First man, le premier homme sur la lune
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Pays:
Américain
Année:
2018
Thème (s):
Amour, Deuil, Homme-Femme
Durée:
2 heures 22 minutes
Évaluation:
***
Directeur:
Damien Chazelle
Acteurs:
Ryan Gosling, Claire Foy, Jason Clarke
Age minimum:
Adolescents et adultes

First Man : Le premier Homme sur la Lune (First Man), biopic dramatique de Damien Chazelle, 2018. Adapté du roman éponyme de James R. Hansen, 2005. Avec Ryan Gosling, Claire Foy, Corey Stoll.

Thèmes

Amour, deuil, homme-femme.

Au sortir de ce film-coup de poing, je reste à la fois pris par l’originalité, voire l’audace du cinéaste franco-américain, et interrogatif sur son intention.

 

  1. Comment ne pas être saisi par la capacité qu’a le réalisateur de prendre systématiquement le spectateur à contrepied ? Quelques exemples parmi beaucoup.

Après un quasi-documentaire (pourtant intégralement filmé en IMAX) sur l’arduité pleine de suspense de l’alunissage, Damien Chazelle se refuse au triomphalisme américain en troquant l’habituel déploiement du Stars and Stripes (surnom du drapeau américain) pour une empreinte pédestre dans la grise poussière de l’astre lunaire.

S’il est un autre moment glorieux par excellence, aussi attendu du spectateur que du héros, c’est bien entendu le choix fait par Deke Slayton de nommer Neil commandant de la mission Apollo 11. Or, cette nomination non seulement s’effectue loin de tout public, dans les toilettes, mais elle reçoit pour toute réponse du taiseux capitaine, un obéissant « Yes, Sir ». Faut-il préciser que la bande-son, pourtant omniprésente, voire saturée à l’excès, qui ne laisse éclater aucun instrument à vent et encore moins quelque chœur glorieux, est aussi discrète que la réaction, dénuée de toute expression affective, est secrète ?

Le réalisateur continue à frustrer le spectateur de sa légitime joie lorsque l’annonce est répercutée en famille. Symbolique de ce non-événement est la réponse de son aîné : « Je peux aller jouer dehors ? »

Un dernier indice ? Chazelle a pris le parti de filmer les vols – et parfois longuement – en caméra subjective ou en gros plan. Or, le vécu de l’astronaute sanglé dans sa combinaison, secoué dans son cockpit grinçant comme un cargo rouillé, nous fait éprouver toute la torture ressentie par le corps ; et s’il ne peut éviter de nous montrer quelques plans extra-terrestres, jamais il ne nous donne à goûter le saisissement du pilote, par exemple lors de la contemplation du lever de Soleil sur la planète bleue, du halo doré de l’ellipse terrestre, de la profondeur abyssale de l’espace ou de la solitude glaciale de notre satellite.

 

Est-ce donc par réaction, voire par esprit de contradiction, que le réalisateur de La la Land vient systématiquement contrecarrer notre légitime désir de voir éclater l’apothéose humaine ? Pourtant ne serait-ce pas donner un sens à cette souffrance, multiple et prolongée, qui est infligée au corps (nous venons d’évoquer les secousses auxquelles l’échappement de la pesanteur et bientôt l’apesanteur elle-même soumettent notre organisme), au psychisme (les multiples stress), à l’intelligence (le nombre d’informations à intégrer sature toutes les capacités d’apprentissage), au cœur surtout (en plus de subir les pertes à répétition d’amis chers, l’astronaute doit vivre le deuil qu’est l’éloignement des siens pendant de longues semaines d’entraînement, puis de quarantaine) ?

L’intention est clairement, voire ingénument présentée. En effet, tout le film est construit sur une inclusion stabilobossée au cas improbable où le spectateur ne l’aurait pas intelligée : au début, la mort intensément douloureuse de Karen ; au terme, le jet de son bracelet sur la Lune, après un flashback de souvenirs des émouvants moments d’intimité vécus avec elle. Neil a géré sa séparation par le mutisme (« Qui t’a dit que je voulais parler ? », rétorque-t-il froidement à l’ami voulant le consoler), le déni anesthésié et la fuite dans la suractivité, bref, par le refoulement sous toutes ses formes. Ainsi, à l’annonce du nouveau décès d’un de ses compagnons d’épreuve (au double sens d’essai et de souffrance), Neil se tait, sidéré ; mais se creusant soudain, des cernes apparaissent (bouleversant jeu d’acteur de Ryan Gosling), qui témoignent du traumatisme le ravageant intérieurement. Il est donc hautement symbolique que cet homme qui a multiplié les mécanismes clivants de protection, lève lors un moment la visière qui double son casque lunaire pour le défendre des rayons solaires, et laisse couler quelques larmes.

Ainsi, selon un très audacieux renversement auquel la comédie musicale nous avait préparé, la totalité de cet événement planétaire qui a fait basculer l’histoire – qui, s’il est né au moins une dizaine d’années avant 1969, ne se souvient, en France, d’avoir veillé ou de s’être levé en pleine nuit lors de ses vacances estivales, pour visionner en direct, le petit saut par lequel Neil Armstrong touche la Lune, et entendre cette phrase mémorable : « It’s one small step for man, one giant leap for mankind : un petit pas pour un homme, un pas de géant pour l’humanité » ? – s’inscrit dans le drame d’un homme qui enfin peut accomplir le deuil du décès de son enfant tant aimé. Autrement dit, le plus intime (voire intimiste) englobe paradoxalement le plus ultime, le contenu le plus large qu’il soit donné à un homme de vivre : diachroniquement et synchroniquement, le nom de l’astronaute est devenu aussi célèbre que celui de son Président qui est aussi le plus fameux de tous les présidents des Etats-Unis – d’ailleurs, là encore, qui, âgé d’une dizaine d’années, ignore où il se trouvait lorsque fut annoncé l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy, à Dallas, le vendredi 22 novembre 1963 ?

Toutefois, plus que dans la mort, le sens de cette subversion dérangeante ne résiderait-elle pas d’abord dans l’amour ? La clé de tout le film ne résiderait-elle dans son ultime scène, la rencontre ou plutôt les retrouvailles de Neil et Janet ? En effet, le spectateur demeure atterré (sic !) par l’incapacité qu’a le pilote d’exprimer le moindre sentiment de joie ou de tristesse, de crainte ou de regret, vis-à-vis de sa femme ou de ses enfants. À peine un baiser volé ponctue son départ pour une mission si périlleuse qu’une eulogie est préparée. En revanche, il demeure édifié par la fermeté pleine de bravoure de cette femme qui, sans rien lâcher, exige de son mari qu’il vienne parler à leurs deux garçons. Or, la dernière scène nous montre seulement la rencontre des deux époux, (raisonnablement, mais injustement) isolés par une paroi de verre interdisant autant la parole que le contact. Contre toute attente, Neil brise son mutisme à la limite de l’autisme, tend la main et, dans un geste plein de tendresse, prend l’initiative de renouer le lien avec celle qu’il aime. L’inversion de l’intime et du public, du singulier et de l’universel, du drame familial (resserré jusqu’au duo conjugal) et de l’épopée mondiale, est à nouveau confirmée, nous signifiant que, dans la vie, le dedans prime sur le dehors.

Certes, First man a délibérément tourné le dos à L’étoffe des héros (Philip Kaufman, 1983) ou Space Cowboys (Clint Eastwood, 2000), sans parler des triomphants Armageddon (Michael Bay, 1998) ou Apollo 13 (Ron Howard, 1995). Mais il ne nous invite pas tant à lorgner du côté de Gravity (Alfonso Cuarón, 2013) dont l’héroïne, Ryan Stone (Sandra Bullock), fut aussi traumatisée par la mort de sa fille, ou d’Interstellar (Christopher Nolan, 2014), où le héros, Joseph Cooper (Matthew McConaughey) vit un autre traumatisme avec sa fille Murphy (Jessica Chastain), que vers Premier contact (Denis Villeneuve, 2016) ou, quant au fond, vers le grand western américain, je veux dire vers John Ford. En effet, le véritable héros est une héroïne – la femme fidèle qui attend le cowboy ou le soldat parti conquérir l’Ouest et combattre les « Peaux rouges » – ou, mieux, le couple de l’homme aventureux, avec la femme stable, de l’héraclitéen toujours en exitus (départ) et de la parménidienne toujours confiante dans le reditus (retour). De fait, le film se refuse à la symbolique onirique Terre-Lune. Le satellite, loin d’évoquer le féminin en sa douceur laiteuse, s’avère, vu de près, une surface caillouteuse et silencieuse, inhospitalière et solitaire, grise mais en rien grisante, qui n’attend rien ni personne. Notre seule patrie est la Terre, la Terre maternelle et hospitalière.

 

  1. Et nous touchons ici le doute que le film a suscité. À plusieurs reprises, l’interrogation n’est pas évitée : pourquoi l’homme aspire-t-il à marcher sur la Lune ? Voire, la question devient objection : soit morale, au vu des multiples morts et des souffrances intenses infligées aux personnes et aux familles, soit sociale au vu de la situation encore si injuste des Noirs américains (l’argent dépensé pour la conquête spatiale pourrait les aider à sortir de leur misère). Des réponses sont ébauchées qui ne dépassent guère le plan de la logique politico-militaire (la suprématie technique comme signe de la suprématie politique). Et lorsque le discours de Kennedy résonne au terme, il pose lui aussi la question, pour n’offrir qu’une réponse empruntée que les vrais héros de l’ombre et de la lumière ne relaient ni ne s’approprient. Autrement dit, le réalisateur dont on célèbre volontiers le néoclassicisme américanophile, attesté par les multiples allusions, par exemple, à Stanley Kubrick ou Terrence Malick, prend ses distances à l’égard du rêve américain.

C’est ici que je bifurque et refuse de suivre ce qui, d’exploration légitime, devient au minimum parti-pris et au maximum idéologie. En effet, dès la première scène, Damien Chazelle se refuse à faire de l’homme celui qui s’affranchit du plus puissant des interdits : quitter sa planète, s’arracher à l’Arche-Terre (Husserl), jusqu’ici considérée comme constitutive de son identité. Nous le disions, lorsque Neil passe du ciel bleu à la stratosphère sombre, nous nous attendions à un moment magique d’exultation enthousiaste : non seulement l’homme se libère de l’attraction terrestre, mais, pour la première fois, il contemple ce que l’on appelle justement l’espace au-delà de l’atmosphère azurée qui l’enveloppe et l’en sépare.

Et telle est ma critique : celui qui détient le record de précocité pour l’obtention de l’Oscar du meilleur réalisateur ne refuse-t-il pas à l’homme d’être le seul de tous les vivants à transgresser non pas tant les limites que la finitude ? Ne transforme-t-il pas tant ce que l’on croyait être seulement une censure physique (l’impossibilité prétendue d’échapper à la gravité) en un interdit moral (« Tu n’échapperas pas à la Terre. Toujours tu y reviendras ») – peut-être dans l’intention d’envoyer un crypto-message à l’égard des actuelles tentatives de voyages interplanétaires vers Mars ? En lui refusant la joie de l’auto-dépassement, il ampute l’homme de ce qui mystérieusement, le constitue : l’être humain n’est pas tant un animal dénaturé (Vercors) qu’un animal dont la nature est d’attendre un achèvement surnaturel.

Bref, en opinant vers la parole (de Pascal ou du libertin parlant par sa bouche) : « Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie », le cinéaste oublie une autre parole du même penseur qui donne la réponse à la question lancinante posée par la raison d’être de ces voyages si onéreux (au sens étymologique comme au sens courant) : « L’homme passe l’homme ». S’il honore la misère de l’homme, il oublie que (toujours) Pascal ajoute « sans Dieu », c’est-à-dire sans cette transcendance inquiète qui le pousse à s’élancer vers le ciel, symbole du Ciel.

Pascal Ide

  1. Neil Armstrong (Ryan Gosling), 31 ans, effectue un énième vol test périlleux sur un avion-fusée expérimental qui l’entraîne jusqu’à des hauteurs (la frontière stratosphérique) et des vitesses (six fois la vitesse du son) jamais atteintes. Il cabre le X-15 verticalement vers le ciel afin de battre un nouveau record d’altitude. Mais, soudain, les commandes ne répondent plus… Avec un sang-froid impressionnant, le pilote trouve le moyen de faire redescendre l’appareil en vrille, alors qu’il encaisse sans broncher les vibrations et les g (accélérations). Mais, échouant à le redresser, il s’expulse avant que l’avion ne s’écrase dans le désert de Mojave, en Californie.

Marié à Janet Shearon (Claire Foy), cet homme si maître de lui qu’il paraît insensible est toutefois affligé par leur petite fille, Karen, qui souffre d’une tumeur au cerveau et bientôt mourra à l’âge de 2 ans.

En septembre 1962, les États-Unis sont en pleine guerre froide contre le bloc soviétique. La course spatiale bat son plein et le président Kennedy projette d’envoyer des Américains sur la Lune. Pour cela, la NASA recherche des pilotes d’essai qui soient aussi des ingénieurs et le recrute pour passer les sélections du programme Apollo. Armstrong est enrôlé. Originaire de l’Ohio, il déménage en Floride, avec Janet et leurs deux garçons. Désormais, sa vie et celle des « New Nine » (le groupe d’astronautes retenus par la NASA) se partagent entre des études épuisantes, des tests de simulation non moins éreintants, physiquement et psychiquement, sous la poigne de fer de Deke Slayton (Kyle Chandler), membre des Mercury Seven et premier patron des astronautes.

En 1966, Neil commande la mission Gemini 8, au cours de laquelle il effectue avec succès le premier amarrage dans l’espace, avec un satellite-cible. Suite à un dysfonctionnement, il assure alors un retour sur Terre en catastrophe.

Trois ans plus tard, Armstrong commande la mission Apollo 11, avec Buzz Aldrin (Corey Stoll), pilote du module lunaire et Michael Collins (Lukas Haas), pilote du module de commande. Il alunit le 20 juillet 1969 sur la Mer de la Tranquillité, sort et devient ainsi le first man à poser le pied sur la Lune. Si tous ces événements sont mondialement connus, l’on sait moins combien sa vie familiale a souffert de ses entraînements incessants et de sa crainte permanente de mourir lors d’un vol. Sa famille y survivra-t-elle ?

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