Partir, revenir
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Pays:
Français
Thème (s):
musique et cinéma, Pardon, Réincarnation
Date de sortie:
27 mars 1985
Durée:
1 heures 57 minutes
Évaluation:
**
Directeur:
Claude Lelouch
Acteurs:
Annie Girardot, Jean-Louis Trintignant, Michel Piccoli
Age minimum:
Adolescents et adultes

 

 

Partir, revenir, drame français scénarisé et réalisé par Claude Lelouch, 1985. Avec Annie Girardot, Jean-Louis Trintignant, Michel Piccoli, Françoise Fabian, Évelyne Bouix, Richard Anconina.

Thèmes

Réincarnation, pardon, musique et cinéma.

Que nous avons aimé Partir, revenir ! Que nous nous sommes laissés envoûter par le plan-séquence (initial) obsédant et l’opéra exaltant, la caméra tournoyante et les acteurs virevoltants, les récits entrelacés et le temps retourné. Nous avons été grisés par cette hymne à la vie qui sans cesse renaît de l’amour, tel ce château qui inlassablement se relève de sa décrépitude ou de ses cendres, tel ce concerto terminé et pourtant interminable. Et nous savons combien Lelouche fait de ce film total un, voire le passage obligé de son abondante filmographie.

Et pourtant, en le revoyant hier soir, une gêne m’a progressivement envahi.

Je ne parle pas du plaidoyer pro reincarnatione, naïf par son obsession et non-réfutable dans son argumentation (les coups de foudre inexplicables, les coïncidences troublantes, etc.). Je parle de la circularité désespérante – qui n’est peut-être qu’une expression de la conviction migrationniste. Multiples sont les attestations de cette lugubre répétition, depuis le titre Partir, revenir, qui ne fait d’ailleurs que reprendre celui du livre, jusqu’à la temporalité en boucle fermée, en passant par la fin violente de celles (la concierge, Hélène) qui furent d’abord elles-mêmes cause de mort violente. Développons deux exemples parmi d’autres.

La volonté de connaître à tout prix l’identité du délateur, au risque d’accuser à tort et d’entretenir la suspicion paranoïaque, embastille dans le ressentiment et retarde jusqu’à l’annuler le pardon qui seul ouvre à la paix et l’espérance. D’ailleurs, la vengeance haineuse qui se lit dans le regard de Salomé s’avançant vers la coupable concierge ne fait que redoubler la jalousie nécrophage d’Hélène Rivière ; or, Denis Vasse l’a montré dans un écrit définitif, la structure psychique autant qu’éthique de la jalousie est incestuelle, c’est-à-dire désir archaïque de dissoudre l’autre dans mon ego [1]. Il est d’ailleurs révélateur du caractère insatiable de l’exécration que Salomé tue symboliquement la concierge de son regard, alors qu’elle vient pourtant d’assister en direct au suicide de sa pire ennemie.

Qu’il est aussi tristement significatif et absolument inadmissible que, sommé par Salomé plus amoureuse qu’elle ne sait, le curé (Jean Bouise) trahisse le secret pourtant inconditionnellement inviolable de la confession. De même que le sacrement de la réconciliation est illégitimement bafoué, de même se trouve annulé l’acte du pardon qui seul rompt le cercle mortifère de la vengeance et seul ouvre au cœur séquestré dans sa faute la grâce d’un avenir, c’est-à-dire d’un devenir autre.

Enfin, la réincarnation, loin d’être une apologie de l’humilité (consentir à ce que Mozart soit le résultat des générations laborieuses qui l’ont précédé et préparé), est beaucoup plus la conséquence d’un orgueil qui refuse le don peineux, mais merveilleux de notre insondable responsabilité autant que le don gracieux de « ce qui est » : c’est parce qu’elle n’a jamais consenti au deuil du frère adulé jusqu’à être adoré que Salomé ne cesse de le chercher et, sans surprise, le retrouve dans un autre pianiste dont elle annule le génie propre pour le réduire à la réitération du surdoué qu’il réitère à son insu. D’ailleurs, son refus inexpliqué de l’amour fou que Vincent le fou lui porte ne proviendrait-il pas de cette passion aussi fusionnelle qu’absolue ? Voire, ne fait-elle pas que répéter un secret dessein de parents qui ont inscrit ce miroir, là encore incestuel, jusque dans le jeu de leurs prénoms : Salomé-Salomon ? Décidément, nous ne quittons pas le monde clos et forclos du même.

Une exception toutefois, dans ce concert : le Concerto n° 2 de Rachmaninov s’allonge (certains dont je ne suis pas diraient s’enrichit) d’un quatrième mouvement composé et interprété par Michel Legrand, et ainsi nous ouvre au souffle de l’inédit.

 

Biface, le cinéaste Lelouche (on imagine la glose d’un Freud ou d’un Lacan sur ce regard qui dédouble tout ce qu’il voit…) est donc autant le chantre lumineux du je t’aime – et que l’on aime – que le Philipillus ténébreux du même – qui ne conduit qu’à la haine. Trois ans après Partir, revenir, Itinéraire d’un enfant gâté (1988), a heureusement brisé ce thème de la fatalité et, coïncidence (sic !) elle aussi heureuse, mis en scène un prêtre valorisé et valorisant (Pierre Vernier) !

Pascal Ide

[1] Cf. Denis Vasse, Inceste et jalousie. La question de l’homme, Paris, Seuil, 1995.

  1. Salomé Lerner (Évelyne Bouix‎) passe à l’émission Apostrophes de Bernard Pivot, avec Henri Amouroux et Bernard-Henri Lévy (excusez du peu !), pour son livre autobiographique Partir, revenir et le célèbre présentateur télévisé imagine aussitôt le film qu’on pourrait en tirer. Dans ce film tout en musique, le pianiste Érik Berchot (lui-même) est la réincarnation de son frère Salomon.
  2. Roland (Jean-Louis Trintignant) et son épouse Hélène Rivière (Annie Girardot‎) sympathisent avec le couple Lerner, Simon (Michel Piccoli) et Sarah (Françoise Fabian), les deux hommes étant médecins. Vincent (Richard Anconina), le fils Rivière s’éprend de Salomé, la fille Lerner, mais le sentiment n’est pas réciproque. La guerre menaçant, les Rivière quittent Paris pour leur château en Bourgogne. Restés à Paris, les Lerner, qui sont Juifs, tentent d’éviter les rafles, jusqu’au jour où ils sont dénoncés par la concierge de leur immeuble. Ils se réfugient dans le fief bourguignon des Rivière. La prudence voulant que les réfugiés ne quittent pas le château qui finit par devenir une prison dorée où Salomon joue en boucle le Concerto n° 2 et le prélude opus 3 n° 2 de Serge Rachmaninov. Jusqu’au jour où, malgré l’organisation des fiançailles officielles, mais fictives, entre Vincent et Salomé, les Lerner sont dénoncés par une lettre anonyme et arrêtés par la Gestapo.

À la fin de la guerre, Salomé, seule survivante, revient au château Rivière et, avec Roland, n’a de cesse de découvrir la vérité. Les fausses pistes se multiplient. Qui donc les a dénoncés ?

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