Ennéagramme 4/4

C) Quelques critères de discernement

Je souhaiterais terminer en offrant quelques critères de discernement. La liste, non exhaustive, que je vais maintenant proposer est d’abord inspirée des objections, cherchant à incarner les réponses ci-dessus.

1) Les dix critères offerts par le site de l’IEDH

L’ IEDH (Institut Européen de Développement Humain), fondé par Jean-Paul Mordefroid, membre de la communauté de l’Emmanuel, consultant et formateur, employant l’ennéagramme avec d’autres outils, propose une grille de dix critères que l’on trouve sur leur site : http://www.iedh.fr/enn-artjpm/

Je le cite :

« Conscient des questions, des inquiétudes et des critiques suscitées par l’usage des méthodes de développement personnel en général et de l’ennéagramme en particulier, l’IEDH a formalisé sa déontologie et ses critères de discernement à l’occasion d’une journée de réflexion organisée avec des praticiens et des experts le 17 juin 2001 sur le thème : Ennéagramme et vie chrétienne : quels discernements ?

1/ Si l’origine de l’ennéagramme comme figure symbolique et mnémotechnique semble se perdre dans la nuit des temps, la méthode proposée aujourd’hui sous ce nom à travers des livres et des formations est un produit du milieu du XXème siècle clairement attribuable, dans son état actuel à des auteurs comme Oscar Ichazo, Claudio Naranjo, Helen Palmer, Bob Ochs,…

2/ En tant que méthode globale, l’ennéagramme est analysable et évaluable sur sa pertinence et son efficacité tant au plan conceptuel que pratique (mais les évaluations en langue française sont encore trop peu nombreuses).

3/ En tant que guide de description et de connaissance de soi – et sans les ajouts philosophiques ou spirituels que certains lui apportent, il est compatible avec une anthropologie chrétienne.

4/ En particulier, en situant la blessure par rapport à un don, il est à la fois :

– outil de thérapeutique (travail de mémoire sur un passé, permettant de lever des méconnaissances…)

– aide à une dynamique de développement (ouverture sur une perspective de changement, découvrant des portes…).

5/ Pour autant, l’ennéagramme, qui permet diagnostic et balisage, ne contient pas, en lui-même, les outils de développement personnel nécessaires au cheminement ultérieur.

6/ En outre sa découverte nécessite un accompagnement par un formateur sérieux, en groupe ou individuellement (se borner à la lecture d’un livre, quel qu’il soit, étant, au mieux, insuffisant, au pire dangereux voire destructeur).

7/ La puissance d’investigation de l’ennéagramme et les objets mêmes (compulsion) du travail qu’il permet font que cette méthode présente des risques pour des personnalités encore trop peu structurées ou psychiquement fragiles ; nous recommandons un âge minimal d’accès, non à la connaissance conceptuelle de l’approche, mais à son emploi dans un cadre institutionnel. Un entretien préalable permet de situer la demande et de valider l’indication.

8/ Cette puissance peut entraîner une fascination excessive. Aussi est-il préférable de proposer au partenaire peu familiarisé avec l’introspection une première découverte de soi à partir d’outils plus simples et plus classiques (caractérologie, bases de l’Analyse Transactionnelles, assertivité, éléments de PNL,…) et, si possible, en s’appuyant sur une approche anthropologique solide.

9/ La progressivité de la découverte impose qu’on respecte le rythme du participant et, en particulier, qu’on ne lui annonce jamais sa base présumée, ce qui a pour corollaire :

– qu’on ne corrige pas la base qu’il déclare, même si cela semble une erreur ou une illusion (à lui d’en faire la découverte) ;

– qu’on s’abstient d’utiliser les numéros des bases dans la conversation courante, hors séance de travail ;

– qu’on ne type pas à distance (des personnes dans un groupe, des personnes connues mais absentes,…)

10/ Enfin, toutes les précautions usuelles quant à la déontologie du formateur sont évidemment de rigueur : liberté de choix, respect de la liberté de la personne, discrétion, distance juste, professionnalisme, supervision du formateur, …

En résumé : l’ennéagramme est, pour nous, une méthode contemporaine, parmi d’autres, à utiliser avec doigté et discernement ! »

2) Quelques ajouts

Née d’une pratique de l’ennéagramme, jointe à une réflexion critique, cette grille me paraît de grande valeur. Je me permettrais seulement de préciser les points suivants.

a) Ajout aux deux premiers critères. Découpler l’ennéagramme de l’occultisme

L’ennéagramme est une méthode empirique et rationnelle. Il est donc nécessaire de la présenter en dehors de tout lien avec l’occultisme ou la pensée de Gurdjieff qui n’apportent aucune validité.

b) Ajout au troisième critère. Distinguer psychologique et surnaturel

Le talent que dévoile l’ennéagramme n’est en rien surnaturel. Il vient de la création. La différence nature-grâce permet de sortir de la tentation de panthéisme et du risque d’autodivinisation.

La dérive des groupes Gurdjieff invite à préciser deux points :

– Quant à la finalité : l’ennéagramme ne permet pas de faire accéder « au-delà du moi ». Le changement que cette connaissance profonde de soi apporte demeure intérieure au cadre humain, ne sort pas du moi. Seule la grâce dépasse les ressources de la seule nature, toutefois sans jamais la nier : « La grâce n’ôte pas la nature, mais l’achève », dit une affirmation célèbre de saint Thomas.

– Quant au moyen : l’ennéagramme fait appel à des moyens qui relèvent de la raison et de la liberté. L’on doit donc prohiber tout appel à des moyens invitant à la perte du contrôle de soi comme la drogue, etc.

c) Ajout au septième critère. Mieux calibrer la proposition

Trois précisions pourraient être utiles :

– L’âge

George Durner remarque : « Il n’y a pas de limite supérieure d’âge. En revanche, il y a une limite inférieure. Je refuse de proposer l’ennéagramme avant 30 ans : c’est d’ailleurs l’âge minimal auquel je propose le stage ».

– La stabilité émotionnelle

L’ennéagramme est une démarche qui va vers l’intérieur, le centre de la personne ; en le révélant, il bouleverse. Par conséquent, la personne ne doit pas être trop fragilisée intérieurement pour en bénéficier. Il faut par exemple éviter systématiquement d’employer l’outil face à une personne en dépression (qui présente donc une image trop dépréciative d’elle-même).

– La décision intérieure

L’ennéagramme ne peut être employé avec fruit que chez une personne ayant décidé d’entrer dans une démarche de remise en question, de changement de soi.

d) Ajout au huitième critère. Mieux calibrer la méthode

Plus précisément, j’introduirai ici la distinction des trois niveaux d’universalité, avec la triple conséquence :

– Au plan universel : nécessité d’une anthropologie.

– Au plan singulier : respect de la richesse inépuisable de chaque personne.

– Au plan particulier : nécessité de faire appel à d’autres outils pour ne pas absolutiser l’ennéagramme. Cela est vrai de celui qui emploie l’ennéagramme pour lui-même autant que du formateur tenté d’être mono-outil.

Conclusion

Nous n’avons jamais été aussi meurtris qu’à notre époque. En même temps, nous n’avons jamais bénéficié d’autant de ressources thérapeutiques en tous genres [1]. Pour moi, c’est un signe des temps, comme l’Écriture et le Concile Vatican II nous invitent à les lire.

L’attitude première face à des méthodes comme l’ennéagramme et nombre d’autres se doit d’être l’accueil serein et vigilant. Non la rétraction soupçonneuse. C’est ce que recommande saint Ignace de Loyola dans un passage assez important pour être cité par le Catéchisme de l’Église catholique : « Tout bon chrétien doit être plus prompt à sauver la proposition du prochain qu’à la condamner [2] ».

« Ce que vous faites au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous le faites ». Le Christ prend soin du divin. Il prend aussi soin de l’humain. Il nous invite à faire de même. Et d’abord de l’humain qui est en nous.

 

[1] Cf. par exemple, Pascal Ide, Des ressources pour guérir. Comprendre et évaluer quelques nouvelles thérapies : hypnose éricksonienne, EMDR, Cohérence cardiaque, EFT, Tipi, CNV, Kaizen, Paris, DDB, 2012.

[2] S. Ignace de Loyola, Exercices spirituels, n° 22. Cf. Catéchisme de l’Église catholique, op. cit., n° 2478.

12.10.2017
 

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