L’être comme amour. Une triple figure de l’amour dans la Trilogie de Hans Urs von Balthasar ? Propositions et prolongements 3/3

Pascal Ide, « L’être comme amour. Une triple figure de l’amour dans la Trilogie de Hans Urs von Balthasar ? Propositions et prolongements », Didier Gonneaud et Philippe Charpentier de Beauvillé (éds.), Chrétiens dans la société actuelle. L’apport de Hans Urs von Balthasar pour le troisième millénaire, Actes du colloque international du centenaire, Faculté de théologie de l’Institut Catholique de Lyon, 17 et 18 novembre 2005, coll. « Méditer », Magny-les-Hameaux, Socéval Éd., 2006, p. 259-304.

3) Esquisses de prolongements

Prolongeant brièvement la riche intuition de l’enveloppement de l’être par l’amour, je tenterai d’élaborer cette notion au plan philosophique, avant de revenir à la pensée de Balthasar, en l’appliquant à sa théologie, et d’en proposer un prolongement insoupçonné dans le domaine de la bioéthique.

a) Un prolongement philosophique

1’) Approche inductive

Commençons par élargir la base inductive sur laquelle Balthasar a établi l’existence de cet enveloppement. Nous verrons progressivement émerger la signification de celui-ci. En effet, si l’englobement est présent au plus bas degré de l’être et concerne tout étant fini, pour autant c’est en s’élevant dans l’échelle des êtres qu’on voit apparaître son sens plé­nier, vérifiant ainsi une véritable analogia de l’enveloppe. Je me contenterai d’illustrer chaque niveau par quelques exemples.

Dans le monde de l’inerte, aux trois échelles où il se distribue, les entités cosmiques baignent dans le rayonnement fossile (à 2,73 degrés Kelvin) [1] qui les préserve du froid absolu, les particules dans le rayonnement qui les lient et les délient, et les entités de taille intermédiaire dans le double milieu, accueillant et médiateur, de l’air et de l’eau. Du point de vue non plus objectif mais phénoménologique, la Terre exerce une fonction de support et de socle, ainsi que l’a rappelé un texte fameux où Husserl retourne la révolution coper­nicienne [2]. Certes, dans la représentation idéale et mathématique, la Terre est un corps comme les autres. Mais elle requiert que l’on se place à distance de la Terre et qu’on la considère comme un objet indépendant de notre perception. Une telle vision constitue donc une construction scientifique. En revanche, dans la perspective vécue dont rend compte la phénoménologie, le sol est ce sur quoi nous trouvons notre appui et auquel notre existence est viscéralement soudée.

Ce qui est support et socle dans l’inerte devient milieu nutritif chez le vivant. De manière générale, au sein d’un écosystème donné, le biotope assure à la biocénose, flore et faune, des conditions d’habitat relativement stables. Chez les végétaux, dans l’embranchement des spermaphytes ou phanérogames (végétaux vasculaires se reproduisant au moyen de graines), les angiospermes (ou plantes à fleurs et fruits) présentent une graine protégée par un ovaire, par opposition aux gymnospermes dont la graine est nue. Or, les premiers ont l’avantage sur les seconds de posséder une graine contenue dans un ovaire qui, après fécondation, donne un fruit riche en substances nutritives procurant une plus grande autonomie – d’où la multiplication, la diversité et l’ubiquité des angiospermes. La fabrica­tion d’une enveloppe protectrice et nutritive, à savoir le fruit, constitue donc un « progrès » dans l’évolution. D’ailleurs, « angiosperme » vient du grec aggeion, « récipient », « enveloppe ». Chez les animaux, la grande « invention » en matière de reproduction est constituée par l’utérus qui, chez le vertébré supérieur qu’est le mammifère, permet à la femelle d’abriter le petit dans son propre corps, lui permettant non seulement de le nourrir, mais de le pro­téger. Or, l’on sait que, chez l’homme, grâce à cette proximité unique, il s’engage très tôt un dialogue fœto-maternel qui s’avère être un échange d’amour au sens propre [3].

Cet enveloppement physique mais aussi psychologique se poursuit après la nais­sance. Autant la psychanalyse – le « contenant psychique » (Wilfrid Bion [4]), l’« espace transition­nel » (Donald Winnicott [5]), le « Moi-peau » (Didier Anzieu [6]) – que la psychologie clinique et l’éthologie – la théorie de l’attachement (John Bowlby [7]) – ou l’école de Palo Alto – la « dimension intérieure » (Edward T. Hall [8]), l’empathie [9] –, voire la philosophie (il faut notam­ment rappeler ici les travaux des philosophes Gustav Siewerth et Ferdinand Ulrich, dont on sait combien, de plus en plus, ils fondent la réflexion philosophique de Balthasar [10]), ont établi que l’enfant acquiert sa stabilité intérieure à partir de l’amour enveloppant de la mère. Ce qui est vrai du milieu familial l’est aussi des autres environnements, notamment la société politique [11].

Ainsi donc, on constate que tout être est inclus dans un environnement qui, loin d’être un espace infini dont le silence effraie ou un milieu hostile sélectionnant les plus aptes, pré­sente une fonction de socle-support, de nutrition, de protection et, chez l’homme, d’amour et de médiation. N’est-ce pas ce que, selon leur logique propre mais non sans continuité, signifiaient le verbe « porter » chez Irénée et le verbe « raciner » chez Péguy [12] ?

2’) Approche analytique

Ayant montré de manière ascendante que l’enveloppe apparaît de plus en plus comme un amour et adossé à ce constat, établissons-le, pas à pas, à partir des exigences de l’être, surtout humain.

L’étant demande à être considéré en sa concrétude, donc en son intégralité. Or, il n’existe pas indépendamment de l’autre. Il faut donc l’envisager dans sa relation avec autre que lui et s’interroger sur la nature de cette relation. Tout à l’inverse, c’est par abs­traction que l’on sépare l’être de son milieu. Cette abstraction se rencontre dans l’ap­proche aristotélicienne du Péri psychès qui traite non du vivant mais de l’âme et réserve à ses écrits zoologiques les développements plus « écologiques ». Dès lors, l’environnement, comme relation horizontale au vivant, apparaît disqualifié, accidentel (au sens prédicable du terme) face à une réflexion sur la hiérarchie verticale des êtres. Cette abstraction se rencontre aussi dans la perspective idéaliste où le moi se constitue et revient en lui-même au sein d’un milieu neutre et indifférent. La deuxième partie de Totalité et infini en propose une puissante critique. La pensée idéaliste pose d’abord le sujet dans sa réflexion et seulement après le « Demeurer » ; mais c’est le contraire qui est vrai : cette intimité (qui s’identifie, concrètement, à celle de la maison) est la condition rendant possible la venue à soi ; l’intimité (qui s’identifie, concrètement, à celle de la maison) est une des conditions de l’accès à l’intériorité. Aussi l’inversion des relations entre soi et son habiter est-elle une construction « après-coup » : « le sujet idéaliste – écrit Emmanuel Levinas – qui constitue a priori son objet et même le lieu où il se trouve, ne les constitue pas, à parler rigoureuse­ment, a priori, mais précisément après coup, après avoir demeuré, et l’idée où le sujet voudra, après coup, enfermer l’événement de demeurer qui est sans commune mesure avec un savoir [13]. » Le sujet idéaliste méconnaît donc le milieu concret, la demeure, comme condition préalable de la représentation.

En parlant de milieu, de demeure et d’intimité, nous avons déjà anticipé sur les dévelop­pements à venir. Revenons au constat concret selon lequel l’être est toujours en relation avec autre que lui. Or, cet autre, loin d’être indifférent, touche l’être. C’est ce que signifie le terme « milieu » dans l’acception plus large qu’il a prise au dix-septième siècle – environ­nement où un élément prend place – ; il est d’ailleurs intéressant de noter que ce terme couvre progressivement les domaines de la physique, de la zoologie, de la biologie et en­fin de la sociologie [14]. Déjà, Aristote avait noté la stupéfiante polysémie de la préposition « dans » [15]. Dans une conférence d’août 1951, faite dans le cadre du second Entretien de Darmstadt sur le thème « l’homme et l’espace », Martin Heidegger cherche à montrer que le « habiter », le « demeurer » a rapport, très profondément, avec l’être [16]. Trois mois plus tard, en octobre, il le redira dans une conférence sur la « Colline Bühler » : « nous pensons, à par­tir de l’habitation, ce qu’on appelle d’ordinaire l’existence (Existenz) de l’homme », par op­position à la conception seulement fonctionnelle réduisant l’habitation à la possession (l’avoir) d’un logement [17]. En effet, explique Heidegger dans la première conférence, « bâ­tir » n’est pas « habiter » : le « bâtir, le « construire » relèvent plutôt d’une logique de la technique (mais aussi de la logique, plus humaine, de l’urbanisme, de la crise du logement, etc.) dont on sait qu’elle est oublieuse de l’être, voire qu’elle est le dernier avatar de son retrait, alors que l’ »habiter », lui, le réenracine dans la proximité avec l’être. En un mot, « la façon dont tu es et dont je suis, la manière dont nous autres hommes sommes sur terre est le buan, l’habitation ». Autrement dit, « être homme veut dire : être sur terre comme mortel, c’est-à-dire : habiter [18] ». Heidegger en trouve un signe dans l’étymologie du terme vieux-haut-allemand « bâtir », buan : « bauen, buan, bhu, beo, sont en effet le même mot que notre bin (suis), dans les tournures ich bin, du bist (je suis, tu es) et que la forme de l’impératif bis, «sois» ». Surtout, la correspondance si forte, la quasi équivalence entre « habiter » et « être » (« on n’appréhende plus l’habitation comme étant l’être [Sein] de l’homme [19] ») s’éclaire à partir des nervures du Quadriparti : la terre et le ciel, les divins et les mortels. On sait que cette quadruple nervure, empruntée à Hölderlin, exprime, pour cet autre écrivain souabe qu’est Heidegger, les harmoniques de l’être [20]. Or, « la terre – écrit Heidegger en une phrase qui, à elle seule, exprime toute la richesse inépuisable de la fonction envelop­pante de la nature – est celle qui porte et qui sert, elle fleurit et fructifie, étendue comme roche et comme eau, s’ouvrant comme plante et comme animal » et les mortels sont les hommes qui « séjournent » sur la terre [21]. Par conséquent, « habiter est le trait fondamental de l’être [Sein] en conformité duquel les mortels sont [22] ». De sorte que les mortels répon­dront à l’appel de l’être quand ils auront appris à construire, à bâtir à partir de l’habitation, autrement dit à entendre l’habitation comme « la plénitude de son être [23] ».

Or, la demeure, le milieu entrent, avec l’être, dans une relation d’entourage ou d’enve­loppe. Aristote voyait dans le lieu la première limite du corps enveloppant ; mais le « mi-lieu », l’enveloppement dit beaucoup plus qu’une limite, il est un corps qui englobe et contient. Heidegger constate aussi que le « habiter » connote chaleur et douceur. Là encore, les étymologies sont révélatrices. N’en relevons qu’une [24]. Le vieux mot bauen ne signifie pas seulement ‘habiter’ mais « enclore et soigner, notamment cultiver un champ, cultiver la vigne. En ce dernier sens, bauen est seulement veiller, à savoir sur la croissance, qui elle-même mûrit ses fruits [25] » ; bauen renvoie ainsi au latin colere, cultura, mais avec cette nuance de délicatesse qu’implique le « prendre soin », « veiller sur », aider à croître, et donc nourrir. On notera aussi que cette veille-vigilance (dans un tout autre sens que Levinas) n’est pas voulue pour elle-même, mais orientée vers la fécondité, le fruit. De même, Levinas corrèle la « maison » au « féminin » [26]. En effet, la séparation, l’intériorité demandent le recueillement ; or, celui-ci « se concrétise comme existence dans une demeure », ce qui correspond, « empiriquement », à une « maison ». Par conséquent, la séparation et l’intériorité ne peuvent s’accomplir dans un milieu neutralisé ou absent, mais seulement dans une maison [27]. Et, à l’instar de Heidegger, Levinas n’hésite pas à étendre l’habitation, la de­meure à l’être même, à en faire une détermination de l’être : « Exister signifie dès lors de­meurer [28] ».

Or, cette demeure se présente comme un refuge (« le moi […] se réfugie […] dans la mai­son »), comme une « intimité », une « chaleur », une « douceur ». On l’a vu, Lévinas la met en contraste avec la conception idéaliste qui imagine un recueillement, une attention à soi où le moi se tiendrait « dans une région indifférente, dans un vide, dans l’un de ces interstices de l’être où se tiennent les dieux épicuriens ». Mais, à l’interstice froid et dur s’oppose la demeure chaude et douce, autrement dit enveloppante [29]. D’un mot, la demeure exerce une fonction d’amour. Cette conclusion trouve sa confirmation dans la méditation baltha­sarienne sur la pudeur comme voilement aimant de la splendeur vulnérable de l’être. De même, toutes les fonctions et finalités de la contenance qui se déploient au fur et à mesure où l’on monte dans l’échelle des êtres (socle, nutrition, protection, etc.) et qui furent analy­sées ci-dessus, se rapportent au bien ; et comme l’amour se porte vers le bonum, l’enve­loppement est une relation d’amour, celui-ci devant se prendre dans un sens analogique.

Nous pouvons donc conclure que l’enveloppement est une fonction d’amour. En affirmant que tout être est enveloppé par un autre être, on signifie donc que non seulement il est contenu, englobé, inclus, mais qu’il est aimé. Un beau mot de la langue française, porté et servi par le doux et chaleureux chuintement de son signifiant sonore, l’exprimerait très adéquatement : « chez ». En effet, apparue sous la forme « chiés » en 1130-1160, cette pré­position est issue du latin casa, « maison » : le premier sens de chez fut donc, strictement, « dans la demeure de ». Depuis, le terme n’a jamais perdu ce sens originel, voire il s’y est ajouté une connotation affective [30]. Dès lors, être enveloppé, c’est être-chez (un autre qui se trouve en relation d’enveloppement avec le premier). On pourrait donc dire que tout être n’est pas seulement « dans » un autre être, mais « chez » un autre. Le esse-in (qui n’a bien entendu pas le sens hégélien de l’être en-soi) se double d’un esse-apud. La notion aristotélicienne de lieu s’en trouve doublement enrichie : le « chez » ajoute au « dans » non seulement la présence d’un corps qui entoure mais une relation chaleureuse – une rela­tion d’amour.

3’) Objection

Une objection forte ne manquera pas de surgir. Le « chez-soi » souligne au minimum la passivité confortable de l’hébergement contre l’audace de l’exode, la symbolique féminine contre-distinguée de la symbolique masculine ; au maximum, enveloppement rime avec enfermement ; enfin, l’englobement valorise la figure du cercle dont on sait combien elle renvoie à la finitude (et, pour le Grec, à la perfection). Par conséquent, affirmer que tout être est enveloppé d’amour ne risque-t-il pas de clôturer l’ontologie, voire d’en oublier l’extase et l’émissivité ?

Cette difficulté permet de préciser un point essentiel. L’enveloppement exprime (et effec­tue) la relation d’origine : l’être renvoie à un chez en tant qu’il trouve son origine dans autre que lui. Précisément, le apud est la forme plénière et chaleureuse – aimante, au sens le plus analogique du terme – de l’ex ou de l’ab. En effet, tout être créé est originé ; mais cette origine se manifeste comme une contenance aimante ; voilà pourquoi l’enve­loppement dit l’enracinement originaire. Mais si l’enveloppe se prédique de tout le créé, elle n’en épuise pas le contenu : le soi ne vient d’autre que lui que pour se donner à autre (au second degré) que lui ; la réceptivité, le féminin originaire est en vue d’une émissivité, d’une masculinité terminale, indéductible de l’origine. L’être n’apparaît, ne naît que pour une finalité qui, dans le vocabulaire d’Aristote, est achèvement et actuation. On l’a vu, pour Heidegger, le bauen est en vue de la fructuosité et, pour Lévinas, le recueillement dans l’habiter en vue d’une sortie de soi qui, dans le passage étudié, se présente sous la triple forme du travail, de la possession et de la représentation [31].

Voilà pourquoi l’enveloppement ne constitue pour Balthasar que l’une des faces de l’amour – à côté de la fécondité et de l’obéissance. Plus encore, dans l’enveloppement originaire s’enracine la désappropriation [32]. Il demeure que le théologien suisse pense rarement pour elle-même cette primauté de l’enveloppement sur les autres visages de l’amour. En voici un exposé significatif – hors Trilogie : « Dans l’amour de la mère, l’en­fant trouve sa conscience et son Je. Dans le cœur de la mère, il trouve le point d’appui lui permettant de fixer son existence tâtonnante, fragile, en une image achevée. Dans le Toi est dit et montré à l’époux, à l’épouse qui il est, qui elle est en vérité. […]. Il est consolant pour nous que le christianisme, avec sa foi merveilleuse, se présente comme l’achève­ment d’une vérité que nous connaissons déjà dans notre monde humain et que nous pou­vons reconnaître comme le fil conducteur le plus profond et le plus fructueux de la vie : à savoir qu’un Je n’est finalement trouvé et gardé que dans un Toi qui l’aime. Dieu s’est fait homme afin que cette loi qui nous est compréhensible, qui est peut-être la plus compré­hensible de toutes les lois de la vie, devienne pour nous la loi définitive de l’être, expli­quant et apaisant tout. Seule donc, la foi chrétienne, pour le dire encore une fois, nous donne l’explication suffisante de l’existence humaine [33] ». On notera la solennité du pro­pos. Balthasar parle du « fil conducteur le plus profond et le plus fructueux de la vie », de « la plus compréhensible de toutes les lois de la vie », de « la loi définitive de l’être, expliquant et apaisant tout ». Plus encore, la multiplication des adjectifs signale l’importance absolument décisive et fondatrice de cette vérité à la fois pratique et ontologique, accessible à tous et pourtant la plus profonde de toutes – ce qu’un signe affectif confirme : elle apaise, autre­ment dit elle s’éprouve comme vraie et bienfaisante. Or, qu’énonce ce « fil conducteur », cette « loi définitive » ? Balthasar prend le soin de le souligner dans le texte : le Je est « gardé », autrement dit protégé par l’amour d’un autre (la mère, le conjoint et, ultimement Dieu). C’est donc que, pour Balthasar, le premier et plus décisif aspect de l’amour n’est pas la fécondité ou la désappropriation de soi mais l’enveloppement – confirmant ainsi son caractère originaire. Comme d’autre part le Je, la personne est l’être par excellence, ce besoin de protection aimante constitue donc la première et « définitive loi de l’être ».

b) Un prolongement théologique

Après cette approche ébauchée de la catégorie d’enveloppement, il convient de s’inter­roger sur sa possible application en Dieu et ainsi revenir à Balthasar. Deux objections semblent s’opposer à un tel transfert dans le champ théologique. Tout d’abord, l’envelop­pement est une notion spatiale ; or, l’espace se dit de la matière et du fini qui sont tous deux exclus de la sphère divine. Ensuite, la théologie trinitaire de Balthasar a développé la notion de distance intradivine, voire de séparation ; or, l’enveloppement unit au lieu de séparer. Les réponses à ces apories conduiront la réflexion.

1’) Première aporie

Appliquer le concept d’enveloppement à Dieu même suppose de l’élargir et notamment de le désencastrer de son conditionnement matériel sans pour autant l’évider en en fai­sant une simple image ou l’exténuer en en faisant une métaphore morte. On sait l’impor­tance et l’omniprésence des schèmes tirés de la spatialité chez Balthasar (distance, fond-surface, centre, intérieur-extérieur, etc.). Dans le dernier volume de la Theodramatik, le théologien affronte la difficulté en élaborant ce que l’on pourrait appeler un « super espace-temps trinitaire » [34] à partir de l’axiome scolastique, autant thomasien que bonaventurien, selon lequel non seulement la création se fonde dans la Trinité, mais seul Dieu un en trois hypostases peut créer [35]. À l’instar de l’altérité et de la passivité, temps et espace se pré­sentent comme des réalités positives qu’il convient d’appliquer à et en Dieu. D’une part, en effet, dans l’événement de la généra­tion, le Fils ne cesse de surgir de son Père et de combler toujours plus son attente ; or, le surgissement est un mouvement, ce qui requiert une temporalité, si analogique soit-elle. D’autre part, la com­munication suppose que le donateur se détache du bénéficiaire ; or, ce détachement crée une distance et un espace permettant à l’autre d’exister ; la génération éternelle du Fils par le Père suscite donc un espace. L’ »analogue premier » de « la dimension spatiale », « au plan trinitaire, se conçoit dans le sens de la libération d’un espace, à l’intérieur duquel le donateur se détache du bénéficiaire, celui-ci se recevant dans une authentique liberté et prenant par là une cer­taine distance [36] ». On l’aura noté, jusque dans le vocabulaire, l’espace trouve un statut intradivin au nom de la logique du don et de la réception qui est identiquement celle de l’amour. La spatialité devient donc un mode de l’amour.

2’) Seconde aporie

Toutefois, l’espace dont il vient d’être question est celui de la distance ou de la sépara­tion, non celui de l’enveloppement. Nous sommes désormais confrontés à la seconde ob­jection. En fait, le passage qui vient d’être évoqué conjugue déjà proximité et distance : citant Adrienne von Speyr, Balthasar note que « il y a dans l’amour, «des choses que l’on peut mieux se dire de près, d’autres qui demandent de la distance […]» [37] ». Or, l’envelop­pement dit la proximité unifiant enveloppé et enveloppant, autrement dit une unité plus grande que toute séparation.

Surtout, un autre passage de Das Endspiel – justement intitulé « La séparation comme union » [38] – élabore la relation entre distance et unité. De prime abord, Balthasar semble penser l’espace intradivin unilatéralement en termes de distance. En effet, de même que la création du monde et du temps ainsi que la mort et la souffrance s’inscrivent à l’intérieur des relations entre les Personnes divines, de même toute séparation, voire toute alié­na­tion, est comme incluse et englobée dans l’altérité des Hypostases entre elles ; plus en­core, elle constitue comme un modèle de l’union intratrinitaire. Balthasar l’établit d’abord à partir du concept original de « mise en réserve » ou « mise en dépôt » (Hinterlegung). Durant la Passion, le Fils laisse en dépôt, en consigne, auprès du Père non pas sa divinité mais sa puissance et sa gloire, son propre soi et sa connaissance (d’où son ignorance de l’Heure) : tel est au fond l’enseignement de la kénose. Or, au sein de l’unique essence di­vine, la diffé­rence entre les Personnes est infinie. Donc, la mise en dépôt à la fois se fonde sur la vie trinitaire et la révèle [39] : « la différence entre les Personnes […] ressort avec le plus d’évidence dans la déréliction [40] ».

Mais, dans un second temps, Balthasar montre l’intégration de la séparation dans l’union. Celle-ci s’opère d’abord à partir de la Croix et du jugement qu’elle opère sur le péché. En effet, celui-ci est l’éloignement par excellence ; et le Crucifié le prend sur lui ; voilà pour­quoi, dans la déréliction de la Croix et l’excès de la souffrance, Jésus expérimente une séparation complète d’avec le Père. Mais, surtout, c’est l’œuvre propre de l’Esprit [41] d’as­surer que cette diastase du Père et du Fils soit maintenue ouverte sans jamais rompre leur intime union. Au plan de l’économie, la distance atteste donc la proximité : « ce qui nous apparaît comme le signe de la séparation est tout justement l’indice de l’union la plus étroite », écrit Balthasar, citant à nouveau Adrienne, l’autorité la plus fréquemment convo­quée en DD IV [42]. Or, au sein des com­munications immanentes qui expriment leur amour, le Père et le Fils vivent, par l’Esprit, dans une distance et une proximité infinies. Par conséquent, les espaces infinis créés par les processions éternelles incluent toute sépa­ration [43].

Or, Balthasar ne nomme pas cette unité paradoxale d’union et de séparation, d’identité et de différence. Ne s’agit-il pas de l’enveloppement ? En effet, le « chez » dit l’unité sans effa­cer la distance ; il respecte la logique chalcédonienne de l’union sans fusion ni séparation [44]. Mais alors surgit la question du lien entre l’enveloppement et les Personnes divines sur laquelle reviendra la conclusion.

c) Un prolongement bioéthique

Osons proposer un dernier prolongement à ces réflexions, dans un domaine de prime abord assez inattendu – la bioéthique. En effet, on sait que, de facto, Balthasar ne s’est pas intéressé à des questions d’éthique spéciale et jamais à des questions concernant le champ de la vie naissante [45] ; plus encore, de jure, on pourrait craindre que certaines propositions de Balthasar présentent des conséquences délétères dans ce domaine : « la définition surnaturelle du mot personne – remarque le moraliste bruxellois Jean-Marie Hennaux –, c’est-à-dire le fait que le sujet spirituel ne devient personne que par réponse à une mission surnaturelle, n’est pas heureuse. Certes, cela permet d’illustrer que la per­sonne ne se réalise que dans son oui au Christ, mais une telle définition entraîne des conséquences négatives dans le domaine bioéthique notamment. L’homme est ontologi­quement une personne par sa création, antérieurement à toute réponse libre à la grâce [46]. »

Et si, au contraire, la proposition balthasarienne sur l’enveloppement d’amour ouvrait à une nouvelle vision sur l’embryon et sur la délicate et douloureuse question de l’évalua­tion éthique de la procréation médicalement assistée, singulièrement de la fécondation in vitro (fiv) homologue, c’est-à-dire intraconjugale ? Répétons-le, le théologien suisse ne l’a sinon jamais pensée, du moins jamais exposée. D’un mot, on dira que si tout être a be­soin, à l’origine, d’être enveloppé au nom même de sa splendeur et de sa vulnérabilité, cela vaut a fortiori de l’être par excellence qu’est l’homme, et donc de l’enfant à la concep­tion [47] ; et telle est la fonction primordiale du corps maternel, notamment de la matrice : héberger le nouveau petit d’homme dans un lieu à la fois secret, chaleureux et aimant [48] – bref, un lieu enveloppant au sens plénier qui fut défini ci-dessus. Or, par définition, la fu­sion des gamètes in vitro exclut totalement cet enveloppement. L’embryon, dès l’origine, n’a-t-il pas un droit absolu à ce « mi-lieu » protecteur d’une mère vivante et aimante, autre­ment dit à une conception in vivo ? Qui dira les conséquences futures d’une origine aussi traumatisante qu’une fécondation extra-corporelle ? Qui peut, en toute conscience, prendre la responsabilité de laisser ce petit d’homme qui n’est pas un petit homme, infini­ment vulnérable, dans l’angoisse du « il y a », analogue à ce qu’il ressentira plus tard dans l’insomnie de la nuit noire [49] ? Le désir de vie (qui n’est jamais un droit) et le bien qu’est une nouvelle vie (qui n’existe pas encore) permettent-ils de faire encourir un risque dont rien ne permet de mesurer les incidences mais dont certains indices permettent de signa­ler la singulière gravité ? On sait, en effet, combien les grands prématurés sont extrême­ment fragiles [50] ; on découvre surtout de plus en plus que leur premier besoin n’est pas seulement physiologique mais psychologique, plus, éthique : être aimé [51]. Inversement, plus l’enfant naît proche de son terme, plus il devient autonome physiquement et psychi­quement, plus il est donc à même de supporter les agressions. On peut donc conclure sans trop de risque que plus l’on remonte dans l’histoire du petit d’homme, plus celui-ci est sensible, là encore au double plan extérieur (les stress physiologiques) et intérieur (le manque d’amour) [52]. Que dire alors de sa fragilité lors de son éclosion originaire (la sin­gularité initiale, pour parler comme les cosmologistes), qui n’a d’égale que la merveille qu’est l’apparition d’un nouvel être – appelant l’enveloppement de l’amour maternel dans le seul lieu qui en soit digne ?

Ce n’est bien entendu pas le lieu de développer davantage cet argument et les objec­tions qu’immanquablement on lui opposera ; je voulais seulement signaler que l’intuition balthasarienne de l’enveloppement d’amour, loin d’être détachée de questions actuelles, pouvait nous aider à réfléchir sur le bon usage des techniques concernant les origines les plus humblement concrètes de notre humanité.

4) Quelques réponses et quelques questions

Reprenons les deux questions et difficultés qui ont motivé notre propos en réorganisant la réponse à partir des acquis des analyses précédentes [53].

D’abord, il est apparu que l’amour ne pouvait s’identifier à la seule désappropriation ké­notique, ni même au bipôle de la fécondité et de l’abandon, de la richesse et de la pau­vreté, mais qu’il fallait intégrer un troisième pôle, l’enveloppement. Plus encore, celui-ci s’avèrerait originaire et contenant. En effet, l’enveloppement est ce qui permet l’unité, dans l’amour, ce qui, dans la diastase la plus grande, à la fois en contient l’ouverture et en as­sure l’unité. Cette remarque prévient une objection qui ne peut manquer de se poser : la triade proposée ne ressemble-t-elle pas étrangement à la dialectique hégélienne, d’autant que le second moment est le négatif du premier ? Nous avons conscience qu’une telle dif­ficulté demanderait de longs développements. Disons brièvement ceci. La dialectique, on le sait, est identité de l’identité et de la différence ; or, si la kénose s’inscrit dans la diffé­rence, en contraste, voire constitue le négatif de la fécondité, l’enveloppement n’est pas une synthèse ; on ne peut le penser comme le troisième moment réconciliant les deux premiers : d’une part, il est originaire ; d’autre part, la priorité de l’esse apud est celle du principe, non du terme : l’être ne s’accomplit que dans le don qui est désappropriation, la personne dans sa mission. De plus, jamais Balthasar ne présente l’amour comme une telle succession de moments. Enfin, si la dialectique hégélienne est l’automouvement contradictoire de l’esprit, l’amour, lui, est ce qui « supporte la contradiction [54] » ; plus en­core, dans la Vérité de Dieu, Balthasar précisera à partir de Blondel que la logique concrète de l’amour transforme la négation (apophasis) caractéristique de l’abstraction en privation (sterêsis) [55].

Il s’est ensuite posé la question des relations entre l’amour et l’être. D’un côté, ils coïnci­dent quant à leur extension ; en négatif, l’amour, pas plus qu’aucun transcendantal, n’est au-delà de l’être. De l’autre côté, ils se distinguent quant à leur contenu de sens, ce que la logique classique appelait la compréhension : en effet, le transcendantal ajoute une note qui le distingue (rationnellement) de l’être en l’enrichissant [56]. Quelque intime que soit la relation qui noue être et amour – les expressions de Balthasar égrenées dans l’introduc­tion l’attestent –, elle n’est pas de fusion ou d’identité. Écartons d’emblée une solution er­ronée : si l’amour est aussi vaste que l’être, aucun des trois aspects qui ont été distingués ne peut prétendre à la même universalité : ensemble ils composent l’intégralité de l’amour et, séparément, s’excluent. Dès lors, il demeure une dernière question, peut-être la plus décisive, assurément la plus difficile : comment Balthasar pense-t-il la relation entre être et amour ? Une réponse circonstanciée ouvrirait un immense chantier. Mais je pense qu’au fond, l’auteur de la Trilogie ne dit qu’une seule chose : l’être est amour, car soit il est aimé, soit il aime ; ou, mieux : l’être ne s’accomplit dans l’amour que parce que d’abord il s’y en­racine. Et nous retrouvons ici la réfraction de l’amour en ces différents aspects ou visages. Mais, et ce point est nouveau, la tripartition devient bipartition : amour reçu (sous le mode originaire de l’enveloppement), amour donné (sous le double mode final de l’obéissance et de la fécondité). Et si l’on remarque que la réception et la donation s’emboîtent dynami­quement comme deux moments du don – datum et donum –, il faut en conclure qu’une logique du don habite et anime la conception balthasarienne de l’amour comme être.

Cette hypothèse soulève une question qui est pour moi l’une des apories centrales po­sées par la théologie et la philosophie balthasariennes : comment éviter que l’être soit seulement traversé par le flux du don ? À fixer presque exclusivement le regard sur l’abouchement à l’origine et la livraison ultime, honore-t-on suffisamment le moment alé­thique de l’être et sa consistance ? Cette interrogation ne vaut pas seulement pour la créature ; elle retentit aussi jusque dans la Trinité, sur la manière de concevoir la Personne divine, singulièrement la Personne du Père [57]. Elle rejoint aussi, mais à partir d’autres prémisses qui l’enrichissent, les difficultés dont Emmanuel Tourpe a fait état : de même qu’il semble manquer, chez Balthasar, une attention suffisante à l’être comme lu­mière (versus l’être comme amour) et à la connaissance comme spontanéité et spécularité réflexive, de même et plus radicalement, il semble faire défaut une méditation de l’étant face à l’être voire, dans le registre même d’une métaphysique de l’amour, du donné face à la dynamique de la donation, du don pour soi (originaire) et du don de soi (final) face au don à soi. Certes, de même que la fécondité permet d’équilibrer la trop grande passivité de la kénose, le « être-chez » permet d’équilibrer le caractère trop extatique du couple fé­condité-kénose. Il demeure que Balthasar n’a pensé l’enveloppement que tangentielle­ment ; plus encore, l’oscillation entre l’origine et le terme n’est pas suffisamment unifiée par l’humble présent d’une créature donnée à elle-même.

Conclusion

« L’acte philosophique vit de l’être et de l’amour [58] ». Nous espérons avoir montré combien la conjonction de coordination, loin d’être une juxtaposition, s’avère riche de toute une métaphysique. Précisément, Balthasar double l’analogia entis développée par Thomas d’Aquin d’une véritable analogia amoris [59], simi­laire à l’analogia fidei de Karl Barth. En effet, le théologien suisse leste la terminologie plus logique de l’analogie d’un sens non seule­ment métaphysique mais théologique : l’analogie permet, selon le principe chalcédonien, de tenir sans séparation ni confusion, le fini et l’infini. Or, la présentation de chacun des trois visages de l’amour s’est fondée sur une argumentation parcourant les différents de­grés de l’être. Cette induction complète et ascendante établit l’extension transcendantale mais différenciée – autrement dit l’analogie – non pas de chaque aspect, mais de leur en­semble.

À titre récapitulatif autant qu’apéritif, j’émettrai une dernière hypothèse qui manifesterait, si elle s’avère juste, la cohérence ultime et décisive de notre propos. Ces trois visages de l’amour – fécondité, kénose, enveloppement – ne peuvent bien entendu pas être attribués ni même appropriés à chacune des trois Personnes divines : l’expropriation de soi, no­tamment, caractérise la donation et donc la manière d’être des deux premières Hypostases trinitaires [60]. Ne peut-on toutefois affirmer que chacune des Personnes divines vit plus particulièrement un de ces trois aspects : la fécondité par le Père, la kénose par le Fils, l’enveloppement par l’Esprit [61] ? Si le Père et le Fils vivent da­vantage la fécondité dans la kénose, l’auto-communication dans le renoncement absolu à soi, l’un l’exerce comme source inépuisable, le second comme éternelle action de grâces. Surtout, l’enveloppement est singulièrement vécu par le Pneuma en sa polarité subjective : « Procédant des deux comme leur «nous» subsistant, l’«Esprit» commun respire, qui scelle la différence infinie tout en la maintenant ouverte » et Balthasar d’ajouter (entre pa­renthèses) : « telle est l’essence de l’amour (als Wesen der Liebe) [62] ».

Pascal Ide

[1] Cf. le beau texte de l’astrophysicien Michel Cassé, « 2,73° K le matin », Les dossiers de La Recherche. Explorer le cosmos, 21 (novembre 2005), p. 84-85.

[2] Cf. Edmund Husserl, « L’arche-originaire Terre ne se meut pas. Recherches fondamentales sur l’origine phénoménologique de la spatialité de la nature », in La Terre ne se meut pas, trad. Didier Franck, coll. « Philosophie », Paris, Minuit, 1989, p. 11 à 29.

[3] Cf. Carlo Valerio Bellieni, L’alba dell’ »io ». Dolore, desideri, sogno, memoria del feto, Firenze, Società Editrice Fiorentina, 2004. Abondante bibliographie scientifique sur ce sujet in situ.

[4] Précisément, Wilfrid R. Bion dit que la mère remplit une fonction de contenant psychique (Aux sources de l’expérience, trad. François Robert, coll. « Bibliothèque de psychanalyse », Paris, PUF, 1979).

[5] Cf. Donald W. Winnicott, « La théorie de la relation parent-nourrisson », De la pédiatrie à la psychanalyse, trad. Jeannine Kalmanovitch, Paris, Payot, 1960, p. 358-384 ; Jeu et réalité. L’espace potentiel, trad. Claude Monod et Jean-Baptiste Pontalis, Paris, Gallimard, 1971.

[6] Cf. Didier Anzieu, Le Moi-peau, Paris, Dunod, 1985 (surtout la seconde des huit fonctions : la « contenance ») ; Une peau pour les pensées, Montréal, Guenoud, 1988 ; « La fonction contenante de la peau, du moi et de la pensée : conteneur, conteneur, contenant, contenir », Didier Anzieu (éd.), Les contenants de pensée, Paris, Dunod, 1993, p. 1-39 ; Le penser, du Moi-peau au Moi pensant, Paris, Dunod, 1994.

[7] Cf. la remarquable présentation de Blaise Pierrehumbert, Le premier lien. Théorie de l’attachement, coll. « Comment l’esprit vient aux enfants », Paris, Odile Jacob, 2003.

[8] Cf. Edward Twitchell Hall, La dimension cachée, 1966, trad. Amélie Petita, coll. « Points-Essais », Paris, Seuil, 1971.

[9] Cf., dans une vaste bibliographie, Coll., L’empathie, éd. Alain Berthoz et Gérard Jorland, Paris, Odile Jacob, 2004.

[10] Cf. Gustav Siewerth, Metaphysik der Kindheit, op. cit. Ferdinand Ulrich, Der Mensch als Anfang. Zur philosophischen Anthropologie der Kindheit, Einsiedeln, Johannes Verlag, 1970.

[11] Cf. la « cité harmonieuse » du premier Péguy ou le concept d’ »enracinement » développé par Simone Weil, versus le « gros animal » de Platon, les conceptions hobbésienne et rousseauiste du contrat social ou, aujourd’hui, la citadinisation accélérée et tentaculaire, principalement dans les pays en développement, jointe à une mondialisation qui ne propose comme milieu que la froide et finalement anonyme toile du réseau Internet.

[12] Par exemple dans Ève que cite Balthasar (GC II.2, p. 350 ; H II.2, p. 849).

[13] Emmanuel Levinas, Totalité et infini. Essai sur l’extériorité, coll. « Biblio essais », Paris, Le Livre de Poche n° 4120, 1971, p. 163-164.

[14] « Milieu », Le Robert. Dictionnaire historique de la langue française, sous la dir. d’Alain Rey, Paris, Le Robert, 1998, 3 tomes, vol. 2, p. 2235-2236.

[15] Physique, L. IV, ch. 3, 210 a 14-24, trad. Henri Carteron, coll. « Les Universités de France », Paris, Les Belles Lettres, 1926, 2 vol., tome 1, p. 128.

[16] Martin Heidegger, « Bâtir habiter penser », Essais et conférences, trad. André Préau, coll. « Tel », Paris, Gallimard, 1958, p. 170-194, ici p. 173.

[17] « ‘… L’homme habite en poète…’ », Essais et conférences, op. cit., p. 224-245, ici p. 226.

[18] « Bâtir habiter penser », op. cit., p. 173. Souligné dans le texte.

[19] Ibid., p. 174.

[20] Cf. Jean-François Mattéi, Heidegger et Hölderlin. Le Quadriparti, coll. « Épiméthée », Paris, PUF, 2001.

[21] « Bâtir habiter penser », op. cit., p. 176.

[22] Ibid., p. 192.

[23] Ibid., p. 193.

[24] Heidegger développe aussi l’origine du mot « habitation » qui vient du terme vieux-saxon wuon (et du gotique wunian), ainsi que celle du mot « paix » ; or, chaque fois, le demeurer connote l’entourage protecteur (Ibid., p. 173 et 175-176).

[25] Ibid., p. 173.

[26] « L’habitation et le féminin », Totalité et infini, op. cit., p. 164-167.

[27] Ibid., p. 164.

[28] Ibid., p. 166.

[29] Ibid., p. 164-165.

[30] « Chez », Le Robert. Dictionnaire historique de la langue française, op. cit., tome 1, p. 733.

[31] Cf. Emmanuel Levinas, Totalité et infini, op. cit., p. 167-189.

[32] En ce sens, et ce point serait à développer, la dimension kénotique, trop soulignée, n’a jamais le dernier (ni le premier) mot : même dans l’angoisse, le dénuement, la nescience et l’abandon le plus extrême, le Fils demeure toujours intimement relié au Père par et dans l’Esprit.

[33] Retour au centre, trad., Paris, DDB, 1971, p. 125 à 128. Souligné par l’auteur.

[34] DD IV, p. 78-81 ; TD IV, p. 80-83.

[35] Cf. Ibid., p. 51-55 ; ibid., p. 53-57.

[36] Ibid., p. 80 ; ibid., p. 82.

[37] Ibid.

[38] Ibid., p. 234-241 ; ibid., p. 232-240.

[39] Ibid., p. 234-237 ; ibid., p. 232-236.

[40] Ibid., p. 237 ; ibid., p. 234-235.

[41] Bien évidemment – mais faut-il le préciser ? –, il s’agit de l’Esprit entendu non pas au sens objectif (où, comme « fruit » et « attestation » de l’amour du Père et du Fils, il rejoint l’amour comme fécondité), mais au sens subjectif, c’est-à-dire comme « foyer le plus intime du double mouvement d’amour […] du Père et du Fils » (TL III, p. 298 ; T III, p. 282).

[42] DD IV, p. 238 ; TD IV, p. 237.

[43] Ibid., p. 238-241 ; ibid., p. 236-240.

[44] On s’étonnera d’un tel rapprochement, voire on y objectera. Mais le statut de l’enveloppement ne comporte-t-il pas une analogie (sans être identique, au moins quant à l’extension, puisqu’il doit se conjuguer aux deux autres aspects de l’amour) avec celui du transcendantal unum dont on a noté que, à l’opposé du traitement des autres transcendantaux par Balthasar, il est fugacement entrevu, toujours présupposé mais jamais exploré in extenso ?

[45] Sauf allusion ponctuelle (cf., par exemple, à propos de la théorie thomiste des animations sucessives, Hans Urs von Balthasar, Qui est l’Église ?, trad. par Ola Hahn et Maurice Vidal revue par Isabelle Crahay, Saint-Maur, Parole et silence, 2000, p. 103).

[46] Séminaire sur Balthasar, Séance du 4 mai 1993, compte rendu par Nicolas Dessoy, Bruxelles, IET, 1993, p. 1. Faisant appel aux analyses de DD II.2, le Père René Lafontaine explique : « L’auteur cherche à conjoindre dans le sujet spirituel : le « moi » et la mission. Balthasar est ici fort influencé par la conception luthérienne : la personne n’existe que dans l’acquiescement pur de la foi » (Ibid., p. 3).

[47] Je ne discute pas ici la question de la personnalisation, immédiate ou différée, de l’embryon mono-cellulaire (cf. Pascal Ide, Le zygote est-il une personne humaine ?, coll. « Questions disputées : Saint Thomas et les thomistes », Paris, Téqui, 2004).

[48] La biologie parle d’un dialogue fœto-maternel dès avant l’implantation utérine, justement appelée nidification.

[49] Cf. les développements d’Emmanuel Levinas, De l’existence à l’existant, Paris, Vin, 1947, 31981, « L’insomnie » : p. [109]-[113].

[50] Cf. les chiffres de mortalité rapportés par Olivier Claris, « A quel âge peut-on naître ? », La Recherche. Grandir. L’enfant et son développement, 388 (juillet-août 2005), p. 30-33.

[51] C’est par exemple ce qu’atteste l’originale méthode analgésique dite de « saturation sensorielle » appliquée chez le prématuré (C. V. Bellieni, G. Buonocore, A. Nenci, N. Franci, D. M. Cordelli, F. Bagnoli, « Sensorial saturation: an effective tool for heel-prick in preterm infants », Biol. Neonate, 80 (2001), p. 15-18) et chez le nouveau-né à terme (C. V. Bellieni, F. Bagnoli, S. Perrone, A. Nenci, D. M. Cordelli, M. Fusi, S. Ceccarelli, G. Buonocore, « The effect of multi-sensory stimulation on analgesia in term neonates: a randomized controlled trial », Pediatr. Res., 51/4 (2002), p. 460-463), élaborée par l’équipe du professeur Carlo Valerio Bellieni, de l’Unité de soins intensifs en néonatologie de la polyclinique universitaire de Sienne « Le Scotte ».

[52] Cf. Prof. Roberto Colombo, « La vulnerabilità nella ricerca biomedica. Il caso dell’embrione umano », Pontificia Academia Pro Vita, Etica della ricerca biomedica per una visione cristiana. Atti della nona assemblea generale della Pontificia Academia per la Vita, Città del Vaticano, 24-26 février 2003, ed. Juan de Dios Vial Correa et Elio Sgreccia, Città del Vaticano, Libreria Editrice Vaticana, 2004, p. 217-244.

[53] À propos de ce double questionnement, rappelons une dernière fois la dette de Balthasar vis-à-vis des grandes sources philosophiques auxquelles sa pensée ne cesse de puiser, Gustav Siewerth et Fernand Ulrich. D’une part, en effet, tous deux n’ont cessé de réfléchir, de manière originale, à cette relation de l’être et de l’amour (sur Siewerth, cf. Manuel Cabada Castro, L’être et Dieu chez G. Siewerth, trad. Emmanuel Tourpe et A. Chereau, coll. « Bibliothèque philosophique de Louvain » n° 46, Louvain-la-Neuve, Éd. de l’Institut supérieur de philosophie, Leuven-Paris, Éd. Peeters, 1997, notamment « L’être comme amour », p. 122-130 ; ainsi que l’ouvrage d’Emmanuel Tourpe, qui porte sur ce thème : Siewerth « après » Siewerth. Le lien idéal de l’amour dans le thomisme spéculatif de Gustav Siewerth et la visée d’un réalisme transcendantal, coll. « Bibliothèque philosophique de Louvain » n° 49, Louvain-la-Neuve, Éd. de l’Institut Supérieur de Philosophie, Leuven-Paris, Éd. Peeters, 1998 ; sur Ulrich, cf., dans ce dernier livre, le § intitulé : « La médiation exemplaire de l’être comme amour », p. 400-403, avec la bibliographie et, surtout, Stefan Oster, Mit-Mensch-Sein. Phänomenologie und Ontologie der Gabe bei Ferdinand Ulrich, Fribourg-Münich, 2004). D’autre part, et cette réflexion vaut surtout pour Siewerth, s’ils font de l’amour l’accomplissement de l’être – « l’être est, dans sa nature ultime, «amour» » (Gustav Siewerth, Das Schicksal der Metaphysik von Thomas zu Heidegger, Einsiedeln, Johannes Verlag, 1959, p. 397) ; la super-transcendantalité de la « bonté » est « fin-sens de l’offrande de l’être » (Stefan Oster, Mit-Mensch-Sein, op. cit., p. 261) ; « Ulrich a une dimension en vue, qu’il appelle Bonität et qu’il comprend comme le milieu ou le cœur décisif et différenciant de tout ce qui est fini […] La méditation approfondie de cette interprétation spéculative de l’être expliquera à quel point la personne humaine est la fin et la direction de toute offrande d’être – ou, mieux encore : à quel point l’homme accomplit à lui-même horizontalement la finalisation verticale de l’être » (Ibid., p. 525) –, tous deux le considèrent aussi comme son origine, voire comme son milieu, autrement dit son enveloppement – « L’amour est seulement un autre nom pour l’être lui-même, qui est le fondement, le milieu et l’origine de tout » (Manuel Cabada Castro, L’être et Dieu chez G. Siewerth, op. cit., p. 130).

[54] DD III, p. 305 ; TD III, p. 306.

[55] Cf. TL II, p. 28-30 ; T II, p. 29-31.

[56] Cf. Pascal Ide, Introduction à la métaphysique. I. Vers les sommets, coll. « Les cahiers de l’école cathédrale » n° 8, Paris, Mame, 1994, p. 88-95.

[57] Cf. par exemple le débat, qui n’a rien de formel, sur la priorité de la relation ou de la procession. Balthasar s’y attarde longuement en TL II, p. 138-146 ; T II, p. 119-125.

[58] GC IV.3, p. 398 ; H III.1.II, p. 973. Précisément : « das Sein und die Liebe, denn von beiden lebt der philosophische Akt ».

[59] Cf. l’ouvrage fameux de M. Lochbrunner déjà cité dont il n’est malheureusement pas possible de rendre compte et discuter ici.

[60] Cf. DD III, p. 299s ; TD III, p. 300s.

[61] Une telle thèse pose une difficulté redoutable : l’enveloppement renvoie à l’ »apudité » (qui est elle-même la forme intime de l’abaléité originaire) ; mais le Père est « l’Amour dans la source » (Concile Œcuménique Vatican II, Décret Ad gentes, n. 2), origine de toute fécondité intra-trinitaire, alors que l’Esprit est au terme des processions divines. Nous y avons déjà répondu partiellement en faisant appel à la distinction balthasarienne de l’Esprit objectif et l’Esprit subjectif. Une réponse complète supposerait d’affronter la question délicate de la périchorèse (cf. notamment Jean-Miguel Garrigues, « La réciprocité trinitaire de l’Esprit par rapport au Père et au Fils selon saint Thomas d’Aquin », Revue thomiste, 98 (1998), p. 266-281 ; Emmanuel Durand, La périchorèse des Personnes divines. Immanence mutuelle, réciprocité et communion, coll. « Cogitatio fidei » n° 243, Paris, Le Cerf, 2005).

[62] Ibid., p. 300 ; Ibid., p. 301.

2.2.2018
 

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