The Operative
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Pays:
israélo-américano-germano-français
Thème (s):
Amour, Conscience morale, Féminin et masculin
Date de sortie:
24 juillet 2019
Durée:
1 heures 56 minutes
Évaluation:
***
Directeur:
Yuval Adler
Acteurs:
Diane Kruger, Martin Freeman, Cas Anvar
Age minimum:
Adolescents et adultes

The Operative, thriller israélo-américano-germano-français d’Yuval Adler, 2019. Adapté du roman de Yiftach Reicher Atir, The English Teacher, 2013 (non traduit en français). Avec Diane Kruger, Martin Freeman, Cas Anvar.

Thèmes

Féminin et masculin, conscience morale, amour.

Prenant et subtil, The Operative donne à voir du dehors et plus encore à ressentir du dedans ce qu’est le profil et, plus encore, le cheminement d’une femme espionne.

 

Une James Bond au féminin, qu’est-ce ? Soit une wonderwoman qui s’approprie sans vergogne tous les pouvoirs masculins. C’est le spectacle que, depuis deux décennies, nous offrent le cinéma (de Lara Croft à Zero Dark Thirty) ou les séries télévisées (d’Alias à Nikita). La conséquence criticable autant qu’imparable est que l’homme-espion doit désormais s’excuser en devenant vulnérable sans se déviriliser (de James Bond, mode Daniel Craig, qui sue, souffre et pleure, à Jason Bourne, en passant par Ethan Hunt). Soit, à l’extrême opposé, une femme qui est tellement fragile qu’elle en devient un cas psychiatrique (Carrie Mathison dans l’excellente série Homeland).

Entre les deux, The Operative tente de trouver une via media, tout en opinant vers le pôle féminin. De fait, le cinéaste, qui signe un deuxième film aussi désidéalisant que Bethléem (2014), excelle beaucoup plus dans les scènes intimes (qu’il s’agisse des face à face de l’héroïne avec autrui ou avec elle-même) que dans les scènes d’action (l’héroïne, peu physique, y apparaît plus passive qu’active).

 

Cette féminisation ajustée se traduit, sans surprise, dans la prise en compte de l’épaisseur psychologique, voire psycho-sociologique de Rachel. Elle est décrite avec un grand souci du détail et de la personnalité de ses protagonistes, par le roman-source de Yiftach Reicher Atir. Ex-agent du Mossad devenu écrivain, il s’est si réalistement inspiré de son expérience que sa présentation aussi concrète que peu amène de l’espionnage israélien a valu à son roman d’être censuré sur sa terre natale.

L’héroïne fait entrer dans la tête et les entrailles de la vie d’espionne en immersion dans un pays ennemi, lorsqu’elle avoue à Thomas : « Je n’ai pas dormi de la nuit. Je m’imaginais que tous savaient qui je suis et qu’ils me pendaient ». Et elle dit sa vertu, en l’occurrence le courage tout aussi constant, quand elle ajoute : « Mais je suis une femme venue enseigner et j’ai décidé de ne plus avoir peur ». Elle révèle aussi la culpabilité (trompant en permanence son entourage, elle ne se sent jamais légitime) et le besoin de sécurité (« Je me sens enveloppée », dit-elle de ce monde iranien qui lui est pourtant étranger) qui tissent son quotidien. Encore plus que le verbal, le non verbal du visage filmé au plus près exprime cet intense vécu émotionnel. Il offre enfin à Diane Kruger un rôle à la hauteur de son talent, exploitant à fond le potentiel de cette actrice polyglotte et pluriculturelle, pudique sans être inhibée, introvertie tout en étant émotive.

L’histoire dit l’être. Les flash-backs permettent d’écrire la trajectoire aussi singulière qu’universelle de Rachel. Hier sans racine (elle est non seulement orpheline, mais nomade : née en Afrique du Sud, elle émigre à Vancouver) mais non sans résilience, elle est aujourd’hui sans attache affective (familiale, conjugale et même amicale) et pour demain sans raison de vivre, alors qu’elle n’est pas sans compétence. En lui permettant de servir son pays jusqu’à, le cas échéant, donner sa vie pour lui, la profession-vocation d’espion lui offre soudain un sens qui coagule les trois extases du temps, passé, présent et avenir.

 

De manière beaucoup plus inédite et radicale, le féminin rentre surtout par la grande porte de l’éthique. Rachel veut briser avec ce monde qui la brise. Disons plus, cette institution ne cesse de transgresser sans état d’âme tous les commandements de la deuxième table du Décalogue : mensonge, d’hypocrisie, de vol, de trahison, voire de fornication, qu’est le monde de l’espionnage. Cela, au nom d’un unique principe supérieur : « Nous sommes en guerre ». Absolutisé et donc idolâtré, ce principe cynique qui est une relecture partiellement falsifiée de la réalité géopolitique, justifie tous les machiavélismes et assassine sa conscience morale. Plus profondément que son clivage psychologique ou que ses multiples passeports, Rachel se sent coupée dans son identité.

Mais, ce qui fait basculer Rachel – qui d’abord disparaît, puis réapparaît pour déclarer qu’elle veut décrocher, au sens fort de dé-missionner –, est une prise de conscience encore plus abyssale qui touche le noyau de son cœur : tout, dans cette profession, est utilitariste. Même la relation la plus gratuite se transforme, tôt ou tard, en captation intéressée. Et, entre usus et abusus, il y a un pas qui est constamment franchi.

Or, là encore, c’est de ses entrailles, de sa matrice, de femme que jaillit le cri de survie : « Vous avez oublié que je suis une femme ». Il est hautement significatif que la crise ne soit pas déclenchée par le sentiment amoureux qu’elle éprouve pour Farhad, mais par la soudaine conscience qu’elle attend un enfant de lui. Si Rachel consent à être elle-même instrumentalisée, utilisée et objectivée, elle ne supporte plus de faire subir cette déshumanisation à l’autre qui en est innocent.

Pour sceller concrètement ce refus de perdre son âme, elle accomplit le contraire même de ce qui lui a été enseigné et qui, de ce fait, est inconcevable à ses supérieurs : aider celui qu’elle était sensée manipuler. Or, « la charité est serviable » (1 Co 13,4), c’est-à-dire rend service, telle Marie qui se rend en toute hâte pour aider sa vieille cousine Élisabeth (cf. Lc 1,39-56). Ainsi, le premier choix vraiment libre (« Je crois n’avoir jamais pris de décision qui soit mienne ») de Rachel est aussi son premier acte de totale générosité : aimer, c’est non pas d’abord ressentir un puissant élan, mais vouloir le bien de l’autre, parfois jusqu’à la perte de son bien propre. En confirmation et par contagion, l’homme du Mossad dont l’anima est le plus développé, Thomas, risque à son tour sa propre vie pour la protéger, et lui permet ainsi de s’enfuir.

 

Par une étrange coïncidence, deux films d’espionnage actuellement sur les écrans, Anna et The Operative, mettent en scène des héroïnes non seulement homonymes (Rachel est un pseudo cachant le prénom baptismal d’Anne, ainsi qu’il nous est révélé au terme), mais confrontées à un triangle amoureux qui les conduit à choisir non pas entre les deux hommes qui l’aiment et qu’elle aime, mais entre la vie et la mort. Cependant, ici s’arrête la comparaison. Trop servilement fidèle aux catégories individualistes de notre temps, la matriochka toute puissante de Luc Besson abandonne autrui parce qu’elle fuit son vide encore plus que cet autrui. En regard, Rachel-Anne, l’héroïne toute vulnérable, abandonne son confort et peut-être sa vie parce qu’elle a appris que le sens béatifiant de la vie consiste à se donner.

Pascal Ide

À la fin des années 2000, le monde en général et Israël en particulier craignent que l’Iran ne se dote de l’arme atomique. Rachel (Diane Kruger), ex-agente du Mossad, est infiltrée à Téhéran comme professeur d’anglais, pour s’approcher de Farhad (Cas Anvar). Mais elle disparaît sans laisser de trace. Thomas (Martin Freeman), son référent de mission, est contacté pour la retrouver. On comprend vite que son estime est plus que professionnelle. Mais l’ultimatum de ses supérieurs du service de renseignements israélien est clair : si Rachel ne revient sous le contrôle de l’organisation, elle devra être éliminée.

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