9, n. 3

Message à la réunion plénière de l’Académie Pontificale des Sciences, sur l’évolution, 22-10, n. 5

Discours aux participants de la rencontre internationale des « Femmes » organisée par le Conseil Pontifical pour les laïcs, 7-12, n. 1

 

XIX-2, p. 293

 

XIX-2, p. 573

 

XIX-2, p. 918

 

2145, 6-10-1996, p. 819

2148, 17-11-1996, p. 952

1997

Homélie à Wroclaw pour la messe de clôture du 46e Congrès Eucharistique international, 1-6, n. 5

Homélie à la célébration de la messe à Kalisz, devant le sanctuaire de Saint Joseph, 4-6, n. 4

 

XX-1, p. 1336-1337

XX-1, p. 1399

 

2164, 20-7-1997, p. 663

1998

Audience générale, 26-8, n. 3

 

(pas encore édité)

 

2189, 4-10-1998, p. 806

 

[1] J’aurais pu faire appel à d’autres développements de Jean Paul II. Voici deux exemples que j’espère détailler dans des études ultérieures : 1. les relations homme-femme (cf. notamment la Lettre apostolique Mulieris dignitatem sur la dignité et la vocation de la femme du 15-8-1988) ; 2. une juste conception de l’écologie, donc de la relation homme-nature (Homélie à Salvador de Baya, 7-7-1980, n. 4), articulent toutes deux les trois moments du don.

[2] Lettre encyclique Evangelium Vitae sur la valeur et l’inviolabilité de la vie humaine, 25-3-1995. Comme il a été dit plus haut, étrangement, on trouve au moins cinq numéros citant explicitement GS 24, mais un seul renvoi à ce texte (le n. 96).

[3] Ibid., n. 96.

[4] Discours aux participants d’un Congrès pour obstétriciens, 26-1-1980, n. 2. Suit la citation de GS 24 sur le don 1.

[5] Ibid., n. 25.

[6] Ibid., n. 86.

[7] Ibid., n. 96.

[8] Ibid., n. 96.

[9] Ibid., n. 81. Le quatrième des cinq points concerne davantage le fondement théologal.

[10] Sur cette vaste question, je me permets de renvoyer à mes développements dans Le corps à cœur. Essai sur le corps, coll. « Enjeux », Versailles, Saint-Paul, 1996, 3ème partie, chap. 1 (à complèter, au plan philosophique, par le chap. 7 de la 2ème partie). Cf. L. Ciccone, Uomo-donna. L’amore umano nel piano divino. La grande Catechesi dei mercoledi di Giovanni Paolo II, Turin, Editrice Elle Di Ci, 1986. Sur Jean Paul II et l’éthique sponsale, cf. José Miguel Granados Temes, « La ‘ética esponsal’ de Juan Pablo II », in Anthropotes, 15/1 (1999), p. 181-193.

[11] Lettre aux familles Gratissimam sane, 2-2-1994, n. 19.

[12] Audience générale, 1-5-1988, n. 5.

[13] Cf. Concile Œcuménique Vatican II, Constitution dogmatique sur l’Église Lumen gentium, n. 36.

[14] Lettre aux femmes, 29-6-1995, n. 10.

[15] Discours aux imprenditori de la Faculté Pontificale de Théologie d’Italie méridionale, 11-11-1990, n. 7. À noter que c’est la seule fois, à ma connaissance, où le pape parle de « don généreux » au lieu de l’expression conciliaire « don sincère ».

[16] Sur cette question, je me permets de renvoyer à Pascal Ide, Célibataires, osez le mariage !, Versailles, Saint-Paul, 1999, notamment p. 47-55.

[17] Jean Paul II, Familiaris Consortio, 22-11-1981, n. 11.

[18] Homélie de mariage présidée par le cardinal Lopez Trujillo dans la Basilique S. Pierre, 12-6-1994, n. 2.

[19] Lettre aux familles Gratissimam sane, 2-2-1994, notamment le splendide n. 9. Cf. n. 9 à 14.

[20] Ibid., n. 12.

[21] Lettre aux familles Gratissimam sane, 2-2-1994, n. 11. Cf. aussi par exemple le discours aux prélats de la Conférence Episcopale des Antilles en visite ad limina, 29-1-1994, n. 3.

[22] Aux juristes catholiques italiens, 16-12-1989, n. 2. Renvoie aussi à la lettre apostolique Mulieris dignitatem sur la dignité et la vocation de la femme du 15-8, n. 7. Sur le lien étroit existant entre mariage et théologie du don, cf. avant tout le grand travail d’Alain Mattheeuws, Les « dons » du mariage. Re­cherche de théologie morale et sacramentelle, Namur, Culture et Vérité, 1996.

[23] Homélie à la célébration de la messe à Kalisz, devant le sanctuaire de Saint Joseph, 4-6-1997, n. 4.

[24] Homélie de mariage présidée par le cardinal Lopez Trujillo dans la Basilique S. Pierre, 12-6-1994, n. 2.

[25] Lettre aux familles Gratissimam sane, 2-2-1994, n. 16.

[26] Méditation à Castel Gondolfo, 31-7-1994, n. 1.

[27] Homélie au séminaire Majeur à Naples, 10-11-1990, n. 1.

[28] Cf. Exhortation apostolique post-synodale sur la vie consacrée et sa mission dans l’Église et dans le monde Vita consecrata, 25-3-1996, n. 65 et suivants.

[29] Audience générale, 5-5-1982, n. 6.

[30] Discours à la Curie romaine pour la Présentation des vœux de Noël, 22-12-1992, n. 4.

[31] Message Urbi et Orbi le jour de Noël, 25-12-1994, n. 1. Cf. aussi Audience générale, 19-8-1988, n. 8 ; Discours aux religieuses à la Cathédrale de Notre Seigneur à La Paz, 10-5, n. 7

[32] Audience générale, 19-8-1988, n. 8.

[33] Rencontre avec les jeunes de Rome en préparation du dimanche des Rameaux, 24-3-1994, n. 1 et 2.

[34] Lettre apostolique Tertio Millennio Adveniente sur la préparation du Jubilé de l’an 2000, 10-11-1994, n. 9.

[35] Discours à la Curie romaine pour la Présentation des vœux de Noël, 22-12-1995, n. 2.

[36] Homélie à la messe des Focolari, 18-5-1980, n. 2.

[37] Lettre aux familles Gratissimam sane, 2-2-1994, n. 15.

[38] Lettre encyclique sur l’Esprit Saint dans la vie de l’Église et du monde Dominum et vivificantem, 18-5-1986, n. 59. Cf., selon le principe d’autoréférence souligné au début, la citation de Dominum et vivificantem, 59 dans Message pour la journée mondiale pour la paix, 8-12-1987, n. 3. Cf. Allocution à l’Ambassade du Bangladesh près le Saint-Siège, 10-11-1988, citant ce dernier Message.

[39] Lettre encyclique sur l’engagement œcuménique Ut unum sint, 25-5-1995, n. 28.

[40] GS 22.

[41] Lettre encyclique Ut unum sint, 25-5-1995, n. 28.

[42] Elle n’est d’ailleurs pas dénuée de ressources. D’une part, car il existe des cas semblables, comme celui du statut du Décalogue dont le Catéchisme de l’Église Catholique disait : ils « appartiennent à la révélation de Dieu. Ils nous enseignent en même temps la véritable humanité de l’homme ». (n. 2070) D’autre part, car les théologies ont déjà réfléchi à cette question, dans une optique plus thomasienne ou plus blondélienne.

[43] Lettre apostolique Mulieris dignitatem sur la dignité et la vocation de la femme du 15-8-1988, n. 18.

[44] Rencontre avec les jeunes de Rome en préparation du dimanche des Rameaux, 24-3-1994, n. 1.

[45] Audience générale, 21-5-1986, n. 5.

[46] Audience pour le pélerinage de l’Archidiocèse de Lodz, 24-4-1995.

[47] Lettre encyclique Evangelium Vitae sur la valeur et l’inviolabilité de la vie humaine, 25-3-1995, n. 88.

[48] « le critère moral de l’authenticité des relations conjugales et familiales réside dans la promotion de la dignité et de la vocation de chacune des personnes, qui trouvent leur plénitude dans le don sincère d’elles-mêmes ». (Exhortation apostolique Familiaris Consortio sur les tâches de la famille chrétienne dans le monde d’aujourd’hui, 22-11-1981, n. 22)

[49] Lettre aux familles Gratissimam sane, 2-2-1994, n. 14. Il vaut la peine de citer le passage en entier : « On ne peut comprendre la liberté comme la faculté de faire n’importe quoi : elle signifie le don de soi. De plus, elle veut dire : discipline intérieure du don. Dans la notion de don, ne figure pas seulement l’initiative libre du sujet, mais aussi la dimension du devoir ».

[50] Discours au monde de l’industrie et du travail à l’autodrome de Fiorano-Modena, 4-6-1988, n. 6.

[51] Cf. Discours aux frères des Miséricordes d’Italie et aux donneurs de sang, 14-6-1986, n. 2.

[52] Jean Paul II précise, en effet, contre une tendance à faire du don d’organes un quasi-droit, qu’il est un don parce qu’il est libre : « la transplantation suppose une décision antérieure, explicite, libre et consciente de la part du donateur ou d’un représentant légitime […]. En ce sens, l’acte médical de transplantation rend possible l’acte d’oblation du donateur, ce don sincère de soi, qui exprime notre appel essentiel à l’amour et à la communion ». (Discours aux participants d’un congrès sur les transplantations d’organes, Rome, 20-6-1991, n. 3) Et plus loin : « Une transplantation, et même une simple transfusion de sang, ne ressemble pas à une autre opération. Elle ne doit pas être séparée de cet acte de don de lui-même que fait le donneur, de l’amour qui donne la vie. Le chirurgien devrait toujours être conscient de la noblesse particulière de ce travail : il devient le médiateur de quelque chose qui est particulièrement significatif, le don de soi-même qu’a fait une personne – même après sa mort – afin qu’un autre puisse vivre ». (n. 5)

[53] Discours aux religieuses et membres des Instituts séculiers au sanctuaire de Maipu (Chili), le 3-4-1987, n. 5.

[54] Citation de l’Exhortation apostolique Redemptionis donum aux religieux et aux religieuses sur leur consécration à la lumière du mystère de la Rédemption, 25-3-1984, n. 5. Cf. le détail du discours cité à la note précédente.

[55] Jean Paul II, Allocution à Delhi aux représentants des religions, du monde de la politique, de l’économie et de la culture, dimanche 2 février 1986, n. 5, Documentation catholique, n° 1914, 16 mars 1986, p. 290.

[56] Lettre aux familles Gratissimam sane, 2-2-1994, n. 14.

[57] Discours au monde de l’industrie et du travail à l’autodrome de Fiorano-Modena, 4-6-1988, n. 6.

[58] Lettre encyclique Centesimus annus pour le premier centenaire de Rerum novarum, 1-5-1991, n. 41.

[59] Homélie aux fidèles des diocèses Willemstad (Antilles hollandaises), 13-5-1990, n. 3.

[60] Lettre encyclique sur l’Esprit Saint dans la vie de l’Église et du monde Dominum et vivificantem, 18-5-1986, n. 62. Cf. les n. 58-66.

[61] Lettre encyclique Salvifici doloris sur le sens de la soufrance humaine, 11-2-1984, n. 28. Cf. par exemple aussi le discours aux frères des Miséricordes d’Italie et aux donneurs de sang, 14-6-1986, n. 2 ; etc.

[62] Visite à la Maison de l’Immaculée fondée par Don Emilio de Roja, 3-5-1992, n. 4.

[63] Homélie à la messe pour les Universités romaines, 15-12-1987.

[64] Mgr. Pierre d’Ornellas dit que « cette pensée conciliaire » « est rarement invoquée par Paul VI ». Et il cite en note un Discours de 1973 aux curés et prédicateurs de carême à Rome qui ne fait allusion que de manière générale au « caractère communautaire de toute l’humanité » qui est le thème général de tout le chapitre où se trouve inséré GS 24, mais nullement notre passage (Liberté, que dis-tu de toi-même ? Une relecture des travaux du Concile Vatican II. 25 janvier 1959-8 décembre 1965, Saint-Maur, Ed. Parole et Silence, 1999, p. 668, note 264).

[65] Angelus. Guide de relecture 30 ans après la conclusion du Concile, 29-10-1995, n. 2. Citant respectivement les n. 24,3 et n. 22.

[66] Karol Wojtyla, « La visione antropologica della Humanæ Vitæ », Lateranum, 44 (1978), p. 125-145. L’article est traduit du polonais (fut-il publié dans sa langue originale ?). Cf. le commentaire d’Alain Mattheeuws, Union et procréation. Développements de la doctrine des fins du mariage, coll. « Recherches morales. Positions », Paris, Le Cerf, 1989, p. 151-157.

[67] Gaudium et Spes, n. 48. J’ai traduit littéralement le latin « mutua […] donatio » que le cardinal Garonne rend par la traduction plus lache « don réciproque ».

[68] Karol Wojtyla, « La visione antropologica della Humanæ Vitæ », art. cité, p. 131 et 132.

[69] Ibid., p. 134 et 135.

[70] Ibid., p. 136.

[71] Ibid., p. 125.

[72] Je ne peux pas traiter de ce sujet sans revenir brièvement sur l’ouvrage de Pierre d’Ornellas qui vient d’être cité (Liberté, que dis-tu de toi-même ?), fruit de la thèse qu’il a consacrée à la morale et à la liberté au Concile Vatican II. Partant de la problématique de la liberté qui est au cœur du questionnement de l’homme de notre temps, il s’interroge sur les fondements de l’éthique et se pose la question morale par excellence : comment faire le bien ? La réponse donnée par la Constitution conciliaire Gaudium et spes, explique l’auteur, n’a pas l’objectivité extrinséciste des traités de morale de l’époque. Son originalité consiste à conjuguer les dimensions extérieure (objective) et intérieure (subjective) de l’acte humain : « Le Concile Vatican II a véritablement lié ‘l’ordre moral objectif’ et ‘l’ordre moral subjectif’ ». (p. 623) Et cela se vérifie particulièrement lorsque la Constitution explique que la liberté s’accomplit seulement dans la relation communautaire, et celle-ci dans l’amour de charité qui « se manifeste par le don de soi effectué librement » (p. 463). « L’amour vécu dans le don libre de soi anime la réflexion sur le caractère social de l’homme ». (p. 546). Par conséquent, la dernière phrase de GS 24 donne la clé de la réponse à la question : comment faire le bien ? « La pensée sur le don n’est-elle pas le lieu où s’élaborent les fondements de la morale ? » (p. 547)

Les points de contact entre le travail de Pierre d’Ornellas et le nôtre sont nombreux : la question de la liberté ; sa relation non pas d’abord de devoir mais d’accomplissement au don de soi ; et surtout le terme de GS 24 comme réponse fournie par les Pères conciliaires à la question des fondements de l’éthique. Toutefois, outre les différences évidentes d’ampleur et d’information des deux travaux comparés, l’objectif est différent – l’ouvrage traite du Concile et ne fait qu’allusion, dans la conclusion (p. 631-671), aux développements ultérieurs de Jean Paul II, alors que cet article ne fait qu’allusion au Concile et s’intéresse exclusivement à ces développements. À cette différence d’intention se joint une différence de traitement de la question. Il me semble que si Pierre d’Ornellas a très bien vu l’articulation de la liberté au don de soi, il a moins bien explicité la fondation de la liberté dans le don originaire exprimé par le premier membre de la phrase conciliaire ici commentée. Certes, il enracine le don de soi dans un processus fontal. Mais, en premier lieu, il ne thématise pas jusqu’au bout ce processus qui à la fois « advient par la grâce du Christ » (p. 620) et exprime aussi un « dynamisme imprimé en la nature de l’homme » (p. 621) que l’intelligence est appelée à déchiffrer et qui « porte le sujet agissant dans son élan vers sa fin » (p. 630). Surtout, il ne le corrèle pas directement à l’acte créateur (« seule créature […] voulue pour elle-même ») et ne liant pas cet élan avec le don premier, en tant que don, il n’unifie pas le mouvement qui va de cette origine à la livraison de soi, par la liberté, dans une unique dynamique de donation et manque ce qui constitue, pour moi, l’originalité de l’apport anthropologique et éthique du Concile relu par le Saint-Père.

[73] Sont mentionnés, dans l’ordre chronologique, année par année : la nature du discours, la date (jour et mois) et, si le texte du pape est divisé en numéros (ce qui est le cas le plus fréquent), le numéro.

[74] Comme on l’a dit, chaque année, sont édités plusieurs volumes (au minimum deux) contenant tous les enseignements du pape en sa langue originaire sous le titre : Insegnamenti di Giovanni Paolo II, Cité du Vatican, Libreria Editrice Vaticana. Ils sont classés par ordre chronologique, le tome numéroté 1 signifiant le début d’un nouveau pontificat, ici 1978. Sont mentionnés successivement les numéros de la tomaison, du volume et de la page. Pour les textes les plus importants, comme les lettres encycliques ou les exhortations apostoliques, le texte existe dans une double version, latine et italienne, présente toutes deux dans les volumes d’Insegnamenti et dont je donne les références.

[75] Sont cités le numéro, la date de parution (qui est en décalage moyen d’environ deux mois avec le texte officiel) et le numéro de page. La Documentation catholique est citée in minima parte car elle ne couvre qu’une petite partie des Insegnamenti, même si tous les textes les plus importants par leur autorité sont traduits. Je n’ai pas fait appel aux autres traductions disponibles en français, notamment l’édition en langue française de l’Osservatore Romano (parution hebdomadaire), ou les heureux regroupements des audiences en volumes opérés par les éditions du Cerf (4 volumes sur le corps humain, 3 volumes sur le Credo). De manière générale, je suis les traductions officielles en français de la polygotte vaticane. Mais comme elles n’existent que pour les textes importants (encycliques, exhortations, audience, etc.) les autres traductions sont personnelles ou, le cas échéant, empruntées à la Documentation catholique.

29.4.2018
 

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