Tout mais pas ça !
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Pays:
Italien
Thème (s):
Dieu
Durée:
1 heures 27 minutes
Directeur:
Edoardo Maria Falcone
Acteurs:
Marco Giallini, Alessandro Gassman, David di Donatello

Tout, mais pas ça ! (Se Dio vuole), comédie italienne d’Edoardo Maria Falcone, 2015. Avec Marco Giallini, Alessandro Gassman, David di Donatello. Prix du meilleur réalisateur débutant en 2015.

Thèmes

Dieu, conversion, don de soi.

Passons ignorances (comment, après le concile Vatican II et saint Jean-Paul II, peut-on encore répéter que, pour les catholiques, l’amour possède une signification seulement « procréative » et non pas d’abord unitive ?), invraisemblances (comment imaginer qu’un converti, après trois jours, rentre au séminaire et qu’un multirécidiviste puisse devenir prêtre ?), outrances (Bianca trop demeurée, Rosa trop humiliée, l’assistant trop lâche, etc.). Mais n’oublions pas le décalage culturel (les enfants mariés vivant sur le même palier que les parents, les dîners chaque soir dans la belle famille, la domestique vivant sur place dans l’appartement, tout cela n’a rien de vraiment étonnant dans le cadre du monde méditerranéen ou le régime social italien) et le genre littéraire propre à la commedia dell’arte qui continue à fleurir dans la Botte et explique le surjeu déjà omniprésent dans la vie quotidienne. Cela mis au point, Tout, mais pas ça ! permettra de passer une bien agréable soirée (l’hilarité générale faisait vibrer la salle) et, plus inattendu, mais pas moins plaisant, peut-être d’être touché au cœur par une histoire qui, bien que traitée avec légèreté, est plus profonde qu’il n’y paraît.

 

Le changement, plus, la métamorphose, de Tommaso est trop évidente pour qu’il vaille la peine d’insister. L’homme égoïste jusqu’au narcissisme, sûr de lui jusqu’au mépris de l’autre, suspicieux jusqu’au délire interprétatif, inécoutant jusqu’à l’autisme, discourant sur tout jusqu’à l’intolérance, régnant sur sa famille jusqu’au despotisme, donnant des leçons à chacun jusqu’à l’humiliation, voire la perversion (sadique), vantant sa propre valeur jusqu’à vider le Ciel de Dieu, est campé en quelques plans presque outrés dès les premières images. Or, au terme, le même époux, même père de famille, même chirurgien, est devenu une personne ouverte jusqu’à la compassion et humble jusqu’à la contrition, dont les relations jusqu’ici top-down se sont inversées en relations bottom-up (il demande conseil) ou symétrisées en relations réciproques (avec ses enfants et Clara). Certes, redisons-le, des changements aussi radicaux opérés dans l’espace de moins d’un mois, relèvent plus de la démesure de la comédie italienne. Mais la transformation demeure. Un fait frappant l’atteste, qui souligne la performance de l’acteur : qui dit métamorphose ou transformation dit, étymologiquement, changement de forme ; or, la Bible autant que la morphopsychologie l’attestent, la physionomie révèle le cœur ; mais, au mufle initial, colérique ou grognon, jamais décontracté, souvent agressif et parfois méchant, succède au terme un visage détendu, accueillant et même souriant ; ainsi le chirurgien du cœur est devenu un homme de cœur. Comment expliquer cette trans-figuration ?

 

Pour répondre à cette question, demandons-nous ce qui, chez Tommaso, souffre le plus – et donc est le plus protégé. Suscitant la crainte, le rejet, voire le mépris ou la haine, il s’est isolé. Dit autrement, il a perdu le trésor le plus précieux d’un homme, a fortiori d’un Italien : ses relations. Ce chirurgien tout-puissant, admiré et jalousé, a coupé tout lien avec son entourage, professionnel ou familial, proche ou lointain ; ayant progressivement rompu toutes ses amarres, pour une bonne part à son insu, le vaisseau de son existence part à vau-l’eau.

C’est ce dont témoigne, une fois achevé le mois de TIG (Travaux d’Intérêt Général, pardon : Travaux d’Intériorisation de la Grâce) imposé par don Pietro, la plus improbable des demandes adressée au plus improbable vis-à-vis : « Pourrais-je continuer à te voir ? ». Le chirurgien en vient à mendier l’amitié de celui qui était devenu son pire ennemi du moment.

C’est ce que montre aussi indirectement son épouse : à la suite de la provocation de son fils, Claudia cherche à donner du sens à sa vie. Spontanément, elle se retourne vers son passé de militante gauchiste, découvre qu’en elle couve encore le feu d’une passionaria ; or, à cette occasion, alors qu’elle feuillette nostalgiquement l’album photo de sa jeunesse pleine d’idéal et d’énergie, nous la retrouvons avec son mari ; ainsi, avant d’être ce solitaire, Tommaso fut un solidaire ; avant de s’embourgeoiser dans ses richesses (au sens biblique), il fut un partisan engagé dans le combat social.

Dès lors, la cause de son changement apparaît en pleine lumière. Certes, en quelques jours, Tommaso voit s’écrouler le monde factice qu’il avait édifié par violence et le protégeait de sa solitude abyssale tout en lui faisant oublier la trahison à l’égard de son idéal passé. Certes, tout ce qu’il maîtrisait en vient maintenant à le mépriser : depuis son épouse jusqu’à sa domestique, en passant par sa fille et l’infirmière de bloc (réjouissante scène où, sous couvert de jeu, elle règle ses comptes à la Pomponette faite chirurgien) – le gendre excepté : sans doute parce qu’il est dépassé par les événements, mais surtout parce que benêt commence par bon et représente la copie inversée du père, copie que la fille a voulu épouser.

Ces raisons négatives ne peuvent suffire. Voire, elles pourraient être recyclées par ce narcissique persillé de perversion et l’inciter à tenter la figure encore inessayée du victimaire, par exemple : « Ainsi, vous me lâchez tous, ingrats qui vivez grâce à moi », mais seulement pour un temps : « Vous ne savez pas ce que vous perdez ».

Si Tommaso change, c’est d’abord parce que, alors que se dénude sa solitude si douloureuse, se révèle aussi l’amitié la plus inattendue qui soit : celle de ce prêtre attachant sans être fusionnel, inclassable tout en étant classique, adulé sans être un gourou. Il y a du saint François d’Assise chez ce don Pietro (Bianca ne porte-t-elle pas une croix franciscaine lors de sa brève conversion ?) qui retape l’église en vue, certes, de réparer la peine faite à sa mère (c’est la raison-prétexte qu’il avance), mais aussi, plus secrètement, de relever l’homo ecclesiasticus (l’homme d’Église) que Tommaso a refoulé. De fait, cette église devient la métaphore de son chemin intérieur : la saleté devient le symbole de son encrassement spirituel, et le nettoyage de l’édifice l’occasion de s’en purifier.

En effet, avec une lucidité rare, Don Pietro déjoue les stratagèmes du chirurgien en posant les bonnes questions ; avec une miséricorde rare aussi, il lui pardonne ses manipulations. Il est assez bienveillant pour reconnaître la droiture cachée de Tommaso ainsi que son désir de repentir, et il est assez juste pour ne pas être dupe de la tentation-tentative de dérobade : « Hypocrisie ». Avec une édifiante générosité, il lui offre une disponibilité jamais démentie : en paroles (« Appelle-moi quand tu veux ») et en actes (il lui révèle son lieu de ressourcement dans les environs de Rome). Avec une humilité rare, il avoue son passé peu glorieux et adopte ainsi une position basse. Enfin, avec une délicatesse qui l’honore, lui, l’homme comblé de relations (ce qu’atteste la foule qui se presse anxieusement à l’hôpital après son accident), il propose son amitié à l’esseulé qui en a infiniment plus besoin que lui. Or, ce champion des relations utilitaires ou dominatrices qu’est Tommaso ne peut douter que cette amitié soit véritablement gratuite : ni prosélyte (quand Don Pietro lui parle de Dieu en lui conseillant de lire la première épître aux Corinthiens, il le fait sans insistance, en transmettant sa conviction comme une évidence quotidienne), ni manipulateur (quand les trente jours de la pénitence s’achèvent, Don Pietro, au grand étonnement de Tommaso, le délie de son obligation : alors que le travail n’est pas achevé et que ce chantier lui tient à cœur, le prêtre, avec justice et justesse, se refuse à toute instrumentalisation de cette main d’œuvre qui ne lui coûte rien ; ainsi, le chirurgien découvre, en ce miroir inversé, ce qu’est une relation qui se refuse à tout utilitarisme). Voilà pourquoi, lorsque l’ami prêtre est accidenté, l’ami-chirurgien s’absente contre toute attente, en expliquant : « J’ai un travail à finir ». Certes, il se protège de sa grande sensibilité que sa femme lui rappelait au tout début du film : « Au fond, tu es un grand tendre ». Mais, plus encore, loin de fuir, Tommaso témoigne de la redamatio, du « retour d’amour » : comment rendrai-je à don Pietro tout le bien qu’il m’a fait en m’accordant son amitié ? En achevant l’église que son ami aspirait tant à finir, il répond en acte et en vérité. Déjà auparavant, il se retrouvait à une terrasse de café en train de prodiguer gratuitement des soins à un voisin en besoin qui ne lui demandait rien. Maintenant, il retourne cet amour immérité au prêtre qui a brisé en lui « le mur de la haine » (cf. Ep 2,14).

 

Mais il y a plus encore. Autant, nous l’avons dit, le récit du changement spectaculaire était presque caricatural, autant le terme du film est heureusement suggestif, au double sens du terme. En effet, astucieusement, il se refuse à répondre explicitement à trois questions : Don Pietro est-il sorti de son coma, voire est-il encore vivant ? Tommaso s’est-il converti au Christ (dernière de ses fermetures) ? Quel sens donner à la chute de la poire ? Mais le scénario essaime les signes qu’il nous appartient de glaner et d’interpréter : le dialogue complice avec Pietro où c’est Tommaso lui-même qui traduit la loi de gravitation universelle en signe de Dieu ; la durée certaine entre l’accident et la scène finale suggérée par le nettoyage métaphorique de l’église ; le clin-Dieu vers l’icône du Christ (de fait, les icônes du Christ présentent cette particularité de toujours me précéder : lorsque je croise son regard, je découvre que celui-ci m’enveloppe depuis mon entrée dans l’église, c’est-à-dire depuis toujours) ; l’inclusion de la parole « miracle » (qui, après avoir été récusée au début, est de nouveau prononcée au terme pour la possible guérison de Pietro) ; la coïncidence (anonymat divin) de la chute du fruit qui est détachement et peut-être exaucement d’une prière secrète ; à la suite de cette chute, le sourire baigné de lumière de Tommaso sur cette colline elle-même ensoleillée des Castelli romani, suivi de sa paisible descente du Thabor sur laquelle s’achève le film. Sans oublier le dernier signe, qui n’est pas le moindre : le titre – Si Dieu le veut – peut-être trop prosélyte pour la France, mais dont la suggestive polysémie m’enchante.

 

Qu’il fait du bien de croiser la belle figure de ce moderne Don Camillo (n’est-ce pas la dernière image qui s’impose dans le flot irrépressible de celles qui surgissent à l’annonce déboussolante du sacerdoce d’Andrea ?) ! Qu’il est bon qu’un scénario réussisse à rendre si attachante la figure d’un prêtre séduisant sans être séducteur, juste et bon, aimant Dieu et servant les hommes, sans le rendre luxurieux, infidèle, réactif contre son évêque, progressiste, transgressif, et j’en passe… L’intrigue croit et nous fait croire heureusement que, sans être humain trop humain – c’est-à-dire « compliqué et malade », comme le dit le prophète Jérémie (17,9) –, un homme de Dieu peut être humain, c’est-à-dire bon comme le Père.

Pascal Ide

Tommaso (Marco Giallini), la cinquantaine, chirurgien du cœur reconnu, sort de la salle d’opération en refusant à son assistant de le remplacer pour une prochaine intervention, puis explique à la famille qui le remercie en criant au miracle : « Les miracles n’existent pas. Je suis juste bon », enfin se moque de l’infirmière de bloc, Rosa (Guiseppina Cervizzi), à cause de son surpoids. Il rentre chez lui où son épouse Carla (Laura Morante) boit en cachette, et continue à faire régner la même dictature sur sa fille, Bianca (Ilaria Spada), qu’il méprise, toutefois moins que son gendre, Gianni (Edoardo Pesce), et sur son fils, Andrea (Enrico Oetiker), étudiant en médecine. Le voyant partir tous les soirs avec un ami en scooter, il exprime à Carla un doute sur son orientation gay, ce qu’Andrea semble confirmer lorsqu’il dit qu’il aimerait annoncer quelque chose d’important à toute la famille le lendemain soir. Or, contre toute attente, il apprend qu’il veut devenir prêtre. Consterné, cet athée convaincu qu’est Tommaso le file, avec son gendre, et croit trouver le coupable : un prêtre converti, séduisant et beau parleur, Don Pietro (Alessandro Gassman), qui a lui-même converti Andrea. Quand, par ses relations, Tommaso découvre que Pietro a fait de la prison, il est désormais convaincu que son fils s’est fait laver le cerveau par ce gourou de la pire secte de l’histoire : l’Église catholique. Parviendra-t-il à détourner Andrea du sacerdoce ? Mais, à force de poursuivre le dragon, ne devient-on pas dragon soi-même ?

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