Greenland – Le Dernier Refuge
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Pays:
Américain
Thème (s):
Catastrophe, Survie, Trois ordres, Vertu
Date de sortie:
5 août 2020
Durée:
1 heures 59 minutes
Évaluation:
***
Directeur:
Ric Roman Waugh
Acteurs:
Gerard Butler et Morena Baccarin
Age minimum:
Adolescents et adultes

Greenland – Le Dernier Refuge (Greenland), catastrophe américain de Ric Roman Waugh, 2020. Avec Gerard Butler et Morena Baccarin.

Thèmes

Survie, catastrophe, vertu, trois ordres.

Le blockbuster de l’été 2020 (à moins que l’Arlésienne Tenet ne tienne ses promesses le 26 août prochain…) n’est pas et ne se prend pas pour un grand film. Pourtant, il ne déçoit pas, car il a su troquer le spectaculaire habituel contre un réalisme de proximité – non sans une limite plus intime.

 

Roland Emmerich et autres Michael Bay ne sont pas aux commandes. Nous ne verrons donc pas d’effets spéciaux explosifs, du côté de la cause (pas de prise de vue sidérale de la méchante météore) ou du côté des conséquences (hors la pluie de météorites plutôt réussie qui vrille l’autoroute). La raison de ce défaut est sans doute budgétaire : le film a coûté seulement (sic !) 47 millions de dollars. Pauvre en moyens financiers, il est donc pauvre en moyens techniques. Mais cette double pauvreté devient l’occasion paradoxale d’une autre richesse : celle de la justesse scénaristique. Tirons-en une conclusion naguère bien connue et aujourd’hui bien oubliée : ce n’est pas en montrant beaucoup que l’on donne à vivre beaucoup, ici, de ce que pourrait être une catastrophe.

 

La réussite du film tient assurément au jeu des acteurs. Ainsi, Gerard Butler lâche son personnage tout en extériorité physique pour une personnalité tout en intériorité psychologique ; à la fois fort et vulnérable, il n’est ni un super-héros invulnérable ni un masculin en mal d’être mâle.

Elle tient aussi à l’intrigue. Sans originalité, mais non sans efficacité, elle est construite sur le principe mille fois éprouvé et astucieusement éprouvant du drame cosmique comme loupe du drame humain, et la résolution de celui-ci en synchronisation avec l’issue hors de celui-là. Plus astucieux, elle articule un temps de divergence (à la séparation attendue entre les époux succède celle, beaucoup plus violente et surprenante, de la mère et de son enfant) suivi d’un temps de convergence où la famille enfin rassemblée extérieurement et réconciliée intérieurement unit ses forces pour tout mettre et se sauver (diminuant d’autant le suspense).

L’intérêt de l’histoire réside de même dans la représentation presque documentaire des aggisement humains générés par la catastrophe : du meilleur (le jeune afro-américain qui, faisant confiance, partage gratuitement à John la seule voie de salut) au pire (le très peu probable kidnappeur d’enfant). Et, ce qui est plus rare, cette bipolarité traverse le héros lui-même qui, après avoir tué (accidentellement) pour garder son précieux bracelet va risquer sa vie, jusqu’à être brûlé grièvement et symboliquement au bras. D’ailleurs, autant il paraît peu crédible qu’un homme qui a tué son prochain, de surcroît de manière horrible, n’en ressente pas un choc psychologique, autant il est vraisemblable qu’il s’adonne à une surenchère de générosité, comme pour réparer ce dont il se sent coupable : une vie sauvée pour une vie sacrifiée.

Ajoutons qu’il est éclairant de montrer que, en cas de cataclysme, la survie dépendra des ressources mises en place pendant la vie antérieure : ressources extérieures (le lien entretenu avec le père sera la plateforme pour le nouveau départ), corporelles (les six kilomètres d’entraînement sur le tapis roulant deviennent les six kilomètres réels qui permettront à Allison de retrouver le fils enlevé) et intérieures ou vertueuses (exigeant dans son travail, ne lâchant rien sans être assuré que l’objectif sera atteint, John mettra tout en œuvre et jusqu’au bout, malgré des obstacles apparemment insurmontables, pour atteindre le plus motivant des mobiles : protéger son fils malade et se réconcilier avec son épouse trompée et sauver sa famille).

Mais le plus heureux est encore ailleurs : le choix de la perspective adoptée. Jamais nous n’accèderons à la vision générale et objective qui rassure (ou terrifie), que ce soit du côté du mal – type Armageddon (Michael Bay, 1998) –, de ses conséquences – type Le jour d’après (Roland Emmerich, 2004) –, ou que ce soit du côté des instances gouvernementales qui tentent de s’y attaquer – type Independance Day (Roland Emmerich, 1996). En revanche, nous adoptons le point de vue le plus quotidien et le plus banal qui soit, celui des victimes soudain projetés dans une catastrophe qui, avec la surface de la Terre, désintègre notre civilisation. C’est ce que soulignent certains plan rapprochés, voire caméra à l’épaule (avec leur lot de frustration, par exemple, lors de la bagarre dans le camion). En faisant entrer dans le point de vue particulier et subjectif des protagonistes, leur intention est de faire ressentir leur vécu troublé et montrer leur évolution dans un contexte largement incontrôlable. Nous cueillons aussitôt le fruit de cette caméra empathique. Favorisant la plus grande identification, nous adoptons aussitôt leur point de vue : Jack devient véritablement notre pire ennemi (jusqu’où ses attaques destructrices iront-elles ?), l’incertitude de l’avenir notre angoisse, ces victimes qui se refusent à devenir des victimaires ou des survivalistes égoïstes notre espoir, et chacune de leurs réussites notre propre victoire.

 

Est-il heureux qu’à l’époque de la pandémie sorte un film catastrophe où le spectateur ne peut pas ne pas se projeter et qui risque de décupler sa panique ? Répondons résolument oui. Il y aurait beaucoup de choses à dire sur la réalité d’une éventuelle reprise de la pandémie [1]. La véritable limite du film est ailleurs. Elle est d’ordre spirituel. En effet, si le scénario met en scène une réaction spirituelle, celle du père qui, fataliste et d’ailleurs peu cohérente avec les autres facettes de son personnage, est malheureusement peu ajustée, il n’a pas le courage et la liberté de montrer que, face à une menace de destruction si massive, beaucoup de personnes, voire une grande majorité d’entre elles rechercheraient un sens et un appui transcendant. Surtout, jamais Dieu ne permettra que la continuité du salut assurée par l’Église ne soit anéantie – ce qui ne veut pas dire que les médiations visibles, jusqu’à la tête, demeureraient intouchées. Ici, le seul salut final réside dans ces États-Uniens suffisamment prévoyants pour avoir organisé la survie du petit nombre… Notre espérance eschatologique est autrement plus universelle et vitale : « La volonté de Dieu est que tout homme soit sauvé » (1 Tm 2, 4).

En transférant l’intérêt du grand spectacle extérieur au drame intérieur, donc de l’ordre des corps à celui de l’esprit, le film dit vrai et fait du bien. Mais, en s’arrêtant en chemin, en éludant la question du salut surnaturel (ce qui peut se faire sans prosélytisme et même sans renvoi explicite à la religion, ainsi que l’a si bien montré l’œuvre de Tolkien), pour n’envisager qu’une pauvre survie temporelle, le film oublie que « l’homme passe l’homme ».

Et puisque nous avons cité à deux reprises Blaise Pascal, ajoutons que l’un des succès littéraires inattendus de cette saison, Un été avec Pascal [2], tombe dans le même travers laïciste que le film [3] : de notre génie français, il ampute la part la plus importante de sa vie (sa conversion et l’impressionnant progrès théologal qui lui a succédé) et de ses écrits (les Pensées qui sont d’abord une entreprise apologétique au sens le plus plein et légitime du terme). D’ailleurs, déséquilibrant le tout, cette amputation rejaillit sur la compréhension adéquate des parties démembrées. Par exemple, le célèbre fragment de Pascal sur la solitude [4] devient un conseil de vie humaniste ou stoïcien, alors qu’il est un profond diagnostic sur le divertissement comme signe de notre condition postlapsaire (« la misère de l’homme sans Dieu ») et de notre acédie [5].

C’est ce manque cruel de dimension supérieure qui explique le peu d’imparct (sic !) émotionnel. Steven Spielberg ou Clint Eastwood le savent si bien qu’ils font du don de soi ou du pardon les sommets où tout le film conduit. Mais atténuons notre jugement et ne boudons pas l’un des rares films estivaux qui allient l’aventure à un réel effort d’écriture : si les émotions-résolutions sont peu présentes, celles sucitées par le suspense, elles, sont au rendez-vous.

Pascal Ide

[1] Cf., par exemple, la vidéo de la généticienne Alexandra Caude, directrice de recherche à l’Inserm : https://www.youtube.com/watch?v=wP5ba_j2HDU

[2] Cf. Antoine Compagnon, Un été avec Pascal, Paris, Éd. des Équateurs, 2020.

[3] Il en est de même de Pierre Boudieu, Méditations pascaliennes, coll. « Liber », Paris, Seuil, 1997.

[4] « Quand je m’y suis mis quelquefois, à considérer les diverses agitations des hommes et les périls et les peines où ils s’exposent, dans la cour, dans la guerre, d’où naissent tant de querelles, de passions, d’entreprises hardies et souvent mauvaises, etc., j’ai découvert que tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre. Un homme qui a assez de bien pour vivre, s’il savait demeurer chez soi avec plaisir, n’en sortirait pas pour aller sur la mer ou au siège d’une place. On n’achètera une charge à l’armée si cher, que parce qu’on trouverait insupportable de ne bouger de la ville ; et on ne recherche les conversations et les divertissements des jeux que parce qu’on ne peut demeurer chez soi avec plaisir » (Blaise Pascal, Fragment « Divertissement », Pensées, éd. Brunschvicg n° 139, Le Guern n° 126, Lafuma n° 136).

[5] « Mais quand j’ai pensé de plus près et qu’après avoir trouvé la cause de tous nos malheurs j’ai voulu en découvrir la raison, j’ai trouvé qu’il y en a une bien effective et qui consiste dans le malheur naturel de notre condition faible et mortelle, et si misérable que rien ne peut nous consoler lorsque nous y pensons de près » et la suite (Ibid.).

John Garrity (Gerard Butler) est un ingénieur de structure, compétent et attentif. Pour des raisons que l’on ignore, sa femme Allison (Morena Baccarin) le bat froid, malgré ses efforts pour lui montrer son amour et prendre soin de leur jeune fils Nathan (Roger Dale Floyd), atteint d’un diabète insulinoprive. Alors que les nouvelles de la comète Clark, dont la trajectoire l’approche de la Terre, sont de plus en plus inquiétantes, John reçoit en SMS une alerte présidentielle lui demandant de se rendre, toute affaire cessante, sur un aérodrome avec sa famille, où ils seront transportés vers un lieu refuge tenu secret. Mais, quand ils arrivent sur place, Nathan est refusé au nom de sa maladie chronique et la famille Garrity se trouve brutalement séparée : d’abord John de son épouse et de leur fils. Alors qu’Allison décide de se rendre chez son père, Clayton (Scott Glenn), qui vit dans un ranch au nord des États-Unis, Nathan lui est brutalement enlevé par un automobiliste opportuniste qui voudrait profiter de son bracelet pour bénéficier de ce refuge. En synchronie avec ces dramatiques séparations, notre planète bleue, elle, se trouve de plus en plus menacée par la comète « tueuse ». Selon les dernières prévisions, s’en est détaché un aérolithe de 14 kilomètres, soit presque une fois et demi la taille de celui qui, voici 65 millions d’années, a causé une catastrophique extinction des espèces, à commencer par les fameux dinosaures… Les Garrity seront-ils réunis ? Demeureront-ils tous en vie ? Trouveront-ils les moyens de se rendre à temps vers ce abris top secrets qui les protègeront de l’apocalypse mondiale ? Mais, au fait, existe-t-il ?

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