La venue de l’avenir, drame français co-écrit et réalisé par Cédric Klapisch, 2025. Avec Suzanne Lindon, Abraham Wapler, Zinedine Soualem, Julia Piaton, Vincent Macaigne, Cécile de France, Vassili Schneider, Paul Kircher. Présenté « hors compétition » au Festival de Cannes 2025.
Thèmes
Temps, rencontre, famille, création artistique.
Comment le dernier film de Klapisch ne réveillerait-il pas le souvenir de ses trois précédents longs-métrages : Ce qui nous lie (2017) ; Deux moi (2019) ; En corps (2022) ? Cet heureux quadrige tisse don de soi (relations sponsales) et don à soi (reconstruction).
- Limitons-nous au pénultième film. On ne finirait pas de les mettre en résonance En corps et La venue de l’avenir.
- Le premier point commun est la simplicité désarmante de la narration. Un exemple parmi beaucoup. Au terme, le grand-père si paternel, Marcel (François Chattot), questionne Seb sur ce qu’il a appris. Dans un grand moment d’émotion, le petit-fils énonce à son aïeul si empathique ce qui constitue le fil rouge de tout le film, dans une formule presque trop limpide : « Je regardais toujours devant, et cela m’a fait du bien de regarder derrière ».
Comme la thérapeutique devrait s’harmoniser avec le diagnostic, cette parole curative entre en résonance avec une autre parole qui, elle, est exprimée au début. Se rendant à Paris sur un charriot qui, tiré par des bœufs, avance au pas, un paysan se lamente (nous sommes en 1895 !) : « Tout va trop vite aujourd’hui ! ». Ce n’est pas en accélérant toujours plus et en s’obsédant-s’inquiétant que le futur se précipitera. Tout au contraire, c’est en poussant des racines dans son passé que l’on peut étendre ses ailes vers l’avenir.
- Une autre similitude réside dans ces personnages hésitants, mal-aimés, plutôt gentils, peu assurés et peu rassurants, qui hésitent à s’imposer (sur mode comique : « Et moi, puisque personne ne me le demande, je suis apiculteur ! ») et conjurent ainsi la violence sans nier la souffrance.
- Autre ressemblance : l’espérance qui se traduit par l’évolution discrète, mais réelle des personnages. L’avenue de l’avenir prépare à la venue de l’avenir. Nous croisons des personnes qui pourraient bien nous ressembler et qui, en recueillant quelques graines de sens (et parfois de bon sens), nous les transmettent. « En découvrant des choses sur eux, on découvre des choses sur soi », dit Guy. Klapisch multiplie ainsi les scènes légères et pourtant riches de sens. En voici une, presque au hasard. Elle se déroule à sortie de la bouche de métro Europe, cette station si symbolique de la rencontre, en son nom comme en son emplacement (elle surplombe la gare la plus fréquentée de Paris, Saint-Lazare). Guy y croise Céline qui remplit ses journées comme elle remplit son écran de tableau Excel, à ras-bord. L’apiculteur avoue alors à celle dont il est amoureux et qui ignore qu’elle est aussi prête à être aimée et à aimer que, lui, il est disponible et n’a rien à faire de sa journée… Ces vies émiettées et souvent vides trouveront du sens si elles consentent à ralentir et même s’arrêter.
- Mais ce que les autres long-métrages avaient montré de manière synchronique, ce nouveau film va l’explorer de manière diachronique, par ces allers-retours réussis, presque étourdissants entre notre début de vint-et-unième siècle et cette fin dix-neuvième, superbement reconstituée.
Bien entendu, nous n’éviterons pas la facilité des rencontres avec les gloires de l’époque, comme s’il n’y avait d’histoire que des grands hommes. Mais comment ne pas succomber au charme féerique de la maison de Giverny ? Qui n’a, à cette photographie solaire, senti monter en lui le désir de retourner au musée de l’Orangerie ?
Surtout, ce travail de réharmonisation opéré chez l’héroïne travaille le film lui-même. Il réunit les membres dispersés de cette famille qui ignorait son arbre généalogique. Il réconcilie aussi ces vies rapiécée et attristées qui ignoraient le bien qu’elles faisaient déjà. Belle scène, où Abdel, le professeur de français, qui a si souvent arpenté les couloirs de son collège jusqu’à en devenir indifférent et qui va les redécouvrir, métamorphosés en avançant, de plus en plus bouleversé, entre les murs mouvements et si émouvants de tous ses élèves reconnaissants.
Cette réconciliation s’opère par le croisement des temporalités : au début, le comique effet miroir ne concerne que les spectateurs ; puis, nous passons par l’erreur opposée à la juste posture qu’est la fusion (l’épisode ayahuasca qui brouille les frontières entre les époques) ; enfin, peu à peu, par un travail de la mémoire qui ne va pas sans un travail de la raison, nous arrivons à cette superbe leçon de vie selon laquelle seules les racines donnent des ailes. Et toujours cette parole inépuisable du Christ : « Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement » (Mt 10,8). Sans réaction et avec création.
Ces entrecroisements symbolisateurs s’attestent par l’une des meilleures options du film, la période très bouillonnante de 1895. Elle voit l’apparition des deux arts, dont la France fut le berceau très inventif : la photographie et, plus encore, la peinture impressionniste. Comment alors ne pas vibrer à cette scène inspirée où Claude Monet, qui ressemble tant à Seb, peint un certain 13 novembre 1872 à 7 h. 35 du matin : l’instant magique où le soleil éclaire le port du Havre de ses premiers rayons ; l’instant où Odette l’enlace tendrement et observe que les traces oranges de ce qui deviendra Impression soleil levant présentent un air mélodique. Reprenant son phrasé, Monet compose alors un nouveau tracé, tout en rythme, sur un bout de toile qu’elle conserve.
Comment ne pas profondément se réjouir que l’art qui enfante la beauté ne soit lui-même engendré par l’amour ? Platon avait déjà célébrée cette connexion. En effet, c’est après une nuit d’amour que Claude Monnet peint. C’est grâce à celle qu’il aime et qui l’aime, qui est d’ailleurs enceinte, que lui vient l’inspiration complémentaire de cette vibration solaire qui se reflète sur l’eau. C’est à l’écoute en profondeur de celle qui porte la vie que le peintre va enfanter dans la beauté ce qui va devenir le chef d’œuvre fondateur de l’impressionnisme. N’est-il pas non plus riche de sens que Seb soit le seul personnage que le cinéaste ait voulu dédoubler, comme pour conjuguer les deux époques et ménager une venue du passé vers l’avenir ? Au fait, l’amour n’est-il pas lui-même un chant qui transforme le monde en une symphonie cosmique ?
Avec l’âge, le réalisateur de Un air de famille (1996) gagne en sagesse et en espérance, sans perdre la fraîcheur de ses vertes années. Assurément, cette simplicité ne va pas ici sans un certain simplisme (et quelques longueurs !). Mais on lui saura gré de symboliser ainsi les arts (cinéma, peinture et phogoraphie) et les temps et les personnes. Comment ne pas honorer l’originalité d’une œuvre qui se déploie avec toujours plus de sérénité, de légèreté et d’humanité ?
Pascal Ide
En 2025, une trentaine de personnes issues d’une même famille apprennent qu’elles vont recevoir en héritage une maison abandonnée depuis des années. Quatre d’entre eux, Seb (Abraham Wapler) qui est créateur de contenus digitaux, Abdel (Zinedine Soualem) qui est professeur de français dans un collège, Céline (Julia Piaton) qui est ingénieur en prospective disruptive pour la SNCF et Guy (Vincent Macaigne) qui est apiculteur, sont chargés d’en faire l’état des lieux. Ces lointains cousins découvrent alors dans la vieille maison des trésors cachés, notamment une toile qui semble peinte par un impressionniste, ce que confirmera Calixte de La Ferrière (Cécile de France). Ils vont aussi croiser les pas d’une mystérieuse Adèle Vermillard (Suzanne Lindon) qui a vécu dans la bâtisse fin xixe siècle.
À la recherche de sa mère Odette (Sara Giraudeau), Adèle quitte sa Normandie natale, à 20 ans, et son amoureux, Gaspard (Valentin Campagne). Elle se retrouve dans le Paris de 1895, au moment où la capitale est en pleine révolution industrielle et culturelle : la photographie s’invente et l’impressionnisme naît. Elle y rencontre deux jeunes artistes, Anatole (Paul Kircher) et Lucien (Vassili Schneider). Elle croisera Sarah Bernhardt (Philippine Leroy-Beaulieu), Félix Nadar (Fred Testot), Berthe Morisot (Alice Grenier-Nebout) et même Victor Hugo (François Berléand) et Claude Monet (Olivier Gourmet, qui, à l’époque où il est l’amant d’Odette, en 1874, est joué par Abraham Wapler)…