Mon Inconnue
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Pays:
Français
Thème (s):
Amitié, Amour, Autre, Imagination, Musique
Date de sortie:
3 avril 2019
Durée:
1 heures 58 minutes
Évaluation:
***
Directeur:
Hugo Gélin
Acteurs:
François Civil, Joséphine Japy, Benjamin Lavernhe
Age minimum:
Adolescents et adultes

Mon inconnue, film fantastique et romance français de Hugo Gélin, 2019. Avec François Civil, Joséphine Japy, Benjamin Lavernhe.

Thèmes

Amour, amitié, autre, musique, imagination.

Mon inconnue est un conte plein de fraîcheur et de tendresse à goûter sans modération, avant d’y réfléchir avec méditation.

 

Le spectateur – notamment le parisien ou le parisianophile, car la capitale est plus qu’un décor, tout en étant moins qu’un personnage – ressort léger et souriant. J’en ai vu un esquisser un pas de danse, un autre s’approcher de sa belle en souriant, comme pour la reconquérir ou lui assurer qu’il ne veut pas la perdre. Tant le film se rejoue en cet « animal interactionnellement mimeur » qu’est l’homme, selon le mot heureux de Marcel Jousse faisant écho à celui d’Aristote.

Dans cette douce séduction, le charisme du trio d’acteurs principaux ne saurait être minimisé : la vulnérabilité toute en énergie inquiète du polykinétique (comment qualifier celui qui a tourné en acteur principal 4 films en 1 an ?) de François Civil ; la cristalline beauté à la fois si présente et si évanescente de Joséphine Japy ; l’humour plein de faconde de Benjamin Lavernhe (qui est pensionnaire de la Comédie-Française). La terre, l’eau, l’air – le tout lié par le feu de l’amour et de l’amitié.

Car, et c’est une autre « grâce » du film, il célèbre autant l’éros que la philia. Non pas la secrète impossibilité de la seconde pour mieux honorer le premier (tout ami serait un rival ou un candidat potentiel, triangle mimétique oblige) ; ni l’utopique transformation du grand amour passion en amitié. Mais la communion complice (ah ! l’hilarant échange, digne du Dîner de cons, où Félix se fait passer pour l’agent littéraire de Raphaël !) ; l’aide précieuse et même indispensable où l’amitié vient épauler l’amour, tant le héros ne peut naître à l’autre aimé que par la médiation de l’autre ami : la générosité du pour l’autre passe par l’humilité du par l’autre.

Il y a aussi l’esthétique diaphane, de ce lycée lissé, de ce Paris léché, de cette Camargue idéalisée, de cet Alzheimer dédramatisé.

Il y a peut-être surtout la magie de la musique. L’intégralité de la Fantaisie impromptu de Chopin (oui, la totalité et pas seulement les premières mesures, déjà enchanteresses, de la 11e étude, opus 25, dans le merveilleux Greenbook !) interprétée par Olivia rythme l’intégralité de la métamorphose opérée par et dans Raphaël. En son rythme ternaire : l’admiration éperdue pour la jeune pianiste qui a sacrifié son talent fou pour sa carrière d’écrivain ; la douleur poignante lors de la prise de conscience de son égoïsme ; enfin, la résolution décidée, à la fois libérante et déchirante, de renoncer non seulement à Olivia, mais, plus encore, à tout narcissisme, en reprenant le manuscrit. Cette naissance à l’altérité qui est l’abdication de toute mainmise, n’est-elle d’ailleurs pas secrètement symbolisée par la polyrythmie de la Fantaisie qui réussit la prouesse de fondre (sans que l’auditeur non averti ne le perçoive) la valse en sextolets de la main gauche et le galop en doubles croches de la main droite ? Et les épousailles si harmonieuses de deux rythmes si contrariés ne pouvait que préluder et préfigurer les retrouvailles enfin respectueuses de celle qui naît audacieusement à l’inconnu et de celui qui renaît généreusement à la méconnue.

 

La douce fraîcheur de ce conte de printemps qui retentit encore longtemps après la sortie de la salle de cinéma et demande d’abord à être goûté comme un nectar de choix, n’inhibe pas toute méditation…

Cette hymne au grand amour fidèle et unique, tant chez Raphaël que chez Félix (indéfectiblement tourné vers Morgane) en raconte la condition première : se décentrer de soi pour s’excentrer sur l’aimé. Certains pas sont clairement soulignés. Tel est le cas de la médiation auprès de Morgan espérée par Félix et opérée par Raphaël, qui porte tout le fruit escompté. Tel est le cas tout aussi limpide de la fonction métaphorique du récit d’Hamlet dans le récit : en entendant les élèves raconter de manière actualisée la fin du héros shakespearien, Raphaël prend enfin conscience qu’en faisant mourir son épouse-héroïne, il l’a symboliquement supprimée de son cœur, donc que son narcissisme est l’exact équivalent intérieur d’un assassinat, à savoir la dissolution de toute altérité. Autrement (!) dit, son inconscient imaginaire et créatif qui, depuis l’adolescence, ne cesse de diriger sa vie, en savait plus sur son orientation profonde que l’histoire qu’il voulait bien se raconter : Raphaël était un gouffre d’égoïsme, soit, dans le registre plus cru de son ami : « un beau conn… ».

D’autres pas, en revanche, demandent à être décryptés. Nous l’avons dit, en reprenant le tapuscrit de son roman (invraisemblablement tapé en une nuit : même le plus rapide des polygraphes, Simenon, mettait au mieux trois jours pour écrire un livre !), il renonce à instrumentaliser Olivia une dernière fois ; or, en refusant de faire de l’autre un moyen, il peut enfin naître à l’autre comme fin – ce qui est l’autre nom de l’amour : « vouloir le bien de quelqu’un ». Voilà pourquoi, peut-être, plus encore que le renoncement d’Olivia à l’amour fidèle de dix ans (là encore, est-ce crédible ? Surtout, est-ce fiable ? Qui accepterait que cette infidélité à l’égard du long passé puisse asseoir une fidélité pour le long avenir ? Oui, décidément, le scénario comporte quelques failles…), c’est la vacance du cœur libéré de son ego qui l’attire et l’appelle. Voire, qui l’aimante au dehors, en sa robe d’or sur fond d’or…

Mais, une désappropriation plus subtile et peut-être plus héroïque a clandestinement préparé cet indispensable dessaisissement de soi qu’exige le don de soi. Lors de leur escapade en Camargue, Olivia demande un moment si Raphaël connaît sa chanson préférée. Alors que la mémoire du jeune homme est saturée des souvenirs d’Olivia, il se refuse de mobiliser ce savoir tout disponible pour la séduire. Or, en écartant ce savoir, il renonce au pouvoir ; il entre dans la vulnérabilité désarmée de l’amour. Son « moi je » enfin en retrait peut désormais se remplir de l’aimée : il offre à l’autre tout l’espace dont elle a besoin – comme, savoureusement, tout l’espace se remplit soudain de la chanson jubilatoire, « Le Temps de l’amour », de Françoise Hardy : « Car le temps de l’amour / C’est long et c’est court / Ça dure toujours / On s’en souvient… ».

 

Comment cette scène ne rappellerait-elle pas celle, très fameuse, d’un film qui fait lui aussi heureusement rimer romantique et fantastique, rupture du continuum espace-temps et fracture de l’amour ? Dans Un jour sans fin (Harold Ramis, 1993), un autre égo surdimensionné, joué par Bill Murray, ne conquiert enfin sa (la) belle Andie MacDowell que lorsqu’il renonce définitivement à tout pouvoir sur elle. C’est quand il quitte le même (m’aime) qu’il peut rejoindre l’autre, qu’il peut dire enfin « je t’aime » et donc entrer dans cette secrète alchimie de même et d’autre qu’est l’amour. Et si le spectateur n’a pas compris que nous avons enfin notre Un jour sans fin à la française, le réalisateur a donné à son héros le nom de famille de son réalisateur, Ramisse…

Pascal Ide

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