Tout l’argent du monde
Loading...
Pays:
Américain
Année:
27 décembre 2017
Thème (s):
Avarice, Violence
Durée:
2 heures 15 minutes
Directeur:
Ridley Scott
Acteurs:
Christopher Plummer, Mark Wahlberg, Michelle Williams, Charlie Plummer, Romain Duris
Age minimum:
adultes

Tout l’argent du monde (All the Money in the World), biopic et thriller américain de Ridley Scott, 2017. Avec Christopher Plummer, Mark Wahlberg, Michelle Williams, Charlie Plummer, Romain Duris.

Thèmes

Avarice, violence.

La biographie romancée mais soignée de cet épisode final de la vie de John Paul Getty, premier du nom – un hapax dans la filmographie bigarré de Ridley Scott –, peut se lire comme une fable sur l’avarice, en son essence, ses effets et ses contre-figures, sinon son remède. Il va de soi que je parlerai de ce que l’intrigue donne à voir du magnat du pétrole, et non pas à partir d’autres documents, plus fidèles à son histoire – dont je ne connais rien.

 

En son essence spécifique, l’avarice est un amour désordonné de l’argent.

L’avaricieux mesure tout à l’argent, mais ne mesure jamais celui-ci : ce qui ne devrait être qu’un moyen devient le but la plus ultime. Ne dit-on pas de quelqu’un qui est fortuné : « il a les moyens », et non pas : « il a les fins » ? Or, en pleine crise pétrolière, Getty, loin de s’appauvrir, trouve encore comment s’enrichir. Pourtant, à sa belle-fille lui demandant combien il lui faut encore pour estimer être en sécurité et avoir assez, il répond sans vergogne et sans fioriture : « Plus ». Ce « plus » infini ou plutôt indéfini se déploie dans cette tour démesurée qui porte son nom et dont on ne sait même pas le nombre d’étages, ou dans ce premier super-tanker, lui aussi hors-cadre et sigillé à son patronyme, qui lui permettra de pomper, sinon d’assécher les réserves pétrolières entre Koweit et Arabie Saoudite. Par ce comparatif absolu, si je puis dire (le laconisme de la préposition exclut le terme de la comparaison), le Crésus américain révèle ainsi l’infinité cachée qui l’anime.

La première rencontre avec Getty dit tout. L’homme déjà âgé (en 1973, il a 80 ans)apparaît, courbé sur un long ruban de papier qui s’avère être un télégramme lui transmettant les dernières informations sur les cours de la bourse, donc l’état de sa fortune – version moderne de l’homme juché sur son tas d’or et version anticipée de l’homme connecté à une multitude d’écrans lui communiquant en temps réel les fluctuations de ses finances. Qui plus est, l’homme obnubilé par le devenir instantané de son argent non seulement ne réagit pas à l’annonce du kidnapping de son petit-fils, mais ne semble même pas s’en émouvoir : pas un trait de son visage ne tressaille. Les propos qui vont suivre, devant les caméras elles aussi avides des journalistes, ne feront que mettre en mots ce que le corps a dit sans ambiguïté possible : jamais l’homme le plus riche du monde ne paiera la rançon de celui qu’on a enlevé parce qu’il est son petit-fils.

Ce que la première scène atteste avec une si cruelle évidence ne sera que confirmé et sera même amplifié par la suite. Voire, l’enlèvement, mieux que toute démonstration, dévoile la logique idolâtrique de cette rapacité qui ronge Paul Getty. Celle-ci est une adoration de l’argent au culte duquel tout autre acte est rapporté, tout autre bien sacrifié, toute personne instrumentalisée. Or, John Paul Getty III est, de tous ses petits-enfants, celui qu’il dit le plus aimer – non sans ambivalence, puisqu’il voit en celui qui porte son nom celui qui pourra succéder à la tête de son empire et établir la dynastie Getty dont il rêve, autrement dit, le prolongement de son propre ego cancéreux. Quoi qu’il en soit, un flashback montre la complicité entre le grand-père et son petit-fils préféré. Or, même quand, à cause de sa procrastination et de son indifférence, Paul se fera mutiler, le milliardaire consentira enfin à payer la rançon de 3 millions de dollars, il ne donnera que 2,2 millions parce qu’ils sont déductibles des impôts, et se contentera d’avancer à son fils les 800 000 dollars restants sous forme d’un prêt remboursable à 4% d’intérêts… Ainsi, Getty n’agit jamais que pour conserver ou agrandir son capital.De fait, l’avare se caractérise par trois actes : l’acquisition obsessionnelle, la conservation sourcilleuse, et la rétention excluant toute donation. Et le français possède une riche palette de noms pour exprimer le premier (âpreté au gain, avidité, cupidité, goût du lucre, rapacité, soif de l’or, vénalité, etc.), et le troisième (ladrerie,lésinerie, mesquinerie, parcimonie, pingrerie, radinerie, etc.)où, ultimement, se résorbe le deuxième.

 

On objectera que Paul Getty ne cherche pas tant l’argent que les œuvres d’art, constituant une collection considérable qui deviendra le musée éponyme.L’exécrable auri sacra fames doit-elle céder devant l’honorable boni sacra fames ? À moins que le film, comme la réalité, oblige à élargir la définition de l’avarice à l’appétit démesuré pour les biens matériels.

Mais regardons-y de plus près. Certes, comme tout Harpagon, le seigneur du pétrole dépense une partie de sa « cassette » pour les biens qu’il guigne. Toutefois, il n’hésite pas, là encore, a rabaisser les prix le plus possible (pour les objets d’art dispendieux comme la Madonna con bambino de la Renaissance, autant que pour la statue du Minotaure achetée pour une bouchée de pain à Héraklios). Autrement dit, il mesure tout ultimement à l’argent. Si sa passion ultime et intime était l’art, il serait prêt, sans négocier, à vendre toute sa fortune pour la perle fine. Ainsi, la conservation de sa fortune demeure, chez l’avare en général et Paul Getty en particulier, l’horizon au-delà de tout horizon.

On objectera aussi que Getty, au fond, ne fait que réagir à l’universelle instrumentalisation dont il fait l’objet. Le monde entier, en effet, l’envie (« Tout le monde veut mon argent »), et ce n’est que justice qu’il réponde à celle-ci par le mépris. Que l’on songe à la scène où il fait répondre, par petit-fils interposé, à une des multiples lettres quémandant de l’argent qui lui sont quotidiennement envoyées, que, s’il s’avisait de payer, il serait bientôt « aussi pauvre » que son correspondant…

Certes, comme l’homme de grand pouvoir, l’homme d’immense avoir est privé de la relation gratuite et aimante qui seule peut faire vivre. Mais ne confondons-nous pas la cause et l’effet ? N’est-ce pas parce qu’il a lui le premier tout subordonné à son argent que tous ceux qu’il rencontre le subordonne à cet argent ? Cette universelle et toute-puissance instrumentalisation vaut même pour sa descendance, ainsi que lui-même en fait froidement l’aveu, aveu qui ne vaut surtout pas contrition : « Mon business m’a empêché de m’encombrer mentalement de ma famille ». Autrement dit, je ne pouvais poursuivre deux finalités ultimes de concert ; l’amour de ses petits-enfants et celui du lucre, j’ai choisi. Lors de la première rencontre avec la famille de son fils homonyme dans un luxueux hôtel londonien, avant même qu’il ne voie Paul Getty, le spectateur entend sa voix; or, celle-ci ne fait que réagir à un mot inapproprié concernant l’argent prononcé par l’un des enfants : « inestimable » employé à la place de « précieux ». Symboliquement, le réalisateur nous donne à voir ou plutôt à entendre l’équation qui résume la logique de l’avarice la plus radicale : homme = parole = contenu de la parole = argent.De fait, le seul moment où l’on voit Paul Getty se battre, déployer de l’énergie, est la scène où il vient non pas racheter son petit-fils aux mafieux qui l’ont enlevé (nous y avons presque cru), mais acheter – en fait, presque dérober – le tableau de la Renaissance.

Enfin, on se demandera si cette compulsion sans compassion n’est pas plus pathologique que pécheresse. N’avons-nous pas plutôt affaire (!) à une personnalité narcissique (pour le détail, je renvoie aux fiches des films suivants : ) ? En posant la question, nous substituons le registre éthique au registre au moins partiellement psychiatrique, et nous cessons d’accuser pour, là encore au moins partiellement, excuser.Et même si nous maintenons – légitimement – une part de responsabilité, nous passons de l’avare à l’égoïsme et donc nous changeons de registre d’imputabilité.

Il est vrai que Getty présente tous les traits composant la personnalité narcissique (à ne pas confondre avec le pervers narcissique, qui est une catégorie psychanalytique). Relevons-en trois, et un quatrième.

  1. Ce profil psychiatrique vit avant toute chose d’une image survalorisée de soi et incriticable. Getty s’imagine que toute personne qui s’adresse à lui, est obnubilé par son argent. Malheureusement, l’expérience confirme que, (presque) toujours, nul n’est indifférent à son immense patrimoine. Or, nous avons vu que l’argyrophile (l’amoureux de l’argent) s’est identifié à celui-ci. Donc, Getty se représente le monde entier fasciné par sa personne-fortune.
  2. L’égocentré pathologique se croit au-dessus de tous (et donc que tout lui est dû, notamment reconnaissance et hommage) et de tout, notamment au-dessus de la loi (qui ne vaut que pour la troupe des autres). Certes, Paul Getty veille attentivement à ne pas la transgresser et, pour cela, s’assure le service assidu des meilleurs avocats. Pour autant, non seulement, il n’a aucun scrupule à accomplir un acte légal mais parfaitement immoral en exigeant que la garde exclusive de son petit-fils se déplace de sa belle-fille à son fils déchu transformé en épave et en marionnette, mais, quand l’infraction demeure impunie, il la pratique sans scrupule (par exemple, en mentant honteusement à son petit fils au sujet du prix de la statuette du minotaure).
  3. La personnalité narcissique est insensible à la souffrance d’autrui. Or, le seul moment où le spectateur verra Paul Getty étreint par l’émotion sera celui de sa mort où le vieil homme erre dans son palais transformé en musée, l’œil humide et hagard, à la recherche du tableau si âprement convoité. Nous y reviendrons.
  4. Pour sourire, ajoutons un dernier signe ou plutôt symptôme. Le narcissique est celui dont on parle tout le temps, dont on parle trop, qu’il soit présent ou qu’il soit absent, qu’on l’admire ou que l’on peine à en digérer les comportements toxiques. Or, comment ne pas remarquer que le projecteur s’est braqué sur lui et que toute notre attention ne cessera, presque jusqu’au bout, d’être focalisée sur Getty… ?

Or, loin de s’opposer à la triste et toxique personnalité narcissique, les trois convoitises dont l’avarice est la deuxième (1 Jn 2,16) en constituent le moteur ou plutôt la secrète incarnation, au point qu’une seule ou deux peuvent suffire à la faire vivre.

 

Saint Grégoire le Grand égrenait les fruits vénéneux de l’avarice : la trahison, la fraude, la fourberie, le parjure, l’inquiétude, la violence et l’endurcissement contre la miséricorde. Présents chez Paul Getty, ils sont autant de confirmation que toute sa vie est satellisée autour de l’argent et sa liberté asservie par lui. En même temps, le film enrichit (sic !) ce tableau classique : le mépris de l’autre (qui, de manière supposée ou réelle, convoite sa fortune), la manipulation (en vue d’extorquer plus d’argent, toujours plus d’argent), la sécheresse du cœur, l’indifférence du mauvais riche à l’égard des Lazare qui se pressent à sa porte, à commencer par le premier d’entre eux, son petit-fils, etc.En décrivant ces effets pervers, le film décrit aussi la nature générique du péché d’avarice qui est un péché capital, c’est-à-dire un péché qui est « tête » (caput, capitis, en latin) d’autres péchés.

Mais le pire effet réside dans l’écrasante solitude du ladre : sans conjoint (John Paul Getty qui a divorcé de multiples fois), sans enfant (présent), sans ami. Une inclusion l’atteste. Nous rencontrons Getty au début, dans son château de Sutton Place, situé en banlieue londonienne où nous suivons les pas précipités, inquiets d’une secrétaire franchissant les couloirs interminables et vides, sauf de peintures recherchées, pour déboucher dans l’immense salon où l’homme d’affaires s’affaire tout seul. Nous le retrouvons au terme, de nouveau esseulé dans son manoir, perdu, étreignant le tableau, en murmurant son besoin éperdu d’amour : « Bel enfant », à côté d’une cheminée où brûle un feu qui, peut-être, évoque le plus effroyable état de solitude que l’esprit créé ait inventé, l’enfer-mement éternel qui attend celui qui, sur terre, n’a voulu vivre que par et pour lui, en s’auto-adorant.

Entre ces deux scènes, une parole et un acte de Paul Getty. Nous l’entendons faire la théorie épouvantable de sa préférence très argumentée des choses contre les personnes : stables, les premières ne déçoivent jamais, au contraire des secondes. Surtout, nous assistons au choc totalement inattendu entre lui et le seul homme qui ait jamais osé lui résister : Fletcher Chace. Celui-ci accepte de faire la seule chose que le vieillard ne puisse imaginer : quitter son service si rémunérateur. S’en suivent deux réactions inattendues. La première est la parole étonnée et sans haine de Getty, qui ne s’offusque pas de ces paroles de détestation. La seconde, encore plus inespérée, est son action : il décide enfin de payer la rançon. Comme si la liberté de l’ex-agent de la CIA libérait en lui, un bref moment, la source du don qui, jamais, en cette vie, n’est tarrie. Sera-t-elle l’oignon qui permettra à Dieu de sauver son enfant Paul Getty ?

 

Enfin, la contre-figure de l’avarice est la générosité, c’est-à-dire le don (parfois risqué) de son argent. Plus précisément, comme la cupidité est le vice qui se caractérise par le défaut de juste usage de l’argent, elle s’oppose à un autre extrême qui est la prodigalité (ou dépense excessive de ses biens). L’éthique, humaine autant que biblique, n’a jamais condamné l’argent, mais en dicte l’usage : ce qui nous enrichit (et cela ne vaut pas que pour les biens matériels) n’a d’autre fin que d’enrichir autrui. La générosité s’exerce dans le juste milieu caractéristique de toute vertu morale.

De prime abord, l’antitype lumineux qui fait ressortir l’ombre où s’enfonce Paul Getty est incarnée par Abigail. Sabelle fille n’hésite pas à s’opposer à lui et fait preuve d’une persévérance exemplaire, allant jusqu’à se déplacer dans le fief du patriarche pour l’obliger à assumer ses responsabilités et ses dénis: si les ravisseurs exigent une somme aussi exorbitante, c’est à cause de ce nom dont lui-même est si fier (« Tu es un Getty », scande-t-il à Paul). Toutefois, Gail est trop réactive pour être libre et vertueuse : sa vie semble épouser en creux celle que son beau-père dessine. Et, quoi qu’elle en ait, elle demeure fascinée par cette fortune aussi proche qu’inaccessible, transformant cette proximité en dû, et bientôt ce dû en rancœur Typique est le double acte final par lequel elle accepte d’hériter de l’entreprise et s’empresse de distribuer les différents biens à des œuvres bénévoles, inversant ainsi le monstrueux montage de son beau-père faisant passer ses biens pour un « trust caritatif familial »… Plus encore, très symbolique est cette ultime image où, perdue dans une forêt de bustes antiques de marbre blanc, elle se trouve soudain confrontée, sans que l’on sache s’il s’agit d’une vision ou d’une hallucination, à une statue noire de son beau-père qui, même décédé, ne cesse de la hanter. La générosité de Gail ne ressemble-t-elle pas à la prodigalité, sinon dans son objet, du moins dans son intention ?

Il faut ranger dans la même catégorie réactive John Paul Getty III qui, dans la scène initiale, apparaît, lui aussi, comme l’anti-grand-père : jeune, évoluant dans une foule animée, voire festive, irresponsable, s’avouant désargenté, etc.Le brillant plan séquence ne passe-t-il pas du noir-et-blanc à la couleur ? Mais les contraires appartiennent au même genre. À deux reprises, Paul s’explique : « Je me débrouille tout seul », évoquant la même solitude abyssale. Le grand-père qui a abandonné son fils (« Mon père n’en avait rien à faire de moi ») fut imité par celui-ci qui n’a pas plus éduqué le sien, c’est-à-dire Paul. Le petit-fils, lui aussi délaissé, s’est enfui et, comme son père, a cherché dans les multiples drogues la fausse solution à ses véritables problèmes.

Fletcher Chace est plus libre, ainsi que nous l’avons dit. Après s’être laissé happer, presque broyer par la machine Getty, cet homme de pouvoir jouissant d’arnaquer et d’instrumentaliser, finit par refuser les odieuses compromissions et tenter de libérer le petit-fils, hors tout goût du lucre, peut-être par amour de Gail, en tout cas par compassion pour l’enfant et sa mère. Mais sa réaction tardive est animée par une colère farouche et méprisante, à la limite de la haine destructrice. Plus encore, il avoue quel est son aiguillon qui est son modèle : Cinquanta…

De fait, l’improbable figure de ce kidnappeur calabrien est le héros inattendu de ce film – héros de film américain qui est pour une fois joué par un Français… Son nom dérisoire sonne lui-même comme le contre-type par excellence de Getty riche à milliards : Cinquanta, « cinquante » en italien… En effet, comme Chace le formule, et comme Cinquanta lui-même lui a dit, de tous les protagonistes, il est le seul à donner : donner sans compter, donner sans attendre de retour sur investissement, donner jusqu’à risquer sa vie. Si, une première fois, le ravisseur laisse passivement Paul s’enfuir et si, une deuxième fois, il participe activement à son évasion, c’est parce qu’il est ému de compassion pour ses injustes souffrances. De fait, il sera le seul de cette inquiétante galerie de portraits à s’émouvoir. Lorsqu’il détournera les yeux lors de l’ignoble charcutage du médecin véreux s’acharnant sur l’oreille de Paul, ce ne sera pas seulement par dégoût, mais par tristesse révoltée. Et si, en revanche, il ne sauve pas Paul jusqu’à dénoncer ses complices, ce n’est point par lâcheté ou compromission, mais par fidélité à un code d’honneur. Cinquanta est pris en tenaille dans ce que le psychiatre hongrois Ivan Boszormenyi-Nagy appelle un conflit de loyautés. Ainsi, c’est au plus près de la victime et de son bourreau que nous trouvons la figure généreuse par excellence, celle qui sauve de l’universelle convoitise.

 

Ce film dérangeant nous offre une excellente et presque complète leçon de philosophie (ou de théologie) morale sur ce vice effroyable qu’est l’avarice. donne à voir l’idée platonicienne même du cupide. Ce que le scénario d’une fiction aurait cherché à démontrer en ébauchant une justification par exemple biographique, le biopic n’a ici qu’à le montrer dans sa vérité crue et cruelle. Mieux qu’Harpagon, Eugénie Grandet ou Scrooge, Paul Getty incarne ce que l’Écriture dit : « L’amour de l’argent est la racine de toutes sortes de maux » (1 Tm 6,10), et ce que le Christ dénonce comme une des idolâtries les plus graves et les plus tentantes : « Vous ne pouvez servir Dieu et Mammon », c’est-à-dire l’argent (Mt 6, 24 ; Lc 16, 13).

Dans la première lecture de la liturgie du jour (30 décembre 2017), en un texte ci-dessus évoqué, saint Jean appelle de manière imagée l’avarice, « concupiscence des yeux » (1 Jn 2,16). Dans ce grand corps malade, dans ce visage ravagé qui est filmé sans complaisance au plus près (admirable travail d’acteur de Christopher Plummer dont a souligné à juste titre l’heureux remplacement), un seul organe vit encore, le regard qui scrute inlassablement les choses et les personnes pour mieux les asservir à son ambition d’amasser qui n’est que folie (cf. Lc 12,20). Avant que ces mêmes yeux ne puissent plus que chercher, tout angoissé, le regard de la Madonne à l’enfant. Cet homme infiniment riche en biens extérieurs va-t-il enfin prendre conscience de son infinie pauvreté dans le seul bien qui sauve, l’amour ?

Si, bien des fois, le spectateur a senti monter en lui une juste colère, il est alors peut-être saisi de compassion. Tout bonheur a déserté ce visage qui ne sait plus sourire, comme toute présence a déserté son entourage et toute vie va déserter son corps. Plus encore, comment ne pas être inquiet pour le salut de cet homme transi par un vide abyssal qu’il a cru pouvoir combler par cet argent qui l’a toujours plus laissé exsangue. En cette octave de Noël (qui est encore Noël) où le Sauveur, de riche qu’il était, est devenu pauvre parmi les pauvres, en vue de nous enrichir de sa pauvreté (2 Co 8,9), comment ne ressentirions-nous pas compassion et espérance ?

Pascal Ide

Rome 1973. Un tout jeune homme, qui s’avèrera être John Paul Getty III (Charlie Plummer), déambule, seul, sur la place Navonne, puis s’approche de prostituées, avant d’être kidnappé par des malfaiteurs. Sa mère,Gail Harris (Michelle Williams), divorcée de John Paul Getty II (Andrew Buchan), annonce par téléphone à son richissime grand-père, le multimilliardaire J. Paul Getty (Christopher Plummer), que son petit-fils a été enlevé et que les ravisseurs demandent la rançon exorbitante de 17 millions de dollars. Aussitôt, lors d’une déclaration publique aux journalistes de la télévision, l’homme le plus riche non seulement du monde, mais de l’histoire du monde,affirme sa ferme résolution de ne pas payer : quel adolescent vaut une telle somme ? ses quatorze autres descendants ne subiraient-ils pas alors le même sort ?

À celui qui serait tenté de croire à la vraisemblance de l’autojustification du milliardaire, le film anticipe la réponse par la voix de Gail : 17 millions de dollars corresponde à ses bénéfices d’un jour… La mère de Paul décide alors de faire appel aux services d’un ancien agent de la CIA, Fletcher Chace (Mark Wahlberg), pour tenter de sauver son fils en réunissant la somme demandée par les malfrats. Mais, sans le sou, le pourra-t-elle dans des délais raisonnables ? Surtout, devant l’interminable procrastination du grand-père, après plusieurs mois d’attente, les italiens ne vont-ils pas perdre patience et passer à un chantage autrement plus violent ? À moins que l’un d’eux, Cinquanta (Romain Duris), n’en vienne à se prendre de pitié pour l’innocente victime de la double attitude des rançonneurs du rançonné, dont on ne sait dire laquelle est la plus odieuse. Mais que peut-il face à la famille si soudée de ses complices?

[/vc_c

Les commentaires sont fermés.