Star Wars Les derniers Jedi
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Thème (s):
Bien, Courage, Espérance, Mal
Date de sortie:
13 décembre
Durée:
2 heures 32 minutes
Directeur:
Rian Johnson
Acteurs:
Daisy Ridley, John Boyega, Oscar Isaac
Age minimum:
tout public

 

 

Star Wars, épisode VIII. Les Derniers Jedi (Star Wars: Episode VIII – The Last Jedi), film américain de science-fiction de Rian Johnson, 2017. Avec Daisy Ridley, John Boyega, Oscar Isaac, Adam Driver, Mark Hamill et Carrie Fisher.

Thèmes

Espérance, combat spirituel.

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Si, avec un humour bienvenu (« C63PO, ne fais pas cette tête ! »), le réalisateur Rian Johnson a su se jouer des objections faites à l’épisode précédent (par exemple : comment une non-initiée à la Force peut-elle vaincre un Jedi de haut niveau comme Kylo Ren ?) et les rejouer, il n’est pas tombé dans le pièce symétrique de l’auto-dérision (qui guette les DC-Comics, comme le dernier Thor). En se refusant à la réactivité – en termes plus psychanalytiques, à tuer le père (sic !) –, il gagne en créativité. Et en profondeur. En effet, en se centrant davantage sur le sous-genre du film qu’est le space opera (plus que le film d’extra-terrestres) et en se refusant à multiplier les combats singuliers au sabre-laser (il n’y en a au fond qu’un seul : celui contre la garde rouge de Snoke), le cinéaste qui est aussi scénariste, a contenu et intériorisé le combat, retrouvant la veine des épisodes 3 et 6 de la franchise, c’est-à-dire le meilleur d’une Guerre des étoiles qui devient ainsi la métaphore du combat spirituel.

Or, en son cœur, tout combat spirituel est un combat pour l’espérance et une lutte contre le désespoir. De fait, le film donne à voir l’espérance, en sa nature, sa mise en œuvre, son fruit, ses médiations et ses antitypes.

 

Écartons auparavant une objection. Loin de nuire à l’action, ce limpide recentrement sur le cœur du film – le combat spirituel – l’acutise et le dramatise. Un indice subjectif : bien que le plus long de toute la saga, ce huitième opus non seulement ne suscite jamais l’ennui (sauf peut-être l’approche finale des speeders contre les marcheurs TB-TT et le canon-bélier de Kylo Ren et de Hux), mais il renouvelle constamment l’attention au point que la longue durée n’est jamais ressentie. Deux indices objectifs qui sont autant de témoignages de la remarquable construction de l’intrigue. Primo, le montage emploie à la perfection la stratégie du tissage qui, par exemple au début, entrelace le brin très mouvementé de la poursuite haletante aux multiples rebondissements, des vaisseaux de la Rébellion par les troupes du Premier Ordre, avec le brin plus contemplatif de la rencontre entre Rey et Luke. Plus tard, non sans un clin d’œil vers le centre dramatique du Retour du Jedi, le scénario maximisera le suspense en faisant converger synchroniquement une triple situation dramatique sans issue apparente : la vice-amirale Holdo ne peut que mourir, seule dans le vaisseau rebelle face à la flotte ennemie surarmée dont elle attire l’attention ; non seulement Rose Tico (Kelly Marie Tran) et Finn sont pris dans une embuscade et conduits jusqu’à l’impitoyable Hux, mais ils sont trahis sans état d’âme par leur codétenu, DJ (Benicio del Toro) ; Rey qui a atterri sur le vaisseau amiral ennemi, est faite prisonnière de Kylo Ren et (pire encore ?) de Snoke. Secundo, avec beaucoup d’astuce, le film déroute toutes les attentes trop convenues (par exemple, la longue initiation avec ses passages obligés alternant morceaux de bravoure et leçons un rien sentencieuses). La salutation rituelle (« Que la Force soit avec vous ! ») est chambrée dans un échange savoureux entre la générale Organa et la vice-amirale Amilyn Holdo (Laura Dern). Voire, le scénario retourne paradoxalement la problématique du même et de l’autre qui avait monopolisé les critiques du septième opus (les divisant en partisans et pourfendeurs de la continuité). En effet, alors que tous les épisodes se succèdent à quelques années d’intervalle, ce film fait immédiatement suite au Le réveil de la Force, jusque dans le geste : le mouvement par lequel Rey tend le sabre-laser à Luke sur lequel se termine le septième épisode, se poursuit et s’achève dans le huitième par celui de Skywalker s’en saisissant. Jamais deux films successifs n’avaient proposé une suture aussi patente. Ainsi, l’intrigue transgresse la règle du saut dans l’hyper-temps (!) qui réglait la suite des épisodes et propose un maximum de continuité qui conduit au maximum de nouveauté.

 

Ce que recherchent les Rebelles, c’est non pas la Force, mais l’espoir, plus, l’espérance – ou plutôt la Force par excellence qu’est l’espérance. Tel est le double sens de la première scène d’initiation qui apparaît d’abord comme une pochade (la Force est une puissance télépathique qui permet de lire dans la pensée d’autrui et télékinétique qui permet de faire léviter les objets) et qui finalement nous révèle ce qu’est l’espérance : parce qu’elle invite Rey à se tourner non seulement vers l’intérieur, mais aussi vers une vision de l’avenir. En effet, en son essence, le sentiment d’espoir oriente vers un bien (1) difficile à atteindre en s’appuyant sur une aide à la mesure de cette fin (3). C’est ainsi que la vertu théologale d’espérance est la vertu qui attend Dieu (comme terme singulièrement ardu, voire de soi inaccessible) de Dieu même (comme chemin vers ce terme). Faisons l’hypothèse (qui serait à développer en éthique) que, se fondant aussi sur la passion d’espoir, existe une vertu humaine portant analogiquement sur un bien dépassant sinon nos désirs, du moins nos capacités immédiates : une telle vertu participerait de la prudence, tout en en transgressant la mesure – comme certaines vertus annexes à la justice, par exemple la piété, en font partie tout en défaillant quant à la condition qu’est la mesure.

  1. Le but est d’abord clairement identifié : en plein, rétablir la République ; en négatif, écarter la tyrannie dont le représentant est le Premier Ordre. Telle est l’intention affichée par Leia et la raison pour laquelle elle condamne Poe qui s’est focalisé sur le négatif (frapper l’ennemi, même avec héroïsme) et a oublié la finalité bonne (la sauvegarde du vivre ensemble, ce qui requiert la présence de personnes vivantes et non la multiplication des héros morts). Telle est aussi la fin visée par Rey partie chercher Luke : « La galaxie a besoin d’une légende ». Toutefois celle-ci est habitée par un questionnement plus profond : « J’ai besoin que quelqu’un explique ma place » dans cette galaxie, autrement dit ma mission. Plus intime, cette interrogation est plus secrète, donc plus malaisée à nommer. Elle relève par conséquent de cette humaine vertu d’espoir évoquée à l’instant.

C’est ce que révèle une belle scène du film, dans un lieu propice (une grotte, symbole général de l’origine et particulier de l’origine des Jedi par la présence des livres fondateurs), à un moment opportun (Rey ne pourra permettre à Luke de rejoindre son appel premier, refoulé par son catastrophique échec éducatif, que si elle-même adopte une position basse et descend kénotiquement en elle-même) et par un dialogue très juste. En effet, Skywalker pose, voire répète partiellement, trois questions tournant autour de l’identité (« Qui es-tu ? », « Pourquoi toi ? » « D’où viens-tu ? »). Or, l’expérience le confirme, l’itération d’une interrogation fondamentale permet à l’interpellé de passer de la réponse la plus automatique et la plus attendue à la réponse la plus fontale et la plus surprenante, pour l’interrogé lui-même. Ainsi, Rey permet à Luke de descendre en son intimité et se dévoiler, à lui autant et plus qu’à elle. Mais cette recherche du « moi » ne concède-t-elle pas trop au narcissisme ambiant ? Ne risque-t-elle donc pas de retarder, voire de contrarier la quête désintéressée du Jedi ? Ce serait oublier, redisons-le, que, pour Rey, comme pour Luke, l’identité s’égalise (au moins tendanciellement) à sa mission.

  1. Par ailleurs, l’espoir se différencie du désir en ce qu’il ajoute cette note de combat caractéristique de l’irascible : le bien est ardu parce que sa conquête est parsemée d’obstacles. Les empêchements apposés au rude cheminement vers le but ne cessent de se multiplier, voire de croître en difficulté. Dès la première scène, nous voyons la faible armée des rebelles affrontée à l’impressionnante armada de celle qui s’appelle orgueilleusement, mais aussi vraiment, « Première Force ». Puis, la suite de l’histoire montrera, malgré de courageuses, mais dérisoires victoires, la diminution progressive des troupes et la restriction toujours plus angoissante des ressources de la Rébellion. Enfin, au terme, non seulement les quelques navettes épargnées réfugiées dans l’ancienne base de la Rébellion où les attendent deux douzaines de speeders réduits à l’état d’antiquités sont décimées une à une, mais, après son combat contre Kylo-Ren, l’ultime Jedi, Luke, s’éteint d’épuisement. Les pertes sont tellement étendues que tout espoir semble impossible. L’espérance doit être maximale non point d’abord parce que l’ennemi est surpuissant, mais parce que la menace s’attaque à cette espérance même. En effet, le maléfique, voire diabolique Snoke a très bien compris que l’arme première des rebelles ne réside pas dans la toute-puissance de quelques Jedi, mais dans l’espoir qui peut faire se lever des colonies entières jusqu’au confin du cosmos. Aussi concentre-t-il toute son énergie à corrompre les âmes avant d’assassiner les corps. Pire encore (est-ce possible ?), il veut retourner du dedans ceux qui œuvrent pour le bien afin de les asservir à son propre projet. Et lorsqu’il comprendra qu’il ne peut désespérer Rey, donc la convertir à sa cause, le Suprême Leader n’aura plus qu’un dessein, l’assassiner : « Tu gardes un peu d’espoir. C’est pour cela qu’il faut que tu meures ».

Ce qui est vécu globalement dans la lutte entre la Rébellion et le Premier Ordre, Rey le vit de manière raccourcie entre elle et elle-même lorsqu’elle décide d’affronter sa part d’ombre en plongeant, dans les deux sens du terme, dans le gouffre d’ombre sur l’île. En ce sens, l’affirmation selon laquelle « il n’y a pas de lumière sans obscurité » peut être interprétée non pas d’une manière naïvement manichéenne qui équipare bien et mal, mais de manière intégrative et ontologiquement juste, comme constitutive de l’essence même de l’espoir qui est surmontement (Aufhebung) du négatif qu’est la difficulté pour atteindre le positif de la fin désirée. « Passerai-je un ravin de ténèbres, je ne crains aucun mal », affirme le psaume de l’espérance par excellence (Ps 23,4). D’ailleurs, la succession de plongée-renaissance, suivie d’initiation-maturation, que l’on retrouve, là encore dans le cinquième épisode, n’évoque-t-elle pas une autre succession, éminemment significative dans l’ordre des deux sacrements dits de l’initiation : baptême et confirmation ?

  1. Enfin, l’espoir pour atteindre ce bien ardu à venir se fonde sur une aide qui, elle aussi, dépasse les ressources ordinaires. Tel est le sens (ou l’un des sens) d’une scène qui trompe nos attentes (sic !). Lorsque Rey vit son épreuve initiatique – qui n’est pas sans rappeler une scène fameuse de L’Empire contre-attaque où Luke est poussé par Maître Yoda à affronter ses plus grandes peurs et sera confronté à Dark Vador et, plus encore, à lui-même –, elle se retrouve face à un verre dépoli et brisé qui, loin de lui révéler l’identité attendue de ses parents, s’avère être un étrange miroir, donc la laisse face à elle-même: « Jamais je ne me suis sentie aussi seule ». Et ce miroir, déjouant lui aussi nos expectatives, lui renvoie son image démultipliée non pas en simultané, mais en léger décalé, précisément en connexion avec l’instant qui la précède (presque) instantanément et celui qui lui succède (presque) instantanément. Autrement dit, elle s’observe elle-même non pas en synchronie dans l’épaisseur de la diachronie. Comment mieux dire que l’identité n’est pas figée, mais historique ? Comment mieux faire comprendre dans une image que le moi se conquiert dans un réflexivité, un moi-même (en termes techniques : une ipséité) ? Comment enfin et surtout mieux révéler que son identité narrative (selon les développements fameux de Paul Ricœur) ne s’éclaire pas dans la solitude, mais se reçoit d’un autre : pour savoir d’où elle vient (et donc où elle va), Rey devra l’entendre d’un témoignage qu’elle devra croire. Mais ne peut exiger la confiance que celui qui est fiable. Or, l’attestation de Kylo Ren selon laquelle ils sont des ferrailleurs qui ont osé vendre leur fille pour une poignée d’argent avant de mourir misérablement et être enterrés dans une fosse commune sur Jakku, donc « des moins que rien » – n’est-elle pas digne de foi ? Cette interrogation justifie à elle seule le neuvième et dernier épisode.

Ainsi, la jeune fille Rey vit de la petite fille espérance non seulement parce qu’elle vient chercher plus grand qu’elle et qu’elle a franchi nombre d’obstacles, mais parce qu’elle a besoin d’autre qu’elle pour accéder à cette fin.

 

Les moyens mis en œuvre confirment que l’enjeu de la guerre des étoiles est bien l’espérance du salut. En effet, si celle-ci vise une fin aussi riche de sens, elle ne peut qu’être pauvre en ressources. Voilà pourquoi l’espérance rime avec confiance. Les deux termes se recouvrent en leur extension, mais ne coïncident pas en leur signification : l’espérance désigne davantage l’oméga (la finalité) et la confiance l’alpha (la cause). Voilà pourquoi, avec saint Thomas qui lui-même se fait l’héritier de son maître saint Augustin, la Tradition latine a corrélé l’espérance à la première béatitude, celle des pauvres (cf. Mt 5,3). L’espoir pauvre n’est pas un pauvre espoir, mais l’espoir au sommet de son accomplissement.

De fait, la leçon – inédite dans toute la saga – que l’esprit de Yoda communique à Luke – « Le malheur et le fardeau des maîtres, c’est l’échec. Il faut transmettre la faiblesse et non pas la Force » – déborde largement le paradoxe du koan zen (et son amentalisme irrecevable) pour énoncer la vérité de l’espérance chrétienne : « C’est lorsque je suis faible que je suis fort » (2 Co 12,10). Ce que cette parole du sage Jedi énonce si clairement, les faits ne cessent de l’enseigner depuis le début, ainsi que nous l’avons vu du point de vue du combat et que nous retrouvons du point de vue de son arme qu’est la pauvreté. C’est en contemplant Rey manier le sabre-laser que Luke consent à être surpris, que Chewbacca se laisse presque émouvoir par les Porgs, que Finn apprend des connaissances techniques de Rose et celle-ci du savoir qu’a celui-là du vaisseau ennemi dont il fut un moment le soldat-serviteur, et donc qu’ils élaborent un plan pour infiltrer et neutraliser le traqueur-hyper-espace du Premier Ordre. Dès la première bataille, le David de la Rébellion s’oppose au Goliath de la Première Force, avec un unique et simple vaisseau que l’ennemi méprise et sous-estime. Certes, cette inégalité nourrit le suspense et nous vaut d’heureuses tensions, suscite l’inventivité et conduit à des retournements inattendus. Mais sa logique ultime est autre : elle est celle du vase vide qui attend d’être rempli.

 

L’espérance trouve son achèvement non point en elle-même, mais dans la charité. De même, la vertu humaine d’espoir s’accomplit en amour-don. De fait, nombreux sont les actes héroïques par lesquels les différents rebelles risquent leur vie pour le bien commun. Et deux dons de soi, conscients et intentionnels, sont même soulignés dans la première (le sacrifice de la sœur de Rose) et dans l’ultime bataille (celui de Luke). D’ailleurs, leur fécondité ne tarde pas à se manifester dans le cadre de la bataille, et jusque dans celui, plus large, de la contagion généreuse que ce don suscite chez Rose. Enfin, que ces sacrifices ne sont pas de secrètes haines de soi, c’est ce que révèle la même ingénieur, lorsqu’elle se refuse au sacrifice de Finn qui se prépare à crasher son speeder dans le canon-bélier en le percutant latéralement : « Je t’aime, lui révèle-t-elle alors. On ne gagnera pas en s’acharnant contre ceux qu’on déteste, mais en sauvant ceux qu’on aime ».

Cette oblation jusqu’à l’ablation est confirmée par son contraire : les ennemis composant le Premier Ordre apparaissent toujours soit esseulés, soit prisonniers dans des relations de domination, soit détruits dans des luttes incessantes. La fin du film oppose de manière paradigmatique les multiples retrouvailles et amitiés du côté des rebelles à la solitude désertique de Kylo Ren qui ne règne qu’en faisant le vide autour de lui.

Observons en passant que, de même que l’espérance fructifie en amour, de même elle s’enracine dans la foi. Et celle-ci est « obéissance » (Rm 1,5) et se caractérise par l’écoute de la Parole (cf. Rm 10,17), écoute qui, étymologiquement, renvoie aussi à l’obéissance (ob-audire). Or, le thème de l’obéissance est omniprésent, en plein chez les héros de la Rébellion – c’est parce qu’il décide d’obéir à Yoda que Luke sort de lui et de sa létale acédie – et en creux, chez les ennemis, de manière constante – la désobéissance  devient une triste règle de vie –, comme chez les Rebelles, de manière ponctuelle – Poe est justement sanctionnée pour transgression et Finn qui suit son contre-exemple dans l’assaut final, en vient à risquer inutilement sa vie. D’ailleurs, l’obéissance, qui paraît stérile sur le court terme, s’avère fructueuse sur le long terme : l’obéissance de la générale Organa en incapacité, qui consent à ce que la vice-amirale Holdo prenne le commandement du vaisseau prépare sans le savoir le choix qui sauvera la Rébellion, lorsque la même Holdo s’immolera ; l’obéissance de Rose qui interdit à Finn de fuir prépare là aussi de manière insue le plan qui neutralisera le traqueur.

 

Ces contre-figures de l’amour que sont la tyrannie et la haine ne sont elles-mêmes que le fruit vénéneux de l’antitype de l’espérance. En fait, double est cette contre-figure.

La désespérance qu’est l’espérance par défaut est bien entendu incarnée par Luke. Elle porte un nom : l’acédie ; elle se traduit par une tristesse accablée et la fausse certitude très argumentée que toute issue est inaccessible, voire imméritée. La réclusion sur l’île de la planète-océan, elle-même située aux confins de l’univers, symbolise l’exclusion intérieure par laquelle le dernier Jedi s’est isolé dans un océan d’amertume (« île » ne se dit-il pas isola en latin ?). La cause est soulignée à plus d’une reprise : la culpabilité d’avoir échoué dans l’éducation de son neveu, doublée d’un fatalisme écrasant lié à la conviction que la ligne Skywalker engendre tôt ou tard un Darth Vador.

La possibilité d’un retournement spirituel appartient au secret de l’âme et relève de la profondeur infinie de la liberté, donc résiste à toute explication nécessitante et, ce qui en est l’effet autant que le signe, à toute prévision (ce que Snoke, dans son orgueil incommensurable a oublié). Le scénario se contente donc de suggérer quelques causes dispositives. Autant que la désespérance et plus qu’elle, l’espérance est contagieuse ; or, c’est celle-ci qui anime la détermination de Rey. De plus, comment Luke ne s’identifierait-il pas à ce miroir que lui tend la rebelle avec qui, dans sa jeunesse, il partageait tant de points communs ? Le soulignent non seulement le thème de Luke (inépuisable Williams !), mais celui de Rey avec lequel certaines analyses musicales ont montré les harmoniques. Enfin, toute culpabilité n’est pas pathologique : mesurée et ajustée, elle s’identifie à la contrition et conduit à la réparation. N’est-ce pas ainsi qu’il faut interpréter l’affrontement final entre Luke et Ben Solo ? Déjà, pour pouvoir ainsi envoyer à distance son image, et plus qu’elle, à savoir sa propre énergie, le Jedi a dû de nouveau domestiquer la Force et donc se réconcilier avec elle. D’ailleurs, que Luke meurt non de mort violente, mais d’épuisement caractérise un don de soi consenti du plus profond de son cœur. Enfin, tout dit la pacification finale du dernier Jedi, c’est-à-dire le retour en son sein : le serein éveil de sa transe, l’ultime regard vers le ciel embrasé ; les soleils jumeaux qui symbolisent sa double origine autant qu’ils renvoient à sa planète de naissance, Tatooine ; son visage illuminé de bonheur ; la synchronisation de sa disparition avec sa sœur jumelle et, mystérieux, mais riche de sens, avec Rey.

 

Autant la désespérance pèche par défaut, autant la présomption pèche par excès. Cette démesure de la confiance en soi est représentée par la figure la plus complexe et la plus dramatique de la troisième Trilogie : Ben Solo, alias Kylo Ren. Osons le dire, le choix d’Adam Driver laisse au minimum dubitatif, au maximum rétif. Le spectateur rêve, consciemment ou non, de deux figures, d’ailleurs proposées par les autres épisodes : il oscille entre la laideur inquiétante (comme celle du seigneur Sith du deuxième épisode ou de l’empereur du sixième) et la beauté du diable (celle du jeune Anakin Skywalker). Mais il peine avec cette physionomie disgracieuse que l’on est tenté de décrire avec des « trop », et dont on ne sait s’il est encore un adolescent boudeur ou déjà un pervers torturé.

Et si c’était justement dans cette ambivalence que résidait l’intérêt et l’attrait du casting ? Le scénario a multiplié les méchants sans origine au point qu’ils semblaient l’être par nature (la plus effrayante illustration en est le conseiller Palpatine qui se révèlera être Dark Sidious lui-même) et, dans l’autre sens, a déployé l’itinéraire d’un des pires méchants par liberté qui soit, Dark Vador, sur pas moins de six épisodes et en trois temps : apparition bonne (épisodes 1 et 2) ; chute (épisode 3) et confirmation (épisodes 4 et 5) ; rédemption (épisode 6). Mais l’ordre des opus (quoi qu’on y fasse, quoi que veuille Lukas, il faudra toujours suivre l’ordre chronologique non pas de l’histoire, du 1 au 6, mais celui de sa composition, c’est-à-dire du 4 au 6, puis du 1 au 3) efface cette ambivalence initiale, de sorte qu’un mal qui est véritablement engendré par le libre arbitre (les multiples bifurcations qui sont admirablement décrites par La revanche des Sith), apparaît au spectateur qui sait la suite (le passage du côté obscur) comme un mal fléché, prédéterminé, bref, comme un mal volontaire retourné en mal involontaire.

Sans préjuger de ce que sera le dernier opus, il restait donc à décrire un personnage qui soit foncièrement libre et donc ouvert aux contraires, jusque dans son visage, qui soit ce Janus bifrons jusqu’en son double nom, qui soit un être qui vive dans sa chair jusqu’au tourment la parole biblique : « Vois ! Je mets aujourd’hui devant toi ou bien la vie et le bonheur, ou bien la mort et le malheur » (Dt 30,15 ; cf. Ps 1). Tout, dans les deux premiers épisodes de la nouvelle trilogie, dit l’indétermination du héros. Notamment dans ses quatre actes apparemment les plus décisifs pour précipiter son âme vers les ténèbres : s’il tue son père, c’est pour se libérer du poids de la culpabilité externalisée ; s’il assassine la figure paternelle de substitution qu’est Snoke, c’est encore pour couper toute amarre avec cet inexpiable passé ; s’il concentre toute l’énergie disponible pour annihiler l’ultime figure de la source haïe qu’est Luke, il l’entendra lui dire tout fort ce qu’il pense tout bas : « Abats-moi dans un accès de colère, et je te hanterai à jamais comme ton père » ; et si, inversement, il hésite à détruire sa mère, cette suspension n’est que temporaire, ainsi que l’atteste son acharnement à anéantir la base qui, symbolique de la première trilogie, représente à nouveau l’origine.

Or, tout, dans ces choix, témoigne que la bataille intérieure pour la liberté menée par Kylo Ren est un combat de l’espérance, précisément un dilemme pour ou contre l’orgueil présomptueux. En effet, au lieu de se fonder sur autrui, et ultimement sur Dieu, il s’appuie seulement sur ses propres et pourtant trop faibles forces. Or, telle est la problématique du fils de Solo qui ne cesse de se débarrasser enfin de cette encombrante hérédité plurielle – charnelle (son père et sa mère), spirituelle (Snoke et Luke). Le conseil qu’il donne à Rey est d’abord celui qu’il tente de suivre : « Laisse mourir le passé ou tue-le. C’est comme cela que tu deviendras qui tu es vraiment ». Autrement dit, identifiant le don originaire à une dette insolvable et aliénante, Kylo Rend cherche une impossible innascibilité.

Là encore, le contrepoint confirme et éclaire. Rey porte aussi comme un fardeau ce que Luke lui fait remarquer avec grande lucidité : l’orphelinat, qui la conduit à chercher des figures paternelles de substitution, Han Solo et Luke Skywalker (« Ta grande faiblesse est que tu vois ton père partout »). Son travail, symétrique de celui qui l’attire autant qu’elle le repousse, est de s’affranchir de cette dépendance pour naître à une véritable autonomie. Tout au contraire, la conversion de Ben Solo est de refuser l’arrachement pour consentir à l’attachement et, en vue de cela, transformer la dette en don. Dans le refus de ce symbole unifiant réside toute sa diabolique décision. Voilà pourquoi son triple assassinat se concrétise et se concentre dans la brisure du sabre-laser de Luke qui achève le duel de Force entre Ben et Rey.

 

Enfin, l’espérance passe par trois médiations privilégiées qui en sont comme des emblèmes. La première est le jeu des mains. Alors que Star Wars jouait beaucoup plus sur le jeu des visages, notamment à travers les masques, cet épisode s’attarde sur les mains : depuis le premier pseudo-échange entre Rey et Luke (le jet du sabre-laser par dessus l’épaule) qui ferait rire s’il n’incitait à pleurer, jusqu’aux salutations finales, en passant par la main tendue de Ben à Rey (« Suis-moi ») qui est l’équivalent d’un servile agenouillement. Or, autant le visage fait face autant la main crée une interface, condition de la confiance-espérance.

L’espérance se médiatise dans la sollicitude, nouvelle dans la saga, pour les animaux qui, parfois mal différenciables des extra-terrestres intelligents (que l’on songe à Jaba, cette répugnante et sadique limace géante !), n’ont que le choix entre les monstres sanguinaires (par exemple de l’arène dans le deuxième épisode), les bêtes de trait anonymes et, plus original, le modèle pour les machines sophistiquées (comme ces tétrapodes géants que sont les marcheurs TB-TT). Passons, dans ce huitième épisode, les concessions qui visent à plaire aux trois idéologies héritières du marxisme (qui ne sont pas sans défendre de justes idées et promouvoir de justes pratiques) : l’anti-machisme (notre critique du Réveil de la Force avait relevé le remplacement inquiétant des figures masculines par les héroïnes, évolution qui se stabilise ici), l’anti-racisme (qui impose ici la coexistence polychrome, horresco referens, de Finn et de Rose) et l’anti-spécisme (une compassion pour l’animal qui rivalise avec l’empathie humaine). Les bêtes apparaissent à trois reprises comme d’humbles médiateurs de salut : les Porgs, ces petites créatures volatiles aux grands yeux noirs qui servent Luke ; les bêtes blessées des écuries de courses, sur Canto Bight, grâce auxquelles Rose et Finn prennent la fuite, tout en semant un joyeux chaos dans ce repère d’immondes marchands d’armes ; les chiens de cristal qui, familiers de la mine, indiquent une issue aux ultimes résistants.

La troisième médiation est l’enfant. Pauvre, il ne peut qu’espérer la richesse à venir. Or, juste après la dernière réplique qui ouvre sur une parole espérant contre toute espérance : « Comment rebâtir après tout cela ? – Je pense que nous avons l’essentiel », la caméra montre, dans une ultime image, des enfants esclaves de la planète casino Canto Bight, écoutant la légende des Jedi et de la Résistance, zoome sur l’un d’eux qui, portant un insigne de la Résistance, attire à lui un balai sans le toucher de la main, pour s’achever sur son visage en gros plan, ensoleillé de l’aube à venir.

 

Que l’espérance soit au centre de ce nouvel épisode, la fréquence de son emploi suffit à l’attester. Une fois conscientisée, son omniprésence stupéfie. Ainsi, la saga Star Wars tourne notre regard vers les étoiles, c’est-à-dire vers le ciel, pour nous montrer que cette guerre est d’abord spirituelle. Star Wars ne peut-il pas, littéralement se traduire « combat stellaire, donc spirituel », et son premier épisode ne s’intitulait-il pas Un nouvel espoir ?

Pascal Ide

La générale Leia Organa (Carrie Fisher) qui commande les soldats de la Résistance termine l’évacuation de leur base principale, à terre, lorsque les vaisseaux d’une flotte du Premier Ordre dirigée par le général Hux (Domhnall Gleeson) à la tête du navire amiral, surgissent de l’hyper-espace et se placent en orbite, terriblement menaçants. Sans sommation, ils pilonnent la base et la détruisent. Alors, avance vers eux, isolé, un X-wing piloté par Poe Dameron (Oscar Isaac), avec l’aide de BB-8, qui demande une communication avec le cuirassé. En fait, il cherche à gagner du temps pour se rapprocher. Plus près et plus agile, il réussit à neutraliser tous les canons extérieurs du cuirassé. Ainsi la flotte de la résistance, plus faiblement armée, se regroupe. Mais, alors que Leia demande à Poe de se retirer du combat, celui-ci refuse de décrocher. Certes, la flotte ennemie subit de lourdes pertes grâce au sacrifice de l’un des bombardiers rebelles, mais tous sont éliminés par les TIE, sauf Poe qui rejoint de justesse la flotte de la générale s’échappant par un bond dans l’hyper-espace. C’est alors que Finn (John Boyega), ancien soldat du Premier Ordre, se réveille en sursaut de son caisson et s’écrie : « Où est Rey ? ».

Celle-ci (Daisy Ridley), arrivée sur une île très éloignée de l’espace, la planète-océan Ahch-To, avec le Faucon Millenium piloté par Chewbacca (Joonas Suotamo), tend son sabre-laser à Luke Skywalker (Mark Hamill), frère jumeau de Leia, en lui signifiant son double désir : qu’il entre dans les rangs de la Résistance et qu’elle devienne son apprentie. Contre toute attente, le dernier Jedi jette le sabre derrière son épaule. Il lui explique que, depuis l’élimination de l’école Jedi par son apprenti et neveu Ben Solo, devenu Kylo Ren (Adam Driver), l’ordre Jedi est aussi inutile qu’arrogant. Face à l’insistance de Rey, il consent à lui donner trois leçons. Mais Rey et Kylo Ren sont connectés à travers l’espace. Ben dévoile alors qu’il a voulu tuer Luke parce que celui-ci a menacé de le tuer avec un sabre-laser en plein sommeil. À son tour, sommé par Rey, Luke révèle qu’il avait en effet cherché à tuer Ben, mais après avoir découvert la noirceur abyssale de son âme. Toutefois, Rey, après s’être affrontée elle-même à son côté sombre dans une grotte de l’île et n’avoir rencontré qu’elle-même au lieu de ses parents, explique que Kylo, divisé, peut encore être attiré par le côté lumineux de la Force et s’envole de l’île. Luke, à nouveau seul avec les Porgs et les gardiennes des reliques, décide de détruire les livres portant les textes fondateurs de l’Ordre Jedi gardés sur Ahch-To, lorsque l’esprit de Yoda revient pour y mettre lui-même le feu. Il souligne deux points d’importance : une leçon (plus que la Force, le Jedi doit faire l’apprentissage de la faiblesse et de l’échec) et un fait (son apprentie détient déjà le savoir contenu dans ces livres).

Pendant ce temps, Hux rejoint le suprême Leader, Snoke (Andy Serkis) et lui annonce fièrement que, malgré les pertes, il peut pister la flotte de la Résistance. Alors qu’il s’éloigne, Snoke dit à Kylo Ren qui s’avance qu’il manipule l’orgueil prétentieux du général. Mais il humilie Ben en se moquant de son casque ridicule rappelant celui de Vador et surtout en dénonçant sa faiblesse qui le rend incapable d’accepter l’assassinat de son père. De rage, le fils de Han Solo pulvérise son casque.

Rey va-t-elle réussir sa mission face à Kylo Ren, encore si ambivalent ? Comment le vaisseau amiral rebelle qui, à cause de la présomption de Poe (dégradé par Leia de commandant à capitaine), a perdu une grande part de ses soldats et surtout est pisté par un traqueur-hyper-espace du Premier Ordre qui rend vaine toute fuite, pourra-t-il résister, alors que ses réserves de carburant diminuent dramatiquement ? Enfin, Luke, seule figure capable de stimuler l’espoir de la Résistance, pourra-t-il surmonter son échec vis-à-vis de Ben ?

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