Sans un bruit : Jour 1
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Pays:
Américain
Thème (s):
Désespérance
Date de sortie:
26 juin 2024
Durée:
1 heures 39 minutes
Évaluation:
*
Directeur:
Michael Sarnoski
Acteurs:
Lupita Nyong'o, Joseph Quinn, Alex Wolff
Age minimum:
Adolescents et adultes

Sans un bruit : Jour 1 (A Quiet Place: Day One), science-fiction américain de Michael Sarnoski, 2024. Troisième film de la franchise Sans un bruit. Avec Lupita Nyong’o, Alex Wolff, Djimon Hounsou.

Thèmes

Désespérance.

Ce mauvais film (si déjà le deuxième volet de la saga ne l’enrichissait pas, pourquoi en ajouter un troisième qui nous laisse dans une totale expectative ?) n’a qu’un seul intérêt : placer sous un verre grossissant les croyances et les désespérances de notre temps.

 

  1. Passons les facilités que se donne le scénario, multipliant les scènes souterraines ou enfumées, frustrant systématiquement notre désir de voir complètement une créature et profitant de manière indécente du silence imposé pour régulièrement faire sursauter le spectateur par un bruit intempestif.

Longue est la liste des désappointements, d’autant que le titre engendre des attentes. Notamment sur les motifs de l’invasion, l’identité des créatures et les raisons de leur hyperviolence. Aux déceptions se joignent les contradictions. Comment un alien mû par la seule violence destructrice et impulsive bénéficie-t-il d’un développement technique qui requiert une intelligence supérieure ? Si l’œil est le sens député à la très longue distance, comment une entité aveugle peut-elle franchir les silencieux espaces intersidéraux que seuls peuvent parcourir les rayons lumineux ? Comment un organisme très évolué, requerrant donc un mode de reproduction mammifère (tant le perfectionnement est systémique, donc total), peut-il être ovipare ? En quoi les événements mis en scène qui auraient pu se dérouler n’importe quel autre jour sont-ils caractéristiques du jour inaugural notifié par le titre ?

 

  1. Mais venons-en au plus révélateur qui est aussi le plus problématique. Les choix scénaristiques qui sont ceux de la facilité sont aussi ceux des plis ou des pentes de notre monde. En ce sens, ce long-métrage plutôt détestable devient un utile test projectif. Encore faut-il s’interroger sur ce qu’il aurait pu être en creux. Tout tourne autour de l’espérance.
  2. La dystopie révèle d’abord la désespérance majeure de notre humanité. Loin du désir de sauver toute l’humanité qui soulève Robert Neville, l’admirable héros de I am Legend (dystopie américaine de Francis Lawrence, 2007), les protagonistes n’ont ici qu’un seul objectif très court-termiste : préserver leur peau, leur propre peau. Les collapsologues défaitistes ont gagné.
  3. On objectera que, au terme, Sam cherche à sauver la vie d’Eric, jusqu’à mettre la sienne en danger. Avec un courage exemplaire. Mais, d’abord, l’on ne sait pas si sa motivation première n’est pas de protéger Frodon, son chat qui se trouve au centre de la lettre finale sensée nous arracher les larmes des yeux. De fait, l’animal devient un protagoniste à part entière : c’est lui qui, par exemple, sert de médiateur entre les deux personnages principaux. De sorte que le spectateur se convainc que, mesurée à l’intensité de l’attachement ressenti, la valeur du non-humain est équivalente à celle de l’humain.

Ensuite, quelle valeur accordée au don d’une vie sans avenir ? Nous sommes loin de Gran Torino (Clint Eastwood, 2008) où Walt Kowalski qui, lui de même, est rongé par une tumeur incurable, atteste, au terme, le changement profond de son existence en multipliant paisiblement les actes centrés sur autrui. Or, malgré l’acte héroïque par lequel elle détourne l’attention des créatures sur elle, Sam demeure centrée sur sa motivation régressive, manger une dernière pizza chez Patsy’s, qui est la répétition de la fusion archaïque avec le père adoré. Plus encore, en poussant la musique à fond, la jeune fille pose cet acte nihiliste encore plus que suicidaire d’appeler sur elle la violence des aliens. Si le don d’elle-même avait métamorphosé sa vie, elle ne pourrait pas, l’instant d’après, la jeter en pâture à ces monstres.

Assurément, Sam est révoltée et misanthrope par amertume ; elle est dépressive et désespérée de ce cancer au stade terminal qui la fauche en pleine jeunesse. Est-ce une raison pour projeter sa haine sur l’infirmier sans ensuite demander pardon ? La souffrance sous toutes ses formes est devenue aujourd’hui l’excuse imparable à toutes les manifestations victimaires.

  1. On objectera aussi que, à l’instar de Sam, Eric apprend par l’épreuve à sortir de ses peurs démesurées qui, exprimées, mettent en péril le groupe, et donc à s’arracher à son ego. Comme pour la jeune fille, je saluerai cette ébauche de chemin salvateur. Mais j’interrogerai aussi son inscription sur ce fond si pessimiste de dystopie animaliste et de bashing anti-viriliste où l’homme (masculin) est voué soit à la disparition physique (Reuben) soit à la mort symbolique qu’est l’angoisse démesurée (Eric).

Une confirmation de cette anthropophobie réside dans le message en inclusion. La première image introduit d’emblée le diagnostic : « New York, niveau sonore : 90 décibels. Comme un cri permanent ». Et la dernière image propose le remède : « Combien cette ville chante quand on se tait ». Est-ce à dire que ce retour au silence rédempteur justifie la survenue des Aliens ? Faut-il être à ce point désespéré de notre avenir pour que la seule issue à la pollution sonore soit l’extermination de sa cause anthropique ? Si tel est le message du film, assurément, il innove vis-à-vis des précédents. Mais, de récit dystopique, il devient une fable grinçante de notre présent. À moins que, cherchant à « sauver la proposition du prochain », on ne voit dans ces exterminateurs descendus du ciel comme les révélateurs maudits de notre noirceur irrémédiable l’envers de ce que confesse notre Credo : « pour nous et notre salut, il descendit du ciel »…

  1. L’on objectera enfin que, du moins, l’histoire montre une histoire d’aide mutuelle. Loin de nous de le nier. Mais sachons déchiffrer en creux le manque abyssal : cette relation d’aide ne se transforme ni en amitié (les deux protagonistes principaux sont séparés irréversiblement ; Sam finit comme elle a commencé, seule, avec ses rêves et son passé), ni, faut-il le préciser aujourd’hui, en amour. En effet, malgré le corps à corps intime qu’implique la maladie et son remède, la pose du patch, pas la moindre ébauche d’une idylle amoureuse ni même d’un émoi érotique : certes, la dégradation corporelle jointe au stress ambiant anesthésient la libido. Mais surtout, notre époque désabusée ne croit plus au grand amour et sa puissance salvatrice. Elle refuse la grande leçon des grandes romances : de Roméo et Juliette jusqu’à Autant en emporte le vent (Pearl Harbor, etc.), la macro-histoire poignante qui est le contenant potentialise la micro-histoire de la rencontre amoureuse qui est le contenu. Le schéma s’est inversé : dorénavant, c’est la grande histoire dramatique, voire, dans les dystopies, tragique, qui passe au premier plan, de sorte que la petite histoire des relations d’entraide, a fortiori amoureuses, n’est plus qu’un appendice soulignant combien la solidarité est une exception, face à l’égoïsme individualiste qui a conduit à l’effondrement. Bref, à l’espérance de l’amour qui ouvre à l’éternité (« Éternel est son amour ») se substitue la désespérance en une humanité sans avenir.

Pascal Ide

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