L’associé du diable
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Pays:
Américain
Thème (s):
Démon, Tentation, Triangle maléfique
Date de sortie:
14 janvier 1998
Durée:
2 heures 20 minutes
Directeur:
Taylor Hackford
Acteurs:
Al Pacino, Keanu Reeves, Charlize Theron
Age minimum:
Adolescents et adultes

L’associé du diable (The Devil’s Advocate), fantastique américain de Taylo Kackford, 1998. Avec Keanu Reeves, Al Pacino, Charlize Theron et Connie Nielsen.

Thèmes

Démon, tentation, TM.

L’Associé du diable – le jeu de mot du titre américain : The Devil’s Advocate, « L’avocat du diable », est autrement suggestif, mais, je crois, le titre était déjà pris – constitue sans doute une peinture féroce de la profession d’avocat – dont l’omnipotence laisse rêveur – au sein de la société américaine actuelle. Mais, plus encore, le film est une mise en scène spectaculaire (qui n’évite pas toujours le grand-guignolesque et le kitsch, type fantasme des démons succubes) des méthodes par lesquelles John Milton [1], alias Satan, nous manipule pour nous faire servir son dessein maléfique. Sans prétendre être un traité de démonologie, le film n’usurpe pas son titre. Le chrétien averti, que la crudité et la violence des images et des propos ne rebute pas, y verra détaillés les moteurs et le mode de procédé de la tentation, autrement dit la stratégie et les tactiques du diable. Et ce, principalement dans le dernier acte qui fera l’objet d’une analyse minutieuse.

1) Le cadre général

  1. S. Lewis parlait de la « tactique du diable », dans un ouvrage éponyme célèbre [2]. Mais cet art des moyens qu’est la tactique est sous-tendue par une claire vision de la stratégie, c’est-à-dire de la finalité.
a) La stratégie du diable

Marthe Robin disait craindre grandement le « suicide spirituel », c’est-à-dire l’état de l’âme en état habituel de péché mortel. Et telle est le but constant du démon : enfermer l’âme dans le péché mortel habituel. En effet, en tant que grave, le péché coupe la personne de la vie de la grâce et donc l’établit dans une disposition dont la conséquence est la damnation ; en tant qu’habituel, le péché obscurcit à ce point l’âme qu’elle n’a plus conscience de sa gravité, voire de son existence. Ce qui faisait dire à Péguy que, pire qu’une âme perverse est l’âme habituée [3].

Or, les racines des péchés mortels – qui sont aussi les objets principaux des tentations – sont au nombre de trois, toutes trois employés avec maîtrise par Milton.

La première est l’argent ou plutôt sa démesure. C’est par l’argent que Kevin Lomax se laisse entraîné à accepter cette place dans le plus grand cabinet juridique de New York et pénètre dans « la grande Babylone ». C’est encore l’appât de l’argent et du luxe qui lui fait accepter de vivre à proximité de son patron et lui permet ainsi d’exercer un ascendant et une plus grande emprise sur le jeune avocat qu’il est, aussi ambitieux que doué.

Le deuxième moteur est le désir sexuel. Non pas une sexualité intégrée dans l’amour respectueux de l’autre, mais une sexualité pulsionnelle, fusionnelle, destructrice des liens conjugaux et de la personne. Son modèle ultime en est l’inceste que symbolise et concrétise le désir de Kevin pour celle dont il découvrira qu’elle est sa sœur ou plutôt sa demi-sœur. C’est par la jalousie sexuelle que Milton se débarrasse d’un hispanisant gêneur dans le métro. Notons en passant combien le démon, pur esprit, qui emploie volontiers ce moyen pour aliéner l’homme, dans le même temps le méprise d’ainsi se laisser piéger par la chair : ne dit-il pas de l’acte conjugal que, biochimiquement parlant, il équivaut à quelques boîtes de chocolat ?

Le troisième moteur est l’appétit, là encore disproportionné, de pouvoir. Lors de sa première rencontre avec Milton, Lomax est conduit par celui-ci sur une terrasse qui domine la ville de New York. Comment ne pas songer à la troisième tentation de Jésus au désert, lorsque le Satan le mène au sommet du pinacle du Temple [4] ?

Nous avons reconnu les trois concupiscences dont parle la première épître de saint Jean [5] : concupiscence des yeux, autrement dit la cupidité, la concupiscence de la chair et l’orgueil de la vie ou la recherche démesurée de pouvoir. Cela ne saurait étonner, puisqu’elles étaient présentes dès la première tentation (ce sont les trois caractéristiques du fruit défendu) et dans la tentation par excellence, les trois assauts que subit Jésus au désert.

b) Les tactiques du diable

Le film n’est pas moins éclairant sur les différentes tactiques employées par celui que l’on a justement appelé Malin. Il est hors de question de les lister les divers moyens mis en œuvre par le grand tacticien démoniaque.

Notons surtout le premier de tous, la vanité : « La vanité est mon péché préféré ». Cette dernière phrase du film pourrait aussi en être la première. Le diable piège la personne à la mesure de sa recherche de son propre ego. En effet, la personne égoïste possède une capacité rare de s’aveugler et d’autojustifier ses autres fautes. Lomax fait passer pour don de soi ce qui n’est que recherche égoïste de soi. Ainsi, il réussit à convaincre Kevin qu’il s’est installé à New York dans ce superbe appartement uniquement pour le bien de sa famille. Ici, la tentation prend la forme de l’horizon qui recule : « Plus qu’une affaire malhonnête ». A la fin, Kevin n’arrive plus à entendre la souffrance, de l’abandonnisme de sa femme ; il rationalise tout, se protège en justifiant.

Inversement, plus un être est humble, moins le démon a de prise sur lui – c’est ainsi que Lomax ne peut en rien piéger la mère de Kevin. Une telle assertion est d’autant plus importante à entendre que certains spectateurs se sont sentis angoissés par l’habileté du démon après avoir visionné le film : si telle est l’étendue de son pouvoir mensonger, à quoi bon lutter ? Les « saints » des romans de Bernanos le montrent avec évidence : les personnes humbles ne sont pas manipulables, ni par le Prince de ce monde, ni par qui que ce soit.

2) Le contexte immédiat de la scène finale

C’est surtout dans la riche scène finale que se déploient les stratégies et les tactiques dont nous venons de parler. Ce dernier acte constitue, de par la structure narrative du film, son sommet et une passionnante leçon de tentation. Certaines phrases, notamment d’accusation de Dieu, mises dans la bouche de Paccino sont d’une telle justesse que je me demande si elles n’ont pas été prises à des possédés. Voilà pourquoi je vais maintenant focaliser mon attention sur elle, épousant son mouvement, citant et commentant la presque totalité des paroles échangées, tant elles sont pesées.

Disons auparavant un mot du contexte immédiat.

a) Côté Kevin

Tout d’abord, Lomax vient de perdre sa femme de la pire manière imaginable : elle s’est suicidée, devant lui, impuissant, en s’égorgeant avec un morceau de verre, non sans avoir murmuré, avant de s’éteindre : « Je t’aime ». Or, peu de temps auparavant, Mary Ann a été martyrisée et violée, de façon mystérieuse, par John Milton. Entre rage et désespoir, Lomax a la ferme intention de se venger de Milton.

Mais, alors qu’il s’apprête à rejoindre son patron, il croise sa mère qui, pour la première fois, lui avoue qu’elle connaît Milton depuis longtemps et suggère à demi-mots qu’elle a eu avec lui une relation qui est loin d’être spirituelle. Elle veut dissuader son fils de voir Milton. Celui-ci se dégage, non, là encore, sans entendre sa mère lui murmurer à son tour : « Je t’aime ».

Enfin, arrivé au bas de l’immeuble, Lomax croise la directrice du service (?) qui lui dit, comme devinant ses pensées : « Ne t’inquiète pas. Il t’enlèvera tes peurs. Vas-y. Il t’attend chez lui ». avant de disparaître mystérieusement.

Suit une vue en plongée progressive sur Lomax avançant dans une Avenue de Manhattan, que la vacuité rend impressionnante. La sensation de solitude écrasante est accrue par la présence de l’ombre, gigantesque, qui précède ses pas, le tout sur musique à la fois religieuse et dramatique. Comment mieux exprimer qu’il va à la rencontre certes de Milton, de ce qu’il en est de son épouse, de sa mère, mais plus encore de lui-même et surtout d’un mystère qui le dépasse de toute part ?

b) Côté Milton

L’intention dernière de Milton-Satan est la venue de l’Antéchrist. Je passe la facilité que s’est donné le scénario en nous resservant ce thème eschatologique réchauffé ; il ne vaut guère mieux que certains autres détails d’un goût douteux qui sacrifient au besoin de spectaculaire. Plus intéressant me semble l’intention seconde qui est le moyen nécessaire pour arriver à la naissance de l’Antéchrist : que Lomax passe un pacte. Ici, pas de papier à signer de son sang. Mais l’autre médiateur de la vie est la semence. C’est elle qui scellera le pacte. Or, pas de procréation sans le libre consentement du procréateur. Dès les premières paroles échangées, Milton l’affirme on ne peut plus clairement : « Je ne suis pas marionnettiste, Kevin. Je ne fais pas arriver les choses. Ce n’est pas comme cela que ça marche. Non ». Milton continue, sans se soucier de l’interruption de Lomax : « Le libre-arbitre. C’est comme les ailes de papillon : une fois qu’on les a touchées, elles ne peuvent plus toucher le sol. Moi, je ne fais qu’installer le décor, c’est toi le maître de son destin ». Donc, toute la tactique du démon va consister à suffisamment séduire Lomax pour l’amener à se décider en faveur de son plan. Et tel est point qui me paraît le plus digne d’intérêt. Comment ?

3) Analyse de la scène finale

La scène se déroule de 1 h. 52 mn. 10 sec. (scène 37) à 2 h. 08 mn. 08 sec. (scène 41).

De la scène 37 (1 h. 52 mn. 10 sec.) à la fin de la scène 41 (2 h. 08 mn. 08 sec.).

La tâche est de prime abord ardue. En effet, Lomax arrive, fou furieux de douleur, avec le désir d’exterminer Paccino. Ce désir submerge même celui de comprendre, puisqu’il décharge son pistolet, alors qu’aucune explication ne lui a été donnée. Mais cette difficulté n’est qu’apparente : dans la logique de la passion, l’ennemi haï est si proche de l’ami adoré. Or, Lomax, homme blessé et imbu de sa personne, ne vit que de la recherche, intensément narcissique, de sensations de plus en plus enivrantes.

Pour aboutir à ce que Lomax le choisisse comme son maître, à l’instar de sa demi-sœur, Satan va procéder en plusieurs temps. Non sans subtilité. Rentrons maintenant dans le détail du déroulement.

a) Milton place Lomax face à sa liberté

Pour transformer son ennemi en ami, il suffit de rendre Lomax à sa liberté. Cela va donner lieu à une belle leçon de psychologie, mais de psychologie spirituelle [6].

Lomax nie sa liberté profonde en se protégeant grâce à des mécanismes de défense qui sont autant de scénarios. Précisément trois qui vont successivement être passés en revue.

  1. Le premier est la colère. C’est elle qui permet à Lomax de gagner ses procès. Loin de la fuir, Milton s’arrange pour la faire éclater et ainsi mieux la décomposer. Nous avons déjà vu combien Lomax arrivait en furie. Mais Milton va l’attiser encore davantage. Pour cela, non seulement il révèle à Lomax sans l’ombre d’un scrupule et d’un remords qu’il a couché avec sa femme (donc qu’il est la cause des cicatrices qu’elle porte), mais il se compare à lui avec un mépris souverain. Aiguillonnée par la jalousie, la fureur de Lomax atteint son comble. Perdant toute maîtrise de lui-même, il dégaine son arme et tire comme un forcené sur Milton : « Je vais te crever ».

Excité et excitant, Milton, loin de tomber sous les balles, réplique : « Oui, continue. C’est bien. Accroche-toi à ta fureur. C’est ce qu’on lâche quand on a tout laché, la suprême feuille de vigne ». Soudain dégrisé devant la stupéfiante invulnérable de son ennemi et donc sa totale impuissance, Lomax, au lieu de se taire, interroge : « Qui êtes-vous ? » Cette curiosité semble bien compréhensible : ne nous posions-nous pas nous-même la question depuis le début ? Néanmoins elle constitue un premier pas dans le processus d’aliénation. Depuis la Genèse, la curiosité n’est-elle pas la porte d’entrée constante dans la tentation ?

Très astucieusement, Milton ne répond pas. Non seulement, il risquerait de se mettre en position d’infériorité (le questionneur peut dominer le questionné), mais il sait que les vérités s’incrustent d’autant plus en soi qu’on les découvre par soi-même ; or, par les dernières confidences de sa mère (qu’il connaît, comme l’atteste ses toutes premières paroles : « Tu as bien raison sur un point, Kevin, j’observais »), Lomax est à la porte de la révélation de son identité. Il retourne donc la question, non sans aider à la réponse : « Qui je suis ? Qui es-tu ? Tu n’as jamais perdu. Pourquoi à ton avis ? Parce que tu es méchamment bon. Pourquoi ? – Parce que vous êtes mon père. – Et même un peu plus que ça, Kevin ! »

  1. Désormais, Milton peut s’attaquer au second mécanisme par lequel Kevin se protège : l’accusation. En effet, celle-ci n’est en fait rien d’autre qu’une posture victimaire irresponsable.

Pour dissoudre cette défense, Milton doit d’abord la susciter. Aussi, après avoir satisfait la curiosité de Kevin, revient-il aussitôt à la charge : « Il faisait sacrément chaud dans ce tribunal. C’est quoi ta stratégie ? C’était une belle série. Mais ça s’arrête un jour. On ne gagne pas à tous les coups ». En laissant deviner à Kevin qu’il n’est pas seule cause de sa réussite, Milton l’induit discrètement à découvrir la puissance de son aide. D’où la question de l’avocat : « Vous êtes quoi ? » Notons en passant le méprisant « quoi ? » En effet, le cas échéant, l’arriviste Lomax n’ignore pas la tactique du mépris.

« On me donne tellement de noms », répond, faussement modeste, Milton sur fond de feu… de cheminée. Lomax a enfin deviné : « Satan ! » Milton dénie ou plutôt accuse ironiquement réception par une dénégation, associant le nom le plus haï au nom qui devrait être le plus aimé : « Non ! Appelle-moi papa ! » Le brouillage des frontières est source de fureur.

Comme l’avait prévu Milton, Lomax enchaîne : une fois nommé son adversaire, il entre dans le jeu de l’accusation et laisse monter une autre colère latente : « Mary Ann l’avait compris. Elle le savait. Alors, vous l’avez détruit.

– C’est moi que tu accuses pour Mary Ann ? Là, j’espère que tu plaisantes. Mary Ann, tu aurais pu la sauver. N’importe quand. Tout ce qu’elle voulait, c’est que tu l’aimes. Mais tu avais mieux à faire ». Sous-entendu : ton travail… et aussi la séduction des autres femmes.

« Non, ce n’est pas vrai », crie Kevin. Faible défense pour un grand avocat.

Lomax argumente : « Quand tu es arrivé à New York, tu as commencé à regarder ailleurs. A l’instant même où tu es arrivé ». Milton a d’autant moins de peine à le dire qu’il épie tout.

« C’est pas vrai. Vous ne savez rien de nous, rien de ce qu’il y a entre nous ». En refusant à cette réduction du mystère, Kevin répond juste.

Pour la première et unique fois, Milton concède, comme s’autojustifiant : « Eh ! Je ne te reproche rien ».

Profitant de ce recul, en bon tribun, Kevin continue : « Vous êtes un menteur ! » Ce jugement, au fondement biblique (Jn 8), rend à Kevin une nouvelle liberté. Il comprend alors brusquement que Milton ne fait que travestir la réalité. Par conséquent, cette vérité qu’il est venu chercher sur lui, sur sa vie, il ne la saura jamais. Il a enfin compris qu’on ne discute pas avec un être qui non seulement le surpasse en capacité oratoire et en psychologie, mais dont l’intention n’est que perverse. Du coup, Lomax amorce un mouvement de recul vers l’ascenseur. Va-t-il retrouver sa liberté par la seule voie possible, la fuite ?

Ce serait oublier que le démon ne nous ligote jamais par un seul lien. Ne pouvant peser directement sur notre liberté, il l’englue de multiples manières. En l’occurrence, Milton est devenu l’unique pourvoyeur des plaisirs de Lomax depuis son arrivée à New York ; celui-ci n’a plus de raisons de vivre hormis celles que lui offre Milton : « Kevin, tu ne trouveras rien de mieux ailleurs ». Autrement dit : reste.

Mais Milton-Satan sait l’ampleur de la colère accusatrice de Kevin. Il doit donc affronter l’accusation de Lomax. Voilà pourquoi il relance le sujet si dramatique de son épouse : « Arrête de te mentir à toi-même. Je t’ai dit de t’occuper de ta femme. Tout le monde comprendra que tu arrêtes. Je ne te l’ai pas dit, cela ? » Ici, Milton est très fin : car s’il a pu, l’espace d’un moment, renvoyer Lomax non seulement à sa liberté mais aussi au bien objectif (quitter New York), il le faisait sans risque : déjà le jeune avocat trop attiré par les plaisirs défendus, il ne pouvait plus ce qu’il voulait. « Tu m’a répondu quoi ? » Alors Milton imite la voix de Kevin : « J’abandonne l’affaire, John, elle se rétablit et je lui en veux à mort ». Par ce jeu de miroir, il le renvoie à son insupportable culpabilité. Il lui suffit de nier le refoulement en ravivant sa mémoire : « Tu ne t’en souviens pas ? »

La coupe est pleine, Milton a suffisamment culpabiliser Kevin pour que celui-ci ait besoin de faire appel à sa défense habituelle : l’accusation. Il va revenir à la charge à quatre reprises. Elles seront toutes réfutées, de plus en plus radicalement, par Milton :

« J’ai compris ce que vous avez fait : vous m’avez tendu un piège.

– Qui t’a dit de faire des pieds et des mains pour M. Kitis ? Qui a fait ce choix ?

– Je l’ai fait parce que vous m’avez provoqué. Vous m’avez tendu un piège.

– Il fallait l’oser. Le pape, les brahmanes, les charmeurs de serpent, tous, vous bouffez au même ratelier. Qui a eu cette idée ?

– Vous avez joué avec moi. C’était un test, votre test.

– Et Kevin, sachant qu’il était coupable, toi, qu’est-ce que tu as fait ? Après avoir vu les photos, tu appelles cette salope de menteuse, tu l’as fait venir à la barre.

– Vous l’avez fait venir, vous l’avez mis là, vous l’avez fait mentir.

– Je n’ai pas fait cela, Kevin. Quand je t’ai dit, dans le métro : ‘C’est peut-être ce procès que tu dois perdre’, tu n’étais pas d’accord ? »

Alors que Kevin s’enferme dans sa posture victimaire en cherchant à se déresponsabiliser, Milton aligne des faits, de plus en plus accablants, de plus en plus implacables. Cette domination intellectuelle écrasante se double d’une domination affective : alors que Lomax perd progressivement son sang-froid, la violence de son propos étant inversement proportionnelle à sa vacuité, Milton demeure souverain ; maître de lui, il est maître de l’autre.

  1. Il reste un dernier mécanisme de défense pour le brillant avocat qui ne peut se résoudre à n’être plus qu’un minable accusé : faire appel aux exigences professionnelles qui lui sont imposées : « Je ne perds pas, moi, s’écrit Lomax. Je gagne. Je gagne. Je suis avocat. C’est mon boulot, c’est mon métier, c’est ce que je fais ».

Avec un calme jouant du contraste, Milton répond, superbe : « Fin de la plaidoirie ». Lomax ne pouvait tomber plus à plat. Silence. Milton enchaîne : « La vanité, c’est décidément mon péché préféré. C’est décidément fondamental le narcissisme. C’est notre propre opium (notez le « notre » : lucide, mais surtout, astucieusement temporisateur). Tu sais, Kevin, c’est pas que tu ne t’intéressais pas à Mary Ann, seulement tu t’intéressais encore plus à quelqu’un d’autre : à toi-même ».

En énonçant le péché le plus profond de Lomax, Milton démontre de manière définitive la responsabilité de son protégé. Enfin démasqué, totalement mis à nu, Lomax s’effondre. Plus encore que ses mots (« C’est vrai, tout est de ma faute. J’ai abandonné »), c’est son corps qui parle : bouche tordue de douleur, larmes de culpabilité, regard baissé. Milton n’en demande pas plus. Notons d’ailleurs qu’ici, il n’y a pas (du moins encore) l’amorce d’un véritable regret qu’exprimerait la prise de conscience de la souffrance infligée à Mary Ann : Lomax est seulement tourné vers lui.

b) Milton déculpabilise Lomax

Aucune liberté empêcherait Lomax de décider pour Satan, donc de pécher ; mais trop de liberté lui ôterait sa proie. Après avoir démasqué la faute, Milton va donc jouer sur le clavier de la déculpabilisation : « Non, ne sois pas trop sévère envers toi-même. Tu avais autre chose à penser, crois-moi.

– Je l’ai laissée derrière moi et j’ai continué ma route.

– Tu ne peux pas continuer à te punir comme ça, Kevin ! Est-ce que tu te rends compte où tu en es arrivé par toi-même ? » Notons en passant, car nous y reviendrons, que Milton n’hésite pas un moment à se contredire : il affirmait au début que Kevin n’aurait pu y arriver sans son aide et maintenant, il vante ses capacités. Lomax est habité par une telle confusion et une telle détresse, qu’il ne peut prendre le recul et passer en position méta afin de nommer ce double langage. La culpabilité qui le ronge est si destructrice que, une fois perdu le refuge de l’accusation, une fois mise à nu son infinie responsabilité qu’il n’a pas d’autre solution, l’instant d’après, d’accepter le vêtement protecteur de la déculpabilisation symétriquement tout aussi absolue : « Tu n’a pas le droit. Pas pour toi… »

L’air change ; une discrète musique, un frôlement ; des pieds nus effleurent gracieusement l’épais tapis. La superbe Cristabella (Connie Nielsen), à la chevelure rousse-feu, apparaît, frôlant Kevin, plus encore par son regard séducteur que par sa longue robe moulante. Surgit alors l’autre raison pour laquelle Milton a besoin de déculpabiliser son fils : le libérant de Mary Ann, il pourra orienter son désir vers celle dont le nom même n’évoque l’être haï (le Christ) que pour mieux le pourfendre (par la beauté… du diable). Il achève donc sa phrase : « …ni pour ta sœur. Enfin, ta demi-sœur, pour être précis ». Cristabella vient embrasser Milton, comme une fille son père, et ajoute, faisant faussement croire à Lomax, particulièrement vulnérable, qu’elle est de son côté : « Ne le laisse pas te faire peur ».

Milton poursuit : « Kevin, j’ai eu tant d’enfants. J’ai été déçu si souvent. Désillusion après désillusion. Et puis vous voilà tous les deux ». Loin de faire appel à la pitié de Lomax (est-il capable d’en éprouver ?), Milton joue sur un mécanisme autrement puissant chez son killer de fils : l’amour-propre, le désir d’être le premier, le vainqueur. D’où la réponse :

« Qu’est-ce que vous attendez de moi ?

– Je veux que tu acceptes d’être toi-même ». Cette formule oxymorique – peut-on vouloir ce qui n’est possible qu’à l’autre ? – résume subtilement la tactique de l’entrisme satanique.

Joignant le geste à la parole, Milton touche le front de Kevin. Mais celui-ci recule, comme dégoûté. Il résiste ; il n’est donc pas encore prêt à désirer sa demi-sœur. Milton en devine aussitôt la cause : la culpabilité. Tel devra donc être l’objectif de sa prochaine attaque : « La culpabilité, c’est un énorme tas de briques. Tout ce que tu as à faire, c’est de le poser ». En effet, le diable sait qu’il ne peut aisément évacuer son pire ennemi, le sens de la faute. Il lui faut prévenir les objections que Kevin ne manquera pas de se faire sur la fragilisation de son foyer. Il lui faut donc excuser. Pour cela, il réduit la conscience morale à une simple pesanteur psychologique dont il faut se débarrasser au plus vite.

A moins que ce ne soit l’amour toujours présent de Mary Ann. C’est pourquoi Cristabella, aussi fine que son père, s’approche et enlace doucement le jeune avocat : « Eh, je sais par quoi tu passes, j’y suis passée. Serre-moi, serre-moi fort. Oui ! Oublie tout le reste ». Cependant, même la proximité consolante et désirable du corps de Cristabella, jointe à la parole déculpabilisante de Milton ne suffit pas.

Kevin se dégage, d’un air buté : « Non, je ne peux pas faire cela ».

Cristabella n’est pas capable de démêler la part du remords, de la fidélité et de l’amour. Dans un bref et dense échange de regards avec Milton où se devine toute la machiavélique complicité des deux pseudo-amours, sororal et paternel, elle lui repasse le relais : Kevin n’est pas encore mûr pour l’accomplissement du dessein. Ondulante comme un serpent, enveloppante comme une tentation, Cristabella – ou plutôt Anticrista-bella – s’éloigne en beauté, attendant son tour. Contrairement à ce que pense la vision manichéenne et conformément à ce qu’avait vu saint Augustin, le désordre de la sensibilité requiert d’abord le désordre de la raison : pas d’intempérance sans orgueil.

Pour convaincre l’avocat, John Milton doit réendosser son costume de rhéteur : « Pour qui tu portes ton sac, Kevin ? Dieu ? C’est ça ? Tu sais quoi ? Je vais te dévoiler une petite info exclusive ». La caméra élargit soudain le champ comme pour symboliser l’ampleur nouvelle des paroles qui vont être prononcées et nous détacher de l’immédiat affrontement des protagonistes. Le plan englobe aussi Cristabella assise, fumant, attendant son tour : le Tentateur manipulateur devient un moment professeur, ses trois titres rimant avec menteur. « Dieu aime regarder. C’est un farceur, tu sais. Réfléchis. Il accorde à l’homme les instincts, il vous fait ce cadeau extraordinaire. Et après, ce qu’il s’empresse de faire et ça, je peux te le jurer, pour son propre divertissement, sa propre distraction cosmique, personnelle, il établit des règles en opposition. C’est d’un mauvais goût épouvantable. Regarde et surtout ne touche pas. Touche, mais surtout ne goûte pas. Et pendant que vous êtes en train de sautiller, lui il se fend la pêche, à s’en cogner son cul de cinglé au plafond ». Milton pointe son doigt vers le ciel et se met à hurler le visage défiguré par la haine : « C’est un refoulé, c’est un sadique. C’est un proprio qui n’habite même pas l’immeuble. Vénérer un truc pareil ? Jamais ».

On s’étonnera, voire on s’inquiétera de la virulence blasphématoire du propos : par son excès, Satan ne va-t-il pas se trahir ? Il ne faudrait tout de même pas oublier, et le film ne le sombre nullement dans cette erreur, que le démon demeure un ange déchu uniquement habité par la haine jalouse de Dieu ; or, le jaloux, comme le haineux veut la destruction de celui qu’il envie et s’il ne le peut, de son œuvre. Voilà pourquoi, si Milton n’oublie pas de s’attaquer à la source même de la culpabilité qui entrave encore tant Kevin – c’est-à-dire sa conscience morale, c’est-à-dire Dieu –, il en profite pour faire d’une pierre deux coups et donner libre cours à sa hargne et son ressentiment contre son Créateur.

« Mieux vaut régner en maître en enfer qu’esclave au paradis, c’est cela ? », objecte Lomax, ironique.

Loin de se vexer de cette réduction insultante, Milton rebondit sur l’objection pour recentrer l’attention sur lui, séduire Kevin et l’inciter à épouser son plan. Le discours qu’il nous inflige constitue une nouvelle et enrichissante leçon de démonologie, je veux dire un autre aperçu des pseudo-vérités qu’il sert sans vergogne mais non sans succès à la face du monde : « Pourquoi pas ? J’ai passé mon existence ici, moi. J’ai vécu celle-ci à l’homme depuis qu’on l’a mis là (le dernier mot est prononcé avec mépris, celui-ci remontant vers Dieu). J’ai nourri chacune des sensations que l’homme a eu la bonne inspiration d’avoir. J’ai cherché à donner à l’homme ce qu’il voulait. Je ne l’ai jamais jugé. Pourquoi ? Parce que je n’ai jamais rejeté l’homme en dépit de toutes ses imperfections. Parce que moi j’aime l’homme (Milton hurle). Je suis un humaniste, peut-être même le dernier humaniste. Qui oserait dire le contraire, Kevin, quand j’ose dire que le vingtième siècle a entièrement été le mien ». L’Ecriture le dit, les paroles des possédés le confirment : le démon est « l’Accusateur de nos frères [7]« et plus encore du Père qui fait de nous des frères.

On voit Cristabella sourire. En effet, de nouveau le champ qui s’était cadré sur Milton s’élargit : cependant non plus pour embrasser le passé mais pour ouvrir l’avenir : « Tout le siècle est mûr. Je suis en pleine ascension. Mon temps est venu. Notre temps ».

c) Milton introduit Lomax dans son dessein

Désormais, les deux résistances que sont l’accusation et la culpabilité ont été brisées. Milton peut donc passer à la partie positive de son plan qui requiert la libre adhésion de son fils. La transition est soulignée par la phrase d’apparence anodine de Cristabella : « Quelqu’un veut-il à boire ? Moi, je me sers un verre ». Boire ensemble, c’est déjà pactiser.

« Vous vous donnez beaucoup de mal. Vous devez avoir drôlement besoin de moi.

– Je veux que vous preniez les rênes du cabinet, toi et ta sœur.

– C’est tout ? »

Milton explique alors que sa demi-sœur est en ovulation ; et il interprète aussitôt le fait dans le sens assimilable par le jeune homme, celui qui flatte son amour-propre : « Ta vanité était justifiée, Kevin. Ta semence est la clé d’un nouvel avenir. Il aura la place d’honneur à toutes les tables. Il nous permettra de tout reprendre en mains ».

Lomax continue à réfléchir : « L’Antéchrist ».

Ces prises de conscience n’attesteraient-elles pas d’un regain de liberté et donc d’une perte de terrain du Tentateur ? D’abord, la tentation ne congédie pas toute lucidité. De fait, ces moments de silence ont permis à Lomax de réfléchir et de mieux comprendre. Il trouve lui-même la vérité. Mais c’est pour être manipulé de manière encore plus subtile. Milton fait à nouveau appel à la grande règle pédagogique : on n’adhère qu’aux vérités découvertes par soi-même. Ensuite, il a tout à gagner à faire croire à Kevin que celui-ci conduit la conversation. C’est flatteur pour son amour-propre, d’autant qu’il a beaucoup cédé de terrain. Enfin, à la dernière réflexion sur l’Antéchrist, Milton et Cristabella se regardent et rient : ayant déjà tout prévu, ils se réjouissent beaucoup plus de leur intelligence (aux deux sens du terme) que celle de leur élu, Kevin.

La tentation n’abolit pas plus le libre-arbitre d’ailleurs : « Il faut que je sois volontaire, continue l’associé du diable.

– Le libre-arbitre, c’est ça qui fout la m… » La vulgarité de Milton dément son propos. En effet, il fait mine de minimiser la liberté pour aider à la décision ; car, au fond, il sait que tout est en train de se jouer. Il n’a manipulé Kevin que pour le conduire à librement choisir de le suivre. Mais, devant un sérieux qui pourrait nuire à son plan, Milton ajoute une phrase humoristique qui le désamorce : « J’ai besoin d’une famille, le millénaire pointe son nez ». L’humour réussit : son fils sourit.

« Qu’est-ce que t’en dis, petit ?

– Qu’est-ce que vous me proposez ?

– On est en train de négocier ? » L’ironie de la question semble engendrer du recul. Mais Milton sait aussitôt récupérer ce qui pourrait être à nouveau une périlleuse reprise en main de la situation : pour cela, il lui suffit de peser sur le bras de levier qu’est son scénario de gagnant. Voilà pourquoi la phrase reproduit une phrase prononcée lors d’une des premières rencontres (vérifier quand) : à la répétition de la formule correspond secrètement la compulsion de la victoire animant la conduite de l’arriviste [8]. Ce faisant, de surcroît, l’araignée entoure d’un nouveau fil la liberté de Lomax.

« Toujours », répond Kevin. Une nouvelle fois, Kevin tombe dans le panneau ; une nouvelle fois aussi, Satan se contredit sans aucune vergogne : après avoir critiqué le côté vaniteux, il l’emploie.

« Qu’est-ce que vous me proposez ?, répète Lomax qui, ingénument, se croit en position de force.

– Ce que tu voudras, n’importe quoi ». Le démon se grise de la toute-puissance que l’homme lui donne. Or, les raisons pour lesquelles on noue un pacte satanique sont d’une pathétique et morose banalité. Elles se résument à deux principales : plus de jouissance et plus de pouvoir. Nous retrouvons les lieux communs de la tentation qui sont les grandes concupiscences de l’homme.

D’abord la première motivation : « Pour commencer, s’écrie Milton, mué en commercial, la jouissance instantanée, la jouissance à la demande. La jouissance de la première ligne de cocaïne, du premier pas dans la chambre d’une fille inconnue ». Très finement, le diable insiste sur le premier plaisir, car il sait bien que le contentement le plus jouissif s’attache à la première gorgée de bière, les délectations ultérieures participant nostalgiquement de l’originaire [9]. Pendant ces paroles, deux choses se passent. D’une part, les statues, situées derrière Milton, s’animent à l’image des fantasmes que le démon suscite, comme pour les démultiplier : il y a de l’infini ou plutôt de l’indéfini dans la jouissance. D’autre part, Cristabella dispose les cierges sur la table qui servira d’autel, tant la finalité semble inéluctable et les deux compères assurés que Kevin est prisonnier de leurs rêts.

« Il va falloir faire un petit mieux que ça, répond Kevin le gagnant.

– Je sais. C’était pour me… Tu veux beaucoup plus. Tu mérites beaucoup plus ». Grossier ? Milton sait bien que l’orgueilleux ne se lasse jamais d’être flatté, quel que soit son éventuel déni verbal : le compliment, s’il ne fait pas de bien, ne fait jamais de mal.

Il est en tout cas de mettre en scène la seconde motivation : « Je t’offrirais ce que tu aimes plus : le sourire d’un jury, la salle d’audience glacée qui s’abandonne à toi, que tu ploies sous ta force.

– Ça, je peux l’avoir tout seul, répond le vaniteux.

– Ce ne sera jamais aussi intense ». Pourquoi ? Parce que le principal frein psychologique à la jouissance est la culpabilité : Lacan remarquait qu’on est toujours coupable de désirer [10]. « Je t’enlève les briques de ton sac et je te donne le plaisir. Sans attache. La liberté, Kevin, c’est ne jamais avoir à demander pardon ». Milton plagie-t-il exprès la phrase la plus célèbre du best-seller d’Eriche Segal qui en est aussi la dernière [11] ? En tout cas, il a remplacé « aimer », mot qu’il déteste, ainsi qu’on le sait et que la suite attestera, par « liberté » : ici s’inscrit toute la différence entre deux conceptions de l’homme. Voilà pourquoi Milton l’incorruptible prend le verre que lui tend Cristabella, tant, pour lui, liberté rime avec plaisir et non avec amour : « C’est une révolution, Kevin ». Grisé par la réussite très proche, Milton se laisse entraîner par son cabotinage. Mais, comme toujours, il ne perd le fil qu’en apparence. En réalité, il permet ainsi à Cristabella d’entrer en scène sans rupture, donc sans éveiller le soupçon. Tel l’antique serpent séducteur, la demi-sœur s’approche : « Laisse. T’occupe pas de lui. Ne pense qu’à nous. Tu ne peux pas savoir comme ça a été long pour moi de t’attendre ». Le mensonge est sans doute plus grossier ; mais ce n’est plus le moment des manipulations subtiles : autant Milton a enténébré l’intelligence de Lomax par ses mensonges, autant Cristabella l’aveugle-t-il par le désir. Et puis, ainsi qu’il va nous l’apprendre dans un instant, Kevin n’est-il pas attiré depuis le début ?

Mais qui dit désir, dit interdit, la psychanalyse l’a démontré. Comment l’avocat dont le droit est le pain quotidien, pourrait-il éluder cette interrogation. Or, le propos de Milton semble se jouer de tous les interdits : « Pourquoi la loi ? Arrête tes c…, papa. Pourquoi les hommes de loi ?

– Parce que la loi, mon garçon, nous permet d’avoir accès à tout le reste. Le droit, c’est le passe-partout universel, le sacerdoce des temps modernes, fiston. Est-ce que tu sais qu’il y a plus d’étudiants dans les facs de droit que d’hommes de loi sur cette terre ? On lance l’offensive. On canarde dans tous les sens. Et avec tous les deux, acquittements après acquittements, la pestilence montera jusqu’au paradis et elle étouffera tous les foutus Saints du Royaume éternel ».

Merci pour la leçon de sociologie américaine et pour le règlement de compte avec une profession particulièrement en vue outre-atlantique [12]. Mais la colère, la haine et le ressentiment du démon sont tellement violents qu’il ne peut se retenir et déborde la question posée. Plus d’une fois, le diable s’est ainsi trahi. Ce débordement suscite une question inattendue chez Kevin : « Dans la Bible, tu perds. N’oublies-tu pas que tu perds, papa ? »

L’insolence de Lomax est-elle l’indice d’une reprise en main de sa liberté ? Son rire, cette autodérision, montre que lui-même prend du recul sur son affirmation. Il est trop pris au piège, pour que Milton ait besoin de s’attarder à répondre à son objection. Désormais, le moment est venu d’ »écrire notre propre livre ». Et celui-ci sera rédigé sur l’autel que Cristabella a préparé. La situation est mûre. Plus rien, semble-t-il, ne peut inhiber le désir de Kevin et donc contrarier le plan de Milton. Néanmoins, deux aides ne seront pas inutiles, qui fortifieront cette orientation irrésistible vers le terme inévitable.

La première est d’inhiber tout sursaut de conscience morale et donc tout remords (tant le démon ne peut jamais maîtriser l’intérieur de l’homme, comme on le dira plus loin). Pour cela, il faut faire taire cette bavarde raison et réduire Kevin à l’appel de ses sens. Une douce censure suffira : « Tu parles trop », dit Cristabella à Milton. Pour émousser la pointe moralisante de son propos, elle s’adresse d’abord à son père. Elle peut alors se tourner vers son demi-frère. « Toi aussi ».

d) Cristabella achève le dessein

Alors, Cristabella laisse glisser sa robe fourreau et dévoile son corps dans un mouvement des bras qui singe la crucifixion. Suffoqué devant l’offre impudique et plus encore blasphématoire, Kevin recule. Mais pour mieux avancer. En effet, le désir commence par le regard, nous dit l’Ecriture [13]. « J’ai envie de toi depuis le premier moment où je t’ai vue », dit Kevin avec une voix nouvelle, comme sur le ton de la confidence. Brusquement, le présent avec Milton, le passé avec Mary-Ann, le futur avec les conséquences de cette ivresse, s’abolissent. Subjugué, le jeune avocat n’est plus capable de prendre du recul et notamment de tenir ce raisonnement évident : si Cristabella ne portait rien sous sa robe, cela ne signifie-t-il pas que tout était programmé depuis le début et que le respect de sa décision n’était qu’une mascarade ? Mais, répétons-le, la sensibilité ne défaille que parce qu’un long travail de sape a permis à la raison d’abattre toute barrière.

La seconde aide à la décision consiste à inhiber la fantasia. En effet, par similitude, Kevin va nécessairement songer à Mary-Ann. Et alors tout le travail de sape serait perdu. D’où la question de Cristabella : « A qui je te fais penser ? » Alors, Kevin se rappelle le jour où, son corps faisant l’amour avec Mary-Ann, son imagination le faisait avec Cristabella. On comprend maintenant la raison de cette scène, de prime abord complaisante. Cette obsession immaîtrisable préparait ce moment actuel. On comprend aussi pourquoi Milton a lentement miné la fidélité de Lomax – tant, selon l’enseignement du neuvième commandement [14], la première infidélité n’est pas dans l’acte mais dans la pensée consentie. Là encore, le diable et son associée disposaient la table de la consommation.

Les mots prononcés par Kevin sont précis : il s’agit de désir et non d’amour. Voilà pourquoi il est pris d’un brusque sursaut, alors que Milton s’approche en chantant des incantations en latin (« Diaboli virtus est in basses : la force du diable est dans ces reins ») : « Mais qu’est-ce qu’on fait de l’amour ? » Milton a tout anesthésié : conscience morale, intelligence, volonté. Cependant, il est un lieu qu’il ne peut atteindre : l’« organe » de l’amour, le cœur. La proximité très grande de l’acte qui, si physique soit-il, demeure en sa structure objective, un acte d’amour, permet à Kevin de descendre enfin dans le seul endroit intouché par le démon.

Comme pris de court, le démon se rabat sur la réponse citée au début : « Très surfait. Sur le plan biochimique, on arrive au même résultat en mangeant deux ou trois tablettes de chocolat ». Réponse ironique. Trop ironique. Kevin ne peut pas ne pas être blessé dans ce qui lui est le plus cher. Dans sa jubilation orgueilleuse de manipuler son fils, Milton est allé trop loin.

Mais la femme, décidément éducatrice de l’homme en amour, rattrape cette réponse catastrophique : « Eh, dans deux minutes, tu ne penseras plus jamais de la vie à Mary-Ann. Viens !

– Elle a raison, mon fils. Il est temps d’avancer et de prendre ce qui t’appartient.

– Tu as raison, répond Kevin. Il est temps ». Il se redresse et continue : « Le libre-arbitre, n’est-ce pas ? » Il tire le pistolet qu’il avait glissé à la ceinture de son pantalon avec un sourire narquois, place le canon sur sa tente. Et, sans attendre, appuie sur la détente.

4) Les résultats

Il vaut la peine de revenir en détail sur ces derniers moments. Tel Docteur Faust, au dernier moment Kevin se dérobe au pacte satanique. Pour cela, il fait appel à ce « fameux libre-arbitre », à cette liberté qui « emmerde » tant le diable, mais dont il ne veut pas se passer. Lomax l’avait exercée une première fois lorsqu’il avait décidé de partir – mais il avait été retenu par le Tentateur : « Que trouveras-tu de mieux ailleurs ? » Au terme, Lomax y fait appel en mettant fin à ses jours : il y a deux choses qui lui appartiennent en propre et sur lesquelles nul n’a de prise, sa vie et sa liberté ; et si la liberté est le sujet, la vie est l’objet. Mais cette décision n’est-elle pas insolite ? Rien ne semble y disposer ; elle tranche par trop avec la logique de ses actes antérieurs ; elle manifeste une autonomie en contradiction avec son immédiate passivité soumise (par deux fois, Lomax appelle Satan « Papa »). Or, autant l’inattendu dispose à une nouveauté espérée quoiqu’imprévisible, autant l’insolite impréparé transforme l’inouï en absurde. Bref, n’est-on pas devant une facilité de scénario plus que face à une résolution qui, en cohérence avec un récit jusque là spirituel, devrait relever de la même logique ?

Tentons une lectio difficilior. Le contexte immédiat permet d’oser une autre interprétation. D’abord, il y a l’attitude et les paroles de Milton. En réduisant le sentiment à un processus hormonal, il jette prématurément le masque : il montre son mépris pour l’homme et l’amour. En commentant les dernières paroles de Cristabella, il prononce ces mots malheureux : « Prends ce qui t’es dû », qui suscitent le sursaut de Lomax et sur lesquels il greffe sa réponse. Mais, plus encore, Milton l’orgueilleux ne supporte pas de ne pas avoir le dernier mot a trop parlé. Il est piquant de constater que celui qui ne cesse d’affirmer triomphalement que l’amour-propre est son péché préféré, y succombe lui-même. De fait, même entre le démon et la femme, il n’y a pas vraiment une relation d’affection ; à la limite il y a de la complicité, plus probablement, de la rivalité.

Ensuite et plus encore, il y a la question de Lomax : « Et l’amour dans tout cela ? » Or, le Satan lui a donné une réponse qui ne peut le satisfaire : son cœur, plus encore que sa tête ou sa conscience, sait qu’après la satisfaction – bien courte – de sa pulsion, de son désir, son cœur demeurera profondément inassouvi. Avec sa demi-sœur, il trouvera le plaisir mais trouvera-t-il l’amour ? Voilà pourquoi il embrassera longuement son épouse lorsqu’il retournera à la salle d’audience. Pourtant, le démon ne connaît-il pas le cœur humain mieux que l’homme ? Comment peut-il ainsi se leurrer ? N’est-ce pas une nouvelle facilité scénarique ? Je ne le crois pas. Les récits de tentation démoniaque montrent que l’ange de ténèbres demeure limité ; surtout, il est mû par l’orgueil et celui-ci l’aveugle ; voilà pourquoi il peut lui arriver de se trahir. Et là, on le voit grisé par sa rhétorique. Aussi sa demie-sœur, en cela plus femme et plus humaine, lui donnera une réponse plus juste – mais qui ne détournera que partiellement son attention. En effet, Kevin entend encore la dernière parole de Mary-Ann : « Je t’aime ». Tout cela fait qu’il demeure en lui un creux, un désir de vérité et de bonheur inaccompli, brèche qui permet au grand vent de la liberté de s’engouffrer.

Maintenant, il demeure le mystère abyssal de la liberté s’autodéterminant au bien ou au mal : qui pourrait prétendre visiter cet abîme ? Les retournements paradoxaux existent, malgré la disposition de l’habitus.

Enfin, pourquoi ne pas compter sur une mystérieuse communion des Saints. Sa mère, si blessée, si puritaine soit-elle, est une femme de prière et de dévouement. Certes, elle cherche à enfouir le passé et à règler ses comptes avec sa culpabilité. Mais au nom de quoi réduire sa religiosité à cette compulsion ? Elle aime le fruit de ses entrailles. Et Lomax ne peut pas ne pas entendre, faisant écho à la parole de Mary-Ann, les mots prononcés par celle qui demeure la seconde femme la plus importante dans son existence : « Je t’aime ». Or, son cœur, plus encore que sa tête ou sa conscience, sait qu’il ne vit que pour cela. D’où la question que Kevin pose à la fin : « Et l’amour dans tout cela ? » Il n’ignore pas qu’après la satisfaction – bien courte – de sa pulsion, de son désir, son cœur demeurera profondément inassouvi. Voilà pourquoi il embrassera longuement son épouse lorsqu’il retournera à la salle d’audience. Non, celui qui porte sur sa chemise les traces du sang de sa femme ne peut donner son sang à un être qui est responsable de ce suicide.

Il demeure que la liberté de Lomax s’exerce sur le mode strictement négatif du suicide. Ce qui nous invite à poser une dernière question : le suicide était-il obligé ? La liberté de Kevin était-elle à ce point affaiblie, le mécanisme enclenché si irréversible qu’il ne lui restait d’autre issue, que la destruction de soi ?

5) Une autre issue ?

L’associé du diable en demeure-t-il à ce constat plutôt pessimiste (malgré la pirouette finale) ou propose-t-il un remède ? Certes, on l’a dit, jamais la tentation n’est proposée comme une fatalité. Au contraire, ne succombe que celui qui abdique sa liberté. Le film – je veux parler de la scène qui s’avère finalement faire partie de la rêverie de Lomax, indépendamment de la fausse happy end – pouvait-il se terminer autrement ? La question est d’autant plus légitime que l’influence du démon est tellement prégnante, sa séduction tellement entêtante, que, ainsi qu’on le disait plus haut, ils ont suscité un réel trouble chez certains spectateurs. Est-il possible de ne pas être subjugué par le démon ?

a) Quelques rappels

Je rappellerai d’abord que, dans la grande tradition de l’Eglise, l’action démoniaque présente objectivement deux limites [15] : l’ange, déchu ou non, ne peut connaître les pensées des cœurs ; il ne peut forcer la liberté. En effet, l’intelligence et la volonté sont des facultés de l’esprit ; or, l’esprit n’est accessible qu’à celui qui en est le sujet ou à Dieu qui en est l’auteur.

Ensuite, du côté de l’homme, la tentation du démon est d’autant plus efficace que nous sommes d’une part pécheurs et, d’autre part, blessés. Or, Lomax est un homme profondément vaniteux et égoïste. Mais c’est aussi un homme blessé. Son désir de réussite est une revanche sur la condition trop modeste de sa mère ; cette manière de conjuguer sa vie seulement au futur ne signifie-t-il pas son refus de regarder un passé qui lui fait honte ? Or, cette blessure l’excuse : sur elle et le besoin de reconnaissance qu’elle suscite, s’est greffé le péché de vanité.

b) Une première réponse

Telles étant les limites objectives du démon et les possibilités subjectives de la liberté, comment Lomax aurait-il pu exercer concrètement celle-ci ? Avec le démon, pas de discussion, jamais de discussion. D’une part, car il demeure toujours plus intelligent que tous nos raisonnements : croire qu’on pourra le mettre en contradiction est d’une naïve ignorance de la transcendance du pouvoir de pénétration intellectuelle d’un pur esprit. D’autre part, car le démon ne cherche jamais la vérité : son esprit est définitivement orienté vers le service de sa propre gloire et le soulagement de sa jalousie.

De fait, d’une part, Satan mène la fête, c’est-à-dire qu’il ne cesse manipuler, du commencement jusqu’à la presque fin : il a réponse à tout, il devine les non-dits, il prévient les objections. Par sa parole, il domine (de l’extérieur) la raison de Lomax ; par la demi-sœur qui lui est totalement asservie, il domine son corps. L’emprise est donc – apparemment – totale. Et dans l’ordre : la griserie sensuelle suppose l’enivrement de l’esprit. Christabella, sentant que le moment de l’embrasement des corps n’est pas encore venu, se retourne vers son père pour qu’il continue son intoxication.

D’autre part, d’un bout à l’autre de la scène, le démon ne fait que mentir : sur Lomax, en le déculpabilisant ; sur Dieu, en le chargeant. Non seulement Milton ment mais il se moque de la contradiction – par exemple en affirmant puis en niant avec aplomb la responsabilité humaine – en dit long sur son mépris de la vérité et de notre pauvre intelligence

Donc, un seul salut pour l’homme : la fuite. N’est-ce pas, comme on l’a dit, la juste attitude que Lomax ébauche quand il bat en retraite vers l’ascenceur ? Un nouveau sursaut de lucidité, plus tard, lui fait affirmer : « Vous devez avoir bien besoin de moi ». Mais, à ce moment-là, trop tenaillé par son désir de réussite et son amour du jeu, Lomax n’est plus assez libre pour pouvoir partir : « On continue ».

Cependant, ne reste-t-il plus qu’une seule porte de sortie à Lomax : fuir cette vie devenue… infernale ?

c) La réponse complète

Allons plus loin. Que faudrait-il pour que Kevin puisse quitter la partie sans quitter la vie ? Est-il nécessaire que Lomax s’abandonne à la logique suicidaire qui consomme la solitude où il s’est enfermé [16] ?

D’abord, ne rêvons pas qu’il change brutalement, qu’il renonce à son appétit démesuré de pouvoir d’un coup de baguette magique : la prise de conscience finale n’est que l’amorce du changement, les plis profonds demeurent.

Surtout, derrière la décision finale de suicide, se terre une force que Milton ne peut que refouler et nullement annuler : Lomax est hanté par une secrète et infinie culpabilité, celle de la mort de Mary-Ann : le sang de celle qu’il a tué tache plus que sa chemise. Il ne peut plus s’estimer digne de vivre. Il n’y a qu’une solution, une seule : le pardon, le pardon à soi-même. Or, pour une faute aussi grave, un tel pardon ne peut être donné que par un autre, par le Tout-Autre. Certes, dans son histoire, Dieu est trop identifié à la croyance de sa mère, donc à cet univers qu’il a rejeté. Mais on connaît des conversions plus radicales. Elles ont toutes un point commun : l’humilité. Dieu ne se donne qu’à celui qui peut le recevoir ; or, seul le don divin de l’humilité prépare à Dieu. La première béatitude, celle des humbles, n’est-elle pas la porte d’entrée dans le Royaume [17] ?

Pascal Ide

[1] Il y a sans doute une allusion, mais inversée, à l’auteur homonyme (1608-1674) du Paradis perdu ? (1667, trad. et notes Pascal Messiaen, Paris, Aubier-Montaigne, 2 vol., 1951-1955).

[2] Clive Staples Lewis, Tactique du diable. Lettres d’un vétéran de la tentation à un novice, trad., Bâle, Ed. Brunnen Verlag, 1980.

[3] « Il y a quelque chose de pire que d’avoir une âme même perverse. c’est d’avoir une âme habituée ». Et il ajoute plus loin, au nom de sa physique spirituelle de la « mouillature » : « Les «honnêtes gens» ne mouillent pas à la grâce ». (Charles Péguy, Note conjointe sur M. Descartes, in Œuvres en prose complètes. III, éd. Robert Burac, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », Paris, Gallimard, 1992, p. 1307 et 1311)

[4] Evangile selon saint Luc, chapitre 4, verset 9.

[5] Chapitre 2, verset 16.

[6] Certes, vont être utilisées par exemple les catégories de victime et d’accusateur. Mais, loin d’éliminer la liberté, elles vont susciter une juste culpabilité.

[7] Apocalypse, chapitre 12, verset 10.

[8] Celui-ci correspond au type 3 de l’ennéagramme, ces types engendrant, tant qu’ils ne sont pas conscientisés et intégrés, des comportements addictifs (cf. Pascal Ide, Les neuf portes de l’âme. Ennéagramme et péchés capitaux : un chemin psychospirituel, Paris, Fayard, 1999, chap. 4).

[9] Allusion à l’admirable description de « la première gorgée de bière » qui a mérité de donner son titre à l’ouvrage fameux de Philippe Delerm : « C’est la seule qui compte. Les autres, de plus en plus longues, de plus en plus anodines ». Mais la première : « la sensation trompeuse d’un plaisir qui s’ouvre à l’infini… En même temps, on sait déjà. Tout le meilleur est pris » (La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules, Paris, Gallimard-L’Arpenteur, 1997, p. 31-32).

[10] « La seule chose dont on puisse être coupable, c’est d’avoir cédé sur son désir » (Jacques Lacan, Le séminaire. Livre XVII. L’éthique de la psychanalyse, coll. « Le champ freudien », Paris, Seuil, 1986, p. 368).

[11] « L’amour, c’est n’avoir jamais à dire qu’on est désolé ». (Erich Segal, Love story, trad., Paris, Flammarion, Éd. « J’ai lu », 1970, p. 124 et 90)

[12] Mais la conclusion peut aisément se généraliser à un pays comme l’Italie où trois quarts des députés sont des avocats…

[13] Evangile selon saint Matthieu, chapitre 5, versets 27 et 28.

[14] « Tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain » (Deutéronome, chapitre 5, verset 21).

[15] Cf. par exemple Saint Thomas d’Aquin, Somme de théologie, Ia, q. 111, a. 1 et 2.

[16] Cette scène est peut-être aussi dictée par une logique secrète, de plus en plus présente dans les films contemporains : la généreuse immolation de soi – ce thème se retrouve dans des films aussi tendus que Breaking the waves de Lars von Trier et Les derniers temps de . Puisque Kevin ne pourra résister longtemps à la tentation, puisqu’il n’y a apparemment rien de mieux que ce que lui offre son « père », autant éviter le pire à l’humanité, à savoir la reconquête satanique du monde par le biais de l’Antéchrist : en s’autolysant. Ne retrouve-t-on pas ainsi le sacrifice comme forme suprême de l’amour ? Mais cette prétendue abnégation n’a que l’apparence de la vérité.

[17] Evangile selon saint Matthieu, chapitre 5, verset 3.

Kevin Lomax (Keanu Reeves), jeune et brillant avocat, marié à la charmante Mary Ann Lomax (Charlize Theron), se fait démarcher par l’un des plus puissants cabinets new-yorkais dirigé par un certain John Milton (Al Pacino). Poussé par une ambition dévorante, Kevin ne résiste pas. Malgré les mises en garde de sa très dévote mère, Mrs Lomax (Judith Ivey), malgré la dégradation de sa relation avec Mary Ann et de la santé de celle-ci, Kevin consacre un temps croissant à son travail. Son ascension est fulgurante. Cette réussite insolente est-elle due à ses seuls talents ? Surtout, qui est ce John Milton ? S’il n’est qu’un homme machiavélique et manipulateur, pourquoi s’intéresse-t-il d’aussi près à Kevin ? Pourquoi cherche-t-il à le détacher de son épouse ? Alors qu’il vient de perdre sa femme dans les conditions les plus tragiques, la vérité qui attend Lomax est encore infiniment plus éprouvante. A moins que tout ne soit qu’illusion. Hors la vanité.

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