Le Mystère de Dieu à la lumière du don

« Ce que chacun de vous a reçu comme don de la grâce, mettez-le au service des autres, en bons gérants de la grâce de Dieu qui est si diverse : si quelqu’un parle, qu’il le fasse comme pour des paroles de Dieu ; celui qui assure le service, qu’il s’en acquitte comme avec la force procurée par Dieu. Ainsi, en tout, Dieu sera glorifié par Jésus Christ, à qui appartiennent la gloire et la souveraineté pour les siècles des siècles. Amen » (1 P 4,10-11).

 

Cette parole de la première épître de saint Pierre Apôtre peut être interprétée comme un extraordinaire résumé de la théologie du don.

  1. Elle honore la dynamique ternaire du don : recevoir (« recevoir le don de la grâce ») ; s’approprier le don reçu (« gérer la grâce de Dieu », c’est-à-dire prendre conscience de cette dot, la conserver) ; se donner (« se mettre au service des autres »). En même temps, elle en montre la continuité, c’est-à-dire le moteur intime : c’est parce que l’on a reçu que l’on donne. Tel est le sens de l’impératif « mettez-le » qui, loin de convoquer un impératif formel et volontariste, invite d’abord à contempler et faire mémoire de ce qui a été « reçu ». D’où la répétition du terme « grâce », une fois du point de vue de la réception, une autre fois du point de vue de la donation qui en est le redoublement créatif.
  2. Elle nomme précisément le don originaire (c’est-à-dire le premier moment du don). D’abord, elle distingue le Donateur, « Dieu », et son datum médiateur qui le symbolise, « la grâce ». En termes théologiques : la Grâce incréée et la grâce créée. Ensuite, le Donateur paternel apparaît comme celui qui donne, c’est-à-dire qui prend l’initiative du don, mais aussi comme celui qui reçoit : l’un des apports les plus troublants et les plus suggestifs du texte réside dans le redoublement du verbe « recevoir », une fois du côté de la créature (rien d’étonnant), l’autre fois du côté non seulement de Dieu, mais du Père qui, de prime abord, se caractérise comme innascible, inengendré, donc comme Source sans source. Il est ainsi suggéré que Dieu est touché. En fait, la nouvelle traduction liturgique dit « recevra sa gloire », alors que l’original grec dit seulement « sera glorifié ». Quoi qu’il en soit, toute la pulsation créée du Dieu est reprise, englobée dans la pulsation totale de la création (exitus-reditus), voire surtotale, omnicompréhensive, de la vie intratrinitaire (le Père comme alpha et oméga).
  3. Elle nomme précisément ce en quoi consiste le don de soi (c’est-à-dire le troisième moment du don). D’abord, elle le réfracte en don aux autres et le don à Dieu. Ensuite, il identifie la nature de ce double don : service vis-à-vis des autres (« se mettre au service des autres ») et gloire vis-à-vis de Dieu. Puis, elle évoque la caractéristique la plus parlante, la propriété la plus évidente de ce double don : la diversité horizontale du service (« la grâce de Dieu qui est si diverse ») et l’unicité verticale de la glorification. Même cette diversité horizontale est structurée, puisqu’elle est dédoublée en parole et en service, c’est-à-dire dans le double langage de l’amour qu’est le verbal et le non-verbal, le service étant, pour Pierre (à l’instar du langage) à la fois genre et espèce (et donc deux fois nommé). Enfin, il unifie ce double mouvement de retour : « en tout », c’est-à-dire dans le foisonnement des services, « Dieu sera glorifié ».
  4. Elle éclaire toute cette dynamique dative à partir du Mystère divin unitrine ou, plus précisément, l’enveloppe concrètement dans l’économie trinitaire. Le Père est nommé comme « Dieu » ; il est à la fois la Source (le génitif objectif « la grâce de Dieu » dit l’origine de toute grâce qui est paternelle) et le Terme (la gloire), ainsi que nous l’avons vu. Le Fils est nommé comme « Jésus-Christ » et comme médiateur (« par »). Enfin, l’Esprit apparaît comme « force » ou implicitement dans la « grâce ». Il faudrait alors vérifier les autres usages de ces termes dans les épîtres pétriniennes.
  5. Enfin, elle accomplit les sens de l’Écriture. Prenant un ultime recul et nous interrogeant sur le genre littéraire de cette parole, nous constatons qu’elle appartient non pas à un genre littéraire (la doxologie, du fait de sa finale), ni même à deux (outre la doxologie, la parénèse, du fait de son commencement exhortatif), mais à trois (en effet, entre l’origine et l’achèvement, toute une anthropologie et une théologie sont impliquées, de manière allusive, mais tout de même explicite, autrement dit un développement doctrinal, théologique). Par conséquent, l’Apôtre unifie trois sens de l’Écriture et, à travers eux, trois transcendantaux : le beau de la glorification, le bien de la parénèse, le vrai de la contemplation du Mystère.

Pascal Ide

1.11.2019
 

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