Equalizer 2
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Pays:
Américain
Thème (s):
Justicier, Super-héros, Triangle dramatique de Karpman
Date de sortie:
15 août 2018
Durée:
2 heures 1 minutes
Directeur:
Antoine Fuqua
Acteurs:
Denzel Washington, Pedro Pascal, Bill Pullman

 

 

Equalizer 2 (The Equalizer 2), action américain d’Antoine Fuqua, 2018. Adapté de la série télévisée américaine éponyme (1985 à 1989). Avec Denzel Washington, Melissa Leo, Pedro Pascal, Bill Pullman, Ashton Sanders.

Thèmes

Super-héros, justicier, TDK.

Comment expliquer le succès de ce film de série B ? Plus encore, comment comprendre que la figure du super-héros, qui n’est acceptable qu’à être super-fragile, renonce sans vergogne à toute vulnérabilité, tout en assumant des scores au box-office qui sont réservés aux seuls Marvel ?

 

Comme le précédent opus de la franchise Equalizer (Antoine Fuqua, 2014), ce nouvel épisode pose une aporie de taille.

D’un côté, McCall possède tous les attributs du super-héros – les superpouvoirs en moins – : sa vie, voire son identité, est sa mission qui est de faire justice ; il est doué de talents, physiques, intellectuels et moraux, hors normes que requiert cette mission ; il possède une double identité (la scène initiale le montre dissimulé en mollah turc et son activité de chauffeur de taxi ressemble fort à la couverture journalistique de Clark Kent) ; il est célibataire au sens actuel (plus encore, son veuvage lui donne un statut assimilé au single et, en le maintenant dans la nostalgie constamment rappelée du grand amour, le préserve d’un avenir affectif).

De l’autre, McCall apparaît en décalage avec une dernière caractéristique super-héroïque. En effet, depuis son origine cinématographique, le super-héros affiche sa vulnérabilité : dès le deuxième opus de la franchise filmique Superman (1978-1987, puis 2013-2017) qui est le premier super-héros non pas à apparaître à la télévision, mais à avoir fait l’objet d’un blockbuster à succès planétaire, nous rencontrons une figure charismatique qui semble s’excuser de son super-pouvoir en exhibant ses fractures intimes. Le paradoxe sera poussé jusqu’à l’extrême en mettant en scène des super-héros dépressifs (Hancock) ou cyniques (Deadpool). Or, tout au contraire, McCall n’arbore aucune faille. Voire, il participe de manière presque gênante aux différents attributs divins : toute-puissance (il anéantit ses adversaires en une durée qui tend vers l’instantané et que, d’ailleurs, il calcule lui-même, non sans une étrange satisfaction narcissique) ; omniscience (il anticipe tous les coups de l’adversaire, ainsi que le note son protégé) ; ubiquité (il se trouve instantanément en tous lieux, par exemple sur le toit du combat final) ; éternité (malgré son âge, il ne présente nul signe de vieillissement ou de fatigue). La seule concession à l’imperfection, dans le corps à corps terminal, relève de l’exigence rituelle de l’affrontement final caractéristique du genre littéraire ; mais il manque à ce point de crédibilité que très vite le super-héros met son adversaire hors jeu au point que la seule question devient le type de mort symbolique qui attend le méchant décidément impardonnable. Bref, comme le dit Miles, dont le chemin nous est donné à contempler comme exemplaire, nous sommes appelés à transfigurer McCall en super-héros.

 

Alors, comment expliquer que le scénariste, pourtant si soucieux d’humaniser ses super-héros et que le public américain, pourtant si friand d’imiter des super-sauveurs plus proches de lui, les éloignent au maximum pour, comme ils l’ont fait in illo tempore avec Rambo, à nouveau les diviniser, voire les idolâtrer ?

Une première explication vient de ce que McCall est aussi au plus près de M. Tout-le-monde : un homme qui s’habille de manière commune, vit dans un appartement banal au sein d’un immeuble lui-même quelconque, fait sa vaisselle à la main, bavarde avec ses voisins, bref, partage notre quotidien. Le seul super-héros à ne pas avoir, comme lui, de super-pouvoirs, à savoir Batman, compense ce manque par une richesse illimitée et par une équipe, même si elle est réduite. Ici, McCall non seulement est un solitaire invétéré, dont la seule amie va mourir, mais fait de son refus de tout arsenal destructeur et, en positif, la transformation de son environnement en armes de défense, sa marque de fabrique – tout en nous procurant de réjouissantes et créatives scènes de combat où une simple théière devient aussi redoutable qu’un missile ! Ainsi, le double processus (la banalisation de la personne et la transformation de son environnement) favorise la si désirable mimésis identificatoire.

Une autre explication me paraît au moins aussi décisive : McCall participe de la figure blessée, mais si trompeuse, du Sauveteur. De celui-ci, il adopte tous les traits jusqu’à la caricature. D’abord, le principal : il sauve l’autre, que l’autre le veuille ou non, voire, surtout s’il ne le demande pas. De fait, aucune des victimes, pourtant adultes, qui émaillent l’histoire, ne lui adressent quelque requête. Voilà pourquoi l’Equalizer se présente au fond comme un justicier, c’est-à-dire comme un redresseur de torts qui, certes, recherche la justice, mais s’est automandaté, énonce lui-même ses sentences et, souvent, dépasse la mesure (« D’ordinaire, je vous donne une chance. Mais pas ce soir… »). Ensuite, les conséquences : il n’y a de Sauveteurs que parce qu’il y a des Victimaires qui sont absolument innocents, et des Bourreaux qui sont absolument méchants. Or, de fait, Miles est présenté comme la victime de son milieu (même si la responsabilité d’en sortir lui appartient). Et les « Méchants » sont non seulement bien individualisés comme ne possédant ni excuse ni conscience morale, mais ils sont bien délimités dans le temps et l’espace dans une nature symboliquement en colère, pour que leur élimination soit totale et définitive, assurant un avenir sans nuages et sans représailles. Ainsi s’explique le succès d’Equalizer : il émarge à l’univers des personnages individualisés par le triangle de Karpman, à savoir ce manichéisme déresponsabilisant autant que rassurant. En nous épargnant la lourde charge de regarder en nous-même notre part de culpabilité et de puiser en nous l’énergie pour sortir de la violence subie, en plus, il nous certifie la venue d’un Sauveteur que la vie nous fait souvent attendre désespérément. Là où les films de super-héros, estampillés tels, ont renoncé à cette interprétation binaire pour faire passer la frontière entre bonté et méchanceté à l’intime de nos cœurs, ce film réussit le tour de force de régresser sans le dire vers l’illusion tellement sécurisante d’une répartition du bien et du mal entre des personnes (qui sont des personnages) différents…

Mais, dira-t-on, ne manque-t-il pas ce besoin de retour si caractéristique du Sauveur (et pourtant si inaperçu de sa conscience) ? L’on pourrait répondre que, secrètement, le Sauveteur McCall se transforme en bourreau de lui-même, quand il se refuse à tout bonheur, s’adonne au quotidien à ses rituels perfectionnistes à la limite de l’obsession (les cinq pommes alignées) et poursuit compulsivement sa mission. Mais il se joue ici un processus plus subtil. Emblématique est, de ce point de vue, la scène initiale et lacrymale des retrouvailles émues de la mère éperdue et de la fillette perdue : tout nous dit l’infinie vulnérabilité des victimes, leur besoin infini d’aide, donc leur satisfaction infiniment bouleversée. Cependant, objectera-t-on, la scène si gratifiante des retrouvailles demeure ignorée de McCall, même s’il en lira peut-être un écho anesthésié dans le quotidien du lendemain. Oui, mais pas nous, qui avons droit en direct à cette scène. Comme si la jouissance que McCall ne nomme pas, il la vivait par procuration dans le retour du public. En effet, d’heureuses analyses montrent que, si autonome a-t-il pu se prétendre, notamment dans ses relectures structuralistes, le récit fictionnel est par essence inachevé (cf. la remarquable étude de François Lavocat, Fait et fiction. Pour une frontière, coll. « Poétique », Paris, Seuil, 2016) ; il ne trouve pleinement son sens que dans son actualisation chez son lecteur ou son spectateur. Ainsi, l’identité du personnage de Sauveteur impénitent et addictif de McCall se trouve confirmée par la manière dont il est reçu et inconsciemment rejoint.

Certes, tout en se fondant sur notre inclination au juste, McCall n’est pas sans flatter notre goût blessé à la vengeance. Certes aussi, le réalisateur n’est pas dupe de ce schéma simpliste, au point qu’il fait objecter à McCall par la bouche d’un des protagonistes : « C’est bien d’aider tous ces gens à droite et à gauche. Mais ça ne remplit pas le cœur. Fais la paix avec toi et rentre chez toi ». En fait, McCall sera excusé, voire racheté, de sa violence justicière, en accédant à la paternité qui donne et abandonne, à travers la figure de Miles. Ainsi absous, il demeurera ce justicier dont le public est complice. Autrement dit, un Sauveteur professionnel. Au fait, le terme Equalizer – qui rime avec celui de Punisher – ne renvoie-t-il pas à l’égalité qui est la norme du juste – la légitimité en moins ?

Pascal Ide

Robert McCall (Denzel Washington), un agent des services secrets américains à la retraite, travaille comme chauffeur de taxi à Boston, vit sobrement et rencontre quotidiennement Miles (Ashton Sanders), un jeune doué dans la peinture, mais tenté par la délinquance. Lorsqu’il apprend que son amie Susan Plummer (Melissa Leo) a été assassinée par un groupe de criminels ayant une dette envers lui, il décide de reprendre les armes et de venger sa mort.

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